JOURNAL   Saison 6

LE CONSEIL DE LA NUIT

« Me again. Je serais bien venue te voir mais je n’ai pas d’attestation magique comme toi. Je pense qu’il est important que l’on finisse notre ‘conversation’, tu avais raison, j’avais besoin d’un peu de recul pour y voir plus clair. So come over, do not worry I won’t ask for much more. Let me know!”

Un mail que j’ai envoyé à Bradley une heure et demie après l’avoir eu au téléphone, le réveillant d’une nuit très alcoolisée pour savoir quand il pensait passer aujourd’hui. Il m’a dit qu’il allait me rappeler.

Jeudi 12 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+14

Je me suis couchée hier soir dans l’indécision la plus totale. J’ai réussi à dormir un peu et l’adage « La nuit porte conseil » n’a jamais été plus judicieux. Un rêve, déjà, lumineux et positif, qui m’a faite m’éveiller avec un sourire et un fort sentiment qu’un jour nouveau était prêt à m’accueillir.

Coïncidence, il fait un temps magnifique, le brouillard froid et humide d’hier a complètement disparu. Alors, j’ai laissé les premières impressions venir à moi naturellement. Celles-ci sont arrivées douces et claires, renforçant le sourire que j’avais en me levant.

J’ai décidé de changer. Je vais essayer, en tout cas. C’est maintenant ou jamais car je le sais, c’est ma dernière chance. Je ne peux plus avoir autant d’évidences sous le nez et les ignorer. Si c’est le cas, je scelle sciemment mon cercueil et je ne pourrai plus jamais en sortir.

Mes mécanismes de défense, mon schéma de fonctionnement, mes addictions, mes peurs, même s’ils ne sont qu’un héritage et non des choix conscients, je vais tenter de les changer. Je ne me fais pas de promesses mais je veux essayer. Je réussirai peut-être partiellement ou pas du tout mais je veux me dire que je me serai battue jusqu’au bout.

Concernant Bradley, je sais ce que je veux. Je veux qu’on vive ces quelques jours avant son départ en faisant table rase de ces dernières 48 heures et en passant à autre chose. J’en ai envie, vraiment. Ensuite, j’ai besoin de me laisser un peu de temps car je n’ai pas toutes les réponses à son sujet. Comme il part pour un mois, ça tombe bien. Bien sûr, on gardera le contact pendant ce temps-là et on verra ce qu’il en est quand il reviendra.

Je l’aime assez pour vouloir changer. Au bout du compte, peut-être que cela ne le fera pas, pour l’un ou pour l’autre ou pour les deux mais au moins, moi j’aurais avancé.

Je profiterai aussi de cette période pour conduire une longue introspection et savoir ce que je vais faire de ma vie. De ma vie à moi, sans Bradley. S’il peut, s’il veut s’y insérer par la suite, très bien mais je ne mettrai pas ma vie entre parenthèses pour lui, il faut que je pense à moi en premier. C’est ironique, c’est lui qui n’arrête pas de me dire ça ! Comme quoi…

Bref, il faut que je mette tout à plat, que je réfléchisse longuement et que je me décide. En gros, il faut que je trouve ma motivation. Je ne dis pas qu’au premier de l’an prochain, mon nouveau plan de vie sera lancé, surtout avec le confinement qui complique tout mais il sera en tout cas bien tracé dans les grandes lignes.

Je vais aussi me trouver un centre d’intérêt pour me changer les idées. Cela pourrait être une activité sportive ou autre mais à nouveau, le confinement contrecarre tout ça. Je ne sais pas, je vais voir mais c’est sûr, il faut que je m’ouvre à autre chose.

 

Bon, j’aurais aimé dire tout ça à Bradley mais pour ça, il faudrait qu’il vienne. Il est 14.30 et toujours pas de news. Je commence à me poser des questions. Alors oui, il a certainement une gueule de bois monumentale à gérer mais bon. Déjà, les raisons de son alcoolisation à outrance hier soir…

Peut-être qu’il a avancé lui aussi. Et pas forcément sur le même chemin que moi. Il s’est peut-être dit notamment qu’il ne pouvait pas faire avec mon côté dark. Mais tiens, je lui dirai si j’en ai l’occasion, je ne vois pas en quoi mon côté obscur qui me pousse parfois à faire des choses limites ne peut être acceptable car lui aussi peut être limite.

Comme hier soir, par exemple, à rentrer en voiture complètement bourré. Ou quand ça n’allait pas, juste avant son break auquel j’ai assisté par téléphone ce soir-là, il a pris des cachetons avec de l’alcool alors que ses enfants étaient là. Moi, au moins, je connais par cœur mon côté pourrave et je le maîtrise désormais.

Bref. Ou peut-être que nos modes de fonctionnement respectifs, lui ouvert, moi obtus sont trop incompatibles au final pour lui. Ou peut-être que cette situation depuis quelques jours a fini par le soûler définitivement et qu’il n’a vraiment pas envie d’une redite aujourd’hui.

Hier pendant notre conversation, j’ai pris l’initiative de ‘prendre ses constantes’. J’aurais au moins eu la confirmation que mon don n’a pas disparu. J’ai senti – et je lui ai dit – comme un ‘glissement’ en lui. Mais j’ai été bien incapable de lui donner plus de précisions.

Aujourd’hui, voilà, il a peut-être ‘glissé’ ?…

15.00. Allez, je le rappelle. Au pire, il ne me répond pas.

–  Oui ?

–  Tu n’as pas eu mon mail ?

–  Euh non, là j’arrête pas de bosser pour le truc à l’armée, j’ai quinze-mille mails à traiter, des infos à collecter de partout, bref, je suis débordé.

–  Donc tu ne passeras pas aujourd’hui ?

–  Je ne pense pas. Peut-être demain. C’était quoi ton mail ?

–  Juste te dire qu’il était important de finir notre conversation, de vive voix si possible.

–  Oui, c’est important mais là, je ne peux pas.

Je prends ma voix la plus douce possible mais je ne lâche pas l’affaire.

–  J’ai peur que demain, après-demain tu sois autant débordé. Je comprends que tout ça ne se prépare pas au débotté mais j’avais compris que tu aurais quelques jours de tranquillité avant ton départ. Bref, je suis navrée de te mettre la pression mais promis, pas plus. J’ai besoin de savoir si et quand on se voit.

–  Je t’appelle dès que j’ai fini pour te dire si je peux passer ce soir ou pas.

–  Vers quelle heure à peu près ?

–  Je sais pas !

–  Désolée mais c’est trop vague. Cette imprécision est difficile pour moi, tu sais ?

–  Bon, alors on va dire que je viens demain.

–  Demain, c’est large. Vers quelle heure ?

–  Oh ça suffit, la pression !!

–  Désolée mais tu ne peux plus me faire poireauter comme ça.

–  Bon, alors 14.00 demain, ça te va ?

–  C’est parfait, merci.

–  Comme ça, si j’arrive à tout plier ce soir et venir dans la foulée, bah on se verra plus tôt mais au plus tard demain 14.00.

C’est dingue cette volonté de laisser toujours un flou artistique derrière lui, comme la queue d’une comète. C’est vraiment ça, il a horreur des rendez-vous fixes, il veut arriver quand il arrive car l’important est qu’il arrive et qu’il ait eu l’envie d’arriver. Il veut être essentiel à l’instant T sans considération de l’avant et de l’après. Aucune planification, vivre comme un courant d’air, changeant comme la météo.

Pourquoi pas. Et après, c’est moi qu’il targue d’insaisissable ! Bref, quand on est seul, on s’en fout mais dès qu’il y a interaction, ça peut poser un problème. Car il ne conçoit pas que les autres aient besoin de précision comme une marque, même infime, de respect.

Depuis le début, c’est d’ailleurs une des choses qui m’horripile le plus chez lui. Ça fait partie des questions sans réponses auxquelles je devrai néanmoins répondre dans quelques temps. Peut-être que je pourrai me dire dans quelques temps : « Il est là, c’est bien, il n’est pas là, tant pis mais je ne l’attends pas, il catchera le train ou route ou pas. »

Comme quoi, l’armée n’est vraiment pas ce sur quoi je dois m’interroger en termes d’acceptation ou de refus !

Bref. Ce que j’ai perçu de lui au téléphone ne me dit rien qui vaille. Pas tant son ton autoritaire auquel il m’a habituée depuis quelques jours mais ses mots pour terminer notre appel comme une vraie formule de politesse « Merci de ta compréhension. Bises. »

Je tiens toujours à lui parler de vive voix. This is my outcome. Après, bah on verra.

16.30. Je me sens étrangement apaisée. Peut-être parce que j’ai réussi à être claire avec moi-même et avec lui, du coup. Je retrouve même un semblant de retour dans la réalité qui n’est pas pour me déplaire. Tiens, allez, je vais me faire une petite séance de wii-gym et peut-être même une séance de danse, histoire d’évacuer toutes les tensions accumulées ces derniers jours.

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