JOURNAL   Saison 6

L’ARMISTICE? MES FESSES, OUI…

Hé, c’est pas censé être l’Armistice aujourd’hui ? Parce que moi, je suis en état de guerre, je ne trouve pas cela très raccord…

Round 1 hier soir = Moi 1 – Bradley 0

Round 2 ce midi = Moi 0 – Bradley 1

 

Mercredi 11 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+13

Rien que le fait de se sentir en état de guerre dans une relation amoureuse, ça craint. Et par conséquent, ça veut tout dire. Et pourtant…

Je savais qu’il fallait clore le débat hier soir pour ne pas laisser la porte ouverte à un épilogue sans fin. Ne pas laisser aussi la possibilité à l’autre de se regrouper pour mieux contre-attaquer. Yep, une mise à mort directe aurait été la meilleure solution.

Donc là, je viens d’essuyer une offensive nucléaire qui m’a littéralement atomisée. Il m’a retournée la tête bien comme il faut. Et ce qui faisait sens pour moi hier soir, voire même encore juste avant qu’il n’arrive, n’en a plus aucun.

Déjà, il m’a appelée ce matin pour confirmer qu’il venait « Je prends un café, une douche et j’arrive. » et deux heures plus tard, trouvant que cela prenait beaucoup de temps quand même, j’en ai déduit  « Encore une fois, je ne suis pas sa priorité. » et je me suis enfermée dans ma bulle, de la musique assourdissante dans les oreilles pour ne plus entendre le raffut au fond de moi.

Du coup, je ne l’ai pas entendu quand il est arrivé. Il m’a fait une scène d’une violence inouïe : « Ne me dis pas que tu ne m’as pas entendu, ça fait un quart d’heure que je tambourine à la porte, que je t’appelle et que tu ne réponds pas !!! Tu veux me montrer à quel point je n’existe plus pour toi, c’est ça ?!! Tu m’as fait venir exprès pour me le mettre en pleine gueule ?!!!!!!! »

Euh non… Je ne t’ai juste pas entendu… J’ai l’impression d’être une gamine qui se fait remonter les bretelles pour une connerie qu’elle n’a pas faite… Mais était-ce un acte manqué, ça…

Bref. Après s’être ‘expliqués’, on a pu commencer notre conversation. Enfin, disons que l’on s’est retrouvés tous les deux face à face sur un ring de boxe. Il a commencé direct par un crochet au foie : « Avant de venir, j’étais au téléphone avec l’armée, c’est pour cela que cela a pris un peu de temps. Donc, la mobilisation du 14 novembre est annulée mais je suis détaché quatre semaines à compter du 22 novembre avec une réunion de préparation le 20. Je te dis ça parce que, comme il est possible que ce soit rédhibitoire pour toi, ça peut t’apporter des éléments de réponse. »

Ça aurait pu, oui. Ça aurait dû… Mais l’absence de clarté au fond de moi et dans mes mots à ce moment-là a commencé à me déstabiliser et j’ai pressenti le début d’une longue traversée dans les marécages du no-man’s land…

Ce qui a suivi n’a été grosso modo qu’un remâchage de ce qu’on s’est dit par téléphone hier soir. Lui, quasiment avec les mêmes termes, la même phraséologie. La même véhémence, aussi. Il m’a redit que c’était clair pour lui, qu’il ne savait certes rien de demain mais que tout ce qu’il avait envisagé, c’était que l’on fasse le chemin ensemble. Que si cela marchait, très bien, sinon tant pis, ‘on aurait passé des bons moments’ et que la vie continuait. Yep.

Moi ça a eu pour effet de m’engluer encore plus dans les sables mouvants de ces fameux marécages, incapable de dire ni de penser quoi que ce soit qui fasse sens. Concrètement, il est presque parvenu à me ‘convaincre’, en tout cas à me faire douter avec sa clarté de sentiments et sa colère teintée de tristesse de ne pas comprendre que ce ne soit pas pareil pour moi mais en même temps, j’ai pensé dans mon for intérieur « Non, non, il faut que je maintienne ma position ! » sans que ces mots, pourtant si pertinents hier, n’aient pu franchir mes lèvres : « Toi et moi, ça ne marche pas et ça ne marchera jamais. On s’est donné ce qu’on devait se donner. Restons-en là. » 

On a repiqué aussi brièvement sur les griefs qu’il pensait que je tenais contre lui pour s’apercevoir que c’était lui qui en avait contre moi. Et de façon légitime, en plus.

–  Je te le répète, je n’ai aucun reproche à te faire. Tu as toujours été honnête et franc avec moi et tu as assuré peut-être bien plus que de raison. Notamment dimanche. Encore merci, d’ailleurs.

–  Oui, je suis toujours là pour toi, je n’ai pas fui malgré tes missiles et tes pièges-à-loups. J’ai même fait 400 bornes pour venir te voir en Normandie ! C’est toujours moi qui viens te voir, c’est moi qui t’appelle, qui m’enquiers de toi. Jamais toi tu ne m’appelles pour savoir comment je vais. Jamais tu ne viens de toi-même me voir. Et jamais tu n’exprimes que tu as envie de me voir. Que tu as besoin de moi.

Touché. Coulé. Il a souligné exactement la plus grosse de mes failles. Et cela m’a renvoyée dans mes barres manu militari. Cela aurait dû provoquer une prise de conscience de ma part bien plus éclairée mais cela n’a fait que de me plonger plus profondément encore dans mon indécision ultra confuse.

Pour en atteindre le paroxysme quand une de ses phrases, parmi toutes celles qu’il m’a assénées comme des mantras depuis son arrivée, a fait jour en moi : « Je me suis dit, je suis prêt à prendre la vie comme elle vient. Avec elle. »

Ça m’a touchée. Puis, interrogée. Suis-je capable moi aussi de ‘prendre la vie comme elle vient avec lui’ ? Le fameux Carpe Diem selon lequel j’ai vécu lundi peut-il durer en moi plus longtemps qu’une journée ? Les réponses que j’ai trouvées en moi ont été ‘Oui’ puis ‘Non’ puis ‘Oui mais’ pour finir par un énorme ‘CHEPA’ et je suis retombée les fesses en premier dans mon marécage dans un splaouff retentissant. Chouette.

Mais cela a permis quand même une chose, on a lâché de concert nos métaphores alambiquées quelques instants pour entrer dans le dur du sujet : est-on capable d’accepter le mauvais côté de l’autre avec tout ce que cela implique, les fameux packages respectifs ?

Mais si le concernant c’est carré et cadré, moi c’est plutôt subjectif et aléatoire… Donc, moi je dois prendre une décision en mon âme et conscience et lui doit le faire comme un acte de foi, je ne suis pas sûre qu’on puisse raisonner d’égal à égal sur ce coup-là…

Si c’était « T’as un chat et moi j’aime pas les chats. » ou « Je travaille 15 heures par jour et parfois même les week-ends. » ou « J’ai une maladie grave qui nécessite une attention particulière. » ou « Je pratique les sports extrêmes parce que j’en ai besoin. »  c’est facile, tu prends ou tu ne prends pas, point barre. Donc, le concernant, ça serait plus de cet acabit mais me concernant…

Bref. Lui, l’armée. Puis-je accepter ses absences de quelques semaines voire quelques mois avec zéro contact parfois pendant des jours ?

Moi, mon côté obscur et insaisissable. Peut-il l’accepter sachant que tout peut changer du jour au lendemain, qu’il peut s’inquiéter pour moi, que je peux péter un plomb à tout moment et tout plaquer, selon lui, sur un coup de tête ?

J’ai pensé, afin qu’on ait les mêmes enjeux, à mettre sur le plateau autre chose que l’armée qui pour moi est facile à accepter ou pas. Soit puis-je accepter sa versatilité et son égocentrisme ? Mais je me suis dit que c’était déjà assez embrouillé comme ça donc c’est resté lettre morte.

Ainsi, ni l’un ni l’autre n’avons pu répondre. Moi, parce que l’armée n’était pas la véritable question et lui, parce qu’il a commencé à se rendre compte de l’étendue de ma fucked-uptitude.

« Je suis bien quand je suis avec toi. Je t’avouerais que depuis vendredi, je le suis un peu moins. Et si ces mauvais moments venaient à être plus nombreux que les bons, je pourrais peut-être ne plus pouvoir faire avec… »

C’est là où j’ai ressenti le besoin de m’exprimer.

Car si lui n’en a aucune, moi j’ai deux certitudes. La première est que je suis foncièrement un être fait de lumière et d’ombre à parts égales et que j’ai besoin intrinsèquement de naviguer dans l’un et dans l’autre pour trouver mon équilibre. Lui pense que je suis entre les deux. Je lui dis que justement ce n’est pas un choix, que je suis bloquée dans ce clair-obscur et que cela me dérange profondément. Mais j’en suis certaine, en tout cas j’en ai la volonté, je vais retrouver mon équilibre car…

Ma deuxième certitude, c’est que peu importe mes incursions dans les ténèbres, mes pérégrinations et mes errances dans le noir, je sais que je ne m’y perdrai plus, je saurai toujours retrouver mon chemin. Ma mère a été mon lien avec la lumière, celle qui m’a rattachée au monde des vivants, ma force, mon instinct de survie. Quand elle est partie, j’ai été perdue car qui allait me sauver ? Mais j’ai découvert récemment que la Bichette bien ancrée dans la réalité existe bel et bien au fond de moi et qu’elle aura la force de me sauver si je dérive à nouveau un jour.

Il a eu l’air de m’entendre. Je pense plutôt qu’il a été surpris et peut-être content que je m’exprime pour la première fois en une heure et demie de façon claire et positive. Même si au final, ni lui ni moi n’avons toujours pas su répondre.

A part le fait que je ne voulais pas et qu’il ne voulait pas non plus que je fasse un choix tout en sachant que c’était voué à l’échec, autrement dit, que je remplisse ma vie avec un autre enfer, quoi. Mais j’ai eu l’impression qu’il se parlait à lui-même aussi.

Un bon gros brouillard nous a donc envahis.

« Bon, je vais devoir y aller, j’ai un premier briefing pour la réunion du 20. »

Après avoir rassemblé l’intégralité de ses affaires, son sac sur le dos, il m’a dit : « La seule et unique question est veut-on avancer ensemble ? Comme je sais qu’il te faut un certain temps pour décanter, je te propose de revenir et d’en reparler, qu’en dis-tu ? »

A nouveau, il m’a prise de court. Un troisième round ?!? Je n’ai rien pu lui répondre d’autre que « Tu comptes revenir quand ? » me disant que si c’était dans un mois, ça ne serait pas la peine. Mais il a répondu comme une balle : « Bah déjà, ça prouve que tu envisages de me revoir. »

Et re-belote, je n’ai plus su fonctionner, j’ai buggé mais là je lui ai dit.

–  Tu me perturbes, tu n’imagines pas à quel point ! Un vrai chien dans un jeu de quilles ! Et encore une grenade dans mon bunker ! Je ne sais pas ! Merde ! 

–  En attendant, la balle est dans ton camp. Réfléchis. Je pense repasser demain. Et je t’appellerai avant pour pas refaire la même qu’aujourd’hui. Allez, je te laisse ranger tes quilles, à demain !

Demain ? Soit 24 heures seule avec tout ce merdier au fond de moi ?!? Je suis restée un long moment comme un poulet sans tête à errer dans tout l’appartement, j’ai senti la peur panique de décrocher me gagner mais une voix au fond de moi a fini par m’apaiser. Cette bonne vieille Bichette ! Bref, j’ai alors fait la seule chose censée : j’ai appelé Nénette.

Comme je sais qu’elle parle beaucoup aussi avec Bradley, je lui ai demandé de ne pas lui répéter un mot de ce que j’allais lui confier car je voulais me sentir libre de tout lui dire sans retenue. Ce qui, bien sûr, tombait sous le sens pour elle.

« Tu ne penses pas que tu projettes tes questionnements sur lui ? Tu attends qu’il ait les réponses que tu n’as pas ? »

Oui, c’est pas faux. J’ai l’impression que tout est de ma faute, que c’est parce que je ne sais pas ce que je veux. C’est vrai. Mais quand je sens que je deviens une nuisance, j’ai tendance à partir en fermant la porte derrière moi. En gros, comme il me demande une réponse que je n’ai pas mais que je ne suis pas sûre qu’il l’ait non plus, mon réflexe est de renoncer en me disant que je préfère être seule plutôt que de composer.

Je ne sais pas faire de compromis. Je ne sais pas au sens propre du terme. C’est inconnu pour moi et littéralement inconcevable. Et ce clair-obscur dans lequel je patauge en ce moment est inconfortable au possible. Je m’y sens mal. Très mal.

Peut-être est-ce lié à mon trouble de la personnalité borderline. En gros pour moi, c’est tout ou rien. C’est l’absolu ou c’est le néant. C’est l’obsession ou c’est l’indifférence. C’est éclatant de lumière ou c’est sombre comme l’enfer. Au milieu, je ne connais pas. Ce n’est pas pour me défausser mais ça pourrait expliquer l’état de bouleversement extrême dans lequel je suis.

Ce que je n’explique pas en revanche, c’est pourquoi Bradley a cette portée sur moi, en moi. Pourquoi me perturbe-t-il à ce point ? C’est la seule et unique personne qui n’ait jamais pu me bousculer comme ça, me pousser dans mes retranchements et provoquer une telle confusion en moi. Pas volontairement, je sais, c’est d’ailleurs cela qui reste incompréhensible.

Nénette dit que c’est parce qu’il est important dans ma vie. Que si ce n’était pas le cas, je n’aurais aucune question et je ne serais pas chamboulée. Je ne l’aurais même pas calculé. C’est vrai. Elle dit aussi qu’il faut que j’arrête d’être trop exigeante avec moi-même à vouloir trouver à tout prix des réponses au fond de moi là maintenant alors qu’il n’y en a pas. Elle dit qu’il faut que je me laisse du temps. Qu’il faut que je lâche prise pour savoir. Plus facile à dire qu’à faire. Surtout en ces temps de confinement où je suis en huis clos avec moi-même 24/7 sans aucun dérivatif ni échappatoire…

Bradley dit que si lui est ouvert au monde, curieux de tout et laissant sa chance à la moindre influence extérieure, il me sait sur un autre mode, plus intestinal, en tout cas centré sur moi-même en autosuffisance et que cela peut être une différence majeure entre nous deux, voire une incompatibilité. Surtout si selon lui, je n’accepte pas de recevoir, si je ne peux fonctionner que dans le don, à sens unique sans échange possible. Il a raison. Mais de m’en rendre compte me permettra-t-il de changer ? Rien n’est moins sûr.

Je sais aussi que mon mode de fonctionnement est que, si je choisis de tourner la page, il faut que je le fasse de façon radicale si je veux avancer. Je dois passer un bon coup de balai, mettre tout ce que je dois oublier dans une boîte avec un sceau « Case closed » dessus et la ranger au fin fond de mon grenier ou la jeter dans la Seine.

Là, je regarde son oreiller, le t-shirt que je lui ai prêté comme pyj, les deux trois trucs dans le frigo, bien sûr le coin que je lui ai aménagé dans la chambre pour poser ses affaires, bref les quelques éléments indicateurs de sa présence dans mon appartement qui pourraient très bien aller dans ma boîte de l’oubli, si je voulais… Je sais aussi que cela ne me prendrait que 10 minutes, pas compliqué, en fait.

Mais je ne touche à rien. Je n’y arrive pas.

Bon, je crois qu’il faut que je fasse l’exercice de la balance, c’est-à-dire que je mets sur un plateau ce qui me fait mal, ce qui ne me va pas et sur l’autre, ce à quoi je ne suis pas prête à renoncer, ce pour quoi j’ai envie d’essayer. Ça va bien finir par pencher d’un côté ou d’un autre…

Mais que faire en cas d’équilibre parfait ? Qu’est-ce que je suis con, c’est déjà le cas ! Pff exit la balance, c’était débile comme idée. Bref, pas sortie de l’auberge, moi.

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