JOURNAL   Saison 6

COCKTAIL LETAL

–  Comment tu te sens aujourd’hui, Bichette ?

–  Bah je suis dans la merde, je crois.

–  C’est-à-dire ?

–  Je viens de déterrer un truc, c’est énorme. Je suis sous le choc.

Nénette bien désemparée au bout du fil. Je l’ai rassurée du mieux que possible, elle a fini par conclure que l’important était que j’avance. Mais force est de constater que cela ne va pas être possible dans l’immédiat. J’ai découvert quelque chose qui va peut-être tout changer. Non, pas ‘peut-être’, c’est sûr. Du coup, ça projette une lumière nouvelle sur l’entièreté de mon être, de ma vie depuis ses fondations.

 

Jeudi 19 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+21

Coïncidence ? Mardi, une bonne grosse crise aigüe de fibro est revenue s’abattre sur moi. Pas tellement dans la douleur cette fois-ci mais dans un extrême épuisement. Plus de piles dans le lapin Duracell. Ce matin, je me suis sentie revenir petit-à-petit dans le monde des vivants. J’ai toujours une croix entre les épaules et mes hanches sont encore un peu soudées mais globalement, ça va mieux.

Et lovée en boule sur la banquette depuis deux jours, j’ai eu le temps de penser à la découverte que j’ai faite dimanche soir. Je repensais bien sûr à Bradley, à cette dernière semaine si chaotique entre nous. J’étais assez sereine, convaincue que de lâcher un peu la bride sur tout ça était la meilleure solution. Et venant de nulle part, j’ai été soudain assaillie par une angoisse qui m’a prise les tripes et j’ai repiqué la tête la première dans un seau d’amertume constellée de questions rugissantes.

Et là, j’ai percuté. C’était de l’ordre du psychotique. Quelque chose n’allait pas chez moi, quelque chose de plus fort que ma volonté qui devait trouver ses racines ailleurs que dans mon abus récent de Stillnox… J’ai repensé alors au trouble de la personnalité borderline, le TPB, qui m’a été diagnostiqué il y a sept ans. J’ai fait quelques recherches sur le net jusque tard dans la nuit et là, j’ai eu un choc. C’était là, sous mes yeux, décrivant exactement ce que je vivais !

Il y a sept ans, j’avais compris en diagonale avec un pitch à l’emporte-pièce ‘soit tout blanc, soit tout noir’ qui ne faisait que souligner mon côté entier selon moi plus qu’il ne m’handicapait au quotidien. J’avoue que je l’ai pris un peu à la légère. Et comme j’ai arrêté ma thérapie presque du jour au lendemain, ma psy n’a pas eu le temps de bien me briefer à cette époque-là.

Ainsi, le TBP est bien plus complexe, bien plus retors avec des répercussions terribles sur la vie entière d’un individu et s’il n’est pas correctement pris en charge, il peut conduire au suicide. Non pas que j’y pense en ce moment mais avec le cocktail TPB-Stillnox-décès de Maman, c’est étonnant que je sois encore debout. En tout cas, cela explique mon pétage de plombs récemment.

Voici ce qu’est le TPB. A ne pas confondre avec le trouble bipolaire.

Le trouble borderline est un trouble de la personnalité très fréquent. Sur 100 personnes, il est estimé que 6 souffriront de ce trouble en population générale, et jusqu’à 20 si l’on se place dans un service de psychiatrie. Ce trouble est associé à une souffrance existentielle considérable. En outre, ces personnes ont un risque accru de souffrir de dépression, d’anxiété, d’addiction, ou de troubles du comportement alimentaire à un moment de leur vie. Il s’agit du trouble le plus associé à la survenue d’idées de suicide et de comportements suicidaires, stratégies de dernier recours pour éviter la souffrance ressentie. On rapporte 4 grandes dimensions à ce trouble :

 

  1. LA DYSREGULATION EMOTIONNELLE, c’est-à-dire la difficulté à réguler ses émotions. Les personnes borderlines sont très sensibles. Elles présentent un seuil d’activation bas des émotions, une intensité émotionnelle importante, et un lent retour à la ligne de base. Un petit évènement va les affecter, et ceci va prendre des proportions importantes. Ce qui va contribuer à des niveaux de tensions émotionnelles plutôt élevées chez les personnes borderlines au cours d’une journée. La colère est une émotion ressentie en particulier de façon fréquente, et intense. On retrouve aussi un sentiment chronique de vide et une perturbation de l’identité. Ces personnes rapportent l’impression d’être comme une coquille vide, un pull inhabité. Il s’agit d’une difficulté à identifier qui elles sont, ce qu’elles aiment, ce qu’elles veulent faire de leur vie. La tendance à se coller à la perception et aux attentes des autres pour orienter leurs actions.

Les personnes atteintes de trouble de la personnalité borderline ont des difficultés à contrôler leur colère, elles s’irritent souvent de façon injustifiée et excessive. Elles peuvent exprimer leur colère par des sarcasmes cinglants, de l’amertume ou des diatribes virulentes. Leur colère est souvent dirigée contre leurs amis proches, leurs partenaires, les membres de leur famille et, parfois, les médecins parce qu’elles se sentent négligées ou abandonnées. Après l’accès de colère, elles se sentent souvent honteuses et coupables, ce qui renforce leur sentiment d’infériorité.

 Ainsi, 4 critères appartiennent à cette dimension :

    • Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur.
    • Perturbation de l’identité : instabilité de l’image, de la notion de soi.
    • Sentiment chronique de vide.
    • Colère intenses et inappropriées, ou difficulté à contrôler sa colère.

 

2. L’IMPULSIVITE est le fait qu’il y ait peu de temps entre le moment où la personne a une expérience interne (comme une pensée ou une émotion), et le moment où elle passe à l’acte. C’est-à-dire que face à une tension émotionnelle, un inconfort interne, la personne borderline va avoir tendance à mettre en place une action qui va la soulager très rapidement (une action qui va décharger sa tension émotionnelle), mais qui n’est pas efficace pour sa vie, qui ne prend pas soin d’elle sur le long terme.

Exemple : fumer des joints ou boire de l’alcool pour diminuer sa tension, faire des crises de boulimie, tenir des propos blessants auprès d’une personne importante pour soi sur un coup de tête (« mes mots dépassent mes pensées »), voire se scarifier ou faire une tentative de suicide.
Tous ces comportements ont la même fonction : éviter la souffrance le plus rapidement possible, trouver une sortie de secours rapidement.

Le problème des sorties de secours est qu’elles nous amènent rarement là où nous aurions souhaité. Ainsi, 2 critères appartiennent à cette dimension :

    • Impulsivité dans au moins 2 domaines potentiellement dommageables pour le sujet (dépenses, sexualité, toxico…) ;
    • Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d’automutilations.

 

3. LES DIFFICULTES DANS LES RELATIONS INTERPERSONNELLES, c’est-à-dire les relations à autrui
Les personnes borderlines fonctionnent généralement en tout ou rien, blanc ou noir. On parle de « fonctionnement dichotomique ». Elles vont avoir tendance à être hyper-entière dans les relations, à s’investir rapidement, et pleinement (voire trop). La relation nouvellement investie est généralement idéalisée. Et comme, au fur et à mesure du temps, l’autre ne répond pas à ses attentes, la personne borderline va devoir faire face à la déception. La relation va souvent être intense et instable, marquée par une alternance entre idéalisation de la relation, et dévalorisation. On retrouve également une peur intense de l’abandon, c’est-à-dire que les personnes investies affectivement s’éloignent de soi, rompent la relation. Ceci peut conduire à des comportements excessifs de réassurance, la tendance à tester les limites de la relation, voire des comportements pour se faire aimer de l’autre au détriment du respect de soi.

Souvent, lorsque les personnes atteintes de ce trouble sentent qu’elles sont sur le point d’être abandonnées, la peur et la colère les envahissent. Par exemple, elles peuvent se mettre à paniquer ou devenir furieuses lorsque quelqu’un d’important à leurs yeux a quelques minutes de retard ou annule un rendez-vous. Elles supposent que ces incidents résultent de ce que la personne ressent vis-à-vis d’elles plutôt que des circonstances sans rapport. Elles peuvent croire qu’un rendez-vous annulé signifie que l’autre les rejette et qu’elles ne valent pas la peine. L’intensité de leur réaction reflète leur sensibilité au rejet.

Ainsi, 2 critères appartiennent à cette dimension :

    • Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés ;
    • Modes de relations interpersonnelles instables et intenses.

 

4. Une 4ème dimension, à mettre en lien avec la dysrégulation émotionnelle : la survenue, dans des situations de stress intense, de SYMPTÔMES DISSOCIATIFS, c’est-à-dire de perte de contact transitoire avec la réalité. Ceci peut se manifester, pour la personne borderline, par l’impression que les autres lui en veulent ou lui veulent du mal, l’impression d’être dans un rêve éveillé ou en dehors de son corps, des distorsions temporelles, des hallucinations, ou encore l’impression que certaines parties de soi ne lui appartiennent pas ou l’impression d’avoir plusieurs identités.
Les personnes atteintes du trouble de la personnalité borderline sabotent souvent leurs propres efforts lorsqu’elles sont sur le point d’atteindre un but, de sorte que les autres les perçoivent comme étant en difficulté. Par exemple, elles peuvent abandonner les études, juste avant l’obtention du diplôme ou saboter une relation prometteuse.

 Ainsi, le critère faisant référence à cette dimension est :

    • Survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.

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Ça explique tant de choses !

Quand je disais à l’envi « I’m no good for anyone » ou “Je ne suis nulle en relations humaines”… Pauvre Bradley ! Pauvre Maman ! Pauvre tout le monde, quoi. J’ai passé en revue la quasi-totalité de ma vie et tout a pris sens. Enfin, sens… Disons que j’ai compris. Et même si je suis encore sous le choc de cette découverte, je me surprends à pouvoir relativiser et à me dire que tout n’était pas entièrement de ma faute. Que je peux réclamer des circonstances atténuantes.

Maintenant, de mettre des mots dessus, d’avoir une explication tangible, cela va-t-il me permettre d’aller mieux ? Ou mon salut ne peut-il passer que par le traitement et la thérapie ?

En urgence, ma doctoresse m’a prescrite de la paroxétine pour contrer les montées d’angoisse qui m’étouffent et m’a dit de reprendre très vite attache avec la psy qui m’a diagnostiquée il y a 7 ans. Ce que j’ai tenté de faire mais avec le covid, je peux me brosser.

Fibromyalgie et TPB, deux maladies fortement soupçonnées d’être héréditaires… Moi l’hérédité, ça me renvoie dans l’inconnu le plus total, le vide, quoi. De perdre Maman récemment a certainement mis ça à jour. Il faudrait que je m’interroge à ce sujet, puis-je en faisant le deuil de Maman faire le deuil de ces deux maladies ?…

Oh et puis merde, j’en ai ma claque des interrogations ! Car j’en ai encore des milliers, comme qu’en est-il de mon don, aurais-je la force de m’en sortir avec ma seule volonté, cela peut-il changer la donne avec Bradley, serais-je un jour saine et apaisée, et si, et pourquoi, et blablabla…

Bref, je n’en suis qu’au stade de la reconnaissance, de la compréhension. Viendra, je l’espère, le stade de l’acceptation. Et après, bah on verra. Cela ne change rien, j’ai décidé de me battre et je vais le faire. C’est juste que je ne pensais pas que cela commencerait par une reconstruction totale de mes fondations.

J’ai un beau CV tout neuf. C’est un bon début, non ?

 

Bradley part ce soir rejoindre son régiment. Je lui ai envoyé un petit mail ce matin pour lui souhaiter bonne chance. Deux appels anodins lundi, puis plus rien. Moi, parce que j’étais trop morte et lui… bah j’ai fini de supputer.

« … We make our life out of chaos and hope. And love…”

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