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L’IDEAL SERAIT DE…

« MAMAN !!! Reviens, sors de ce carrefour, tu vas te faire tuer ! MAMAN !!! »

Une tonne de larmes et une centaine de coups d’élastique plus tard, je réfléchis sur ce rêve douloureux que je viens de faire deux nuits d’affilée. Je revois Maman au milieu de ces voitures qui klaxonnent à qui mieux mieux, je la vois perdue, à tourner en rond le regard fixe entre démence et terreur silencieuse, piégée au fond d’elle-même, incapable de revenir à la surface…

Je cours vers elle, je la ramène comme je peux sur le trottoir, je tente de lui faire entendre raison, je lui dis à quel point j’étais inquiète mais devant son regard halluciné, je me sens totalement impuissante et cela me fait mal au plus profond de mes tripes.

Là, je me dis qu’en fait, les rôles sont inversés : c’est moi la folle au milieu du carrefour et c’est Maman qui s’inquiète pour moi.

 

Jeudi 3 décembre 2020 # DECONFINEMENT PRESQUE J+6

Deux semaines maintenant que je me suis remise à envoyer mon CV à tire-larigot sans aucun retour. J’ai l’impression que cela va prendre plus de temps que prévu. Mais j’ai hâte, purée ! de retrouver une vie sociale et un semblant d’utilité, hâte de m’ouvrir, de découvrir autre chose, de rencontrer des gens nouveaux et de penser à autre chose qu’à ma misérabilité…

Bref, un peu dans l’ornière et ça commence à me peser. J’ai repris mon train-train de confinée toute seule avec moi-même qui, il faut bien le dire, consiste principalement à buller. Une alternance jour-nuit qui se répète à l’identique dans une routine de désœuvrement qui, si elle est douce et sans heurts, n’est pas forcément bénéfique pour moi en ce moment.

J’ai repris toutefois la danse et la gym, après une semaine de douleurs incommensurables réparties de mon occipital jusqu’à mon sacrum. Je gobe les antidouleurs comme des jelly beans, maintenant. Ça me fait du bien de me faire mal. Ce que j’aime surtout, c’est l’après-séance lorsque les endorphines m’envahissent…

Du coup, j’ai aussi beaucoup de temps pour penser. Quelques embardées de rumination tout de même, vite désamorcées à coups d’élastique et aplanies par la paroxétine, mais oui, je réfléchis intensément depuis quelques jours. Et j’arrive même à être objective.

Je repense notamment à la semaine dernière. J’en ai une impression douce-amère, mi-sourire, mi-ride du lion. Je repense à Bradley et sa vocation retrouvée pour laquelle il se dédie aujourd’hui à 100%. Il a d’ailleurs passé le plus clair de son temps chez moi sur son ordi ou au téléphone à gérer des trucs pour l’armée, tellement absorbé que si j’étais sortie, il n’aurait rien remarqué.

Bref, je me suis dit qu’en fait c’était comme s’il télé-travaillait et que je ne devais pas lui en tenir rigueur. Mais quand même, je trouve cela impoli au possible lorsqu’à table, alors qu’on est censés passer un moment de détente, qu’il consulte son portable toutes les 30 secondes sans plus me calculer.

Il m’a expliqué aussi qu’à partir de l’année prochaine, ce ne sera plus à la carte et que les missions ne pourront plus être refusées pour indisponibilité personnelle. Et là, il m’a déroulé son ‘planning’ du premier semestre 2021. 3 semaines en janvier, 2 semaines en février, 4 mois de mars à juin, 3 semaines en juillet et vacances en août avec ses enfants.

Mon premier réflexe (intérieur) a été de me dire que tout ça était trop abstrait pour moi car je ne me projetais pas si loin dans le temps. Ensuite, je me suis dit qu’on n’allait pas se voir des masses lui et moi, avec des absences aussi nombreuses et ses enfants à caler entre les deux. Et enfin, je me suis demandée si j’avais envie de cette vie.

Cette vie où l’on devrait vivre ensemble à moyen-court terme, disons où il faudrait que j’emménage chez lui si je veux avoir une chance de le voir entre deux missions, pour m’occuper de ses enfants aussi lorsqu’il serait absent, bref une vie de femme de militaire au foyer. Ce serait caler ma vie sur la sienne et si j’en crois ses propres dires, c’est justement ce qu’il ne veut pas.

Il ne veut pas mais c’est bien ce qui se passe. Ma vie dernièrement s’est calée par rapport à lui et j’ai encore tendance à y penser pour la suite. Tendance seulement, parce que je n’ai rien d’autre en ce moment dans ma vie. C’est pour cela qu’il me tarde de reprendre une petite vie à moi, rien qu’à moi et de voir ensuite si j’ai envie que nos deux vies s’entremêlent.

Bref. Même son ex-femme est soûlée. Elle a piqué une crise : « Tu comprends, on est divorcés, je ne peux plus caler ma vie sur la tienne car cela commence à poser des problèmes dans mon couple. On peut s’arranger pour la garde des enfants mais il faut que cela reste exceptionnel. Tu n’as qu’à dire à l’armée que tu n’es pas dispo quand c’est ta semaine de garde. »

Je pense qu’elle a raison sur le fond. Même si je trouve pitoyable d’instrumentaliser ses propres enfants dans un conflit utérin issu d’une rupture mal digérée. Car si j’ai bien compris, c’est Bradley qui l’a quittée et depuis, elle essaye de toutes ses forces de reprendre un peu le pouvoir sur lui, en lui donnant mauvaise conscience et en étant peu complaisante voire inflexible car elle n’a de cesse de se référer à leur convention de divorce comme à la Bible.

Il y a quelques années déjà, m’a raconté Bradley, elle avait refusé de garder les enfants pendant les 6 semaines de mission de Bradley, obligeant ce dernier à les confier une semaine sur deux à un couple d’amis… Je peux comprendre que cela l’emmerde d’être tributaire du planning de son ex-mari mais ce sont ses propres enfants, pas des chiens dont on se débarrasse au refuge quand c’est la semaine de garde de l’autre. On n’est pas maman une semaine sur deux.

Aurais-je été comme ça moi aussi il y a 20 ans lorsqu’il m’a quittée si j’avais eu des enfants avec lui ? Je ne sais pas. Je me suis trouvée tellement mauvaise et mesquine à ce moment-là que peut-être que oui.

Je me dis aussi que le problème vient peut-être de lui et de lui seul. Qu’il est capable de nous rendre folles d’amour puis folles tout court. Qu’effectivement, tout tourne autour de lui, selon s’il est bien, s’il est mal, il nous adore puis il nous jette, il revendique tout de nous mais ça l’étouffe et il finit par prendre la tangente en nous laissant exsangues, rongées par l’incompréhension et la rancœur.

Aujourd’hui, il a certes changé mais pas tant que ça. En tout cas, pas sur ce plan-là. Et ayant déjà eu le tour, si je peux éviter de devenir chèvre une deuxième fois, ça m’arrangerait. Parce que je n’ai pas besoin de lui pour ça en ce moment !

 

Bref, la nouvelle poussée d’urticaire de son ex-femme l’a obligé à se poser de solides questions. Demander la garde exclusive ? Car il est clair que son ex-femme ne souhaite pas, elle, la garde exclusive, je trouve cela tellement singulier mais bon. Donc, une nounou ou une jeune fille au pair pour les semaines où il serait en mission… Et moi, je lui sors du tac-au-tac « Mais je les garde quand tu veux, tes loulous ! » il n’a pas relevé heureusement mais qu’est-ce que je suis con quand je m’y mets !

A mon avis, le JAF dira que Monsieur étant au chômage, sortant de dépression et avec des absences nombreuses pour impératifs militaires, la garde sera plutôt en faveur de Madame… L’embrouille.

–  Je suis réellement désolée pour toi que tout ça se complexifie, c’est moche… Avec moi en plus, ça va vraiment devenir un casse-tête insoluble.

–  C’est-à-dire ?

–  Bah tu vas devoir jongler entre tes enfants, l’armée et moi… Je suis un paramètre qui complique encore plus la situation, quoi.

–  N’importe quoi. Pour moi, ça, ce n’est pas compliqué : un coup de voiture et on est chez l’un ou chez l’autre.

–  Mais il va falloir que tu me présentes tes enfants et je…

–  Bah oui ! Je ne vais pas te les cacher éternellement.

–  Ah bon.

Ça m’a cloué le bec. Comme souvent, d’ailleurs. Bref, on en revient à l’hypothèse de cette vie en commun organisée selon SON agenda. Même à plus long terme, lorsqu’il aura trouvé sa maison en rase campagne tout en gardant son appart sur Paris pour sa semaine de garde des enfants, son havre de paix sera-t-il aussi le mien ? Ou s’il a la garde exclusive et qu’il décide de partir pour de bon à la campagne, l’y suivrai-je ?

Ce sont ses projets à lui, pas les miens. En tout cas, pas maintenant. Sans compter qu’il ne m’inclut jamais dans ses projets, pas même un embryon de supposition. Ça me fait penser à ce qui lui est arrivé avec son ex. Il a suivi ses projets à elle, pensant que c’était les siens aussi et quand ils se sont séparés, il s’est aperçu qu’il n’avait rien dans sa vie. D’où l’importance vitale à ses yeux d’avoir maintenant un projet bien à lui dont il ne démordra pas quoiqu’il arrive.

Je comprends. Je comprends d’autant plus que moi non plus, je ne veux pas me fourvoyer sur un chemin qui n’est pas le mien.

Bref. Une relation elle aussi en alternance une semaine sur deux me convient bien. Ici à Paris. Et je peux faire avec quelques semaines, voire quelques mois d’absence. Cela m’ira d’autant mieux lorsque j’aurai un boulot et d’autres chats à fouetter dans l’intervalle.

Vendredi dernier, il a été appelé en urgence pour aller remplacer un gars censé être de permanence 24 heures au régiment. Il a eu l’air surpris que je le prenne aussi bien. Bah d’une, j’avais pas le choix et de deux, être seule 24 heures, comment dire ? bah je gère, quoi. Il n’a eu de cesse de me remercier pour ma compréhension et ma patience, c’était mignon, je reconnais mais pour moi, il n’y avait pas lieu à tant d’effusions.

Il est là, chouette, il n’est pas là, bah chouette aussi. Pour l’instant, je ne vais pas chercher plus loin. En fait, la semaine dernière a été ces quelques jours que j’avais souhaité passer avec lui sans nous poser de questions, juste avant qu’il ne parte en mission qui a avorté finalement. L’idée, c’était juste de profiter puis de mettre à profit son absence pour réfléchir à un hypothétique nous deux, pérenne ou pas.

Bon, maintenant que la situation a changé, je me suis adaptée en me laissant porter au fil des choses. Et l’insouciance a naturellement cédé la place à la réflexion. Sans mouronnage, posément.

Il y a bien un truc qui me chiffonne, quand même. J’ai l’impression qu’il ne s’intéresse absolument pas à moi, que rien venant de moi ne le touche ou ne l’interroge. Ainsi, il ne me pose aucune question, il ne demande aucune nouvelle de mes amis, on n’a pas parlé de mon TPB, de mon évolution, ni de comment je vivais ces quelques jours avec lui. Il s’est sûrement dit, comme à son habitude, que je lui en parlerai quand j’en aurai envie.

Bon, ça m’a arrangée parce que justement, je n’ai rien eu à dire de particulier. J’ai même délibérément choisi de ne rien aborder de sensible me concernant. Voire de ne rien aborder du tout. Un modèle de bulot mutique comme on n’en fait plus.

Jusqu’à samedi soir, quand tout est parti en cacahuète. Pour moi, en tout cas. J’en avais marre de ses monologues alors, au cours de l’apéro, j’ai lancé le jeu ‘J’ai jamais’. Le but étant d’apprendre à se connaître. On se place l’un en face de l’autre les mains levées et on déclare chacun son tour ‘Je n’ai jamais fait telle chose’, si l’autre l’a déjà fait, il doit baisser un doigt et le premier boit un coup. Le perdant est celui qui a baissé tous ses doigts en premier.

Il a bien rechigné un peu en me disant qu’il n’était pas d’humeur à jouer mais devant mon air déterminé, il a obtempéré et finalement, s’est pris au jeu. Mais là, j’ai découvert l’amplitude de son agressivité et de ses tendances paranoïaques…

Fini d’être choupinet et roucoulant, il a repris d’un seul coup le visage dur et la voix de stentor autoritaire aux mots tranchants qu’il avait eus lorsqu’il m’était tombé sur le poil parce que je ne l’avais pas entendu entrer chez moi… Il n’a eu alors de cesse de me tacler, de me balancer des piques à la limite de la méchanceté gratuite, tant et si bien qu’à un moment, j’ai dû lui dire en lui prenant le visage dans mes mains : « Though I am not your friend, I am not your enemy either. So stop being such an ass ! »

Je me suis réveillée dimanche matin avec un mal de crâne à éclairer tout le quartier et un quasi black-out de la soirée. Apparemment très arrosée. Bah oui, j’ai gagné à ‘J’ai jamais’. Bradley s’est fait un plaisir de me raconter par le détail. Oui donc, une soirée très arrosée et très amazonesque semble-t-il, un souvenir impérissable pour lui…

–  As-tu besoin d’alcool pour te lâcher ?

–  Je ne sais pas. Peut-être.

–  En tout cas, c’était incroyable…

Je ne me suis pas sentie de discuter d’un évènement dont je ne me rappelais pas et à vrai dire, qui me mettait un peu mal à l’aise. J’ai donc éludé vite fait bien fait. Puis, les brumes dissipées, j’ai alors eu une étrange sensation. Un très vague souvenir d’avoir pleuré en entendant une chanson, l’impression diffuse mais persistante d’avoir fait un bad trip…

Et qui dit bad trip alcoolisé chez moi dit Walter. Je me suis donc précipitée sur mon portable pour effectivement y découvrir un texto que je lui ai envoyé à minuit : « I am so sorry. » Bon, cela aurait pu être pire. Mais quand même.

Comment Bradley a-t-il fait pour ne rien voir de mon bad trip ? OK, je me suis réfugiée seule à un moment dans mon lit mais il me semble que j’ai commencé à pleurer dans le salon avec lui dans les parages… Le connaissant, il m’en aurait parlé donc j’en ai conclu qu’il n’a rien calculé. Tant mieux.

Quant à Walter… Clairement, je ne peux pas effacer 20 ans d’habitudes aussi facilement que je l’aurais voulu. Je ne compte plus les fois où je lui ai envoyé un texto alors que j’étais ivre, la plupart du temps pour lui livrer des mots que j’étais incapable de lui dire à jeun… Comme quoi, c’est peut-être vrai que j’ai besoin d’alcool pour me lâcher. Comme si je ne voulais pas assumer mes propos. C’est naze, je sais.

Bref. Oui, je pense à Walter. Pas outre mesure cependant, il faut dire que je suis bien occupée dans ma tête ces derniers temps ! Mais bon, par-ci par-là… D’ailleurs, lors de la dernière soirée chez Nénette, j’ai eu à un moment donné une pulsion nostalgique, une pensée qui m’a transpercée de part en part : « Je vis encore à côté de ma vie, c’est Walter qui devrait être avec moi ici ce soir » J’imagine que ce ne sont que des réminiscences. A nouveau, pas facile d’effacer 20 ans de fonctionnement.

Et pour en revenir à Bradley, après sa roucoulade du matin, il n’est certes pas redevenu l’odieux connard du début de soirée de la veille mais il s’est fait plus distant, plus fuyant, plus froid. Alors, est-ce à cause de moi et de notamment mon énième black-out ? S’est-il rendu compte lui aussi que l’on n’avait finalement pas grand-chose à partager ? Prend-il mon silence radio pour de l’indifférence ?

Je ne sais pas, je ne lui ai pas demandé. Et il est reparti lundi aussi froid qu’il était chaleureux en arrivant une semaine plus tôt. Et je dois avouer, moi j’étais aussi heureuse de le voir repartir que de le voir arriver une semaine plus tôt. Bizarre, non ?

 

Tout ce qu’il était à l’époque, tyrannique, égocentrique, lunatique, et tout ce qu’il est devenu, sur la défensive en permanence, paranoïaque, sectaire et dénué de compassion, impossible à vivre au quotidien, limite sale con, tout ça commence à peser bien lourd par rapport à ce que j’aime chez lui…

Car j’aime son côté passionné, son pouvoir enivrant, sa résilience, j’aime quand il se laisse aller à la futilité et à l’insouciance et surtout, j’aime l’incroyable alchimie de nos deux corps, comme s’ils parlaient un langage bien à eux mais bon, ça ne fait pas tout.

Quelque chose se construit-il entre nous ? C’est on ne peut plus incertain. Et je ne peux m’empêcher de me dire que cela risque d’être difficile si l’on ne se retrouve sur rien d’autre que notre entente physique qui, si elle est délicieuse, ne donne quand même pas matière à construction à long terme.

Bradley peut-il n’être qu’un sex-friend ? Je ne sais pas. Si cela m’irait, si cela lui irait. L’idéal pour moi serait qu’on se voit pas plus de deux jours d’affilée mais en ne se consacrant qu’à nous-même, sans portable, sans trop d’alcool et sans trop penser. Mais bon.

Donc, je vais prendre les choses comme elles viennent. Car je ne sais pas si j’arriverai à faire avec ce qui me déplaît chez lui, je ne sais pas si lui arrivera à faire avec le bulot mutique que je suis en ce moment, je ne sais pas si nos sentiments vont finir par donner quelque chose et je ne sais pas si cela en vaut la peine.

Allez hop, une tisane Nuit Calme et je vais me crasher devant ma série.

THANKSGIVING

« I am thankful for being alive and still standing up after all I’ve been through. I am thankful to have people around me that care for me as much as I care for them, I am thankful to feel loved.”

L’Américaine dans l’âme que je suis ne pouvait pas faire l’impasse sur Thanksgiving. Une fois, j’ai été couronnée ‘Dinde de l’année’ par Zane venue à Paris presque spécialement pour partager ce grand moment de convivialité. Pas peu fière d’avoir passé ma journée aux fourneaux pour un résultat assez époustouflant, si j’en crois les retours…

 

Samedi 28 novembre 2020 # DECONFINEMENT PRESQUE J+1

Une semaine qui s’annonçait à priori très calme pour moi. J’avais jeté l’ancre dans une petite crique et ballotée doucement par le ressac, j’avais juste envie de buller en contemplant les cormorans. Je commençais à m’habituer à mon extrême solitude quand mardi midi Andrew est passé me faire un petit coucou après un rendez-vous professionnel dans le quartier.

Autant dire que j’étais ravie de voir mon Yang. Un grand moment de complicité et d’échange. On a parlé notamment de mon TPB, de Bradley, de ma vie en ce moment et je me suis même laissée aller à des confidences, du genre ‘T’ar ta gueule à la récré si tu le répètes à quiconque’… Bref, ça m’a fait un bien fou. Et de savoir qu’il va peut-être être embauché à 800 mètres de chez moi, bah je suis bien contente.

Et dans l’après-midi du même jour, un appel de Bradley : « Bah en fait, je ne pars plus, c’est décalé à janvier. J’attendais d’avoir la confirmation pour t’appeler. Veux-tu que je te rejoigne ? »

J’ai dit oui. Une impulsion, pas réfléchi une seconde, juste suivi la vibe, même si j’ai bien pressenti le bordel que cela allait engendrer, moi qui comptais sur cette latence pour faire le point sur ma vie. Mais bon, pas affolée pour autant. Etrange. En fait, je me suis dit « On verra. »

Et depuis, bah il est là. Adorable. Frétillant. Limite amoureux avec ses ‘chérie’ par-ci ‘chérie’ par-là et sa spontanéité après que je lui dise qu’il n’avait pas de comptes à me rendre : « Bah on avance ensemble ou pas ? »

Moi, je suis sereine. D’une légèreté assez déconcertante, je dois dire. Un peu empruntée tout de même à faire matcher mon quotidien avec le sien, je tourne d’ailleurs assez souvent comme un poulet sans tête dans l’appartement mais globalement, ça se passe bien, on passe même de très bons moments.

On a par exemple fait la cuisine ensemble dans la joie et la bonne humeur pour le fameux dîner de Thanksgiving jeudi. Une première pour lui ! Je l’ai donc intronisé à la gastronomie outre-Atlantique avec un seul mot d’ordre : faire péter le bouton du jean en fin de repas. Ce qui a été le cas. Même s’il n’y a pas eu de dinde de 8 kilos, hein…

Il y a aussi de grands silences entre nous. Rien de pesant, juste des temps où ni l’un ni l’autre n’ouvre la bouche. Pour lui, je pense que ce sont de simples pauses dans le flot de paroles dont il m’arrose copieusement. Pour moi… bah en fait, j’ai rien à dire. Et c’est là que je me dis que l’on n’a décidément pas grand-chose à échanger. Je l’écoute patiemment me parler de ses trucs à l’armée, de ses bouquins, de ses projets, ce n’est pas que cela ne m’intéresse pas mais je suis souvent à dix-mille lieues sur ma planète….

Est-ce parce qu’il m’a souvent rembarrée lorsque j’ai parlé de mes trucs à moi que maintenant je me tais ? Peut-être, oui. Mais je me rends compte surtout que l’on est vraiment aux antipodes l’un de l’autre. Cela ne me chamboule pas plus que ça, c’est une simple observation.

Pas de méprise, quand j’ai dit oui mardi, c’est parce que j’avais vraiment envie de le voir et je suis très heureuse qu’il soit là. Je me laisse porter, j’observe en dilettante, sans réflexion intensive derrière. Je ne mouronne pas, d’ailleurs, pas un seul coup d’élastique depuis ha ha ha !

C’est sûr maintenant, la paroxétine fait le job. Je prends aussi des cachets phyto contre le stress, une infusion Nuit Calme le soir et toujours de la mélatonine avant de me coucher. Plus zen que moi, tu meurs. Plus d’angoisses abyssales, plus de montées d’adrénaline, plus de fixations mortifères. En plus, je ne dors pas si mal que ça et je ne fais plus de cauchemars.

Ça pourrait être le paradis. Je le vois plutôt comme une petite crique tranquille sur laquelle je suis venue m’échouer. Mais l’envers du décor, c’est que je me suis tellement anesthésiée que je ne sens plus rien. Un vrai marbre. Et bien sûr, plus de vibration, plus de ressenti, nada.

Bon, c’est ce que je voulais, la paix. Mais je ne pensais pas que cela m’insensibiliserait à ce point et au-delà de ça, que cela affecterait mon don…. D’où mon interrogation : mon don ne serait-il que la résultante d’une transe psychotique ? En gros, pour être medium-empathe, faut-il que je sois aussi borderline schizophrénique ?

Ou peut-être que je n’ai pas de don du tout. Que je ne suis qu’une camée névrotique et mythomane qui croit à ses propres hallucinations… Bref. Me voilà devenue un bout de bois placide.

L’ELASTIQUE

« Coucou chérie, j’ai quartier libre ce soir, je peux venir passer la nuit dans tes bras ? »

J’éclate de rire. Il a de la chance, j’ai retrouvé visage humain après ces quelques jours de crise fibromyalgique aigüe. Encore un peu mollassonne mais globalement mieux.

 

Samedi 21 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+23

J’ai un gros élastique autour du poignet. C’est la technique dite associative. L’idée, c’est d’associer toute pensée négative ou pulsion de colère à la douleur physique et permet d’identifier ce qui cloche pour désamorcer sans attendre. Ainsi, dès que je me mets à ruminer, à angoisser, à avoir envie de foutre des beignes, je tire sur l’élastique et aïe !

Bah je dois dire que cela fonctionne pas mal. Ça et la paroxétine qui commence à faire le job, je me sens plus stable, plus ancrée. Et hier soir a été le test grandeur nature. Je vais donc m’auto-congratuler parce que je suis fière de moi : j’ai été d’une zénitude exemplaire ! Et fait surprenant, c’est que je ne me suis pas forcée et je n’ai absolument pas fait semblant.

Simplicité, sérénité totale, joie non-dissimulée… Un moment incroyable.

Alors, était-ce aussi parce que Bradley était léger et guilleret que j’ai épousé son humeur ? Allez hop, un coup d’élastique aïe aïe !!! Non, je dis ça parce que jeudi soir, quand il m’a appelée, je lui ai parlé de mon TPB. Je n’en avais pas l’intention mais encore une fois, je n’ai pas pu faire autrement que d’attirer l’attention sur moi. En raccrochant, je me suis dit qu’il n’avait peut-être pas saisi l’ampleur du merdier.

–  Tu te rends compte que je suis en train de te dire que je souffre d’une maladie mentale ?

–  Mais tu vas t’en sortir.

–  Je vais me battre, oui, pour apprendre à le gérer mais cela me suivra à vie.

–  Le principal, c’est que tu te sentes bien.

–  Je pense que tu ne saisis pas.

Bref. Je me suis dit alors « Et allez, encore un boulet dans ma besace, et un mastoc ! Il comprend rien et il va vraiment finir par trouver ça trop lourd pour lui… » et j’ai commencé à mouronner. J’en suis venue à conclure que dans mon état actuel, je devais peut-être éviter tout élément perturbateur, lui en tête. Qu’il était devenu toxique pour moi. Qu’il fallait que je me sèvre quelques temps pour retrouver un semblant de sanité.

« Dis-toi que tu ne seras pas seule. » Je n’ai pu que répondre par un hoquet sarcastique. Le lendemain matin, j’ai mis mon élastique.

Je ne comprends pas trop le cheminement de Bradley, encore moins le mien mais, et c’est très étrange, je m’en moque. Il y a peut-être de l’espoir pour moi, finalement.

COCKTAIL LETAL

–  Comment tu te sens aujourd’hui, Bichette ?

–  Bah je suis dans la merde, je crois.

–  C’est-à-dire ?

–  Je viens de déterrer un truc, c’est énorme. Je suis sous le choc.

Nénette bien désemparée au bout du fil. Je l’ai rassurée du mieux que possible, elle a fini par conclure que l’important était que j’avance. Mais force est de constater que cela ne va pas être possible dans l’immédiat. J’ai découvert quelque chose qui va peut-être tout changer. Non, pas ‘peut-être’, c’est sûr. Du coup, ça projette une lumière nouvelle sur l’entièreté de mon être, de ma vie depuis ses fondations.

 

Jeudi 19 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+21

Coïncidence ? Mardi, une bonne grosse crise aigüe de fibro est revenue s’abattre sur moi. Pas tellement dans la douleur cette fois-ci mais dans un extrême épuisement. Plus de piles dans le lapin Duracell. Ce matin, je me suis sentie revenir petit-à-petit dans le monde des vivants. J’ai toujours une croix entre les épaules et mes hanches sont encore un peu soudées mais globalement, ça va mieux.

Et lovée en boule sur la banquette depuis deux jours, j’ai eu le temps de penser à la découverte que j’ai faite dimanche soir. Je repensais bien sûr à Bradley, à cette dernière semaine si chaotique entre nous. J’étais assez sereine, convaincue que de lâcher un peu la bride sur tout ça était la meilleure solution. Et venant de nulle part, j’ai été soudain assaillie par une angoisse qui m’a prise les tripes et j’ai repiqué la tête la première dans un seau d’amertume constellée de questions rugissantes.

Et là, j’ai percuté. C’était de l’ordre du psychotique. Quelque chose n’allait pas chez moi, quelque chose de plus fort que ma volonté qui devait trouver ses racines ailleurs que dans mon abus récent de Stillnox… J’ai repensé alors au trouble de la personnalité borderline, le TPB, qui m’a été diagnostiqué il y a sept ans. J’ai fait quelques recherches sur le net jusque tard dans la nuit et là, j’ai eu un choc. C’était là, sous mes yeux, décrivant exactement ce que je vivais !

Il y a sept ans, j’avais compris en diagonale avec un pitch à l’emporte-pièce ‘soit tout blanc, soit tout noir’ qui ne faisait que souligner mon côté entier selon moi plus qu’il ne m’handicapait au quotidien. J’avoue que je l’ai pris un peu à la légère. Et comme j’ai arrêté ma thérapie presque du jour au lendemain, ma psy n’a pas eu le temps de bien me briefer à cette époque-là.

Ainsi, le TBP est bien plus complexe, bien plus retors avec des répercussions terribles sur la vie entière d’un individu et s’il n’est pas correctement pris en charge, il peut conduire au suicide. Non pas que j’y pense en ce moment mais avec le cocktail TPB-Stillnox-décès de Maman, c’est étonnant que je sois encore debout. En tout cas, cela explique mon pétage de plombs récemment.

Voici ce qu’est le TPB. A ne pas confondre avec le trouble bipolaire.

Le trouble borderline est un trouble de la personnalité très fréquent. Sur 100 personnes, il est estimé que 6 souffriront de ce trouble en population générale, et jusqu’à 20 si l’on se place dans un service de psychiatrie. Ce trouble est associé à une souffrance existentielle considérable. En outre, ces personnes ont un risque accru de souffrir de dépression, d’anxiété, d’addiction, ou de troubles du comportement alimentaire à un moment de leur vie. Il s’agit du trouble le plus associé à la survenue d’idées de suicide et de comportements suicidaires, stratégies de dernier recours pour éviter la souffrance ressentie. On rapporte 4 grandes dimensions à ce trouble :

 

  1. LA DYSREGULATION EMOTIONNELLE, c’est-à-dire la difficulté à réguler ses émotions. Les personnes borderlines sont très sensibles. Elles présentent un seuil d’activation bas des émotions, une intensité émotionnelle importante, et un lent retour à la ligne de base. Un petit évènement va les affecter, et ceci va prendre des proportions importantes. Ce qui va contribuer à des niveaux de tensions émotionnelles plutôt élevées chez les personnes borderlines au cours d’une journée. La colère est une émotion ressentie en particulier de façon fréquente, et intense. On retrouve aussi un sentiment chronique de vide et une perturbation de l’identité. Ces personnes rapportent l’impression d’être comme une coquille vide, un pull inhabité. Il s’agit d’une difficulté à identifier qui elles sont, ce qu’elles aiment, ce qu’elles veulent faire de leur vie. La tendance à se coller à la perception et aux attentes des autres pour orienter leurs actions.

Les personnes atteintes de trouble de la personnalité borderline ont des difficultés à contrôler leur colère, elles s’irritent souvent de façon injustifiée et excessive. Elles peuvent exprimer leur colère par des sarcasmes cinglants, de l’amertume ou des diatribes virulentes. Leur colère est souvent dirigée contre leurs amis proches, leurs partenaires, les membres de leur famille et, parfois, les médecins parce qu’elles se sentent négligées ou abandonnées. Après l’accès de colère, elles se sentent souvent honteuses et coupables, ce qui renforce leur sentiment d’infériorité.

 Ainsi, 4 critères appartiennent à cette dimension :

    • Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur.
    • Perturbation de l’identité : instabilité de l’image, de la notion de soi.
    • Sentiment chronique de vide.
    • Colère intenses et inappropriées, ou difficulté à contrôler sa colère.

 

2. L’IMPULSIVITE est le fait qu’il y ait peu de temps entre le moment où la personne a une expérience interne (comme une pensée ou une émotion), et le moment où elle passe à l’acte. C’est-à-dire que face à une tension émotionnelle, un inconfort interne, la personne borderline va avoir tendance à mettre en place une action qui va la soulager très rapidement (une action qui va décharger sa tension émotionnelle), mais qui n’est pas efficace pour sa vie, qui ne prend pas soin d’elle sur le long terme.

Exemple : fumer des joints ou boire de l’alcool pour diminuer sa tension, faire des crises de boulimie, tenir des propos blessants auprès d’une personne importante pour soi sur un coup de tête (« mes mots dépassent mes pensées »), voire se scarifier ou faire une tentative de suicide.
Tous ces comportements ont la même fonction : éviter la souffrance le plus rapidement possible, trouver une sortie de secours rapidement.

Le problème des sorties de secours est qu’elles nous amènent rarement là où nous aurions souhaité. Ainsi, 2 critères appartiennent à cette dimension :

    • Impulsivité dans au moins 2 domaines potentiellement dommageables pour le sujet (dépenses, sexualité, toxico…) ;
    • Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d’automutilations.

 

3. LES DIFFICULTES DANS LES RELATIONS INTERPERSONNELLES, c’est-à-dire les relations à autrui
Les personnes borderlines fonctionnent généralement en tout ou rien, blanc ou noir. On parle de « fonctionnement dichotomique ». Elles vont avoir tendance à être hyper-entière dans les relations, à s’investir rapidement, et pleinement (voire trop). La relation nouvellement investie est généralement idéalisée. Et comme, au fur et à mesure du temps, l’autre ne répond pas à ses attentes, la personne borderline va devoir faire face à la déception. La relation va souvent être intense et instable, marquée par une alternance entre idéalisation de la relation, et dévalorisation. On retrouve également une peur intense de l’abandon, c’est-à-dire que les personnes investies affectivement s’éloignent de soi, rompent la relation. Ceci peut conduire à des comportements excessifs de réassurance, la tendance à tester les limites de la relation, voire des comportements pour se faire aimer de l’autre au détriment du respect de soi.

Souvent, lorsque les personnes atteintes de ce trouble sentent qu’elles sont sur le point d’être abandonnées, la peur et la colère les envahissent. Par exemple, elles peuvent se mettre à paniquer ou devenir furieuses lorsque quelqu’un d’important à leurs yeux a quelques minutes de retard ou annule un rendez-vous. Elles supposent que ces incidents résultent de ce que la personne ressent vis-à-vis d’elles plutôt que des circonstances sans rapport. Elles peuvent croire qu’un rendez-vous annulé signifie que l’autre les rejette et qu’elles ne valent pas la peine. L’intensité de leur réaction reflète leur sensibilité au rejet.

Ainsi, 2 critères appartiennent à cette dimension :

    • Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés ;
    • Modes de relations interpersonnelles instables et intenses.

 

4. Une 4ème dimension, à mettre en lien avec la dysrégulation émotionnelle : la survenue, dans des situations de stress intense, de SYMPTÔMES DISSOCIATIFS, c’est-à-dire de perte de contact transitoire avec la réalité. Ceci peut se manifester, pour la personne borderline, par l’impression que les autres lui en veulent ou lui veulent du mal, l’impression d’être dans un rêve éveillé ou en dehors de son corps, des distorsions temporelles, des hallucinations, ou encore l’impression que certaines parties de soi ne lui appartiennent pas ou l’impression d’avoir plusieurs identités.
Les personnes atteintes du trouble de la personnalité borderline sabotent souvent leurs propres efforts lorsqu’elles sont sur le point d’atteindre un but, de sorte que les autres les perçoivent comme étant en difficulté. Par exemple, elles peuvent abandonner les études, juste avant l’obtention du diplôme ou saboter une relation prometteuse.

 Ainsi, le critère faisant référence à cette dimension est :

    • Survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.

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Ça explique tant de choses !

Quand je disais à l’envi « I’m no good for anyone » ou “Je ne suis nulle en relations humaines”… Pauvre Bradley ! Pauvre Maman ! Pauvre tout le monde, quoi. J’ai passé en revue la quasi-totalité de ma vie et tout a pris sens. Enfin, sens… Disons que j’ai compris. Et même si je suis encore sous le choc de cette découverte, je me surprends à pouvoir relativiser et à me dire que tout n’était pas entièrement de ma faute. Que je peux réclamer des circonstances atténuantes.

Maintenant, de mettre des mots dessus, d’avoir une explication tangible, cela va-t-il me permettre d’aller mieux ? Ou mon salut ne peut-il passer que par le traitement et la thérapie ?

En urgence, ma doctoresse m’a prescrite de la paroxétine pour contrer les montées d’angoisse qui m’étouffent et m’a dit de reprendre très vite attache avec la psy qui m’a diagnostiquée il y a 7 ans. Ce que j’ai tenté de faire mais avec le covid, je peux me brosser.

Fibromyalgie et TPB, deux maladies fortement soupçonnées d’être héréditaires… Moi l’hérédité, ça me renvoie dans l’inconnu le plus total, le vide, quoi. De perdre Maman récemment a certainement mis ça à jour. Il faudrait que je m’interroge à ce sujet, puis-je en faisant le deuil de Maman faire le deuil de ces deux maladies ?…

Oh et puis merde, j’en ai ma claque des interrogations ! Car j’en ai encore des milliers, comme qu’en est-il de mon don, aurais-je la force de m’en sortir avec ma seule volonté, cela peut-il changer la donne avec Bradley, serais-je un jour saine et apaisée, et si, et pourquoi, et blablabla…

Bref, je n’en suis qu’au stade de la reconnaissance, de la compréhension. Viendra, je l’espère, le stade de l’acceptation. Et après, bah on verra. Cela ne change rien, j’ai décidé de me battre et je vais le faire. C’est juste que je ne pensais pas que cela commencerait par une reconstruction totale de mes fondations.

J’ai un beau CV tout neuf. C’est un bon début, non ?

 

Bradley part ce soir rejoindre son régiment. Je lui ai envoyé un petit mail ce matin pour lui souhaiter bonne chance. Deux appels anodins lundi, puis plus rien. Moi, parce que j’étais trop morte et lui… bah j’ai fini de supputer.

« … We make our life out of chaos and hope. And love…”

JE NE SUIS PAS UN SYLLOGISME

“… An unknown chapter lies ahead. But for now, for the first time, I look into the light with new hope…”

That can’t be closer to what I am feeling today. A new era has arisen in me, still mysterious but so much welcome. Many things have yet to come together but I know one thing: nothing will never be the same anymore.

 

Dimanche 15 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+17

J’ai retrouvé celle que j’étais en 2011, juste après mon divorce d’avec Sean. Je me suis retrouvée seule et heureuse de l’être, à faire les choses pour moi comme je l’entendais. J’avais mon boulot, certes alimentaire mais qui me permettait d’être indépendante financièrement, je sortais, je voyais mes amis, je faisais de la musique, je voyageais beaucoup…

Une vie banale mais qui m’allait bien. Je me souviens même avoir eu un moment de clarté absolue où je me suis dit « Purée, je kiffe ma life ! Je suis parfaitement en phase avec moi-même. »

Il y avait bien Walter en filigrane mais j’assumais mon célibat de fait avec joie finalement, m’octroyant quelques aventures par-ci par-là car j’aimais bien l’amazone en moi.

J’avais de plus eu la révélation de mon don et cette lumière qui ne me quittait pas… Bref, je crois que j’étais enfin heureuse et bien dans ma peau.

Je veux être celle-là à nouveau. Parce que c’est mon vrai Moi. Solide, sérieuse mais avec un grain de folie. Terre-à-terre et fantasque. Pragmatique et énigmatique. Solaire et lunaire. D’aucuns diraient que je ne suis qu’une grosse contradiction, une girouette permanente… Il y a bien un mot qui me vient à l’esprit mais j’ai dépassé la rébellion adulescente : je me fous de ce que l’on peut penser de moi, j’assume.

Cette ambivalence, ces contrastes, ces paradoxes me font toute entière. Je m’en sens riche et fière. Je ne suis pas un syllogisme. Rien ne me déduit. Tout me définit.

Vendredi, cela m’a sauté aux yeux. Ce point de vue extérieur sur mon parcours professionnel a fait se révéler une grande richesse et donc une force que je devais mettre en avant en liant ce que je croyais disparate en un tout homogène et fondé.

Je suis proactive, passionnée, intense, vive, prolixe. Je suis aussi réfléchie, pondérée et je sais faire preuve de raisonnement. Mon parcours professionnel reflète exactement ma vie et ce que je suis intrinsèquement : autodidacte, atypique, à ma juste place dans ce monde mais revendiquant le droit de marcher hors des sentiers battus.

J’aime les guitares andalouses, les violons yiddish, les Möttenten de Bach, les basses profondes et les boom-boom, les solos de batterie comme des rafales de l’Apocalypse, le gospel, les motherfucker et les fuck you qui ponctuent le heavy-metal…

J’aime le style gothique, dark, je le trouve esthétique. J’aime aussi la sérénité des murs blanchis à la chaux et le bleu électrique de la mer au large de Mykonos, j’aime l’épuré et la sobriété de certaines architectures comme j’aime le baroque, le surchargé d’histoire, j’aime la résilience des très vieilles pierres et l’éphémère des fleurs coupées…  Ma complexité. Ma richesse.

Je n’ai pas besoin de me réaliser à travers de mon boulot. Je comprends que ce soit la recherche de beaucoup de gens qui pousse ces derniers en cas d’échec à trouver un autre sens à leur vie, mais moi, ce n’est pas le cas. Je viens de comprendre ça.

Aussi, avoir un job rébarbatif ou vide de sens, ça me va, parce que je sais que je peux m’épanouir en dehors. J’aime le vin, la musique, j’aime sortir, partager, voyager au bout du monde, j’écris, je danse, je chante, je bulle et je contemple.

A vrai dire, c’est un équilibre que je sais maîtriser à la perfection, qui m’a accomplie dans le passé et qui sans nul doute m’accomplira de nouveau. Je veux me réaliser au travers d’une vie-patchwork dont j’étreins chaque élément. C’est clair pour moi aujourd’hui.

Donc, mon objectif n°1 : retrouver un boulot ici à Paris. Rien de folichon peut-être mais juste un boulot. Ça me permettra de me changer les idées, de me focaliser sur autre chose, de rencontrer des gens nouveaux, même si c’est des cons, je m’en fiche, et ultimement de retrouver ma place dans la société. Une certaine utilité.

Bon, je ne dis pas que je suis sûre de trouver un job sous quinze jours, un mois, six mois, il se peut que ma motivation et mon CV flambant neuf sur lequel je vais m’atteler très vite ne suffisent pas. Mais je me reposerai des questions à ce moment-là.

Chaque chose en son temps. Là, j’ai envie de me lever tôt et d’être à la bourre quand même, j’ai envie d’avoir un planning, d’être débordée, j’ai envie d’aller faire des happy-hours avec des collègues idiots aux vies idiotes, envie de refaire partie d’une meute, d’un clan et d’être idiote moi aussi 5 jours sur 7 de 9.00 à 18.00. Enfin, un peu plus tard, avec l’happy-hour.

Alors, pas ad vitam aeternam, peut-être… Le temps de murir mon projet.

Comme celui de me mettre au vert à la campagne. J’ai vraiment envie d’un retour à la terre, à des choses simples et sans artifice. Mais le projet que j’en avais jusqu’à lors n’était ni plus ni moins qu’une fuite, qu’un désistement, qu’un enterrement en bonne et due forme. Si cela doit se faire, je veux que ce soit quelque chose qui se formalise en moi avec envie et sans faux-semblants.

Ou les USA. Je tiens à creuser cette option. Besoin d’aller au bout du truc. Sinon, je vais encore rester sur de l’inachevé qui va me rendre amère et c’est tout ce que je ne veux pas.

Mon don, aussi. J’ai besoin de savoir ce que je peux en faire. Concrètement.

Tout ça doit mûrir en moi. Voir si l’un ou l’autre émerge en moi comme un impératif. Ou aucun. Je vais peut-être découvrir que je n’ai besoin d’aucun d’eux pour être heureuse. Mais peu importe la conclusion, le cheminement doit avoir lieu. C’est un projet en soi.

Bref, un gros chantier m’attend. J’ai un peu peur, j’avoue, mais j’y vais.

Je sais par quoi je suis passée. J’ai eu la vision très claire de la globalité de mon parcours, de tout ce qui m’a menée à ce que je suis aujourd’hui. Ou en passe de le devenir. De me sentir renaître est une sensation fantastiquement géniale et flippante à la fois mais « Nothing good comes easy »

Pas pour rien que j’ai un phénix géant tatoué dans le dos !

 

En parlant de cramage de plumes, Bradley est bien passé hier après-midi. Quelques heures pendant lesquelles on a pu discuter. Déjà lui, il s’est lancé d’entrée de jeu dans un déballage presque compulsif de tout ce qui l’occupait en ce moment à l’armée et moi je l’ai écouté sagement. Pas de tension, c’était même assez naturel.

Puis, on a parlé de choses et d’autres, de ses enfants, des projets qui prenaient forme en lui. Je lui ai reparlé de mes tarots divinatoires et de la carte Les Parents que j’ai tirée à plusieurs reprises le concernant. Importance du foyer, des fondations… Il est en train de poser quelques-uns de ses piliers fondateurs.

On lui a notamment proposé un job sur Paris qui lui permettra d’envisager tranquillement son projet de campagne tout en gardant son appart ici et la garde alternée de ses enfants le temps qu’ils soient à peu près autonomes. Il a aussi trouvé la voiture de ses rêves, un truc complètement fou mais qui lui correspond parfaitement. Ça paraît puéril mais pas tant que ça, en fait.

Enfin et surtout, il sait qui il est. Un fils de paysan qui rêve d’avoir la vie simple et tranquille de son père. Et il va tout faire pour. Le voilà qui pose ses valises. C’est bien. Je ne peux que m’en réjouir pour lui.

Et le temps d’une ‘pause’ avec une cigarette à la fenêtre, il s’est exclamé :

–  Je ne pensais pas qu’on allait parler autant !

–  Que TU allais parler autant ha ha ha ! ai-je répliqué en riant

–  Ah ? Tu attendais que je me taise pour enchaîner ?

–  Pas du tout ! Je t’ai tout dit par téléphone hier, je te signale. Pas idéal mais puisqu’il n’était pas dit qu’on se voit… Bon, maintenant, oui, si tu veux, je peux te faire un replay.

« Toi et moi, un mois et demi dans les faits. Cela paraît bien plus long mais parce que c’était dense et intense. Un mois et demi… on peut dire que c’étaient nos prémices, non? Maintenant, se recaler pour repartir, pourquoi pas. Disons que j’ai envie de voir venir, de laisser les choses se faire si elles doivent se faire. J’ai assez de sentiments pour toi pour essayer. 

Mais si tu restes sur le cauchemar de ces derniers jours, je voudrais juste remettre les choses dans le contexte. Tu es arrivé dans ma vie au moment où j’étais pulvérisée, complètement perdue après le décès de ma mère. Et bien sûr, celle qui a pris le dessus, ça a été celle qui souffrait, la dark, la torturée, la psychotique. Cela a donné ce que tu as vu et pris en pleine figure avec en point d’apogée ces derniers jours. Pardon pour le mal que j’ai pu te faire. 

A ma décharge, il y a le Stillnox que je consomme comme des tic-tacs depuis 2 mois. Je ne vais pas te lire la notice entière mais quelques effets secondaires indésirables, par pour me défausser mais pour que tu comprennes que tout n’est pas entièrement de ma faute  : hallucinations, agitation, confusion, cauchemars, dépression, comportement anormal, troubles de la conscience, délires, fixations… 

Sache que j’ai commencé à diminuer les doses et j’ai bon espoir d’arriver à décrocher. Sache aussi que j’ai décidé de changer. En tout cas, de me battre pour changer certaines choses en moi. Parce que je ne peux plus fonctionner comme ça. Je ne peux pas avoir tout sur la table et continuer de détourner le regard. Cela voudrait dire que je m’enterre sciemment. C’est l’option la plus facile pour moi. Mais j’ai choisi l’option hard-core. Pour m’aider, j’ai retrouvé celle qui était heureuse et bien dans sa vie, quelque part je sais que je suis entre de bonnes mains. Je lui fais confiance, fais-lui confiance aussi. 

Je le fais pour moi. Si c’est compatible avec toi, bah tant mieux, sinon tant pis, moi j’aurais avancé. « 

Il m’a demandé alors si je me rendais compte que son plan de vie ne m’incluait pas. Pas un scoop pour moi. Je lui ai répondu que le mien non plus. Que nos plans respectifs avaient de grandes similitudes mais que nulle part c’était écrit qu’ils devaient se croiser, encore moins se fondre en un.

Peu importe, en fait. Chacun a besoin de faire sa vie pour lui-même d’abord. Il en était déjà convaincu, je le suis aujourd’hui. Pour la première fois, on est en phase, lui et moi. C’est drôle que ce soit pour se séparer.

C’est vrai, j’ai embrassé sa vision. J’ai compris qu’il valait mieux vivre les choses plutôt que de les anticiper sinon, on passe à côté. Qu’autre chose peut naître, ou pas, mais que les questionnements sont inutiles, voire nocifs.

Il y a encore des choses que je ne sais pas à propos de lui, à propos de nous, si même il y aura un ‘nous’ mais je crois bien que je m’en fous. Lors du dernier tirage de cartes que j’ai fait à notre sujet il y a quelques jours, la carte symbolisant l’évolution de notre relation a été L’Aventure… Cela ne peut être plus parlant !

Il m’a demandé aussi comment je vivais le fait qu’il y ait très peu de chances maintenant que j’aie un enfant, comment je le vivais en tant que femme. Je ne sais pas trop. Si je suis enceinte, oui c’est sûr, je n’avorterai pas. Mais je ne ressens toujours pas ce désir d’enfant comme une priorité en moi. Donc j’imagine que je le vis bien.

Lui m’a dit qu’il n’en voulait plus. Ce serait se remettre un fil à la patte dont il préfère se passer. Surtout avec moi. Il ne me l’a pas dit texto mais c’est ce que j’ai senti. Bref, mise en pratique, hasard ou acte manqué, il s’est retiré à la fin lorsqu’on a fait l’amour. Je lui ai demandé pourquoi, selon lui, c’était une envie. J’en doute. J’ai senti alors que de repartir sur notre histoire en prenant ce genre de ‘précautions’ tout en les niant en tant que tel, n’allait pas nous porter bien loin.

Heureusement que je n’en ai plus d’attentes et que j’ai décidé de prendre les choses comme elles viennent.

Oui, on a fait l’amour. In extremis alors qu’il était sur le départ. On n’a pas ‘glissé’ comme le premier soir, lui je pense que c’était parce qu’il avait besoin de savoir s’il ressentait encore quelque chose et moi… bah parce que j’en avais foncièrement envie. Ce qui, apparemment, lui a fait plaisir à ressentir. Il s’est rendu compte que notre entente physique était indéniable et qu’on se plaisait. Cela a semblé l’interpeller et somme toute, lui suffire. A moi aussi, tiens.

 

Quelques heures donc de discussion, certes bénéfique et au final positive, mais qui a pu ressembler, maintenant que j’y repense, à une présentation Power Point, à un exposé, un argumentaire, une campagne de pub, à un prêche ?… C’est ainsi qu’il l’a certainement ressenti mais moi, ce n’était pas mon but. J’ai été on ne peut plus sincère sans aucune part d’ombre, sans chercher à le convaincre, à me convaincre de quoique ce soit.

Il a eu peur en fait que j’aille dans son sens, que je me conforme à sa façon de voir les choses, que je change pour lui en m’oubliant encore une fois. Il a soupçonné un éventuel revirement de ma part dans quinze jours, un mois, six mois quand je réaliserai que ce n’est pas moi.

« Bien sûr qu’il reste des choses que je ne sais pas ! Plein ! Tout ce que je sais aujourd’hui, et tu peux me croire ou pas, peu importe en fait, c’est que je sais qui je suis, en tout cas celle que je veux redevenir et honnêtement, si elle ne te plaît pas, bah tant pis. »

Bizarrement, cela lui a parlé. Même s’il a fallu que je lui arrache un sourire et qu’il a émis encore un doute du style « Ce n’est pas tant ce qu’on dit mais ce qu’on fait qui compte. » il a semblé presque convaincu. J’ai réellement une carrière dans le marketing, moi… Ou le prêche…

Bref. Il est parti sur un « On s’appelle » et son éternel clin d’œil et pis voilà.

 

J’ai l’impression que j’ai tourné une page. J’ai vidé le frigo, de toute façon je ne mange pas en ce moment, j’ai réordonné mon appartement… Je le sens, je suis déjà tournée vers un ailleurs. Un chapitre s’est clos. Un autre s’ouvre. Une ère nouvelle. Inconnue mais bienvenue. Et qui dit ère nouvelle, dit ménage armageddon.

IN DARKNESS BOUND, IN LIGHT DESTROYED

12.20. « Hello, j’ai rdv tél avec la mère de mes enfants à 13.30 pour caler leur garde en vue de mon prochain départ. Je te tiens au courant après. »

Moi, je suis en plein rendez-vous avec une conseillère de l’Espace Insertion, la branche Emploi de la CAF qui m’a convoquée. Et je me dis qu’il ne viendra pas à 14.00 comme il me l’a dit hier.

 

Vendredi 13 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+15

Un rendez-vous bien pertinent. J’y suis allée en pensant que ce n’était juste qu’une formalité administrative pour valider la poursuite du versement de mon RSA mais de faire le point sur ma situation au moment où j’ai décidé de me remettre en selle, bah ça tombait à point nommé.

Faut que je remanie mon CV qui n’est pas assez synthétique et accrocheur. Cette conseillère me dit que si, il y a toujours du taf malgré la crise, surtout pour mes compétences mais que mon CV est crucial pour ces logiciels de publication d’offres d’emploi qui fonctionnent par mots-clés.

Je vais donc m’y atteler dès lundi.

14.20. J’ai appelé Bradley, en espérant qu’il ait fini son appel avec son ex-femme. Apparemment, non. Bref, je me dis que ça prend beaucoup de temps pour caler ça mais bon. Et surtout, encore une fois, je me retrouve à attendre qu’il me rappelle.

Je n’ai plus vraiment de doute : il n’a pas envie de venir. Et cela me renvoie 20 ans en arrière, lorsque l’on s’est séparé lui et moi. Plus précisément, quand il est parti. Je ressens exactement la même chose. Lui fuyant au possible et moi frustrée, dans l’incompréhension la plus complète.

En colère aussi. Relative, cela dit. Je ne veux absolument pas retrouver cet état d’amertume et de rancœur qui m’a traumatisée à l’époque. Je me rends compte qu’il était déjà comme ça il y a 20 ans et malgré ce qu’il en dit aujourd’hui et le pardon qu’il m’a demandé, il est resté le même.

Je m’aperçois aussi qu’à l’époque, j’avais déjà ressenti le besoin de l’aider en étant un substitut de cette figure maternelle qui lui manquait tant. Mais bon, j’étais sa femme, pas sa mère. Et face à cet échec inévitable, je me suis dit que certaines personnes ne pouvaient être aidées. Que j’allais me perdre dans un combat perdu d’avance et que cela ne devait pas être mon job.

Aujourd’hui, je fais le même constat. J’ai merdé, certes, cela a certainement précipité les choses sur cette voie-là mais à bien y réfléchir, je pense que c’est lui le problème. Bref. Hier, moi j’ai décidé de changer. Et je vais le faire. Pour moi.

Je trouve simplement dommage que cela se termine en queue de sucette. Avec des non-dits qui pour le coup resteront dans l’ombre pour toujours.

15.10. Allez, perdu pour perdu… « Je crois que je ne t’ai jamais rien demandé jusqu’à lors. C’est dommage que tu n’aies pas cette dernière franchise vis-à-vis de moi. Tu me dois juste ça. »

15.44. Entrer dans les détails me fatigue. Je vais donc retranscrire l’infusion seule de cet appel de Bradley. Je crois qu’il est clair que nous sommes parvenus à un niveau d’incompréhension mutuelle tel qu’il est peut-être vain d’espérer qu’il y ait une suite à notre histoire. Cela dit, comme j’ai envie de croire que les choses ne sont pas écrites dans le marbre, je vais me permettre un peu d’insouciance à ce sujet, roue libre, quoi.

Dans les faits, Bradley récupère ses enfants ce soir mais il essaye de passer me voir demain après-midi. Et ce soir tard, c’est moi qui l’appelle. Et si possible, on essaiera de ne pas en faire un énième coupage de cheveux en quinze-mille-douze.

 

Je n’ai qu’une alliée : moi-même. Celle que j’ai retrouvée après des années enfermée dans ma prison mentale. Elle m’attendait juste à la sortie. Elle est belle, elle est forte, elle est riche.

LE CONSEIL DE LA NUIT

« Me again. Je serais bien venue te voir mais je n’ai pas d’attestation magique comme toi. Je pense qu’il est important que l’on finisse notre ‘conversation’, tu avais raison, j’avais besoin d’un peu de recul pour y voir plus clair. So come over, do not worry I won’t ask for much more. Let me know!”

Un mail que j’ai envoyé à Bradley une heure et demie après l’avoir eu au téléphone, le réveillant d’une nuit très alcoolisée pour savoir quand il pensait passer aujourd’hui. Il m’a dit qu’il allait me rappeler.

Jeudi 12 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+14

Je me suis couchée hier soir dans l’indécision la plus totale. J’ai réussi à dormir un peu et l’adage « La nuit porte conseil » n’a jamais été plus judicieux. Un rêve, déjà, lumineux et positif, qui m’a faite m’éveiller avec un sourire et un fort sentiment qu’un jour nouveau était prêt à m’accueillir.

Coïncidence, il fait un temps magnifique, le brouillard froid et humide d’hier a complètement disparu. Alors, j’ai laissé les premières impressions venir à moi naturellement. Celles-ci sont arrivées douces et claires, renforçant le sourire que j’avais en me levant.

J’ai décidé de changer. Je vais essayer, en tout cas. C’est maintenant ou jamais car je le sais, c’est ma dernière chance. Je ne peux plus avoir autant d’évidences sous le nez et les ignorer. Si c’est le cas, je scelle sciemment mon cercueil et je ne pourrai plus jamais en sortir.

Mes mécanismes de défense, mon schéma de fonctionnement, mes addictions, mes peurs, même s’ils ne sont qu’un héritage et non des choix conscients, je vais tenter de les changer. Je ne me fais pas de promesses mais je veux essayer. Je réussirai peut-être partiellement ou pas du tout mais je veux me dire que je me serai battue jusqu’au bout.

Concernant Bradley, je sais ce que je veux. Je veux qu’on vive ces quelques jours avant son départ en faisant table rase de ces dernières 48 heures et en passant à autre chose. J’en ai envie, vraiment. Ensuite, j’ai besoin de me laisser un peu de temps car je n’ai pas toutes les réponses à son sujet. Comme il part pour un mois, ça tombe bien. Bien sûr, on gardera le contact pendant ce temps-là et on verra ce qu’il en est quand il reviendra.

Je l’aime assez pour vouloir changer. Au bout du compte, peut-être que cela ne le fera pas, pour l’un ou pour l’autre ou pour les deux mais au moins, moi j’aurais avancé.

Je profiterai aussi de cette période pour conduire une longue introspection et savoir ce que je vais faire de ma vie. De ma vie à moi, sans Bradley. S’il peut, s’il veut s’y insérer par la suite, très bien mais je ne mettrai pas ma vie entre parenthèses pour lui, il faut que je pense à moi en premier. C’est ironique, c’est lui qui n’arrête pas de me dire ça ! Comme quoi…

Bref, il faut que je mette tout à plat, que je réfléchisse longuement et que je me décide. En gros, il faut que je trouve ma motivation. Je ne dis pas qu’au premier de l’an prochain, mon nouveau plan de vie sera lancé, surtout avec le confinement qui complique tout mais il sera en tout cas bien tracé dans les grandes lignes.

Je vais aussi me trouver un centre d’intérêt pour me changer les idées. Cela pourrait être une activité sportive ou autre mais à nouveau, le confinement contrecarre tout ça. Je ne sais pas, je vais voir mais c’est sûr, il faut que je m’ouvre à autre chose.

 

Bon, j’aurais aimé dire tout ça à Bradley mais pour ça, il faudrait qu’il vienne. Il est 14.30 et toujours pas de news. Je commence à me poser des questions. Alors oui, il a certainement une gueule de bois monumentale à gérer mais bon. Déjà, les raisons de son alcoolisation à outrance hier soir…

Peut-être qu’il a avancé lui aussi. Et pas forcément sur le même chemin que moi. Il s’est peut-être dit notamment qu’il ne pouvait pas faire avec mon côté dark. Mais tiens, je lui dirai si j’en ai l’occasion, je ne vois pas en quoi mon côté obscur qui me pousse parfois à faire des choses limites ne peut être acceptable car lui aussi peut être limite.

Comme hier soir, par exemple, à rentrer en voiture complètement bourré. Ou quand ça n’allait pas, juste avant son break auquel j’ai assisté par téléphone ce soir-là, il a pris des cachetons avec de l’alcool alors que ses enfants étaient là. Moi, au moins, je connais par cœur mon côté pourrave et je le maîtrise désormais.

Bref. Ou peut-être que nos modes de fonctionnement respectifs, lui ouvert, moi obtus sont trop incompatibles au final pour lui. Ou peut-être que cette situation depuis quelques jours a fini par le soûler définitivement et qu’il n’a vraiment pas envie d’une redite aujourd’hui.

Hier pendant notre conversation, j’ai pris l’initiative de ‘prendre ses constantes’. J’aurais au moins eu la confirmation que mon don n’a pas disparu. J’ai senti – et je lui ai dit – comme un ‘glissement’ en lui. Mais j’ai été bien incapable de lui donner plus de précisions.

Aujourd’hui, voilà, il a peut-être ‘glissé’ ?…

15.00. Allez, je le rappelle. Au pire, il ne me répond pas.

–  Oui ?

–  Tu n’as pas eu mon mail ?

–  Euh non, là j’arrête pas de bosser pour le truc à l’armée, j’ai quinze-mille mails à traiter, des infos à collecter de partout, bref, je suis débordé.

–  Donc tu ne passeras pas aujourd’hui ?

–  Je ne pense pas. Peut-être demain. C’était quoi ton mail ?

–  Juste te dire qu’il était important de finir notre conversation, de vive voix si possible.

–  Oui, c’est important mais là, je ne peux pas.

Je prends ma voix la plus douce possible mais je ne lâche pas l’affaire.

–  J’ai peur que demain, après-demain tu sois autant débordé. Je comprends que tout ça ne se prépare pas au débotté mais j’avais compris que tu aurais quelques jours de tranquillité avant ton départ. Bref, je suis navrée de te mettre la pression mais promis, pas plus. J’ai besoin de savoir si et quand on se voit.

–  Je t’appelle dès que j’ai fini pour te dire si je peux passer ce soir ou pas.

–  Vers quelle heure à peu près ?

–  Je sais pas !

–  Désolée mais c’est trop vague. Cette imprécision est difficile pour moi, tu sais ?

–  Bon, alors on va dire que je viens demain.

–  Demain, c’est large. Vers quelle heure ?

–  Oh ça suffit, la pression !!

–  Désolée mais tu ne peux plus me faire poireauter comme ça.

–  Bon, alors 14.00 demain, ça te va ?

–  C’est parfait, merci.

–  Comme ça, si j’arrive à tout plier ce soir et venir dans la foulée, bah on se verra plus tôt mais au plus tard demain 14.00.

C’est dingue cette volonté de laisser toujours un flou artistique derrière lui, comme la queue d’une comète. C’est vraiment ça, il a horreur des rendez-vous fixes, il veut arriver quand il arrive car l’important est qu’il arrive et qu’il ait eu l’envie d’arriver. Il veut être essentiel à l’instant T sans considération de l’avant et de l’après. Aucune planification, vivre comme un courant d’air, changeant comme la météo.

Pourquoi pas. Et après, c’est moi qu’il targue d’insaisissable ! Bref, quand on est seul, on s’en fout mais dès qu’il y a interaction, ça peut poser un problème. Car il ne conçoit pas que les autres aient besoin de précision comme une marque, même infime, de respect.

Depuis le début, c’est d’ailleurs une des choses qui m’horripile le plus chez lui. Ça fait partie des questions sans réponses auxquelles je devrai néanmoins répondre dans quelques temps. Peut-être que je pourrai me dire dans quelques temps : « Il est là, c’est bien, il n’est pas là, tant pis mais je ne l’attends pas, il catchera le train ou route ou pas. »

Comme quoi, l’armée n’est vraiment pas ce sur quoi je dois m’interroger en termes d’acceptation ou de refus !

Bref. Ce que j’ai perçu de lui au téléphone ne me dit rien qui vaille. Pas tant son ton autoritaire auquel il m’a habituée depuis quelques jours mais ses mots pour terminer notre appel comme une vraie formule de politesse « Merci de ta compréhension. Bises. »

Je tiens toujours à lui parler de vive voix. This is my outcome. Après, bah on verra.

16.30. Je me sens étrangement apaisée. Peut-être parce que j’ai réussi à être claire avec moi-même et avec lui, du coup. Je retrouve même un semblant de retour dans la réalité qui n’est pas pour me déplaire. Tiens, allez, je vais me faire une petite séance de wii-gym et peut-être même une séance de danse, histoire d’évacuer toutes les tensions accumulées ces derniers jours.

L’ARMISTICE? MES FESSES, OUI…

Hé, c’est pas censé être l’Armistice aujourd’hui ? Parce que moi, je suis en état de guerre, je ne trouve pas cela très raccord…

Round 1 hier soir = Moi 1 – Bradley 0

Round 2 ce midi = Moi 0 – Bradley 1

 

Mercredi 11 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+13

Rien que le fait de se sentir en état de guerre dans une relation amoureuse, ça craint. Et par conséquent, ça veut tout dire. Et pourtant…

Je savais qu’il fallait clore le débat hier soir pour ne pas laisser la porte ouverte à un épilogue sans fin. Ne pas laisser aussi la possibilité à l’autre de se regrouper pour mieux contre-attaquer. Yep, une mise à mort directe aurait été la meilleure solution.

Donc là, je viens d’essuyer une offensive nucléaire qui m’a littéralement atomisée. Il m’a retournée la tête bien comme il faut. Et ce qui faisait sens pour moi hier soir, voire même encore juste avant qu’il n’arrive, n’en a plus aucun.

Déjà, il m’a appelée ce matin pour confirmer qu’il venait « Je prends un café, une douche et j’arrive. » et deux heures plus tard, trouvant que cela prenait beaucoup de temps quand même, j’en ai déduit  « Encore une fois, je ne suis pas sa priorité. » et je me suis enfermée dans ma bulle, de la musique assourdissante dans les oreilles pour ne plus entendre le raffut au fond de moi.

Du coup, je ne l’ai pas entendu quand il est arrivé. Il m’a fait une scène d’une violence inouïe : « Ne me dis pas que tu ne m’as pas entendu, ça fait un quart d’heure que je tambourine à la porte, que je t’appelle et que tu ne réponds pas !!! Tu veux me montrer à quel point je n’existe plus pour toi, c’est ça ?!! Tu m’as fait venir exprès pour me le mettre en pleine gueule ?!!!!!!! »

Euh non… Je ne t’ai juste pas entendu… J’ai l’impression d’être une gamine qui se fait remonter les bretelles pour une connerie qu’elle n’a pas faite… Mais était-ce un acte manqué, ça…

Bref. Après s’être ‘expliqués’, on a pu commencer notre conversation. Enfin, disons que l’on s’est retrouvés tous les deux face à face sur un ring de boxe. Il a commencé direct par un crochet au foie : « Avant de venir, j’étais au téléphone avec l’armée, c’est pour cela que cela a pris un peu de temps. Donc, la mobilisation du 14 novembre est annulée mais je suis détaché quatre semaines à compter du 22 novembre avec une réunion de préparation le 20. Je te dis ça parce que, comme il est possible que ce soit rédhibitoire pour toi, ça peut t’apporter des éléments de réponse. »

Ça aurait pu, oui. Ça aurait dû… Mais l’absence de clarté au fond de moi et dans mes mots à ce moment-là a commencé à me déstabiliser et j’ai pressenti le début d’une longue traversée dans les marécages du no-man’s land…

Ce qui a suivi n’a été grosso modo qu’un remâchage de ce qu’on s’est dit par téléphone hier soir. Lui, quasiment avec les mêmes termes, la même phraséologie. La même véhémence, aussi. Il m’a redit que c’était clair pour lui, qu’il ne savait certes rien de demain mais que tout ce qu’il avait envisagé, c’était que l’on fasse le chemin ensemble. Que si cela marchait, très bien, sinon tant pis, ‘on aurait passé des bons moments’ et que la vie continuait. Yep.

Moi ça a eu pour effet de m’engluer encore plus dans les sables mouvants de ces fameux marécages, incapable de dire ni de penser quoi que ce soit qui fasse sens. Concrètement, il est presque parvenu à me ‘convaincre’, en tout cas à me faire douter avec sa clarté de sentiments et sa colère teintée de tristesse de ne pas comprendre que ce ne soit pas pareil pour moi mais en même temps, j’ai pensé dans mon for intérieur « Non, non, il faut que je maintienne ma position ! » sans que ces mots, pourtant si pertinents hier, n’aient pu franchir mes lèvres : « Toi et moi, ça ne marche pas et ça ne marchera jamais. On s’est donné ce qu’on devait se donner. Restons-en là. » 

On a repiqué aussi brièvement sur les griefs qu’il pensait que je tenais contre lui pour s’apercevoir que c’était lui qui en avait contre moi. Et de façon légitime, en plus.

–  Je te le répète, je n’ai aucun reproche à te faire. Tu as toujours été honnête et franc avec moi et tu as assuré peut-être bien plus que de raison. Notamment dimanche. Encore merci, d’ailleurs.

–  Oui, je suis toujours là pour toi, je n’ai pas fui malgré tes missiles et tes pièges-à-loups. J’ai même fait 400 bornes pour venir te voir en Normandie ! C’est toujours moi qui viens te voir, c’est moi qui t’appelle, qui m’enquiers de toi. Jamais toi tu ne m’appelles pour savoir comment je vais. Jamais tu ne viens de toi-même me voir. Et jamais tu n’exprimes que tu as envie de me voir. Que tu as besoin de moi.

Touché. Coulé. Il a souligné exactement la plus grosse de mes failles. Et cela m’a renvoyée dans mes barres manu militari. Cela aurait dû provoquer une prise de conscience de ma part bien plus éclairée mais cela n’a fait que de me plonger plus profondément encore dans mon indécision ultra confuse.

Pour en atteindre le paroxysme quand une de ses phrases, parmi toutes celles qu’il m’a assénées comme des mantras depuis son arrivée, a fait jour en moi : « Je me suis dit, je suis prêt à prendre la vie comme elle vient. Avec elle. »

Ça m’a touchée. Puis, interrogée. Suis-je capable moi aussi de ‘prendre la vie comme elle vient avec lui’ ? Le fameux Carpe Diem selon lequel j’ai vécu lundi peut-il durer en moi plus longtemps qu’une journée ? Les réponses que j’ai trouvées en moi ont été ‘Oui’ puis ‘Non’ puis ‘Oui mais’ pour finir par un énorme ‘CHEPA’ et je suis retombée les fesses en premier dans mon marécage dans un splaouff retentissant. Chouette.

Mais cela a permis quand même une chose, on a lâché de concert nos métaphores alambiquées quelques instants pour entrer dans le dur du sujet : est-on capable d’accepter le mauvais côté de l’autre avec tout ce que cela implique, les fameux packages respectifs ?

Mais si le concernant c’est carré et cadré, moi c’est plutôt subjectif et aléatoire… Donc, moi je dois prendre une décision en mon âme et conscience et lui doit le faire comme un acte de foi, je ne suis pas sûre qu’on puisse raisonner d’égal à égal sur ce coup-là…

Si c’était « T’as un chat et moi j’aime pas les chats. » ou « Je travaille 15 heures par jour et parfois même les week-ends. » ou « J’ai une maladie grave qui nécessite une attention particulière. » ou « Je pratique les sports extrêmes parce que j’en ai besoin. »  c’est facile, tu prends ou tu ne prends pas, point barre. Donc, le concernant, ça serait plus de cet acabit mais me concernant…

Bref. Lui, l’armée. Puis-je accepter ses absences de quelques semaines voire quelques mois avec zéro contact parfois pendant des jours ?

Moi, mon côté obscur et insaisissable. Peut-il l’accepter sachant que tout peut changer du jour au lendemain, qu’il peut s’inquiéter pour moi, que je peux péter un plomb à tout moment et tout plaquer, selon lui, sur un coup de tête ?

J’ai pensé, afin qu’on ait les mêmes enjeux, à mettre sur le plateau autre chose que l’armée qui pour moi est facile à accepter ou pas. Soit puis-je accepter sa versatilité et son égocentrisme ? Mais je me suis dit que c’était déjà assez embrouillé comme ça donc c’est resté lettre morte.

Ainsi, ni l’un ni l’autre n’avons pu répondre. Moi, parce que l’armée n’était pas la véritable question et lui, parce qu’il a commencé à se rendre compte de l’étendue de ma fucked-uptitude.

« Je suis bien quand je suis avec toi. Je t’avouerais que depuis vendredi, je le suis un peu moins. Et si ces mauvais moments venaient à être plus nombreux que les bons, je pourrais peut-être ne plus pouvoir faire avec… »

C’est là où j’ai ressenti le besoin de m’exprimer.

Car si lui n’en a aucune, moi j’ai deux certitudes. La première est que je suis foncièrement un être fait de lumière et d’ombre à parts égales et que j’ai besoin intrinsèquement de naviguer dans l’un et dans l’autre pour trouver mon équilibre. Lui pense que je suis entre les deux. Je lui dis que justement ce n’est pas un choix, que je suis bloquée dans ce clair-obscur et que cela me dérange profondément. Mais j’en suis certaine, en tout cas j’en ai la volonté, je vais retrouver mon équilibre car…

Ma deuxième certitude, c’est que peu importe mes incursions dans les ténèbres, mes pérégrinations et mes errances dans le noir, je sais que je ne m’y perdrai plus, je saurai toujours retrouver mon chemin. Ma mère a été mon lien avec la lumière, celle qui m’a rattachée au monde des vivants, ma force, mon instinct de survie. Quand elle est partie, j’ai été perdue car qui allait me sauver ? Mais j’ai découvert récemment que la Bichette bien ancrée dans la réalité existe bel et bien au fond de moi et qu’elle aura la force de me sauver si je dérive à nouveau un jour.

Il a eu l’air de m’entendre. Je pense plutôt qu’il a été surpris et peut-être content que je m’exprime pour la première fois en une heure et demie de façon claire et positive. Même si au final, ni lui ni moi n’avons toujours pas su répondre.

A part le fait que je ne voulais pas et qu’il ne voulait pas non plus que je fasse un choix tout en sachant que c’était voué à l’échec, autrement dit, que je remplisse ma vie avec un autre enfer, quoi. Mais j’ai eu l’impression qu’il se parlait à lui-même aussi.

Un bon gros brouillard nous a donc envahis.

« Bon, je vais devoir y aller, j’ai un premier briefing pour la réunion du 20. »

Après avoir rassemblé l’intégralité de ses affaires, son sac sur le dos, il m’a dit : « La seule et unique question est veut-on avancer ensemble ? Comme je sais qu’il te faut un certain temps pour décanter, je te propose de revenir et d’en reparler, qu’en dis-tu ? »

A nouveau, il m’a prise de court. Un troisième round ?!? Je n’ai rien pu lui répondre d’autre que « Tu comptes revenir quand ? » me disant que si c’était dans un mois, ça ne serait pas la peine. Mais il a répondu comme une balle : « Bah déjà, ça prouve que tu envisages de me revoir. »

Et re-belote, je n’ai plus su fonctionner, j’ai buggé mais là je lui ai dit.

–  Tu me perturbes, tu n’imagines pas à quel point ! Un vrai chien dans un jeu de quilles ! Et encore une grenade dans mon bunker ! Je ne sais pas ! Merde ! 

–  En attendant, la balle est dans ton camp. Réfléchis. Je pense repasser demain. Et je t’appellerai avant pour pas refaire la même qu’aujourd’hui. Allez, je te laisse ranger tes quilles, à demain !

Demain ? Soit 24 heures seule avec tout ce merdier au fond de moi ?!? Je suis restée un long moment comme un poulet sans tête à errer dans tout l’appartement, j’ai senti la peur panique de décrocher me gagner mais une voix au fond de moi a fini par m’apaiser. Cette bonne vieille Bichette ! Bref, j’ai alors fait la seule chose censée : j’ai appelé Nénette.

Comme je sais qu’elle parle beaucoup aussi avec Bradley, je lui ai demandé de ne pas lui répéter un mot de ce que j’allais lui confier car je voulais me sentir libre de tout lui dire sans retenue. Ce qui, bien sûr, tombait sous le sens pour elle.

« Tu ne penses pas que tu projettes tes questionnements sur lui ? Tu attends qu’il ait les réponses que tu n’as pas ? »

Oui, c’est pas faux. J’ai l’impression que tout est de ma faute, que c’est parce que je ne sais pas ce que je veux. C’est vrai. Mais quand je sens que je deviens une nuisance, j’ai tendance à partir en fermant la porte derrière moi. En gros, comme il me demande une réponse que je n’ai pas mais que je ne suis pas sûre qu’il l’ait non plus, mon réflexe est de renoncer en me disant que je préfère être seule plutôt que de composer.

Je ne sais pas faire de compromis. Je ne sais pas au sens propre du terme. C’est inconnu pour moi et littéralement inconcevable. Et ce clair-obscur dans lequel je patauge en ce moment est inconfortable au possible. Je m’y sens mal. Très mal.

Peut-être est-ce lié à mon trouble de la personnalité borderline. En gros pour moi, c’est tout ou rien. C’est l’absolu ou c’est le néant. C’est l’obsession ou c’est l’indifférence. C’est éclatant de lumière ou c’est sombre comme l’enfer. Au milieu, je ne connais pas. Ce n’est pas pour me défausser mais ça pourrait expliquer l’état de bouleversement extrême dans lequel je suis.

Ce que je n’explique pas en revanche, c’est pourquoi Bradley a cette portée sur moi, en moi. Pourquoi me perturbe-t-il à ce point ? C’est la seule et unique personne qui n’ait jamais pu me bousculer comme ça, me pousser dans mes retranchements et provoquer une telle confusion en moi. Pas volontairement, je sais, c’est d’ailleurs cela qui reste incompréhensible.

Nénette dit que c’est parce qu’il est important dans ma vie. Que si ce n’était pas le cas, je n’aurais aucune question et je ne serais pas chamboulée. Je ne l’aurais même pas calculé. C’est vrai. Elle dit aussi qu’il faut que j’arrête d’être trop exigeante avec moi-même à vouloir trouver à tout prix des réponses au fond de moi là maintenant alors qu’il n’y en a pas. Elle dit qu’il faut que je me laisse du temps. Qu’il faut que je lâche prise pour savoir. Plus facile à dire qu’à faire. Surtout en ces temps de confinement où je suis en huis clos avec moi-même 24/7 sans aucun dérivatif ni échappatoire…

Bradley dit que si lui est ouvert au monde, curieux de tout et laissant sa chance à la moindre influence extérieure, il me sait sur un autre mode, plus intestinal, en tout cas centré sur moi-même en autosuffisance et que cela peut être une différence majeure entre nous deux, voire une incompatibilité. Surtout si selon lui, je n’accepte pas de recevoir, si je ne peux fonctionner que dans le don, à sens unique sans échange possible. Il a raison. Mais de m’en rendre compte me permettra-t-il de changer ? Rien n’est moins sûr.

Je sais aussi que mon mode de fonctionnement est que, si je choisis de tourner la page, il faut que je le fasse de façon radicale si je veux avancer. Je dois passer un bon coup de balai, mettre tout ce que je dois oublier dans une boîte avec un sceau « Case closed » dessus et la ranger au fin fond de mon grenier ou la jeter dans la Seine.

Là, je regarde son oreiller, le t-shirt que je lui ai prêté comme pyj, les deux trois trucs dans le frigo, bien sûr le coin que je lui ai aménagé dans la chambre pour poser ses affaires, bref les quelques éléments indicateurs de sa présence dans mon appartement qui pourraient très bien aller dans ma boîte de l’oubli, si je voulais… Je sais aussi que cela ne me prendrait que 10 minutes, pas compliqué, en fait.

Mais je ne touche à rien. Je n’y arrive pas.

Bon, je crois qu’il faut que je fasse l’exercice de la balance, c’est-à-dire que je mets sur un plateau ce qui me fait mal, ce qui ne me va pas et sur l’autre, ce à quoi je ne suis pas prête à renoncer, ce pour quoi j’ai envie d’essayer. Ça va bien finir par pencher d’un côté ou d’un autre…

Mais que faire en cas d’équilibre parfait ? Qu’est-ce que je suis con, c’est déjà le cas ! Pff exit la balance, c’était débile comme idée. Bref, pas sortie de l’auberge, moi.

ET PAF LE CHIEN

16.56. (toujours mardi 10 novembre 2020)

–  Tu as prévu quelque chose ce soir ? Non ? En fait, j’ai la flemme de revenir mais je peux demain matin avec les croissants, qu’en penses-tu ?

–  Pas grand-chose, je ne sais pas quoi répondre à ta flemme…

–  Okay, là j’ai un truc à faire mais je te rappelle après.

Je suis estomaquée. Ça m’a coupé le sifflet. Je pose mon téléphone, je continue ma séance de gym bon gré mal gré… En fait, c’est le branle-bas de combat général dans ma tête. Surtout avec la première chose qui me vienne après s’être frayé un passage dans cette cohue : « That’s it. Enough is enough. »

Ça met une petite heure à prendre forme en moi. Je cherche les bons mots mais surtout, je tiens à les dépassionner quelque peu car je me sais assez tranchante parfois et je ne voudrais pas avoir de regrets à cause d’une sémantique bancale.

Je sais aussi ce que je risque de déclencher mais je ne peux plus me taire et mouronner dans mon coin. J’ai fait ça pendant presque 20 ans avec Walter, terminé, plus jamais. Alors, il veut de l’honnêteté et de la franchise, il va en avoir.

Et c’est moi qui l’appelle.

« Je suis un peu longue à la détente mais ça y est, je sais quoi te répondre maintenant. J’ai l’impression que je suis une éventualité pour toi. Je passe après tes enfants, tes amis, l’armée, ton bien-être et maintenant ta flemme. Bref, je suis ‘éventuelle’ et pas incontournable pour toi. Et ça ne me va pas. Alors, tu me rappelleras si un jour je le suis, d’accord ? »

So much for the diplomacy. Quoique je trouve que j’y suis allée mollo quand même. Bref. Bien sûr, il le prend mal. Très mal.

–  Je me suis juré que plus jamais quelqu’un ne serait incontournable pour moi !

–  Bah voilà. Les carottes sont cuites.

–  Non, c’est toi qui fais un coucou suisse parce que j’ai été honnête avec toi !

–  Je n’ai jamais dit le contraire. Bah moi aussi, je suis honnête avec toi, là maintenant.

–  Donc, c’est moi qui merde, c’est ça ? J’aurais dû quoi ? Me compromettre ?!

Le ton monte. Puis redescend. Puis remonte. Je lui parle enfin de mon incidence, plutôt de mon absence d’incidence sur sa vie.

–  Comment tu peux dire ça ?!! Tu m’as tellement apporté…

–  La chamane, oui. Mais elle n’est plus là, y a que moi et moi je ressens ça comme ça.

–  Tu te trompes !!!

–  Je n’ai pas dit que je détenais la science infuse, c’est juste mon ressenti. Si tu pouvais te désemberlificoter de ton égo une minute, tu essaierais de te mettre à ma place pour comprendre pourquoi et qu’est-ce qui m’a amenée à ressentir ça. J’ai voulu t’en parler hier mais je n’étais pas en forme pour un combat dans l’arène.

–  Donc tu m’as menti ?!

–  Non, c’est juste que ça vient là ce soir. J’en ai fini d’être muette et impassible comme une gargouille. Now I stand my ground and I am ready to face you and myself.

On parvient tant bien que mal à calmer le jeu. En découle une conversation comme on en a eu des centaines depuis le 29 septembre. Relativement. Je le sens prêt à exploser à chaque instant au moindre de mes mots que j’essaye donc d’enrober avec autant de tact que je peux sans toutefois me dévoyer.

Je suis bien consciente qu’on risque d’atteindre un niveau d’incompréhension mutuelle si indiluable que cela n’aura d’autres conséquences que de lui faire rendre les armes et moi de me conforter dans mon propos. Et donc, il se peut que notre ‘rupture’ se valide d’elle-même en fin de conversation.

–  Tout ce que je sais, c’est que je suis bien quand je suis avec toi. Je veux passer du temps avec toi, prendre les bons moments quand ils sont là.

–  Et quand ils ne sont plus là ?

–  Ça évolue. Mais je veux avoir envie d’être avec toi et non pas être obligé.

–  L’envie pour moi est éphémère et sans consistance. Moi, j’ai besoin d’avoir besoin. Et rien à voir avec l’obligation.

–  Besoin de quoi ? De l’incontournable ? Et c’est quoi au juste, pour toi ?

Le moindre de mes silences, même s’ils durent deux secondes, sont sujet à caution. Ainsi, il me relance ardûment en allant jusqu’à remettre en question la définition de ce terme qui, d’après lui, est brumeux même pour moi.

« Je t’ai dit, je suis faite pour être seule. Certaines personnes ont besoin de quelqu’un pour exister. Moi pas. Les relations ‘comme ça’ ne m’intéressent pas parce qu’elles ne me servent à rien. Donc, si je choisis de partager ma vie avec quelqu’un, il faut que je ressente ce quelqu’un comme une nécessité, une évidence, un incontournable.

Je veux en fermant les yeux que ce soit la première chose qui fasse jour en moi. Je veux le ressentir dans mon cœur, dans mes tripes, je veux que ce soit ma priorité absolue. Alors oui, avec l’emportement, la passion, c’est la cerise sur le gâteau mais ce n’est pas obligatoire. Je veux juste le ressentir en moi à un moment donné et surtout, le ressentir en l’autre aussi.

Une sorte de fusion, oui. Je ne dis pas que c’est synonyme pour moi d’être collés l’un à l’autre 24/7, au contraire, je suis convaincue qu’il ne faut pas se perdre pour autant. On doit rester deux entités qui existent par elles-mêmes en dehors du couple. Parce que sinon, c’est sûr, et je sais de quoi je parle, ça va dans le mur. On peut être séparés mais lorsqu’on se retrouve, plus rien d’autre que nous deux ne doit compter.

C’est ça que je définis comme incontournable. J’ai l’impression que je ne le suis pas pour toi et que je ne le serai jamais. C’est comme ça. Personne n’est à blâmer. Je n’ai simplement pas envie de m’en rendre compte sur le tard et de devenir esclave de cette discordance de phases.

Ce que tu me donnes, je suis désolée mais ce n’est pas assez. Je veux plus. Si tu ne peux pas, je ne t’en voudrai pas mais au moins maintenant, c’est clair, tu sais où j’en suis. »

On continue malgré cela à parler un long moment. Un étrange mélange d’explications de texte, d’accusations réciproques de complexifier le bordel, de questions franches et ouvertes, de réponses non moins franches et de pas mal de silences plus ou moins appuyés.

Et on en vient à reparler de sa dernière histoire d’amour. Je pense qu’il est encore dans le trauma.

–  Je me suis aperçu que ses projets à elle n’étaient pas les miens et que je l’avais suivie en pensant qu’ils pourraient le devenir. Je me suis juré alors que plus jamais je ne calerai ma vie sur celle de quelqu’un d’autre.

–  Si chacun marche sur son propre chemin, où est-ce qu’il y a un chemin en commun ?

–  On peut se côtoyer…

–  Ce n’est pas ce que j’appelle être ensemble, encore moins construire, toi qui parlais de construction. Tu te contredis quasiment à chaque phrase.

Ça me fait l’impression qu’il nie l’existence même de la force des sentiments qui parfois peuvent nous dépasser et nous faire perdre la raison. Il en conclut que c’est ce que j’attends.

–  Non, c’est juste que tu me sembles tellement dans le contrôle, le calcul que j’ai l’impression que tu réfutes toute influence des sentiments comme s’ils n’existaient pas. Toi, il faut que tu fasses pour voir s’il y a des sentiments, moi, je dois avoir des sentiments pour voir ce que je dois faire.

–  Tu te trompes.

–  Bref, as-tu peur de perdre pied ? Ou plutôt sais-tu au fond de toi que rien ni personne ne te fera perdre pied ?

–  Comment ça ?

–  Tes convictions, tes certitudes, peuvent-elles voler en éclats ? Si oui, as-tu peur de cela ?

–  Bien sûr que non !!! Je ne sais pas de quoi sera fait demain et je n’ai absolument pas peur de perdre pied et de me laisser emporter ! Justement, je n’ai aucune certitude dans ma vie !

La fatigue se fait alors sentir. Depuis presque deux heures, montés tous les deux sur nos ergots, on s’est livrés à un combat de coqs qui nous laisse un peu pantelants. Lui, surtout. Moi, je suis bien arrimée et encore prête à en découdre. Mais je lui concède la conclusion.

–  En tout cas, je crois que tout cela nécessite plus ample réflexion. Tu veux bien qu’on en reparle demain autour d’un café-croissant ?

–  Pourquoi pas. J’espère juste que je ne referai pas un aller-retour en enfer cette nuit et que je serai aussi claire demain matin que je le suis là.

–  Tu veux me faire culpabiliser de ne pas être là, c’est ça ?!

–  Non, c’est juste une possibilité.

Et un peu comme une dernière sonde qu’il lancerait avant de raccrocher :

–  Tu penses qu’on passe à côté de quelque chose, toi et moi ?

–  Oui. Chacun ses blessures, c’est vrai. Les miennes me poussent à ne plus attendre un train qui n’arrivera jamais. Mais c’est bien que l’on ait eu enfin cette conversation.

–  A demain. Je t’embrasse.

 

Et paf le chien. Sauf que je ne sais pas si le chien c’est moi ou Bradley. Round 2 demain, donc.

INCIDENCE

Confinement, vous avez dit ? Un simple coup d’œil sur le parc devant mes fenêtres ce week-end n’a fait que confirmer le contraire. Absolument rien de différent d’un autre week-end d’automne et le temps étant clément, c’était même surpeuplé. Je crois qu’l n’y a que trois mètres de neige et un blizzard canadien qui ferait déserter ce parc.

Bref, moi, ça fait bientôt neuf mois que je suis confinée alors, rien de nouveau, je reste chez moi 24/7 avec quelques rares et brèves sorties pour faire une course et c’est tout. C’est juste que là, je ne peux plus aller en Normandie ni chez Toto ni voir Maman au cimetière mais cela ne me pèse pas tant que ça.

 

Mardi 10 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+12

Rétrospectivement, je trouve que je n’ai pas tant merdé que ça vendredi soir. La bouteille de Havana Club m’a bien fait de l’œil, fortement je l’avoue, mais j’ai préféré m’assommer avec mes petits cachets qui m’ont amenée tranquillement vers le petit matin.

La journée de samedi s’est déroulée à blanc. Une parenthèse où j’ai navigué entre deux mondes dans une sidération quasi surnaturelle. Un calme olympien en moi, plus de bruit, plus de chaos, rien qu’un épais silence et cela m’a fait un bien fou. C’est au moins ça de positif quand on fait un crash-disk : on repart from scratch. C’est du moins ce que j’ai supposé.

Dimanche, j’ai tenté de me reconnecter à mon énergie intérieure. Peine perdue. Merde ! Plus de lumière, plus de vibration… L’impression d’être une coquille vide, une carcasse sans âme qui s’est mise à résonner comme un frigo vide. L’impression d’avoir été dépossédée, dépouillée.

Et tandis que le crépuscule est arrivé, des ombres se sont dessinées sur mes murs. J’ai ressenti alors quelque chose d’étrange, une émotion depuis longtemps oubliée qui a pris pied en moi. Et dans la semi-obscurité de mon appartement, j’ai retrouvé ma voix et me suis enfin révoltée. Je suis allée confronter Monsieur Machin auquel je n’avais pas parlé depuis des années.

« WHY DID YOU TAKE IT BACK FROM ME ?!! What did I do wrong? I thought that was mine so I feel violated, robbed, I am so angry! I didn’t know that it was just a loan… Or is it a trial? Do I have to be worthy of it? Like if it was a reward! Again, you should have told me about the rules before because I feel that you’ve tricked me, I am so pissed off!!!

But most of all, I feel really sad and empty because when I had it living in me, I was so happy, I’ve never felt this strong and confident in my entire life. Losing it is like losing everything that I thought was defining me so far. So please, I beseech you, give it back to me. I swear I’ll do my best to live by it.”

Cette fois, la bouteille d’Havana Club a gagné. Je me suis mise à errer dans les ténèbres, le corps et l’âme entaillés par des lames invisibles, je n’ai pas donné cher de ma peau à ce moment-là. Et Bradley est arrivé.

Le pauvre ! Je le plains vraiment, en fait. Depuis vendredi, je lui en ai fait baver quand même… Le pompon sur la cerise du bouquet final ayant été, lorsqu’imbibée d’alcool jusqu’à l’oblitération, j’ai failli faire un arrêt cardiaque dans ses bras !

« C’est peut-être à moi de t’aider maintenant… Allez, reviens dans la lumière ! »

Bref, une nuit très agitée où il s’est occupé de moi comme il a pu. Et il n’a pas pris ses jambes à son cou au petit matin. Moi, de façon vraiment inattendue, je me suis réveillée relativement en forme. Voire même le sourire aux lèvres. Peut-être un reste d’euphorie alcoolique…

Toujours est-il que l’on a pu enfin parler posément, lui et moi, tandis qu’un magnifique soleil est venu inonder l’appartement pratiquement plongé dans le noir depuis deux jours. Mes plantes vertes étaient contentes.

Il attend le go pour sa mobilisation. Son dilemme a disparu, c’est un soldat, point. Au moins ça, c’est clair. Il parle toujours de ses projets, de sa vie au singulier, ça, ça n’a pas changé. Il me dit pourtant avoir cogité intensément ces dernières 48 heures mais mis à part l’armée, je ne vois pas trop quelque autre fruit son cogitage lui a apporté.

Il me redit qu’il a besoin de moi encore. Je l’arrête dans son élan.

–  Je ne sais pas si je vais pouvoir faire quelque chose pour toi, cette fois… J’ai perdu ma lumière !

–  Je ne pense pas. Elle est différente, c’est tout.

– Tu prêches pour ta paroisse, sur ce coup-là ! Bref, si je ne suis plus qu’une coquille vide, je ne vois pas ce que je peux te donner maintenant.

–  J’ai besoin de TOI ! De toutes les ‘toi’ : la chamane-sorcière, la lumineuse, la dark, la bien dans sa peau, la barrée, bref, je prends tout le package. Comme il faut aussi me prendre tout entier comme je suis, avec mes forces et mes contradictions.

Fair enough. M’a clouée le bec.

–  C’est bon, je crois, tu as déployé toutes tes armes de destruction massive et cela t’embête que je sois toujours là, que cela ne m’ait pas fait fuir. Et quelque chose me dit que tu en as encore en magasin pour ma pomme…

–  Tu veux que je déballe tout là maintenant ?

–  Non, ce que je veux, c’est que tu répondes à cette question : veux-tu de moi dans ta vie ?

Cela prend un certain temps avant que j’arrive à articuler ces quelques mots : « Tu es déjà dans ma vie. En pointillés. » En fait, je meurs d’envie de lui dire : « J’ai l’impression que je n’ai aucune incidence sur ta vie, si demain cela s’arrête entre nous, tu seras certainement triste mais pas chamboulé. En revanche, toi tu as une vraie incidence sur ma vie que j’essaye de minimiser, voire même de rejeter avant qu’il ne soit trop tard… »

Mais je garde ça pour plus tard, quand j’aurais trouvé un peu de diplomatie pour l’enrober car je le sais assez prompt aux raccourcis cinglants bardés d’œillères. J’ai bien conscience qu’il faudrait une fois pour toutes aller au fond des choses mais bon, comme ce n’est pas le courage qui m’étouffe aujourd’hui et que mon cœur bat encore trop la chamade de ses embardées de la veille, bah je planque ça sous le tapis.

Surtout qu’il se met à enchaîner :

–  Si je fais un pas en avant et toi, deux en arrière, comment veux-tu que l’on avance ? Je veux que l’on construise quelque chose ensemble mais je ne peux rien sans ton aide.

–  Construire ??

–  Je veux que l’on avance toi et moi sur le même chemin. Regarde par toi-même : prends mes constantes.

Ce que je ne fais pas. A vrai dire, j’évite soigneusement de le faire depuis qu’il est revenu. J’ai réussi d’ailleurs à trouver un spot ‘neutre’ où caler mes mains lorsqu’il m’enlace : le haut de ses bras. Aucune vibration. Une vraie cage de Faraday. Au cas où mon don n’aurait pas disparu complètement…

Bref. Comme je me sens repartir en cacahuète, je respire profondément et je fais le vide. Je parviens à me zénifier en un temps record et un seul ordre s’impose en moi alors : « Carpe Diem » Et au final, la journée se déroule bien, dans une complicité simple et douce.

 

Ce matin, il est parti voir un ami, un autre army-guy comme s’il voulait s’assurer une fois pour toutes qu’il a pris la bonne décision. J’en profite pour faire un brin de ménage, deux lessives et je me surprends à ne pas gamberger plus que de raison, comme j’aurais pu le supposer.

Pas radieuse mais pas éteinte non plus. Je pense à ma lumière perdue. C’est comme si je me faisais une raison. Oui, pourquoi pas revenir à cette bonne vieille bourguignonne-normande de Bichette aux deux pieds solidement ancrés au sol ? Elle n’est pas si mal que ça et une chose est sûre, ça fera moins friser les moustaches d’Andrew !

C’est juste que je retombe dans ma chépattitude à contrecœur.