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L’OEIL DE SAURON

« C’est bientôt la rentrée des classes ! Vous aurez bien sûr pensé à reprendre le rythme de coucher les enfants plus tôt car on veut éviter les réveils grincheux et le traînage de pieds dans la salle de bains le jour J ! »

Tout ce qui fait une bonne rentrée des classes, quoi.

 

Mardi 1er septembre 2020

Ah ces sacrés experts, ils s’en donnent à cœur joie depuis quelques jours avec leurs conseils pour parents débiles ! Bien sûr que le cartable n’est pas prêt, bien sûr qu’on va faire une boum jusqu’à 2h du mat la veille, bien sûr qu’on va les mettre devant la télé au petit-déj une demi-heure avant de partir à l’école…

Moi, je ne suis pas concernée mais ça m’agace quand même. Et ce qui finit de me faire perdre le reste de la zénitude acquise lors de ma petite escapade en Normandie – qu’est-ce que j’étais bien sur ma plage ! –  ce sont les nouvelles mesures anti-covid pondues par le gouvernement concernant les restaurateurs : ces derniers doivent désormais faire remplir à leurs clients dès leur arrivée un petit questionnaire avec identité et numéro de téléphone et… leur prendre la température !

« Premièrement, ce n’est pas à nous de faire ça. Deuxièmement, c’est encore notre trésorerie qui va en pâtir : après les écrans pvc, les gels, les masques, les visières, maintenant les thermomètres ! Enfin et surtout, cela va faire fuir la clientèle pour de bon ! Alors, je préfère fermer mon établissement, je perdrais moins d’argent ! »

Il a raison, ce Monsieur. On finit par être excédé par toutes ces absurdités. Je suis bien contente, finalement, d’avoir échappé à tout cela. S’ils n’avaient pas mis trois mois pour imposer le port du masque PARTOUT, on n’en serait peut-être pas là.

 

Oui, pas de doute, c’est la rentrée. Je l’ai constaté samedi dernier en ouvrant mes fenêtres : les monstres sont bien tous revenus dans le parc, en pleine forme ! Leurs cordes vocales aussi…

Donc exit la tranquillité du mois d’août.

Même la finale de la Ligue des Champions sur la terrasse en dessous il y a dix jours n’a pas (trop) perturbé la quiétude de mes oreilles… Comme ils supportaient le PSG, bah ils ont arrêté de beugler très vite. Il y avait même un silence mortuaire à 23.00. Ça m’a presque fait de la peine.

Mais qui dit rentrée des classes dit rentrée des bureaux, je ne me fais aucune illusion, ça va se remettre à brailler dans pas longtemps en dessous avec les happy-hours qui ne vont pas manquer de refleurir… Bon, j’arrête mes jérémiades de vieille radasse, il faut que je sois solidaire de tous les business qui s’en sortent. Allez-y, cassez-moi les oreilles, c’est signe de bonne santé !

A ce propos, j’ai discuté longuement hier avec Sarah Jane venue récupérer son vélo que j’ai ramené de chez ses parents Miles et Joan. Comme on a les mêmes idées et le même enthousiasme pour faire revivre le Normandy Beach, autant dire que la conversation a été enjouée.

Ça m’a fait de plus extrêmement plaisir de la revoir après toutes ces années. La fillette que j’ai connue, ce petit écureuil timide, est devenue une bien belle jeune femme souriante et lumineuse. C’est une tronche aussi : elle parle quatre langues, elle a fait Sciences Po et elle travaille en ce moment pour the English Embassy à Paris. Malgré son jeune âge, elle en impose, respect !

Bref, de partager les mêmes idées a confirmé que j’étais sur la bonne voie. Concernant le Normandy Beach bien sûr mais plus largement aussi dans ce projet de reconversion comme Consultante en renouveau d’entreprises…

Du coup, je zappe les nombreuses offres d’emploi que je continue de recevoir, celles-là même que je consultais avidement il y a encore une semaine. Elles me paraissent insipides, dénuées d’intérêt, complètement aux antipodes de ce qui m’anime en ce moment. J’ai un peu mauvaise conscience mais en même temps, elles ne m’ont rien apporté à ce jour alors je me dis que je ne passe pas à côté de grand-chose.

Toute mon attention est retenue par ce projet. Comme l’œil de Sauron sur Frodo et son anneau.

J’ai mis mon cousin Bruce dans la boucle, mon expert web et médias et j’ai commencé à tracer l’architecture de mon plan de bataille. Il y a tant à faire mais j’adore ça ! Plus trop le temps maintenant pour autre chose, comme le fitness… Bah ça tombe bien, la wii-fit est en fin de vie.

Bref, ça fait du bien de se lever avec un but. Ça fait du bien d’être débordée. Ça fait du bien de se sentir utile.

 

14.30. J’appelle Maman. Pas de réponse. Je m’y attendais. L’infirmière ne m’en dit pas plus qu’avant-hier lorsque je suis venue sur place avec Toto et la smala. Elle ne mange pratiquement plus sauf contrainte et forcée, et encore, seulement quelques bouchées sinon elle vomit, quand elle arrive à répondre au téléphone et qu’elle ne porte pas le combiné à son oreille sourde, elle raccroche au bout de trente secondes parce qu’elle se dit fatiguée, elle ne regarde plus la télé, elle ne s’intéresse à rien, elle se laisse mourir, quoi.

J’ai bien vu dimanche. Désormais, plus aucune conversation n’est possible avec elle. Elle n’est plus présente et aucune stimulation que ce soit ne peut la faire sortir de sa torpeur. Cliniquement, elle va relativement bien mais toutes ces fonctions cognitives sont aujourd’hui réduites à néant. Elle le dit à l’envi, d’ailleurs :

« Laissez-moi partir, je ne veux plus continuer. »

Je la comprends. A sa place, je voudrais la même chose. C’est du maintien de vie, de l’acharnement thérapeutique. Mais pour qui, au juste, pour elle ou pour nous ? Si j’en avais la force, je la ferais partir d’un coup d’oreiller. Ce n’est pas tant de risquer la prison qui me retient mais le besoin viscéral de grappiller encore quelques fragments d’elle avant la rupture de stock.

Donc, j’y retourne samedi.

 

Il fait froid depuis quelques temps. Une transition Sahara/Alaska un peu abrupte qui moi, à l’inverse de la plupart de mes congénères, m’a ravie. J’ai ainsi ressorti avec une joie non-dissimulée ma couette, mon pyjama pilou et mon plaid écossais pour glander sur la banquette, fin prête pour les grands frimas. Mais comme ils annoncent un redoux, je sens que je n’ai pas fini de ronchonner.

NORMANDY BEACH

Un ruisseau, deux ruisseaux, hop, no problemo. Mais le troisième, plus dodu que les précédents, ne se laisse pas enjamber aussi facilement. Je tente un triple axel double piqué pour épargner mes chaussures mais je rate l’atterrissage et manque de me vautrer lamentablement. Passablement vexée, je remballe ma fierté, mes pieds mouillés et m’en vais rejoindre les mouettes un peu plus loin sur un banc de sable sec.

Un chien regarde ce même ruisseau d’un œil dubitatif. Comme c’est une espèce de gros saucisson sur pattes très courtes totalement inefficaces pour pagayer, je comprends son hésitation. Mais c’est drôle.

Jeudi 27 août 2020

Réveil un peu douloureux ce matin dans la petite chambre avec mansarde du Bed & Breakfast de mes amis Miles et Joan. La muffée que j’ai prise hier soir y est fortement pour quelque chose. On a pourtant commencé très english-tea-time lorsque je suis arrivée en début d’après-midi mais on est vite montés d’un cran.

La tête de Miles lorsque je lui ai dit que je ne buvais plus de bière à cause du gluten… La tête de Joan aussi lorsque je lui ai dit que j’étais désormais une total-veggie-gluten-intolerant ! Devant son air passablement affolé, j’ai tenté de la rassurer mais elle a quand même tenu à faire un saut à la supérette du coin pour acheter six œufs et deux salades, au cas où…

« You have to eat something, right ? »

Miles, quant à lui, s’est vite ressaisi et s’est mis à déboucher quelques bouteilles de vin, dont un Saint-Peray que l’on a bu d’une traite en jacassant comme des pies. En grande partie au sujet de leur business qui est au plus mal. Je ne peux que constater : à part moi, y a personne. Bref, c’est la loose comme ça depuis le début de l’année et ça risque de durer.

Avec quelques poignées de nuitées et les aides de l’état auxquelles ils pensaient ne pas avoir droit, ils peuvent survivre encore un an. Après… Je leur ai demandé s’ils avaient un plan B. Ils se résoudront peut-être, la mort dans l’âme, à rejoindre R B n B afin de s’assurer un minimum de revenus. Comment cela ne doit pas être évident d’être forcé de se rallier à l’ennemi ! Manger dans la main de celui qui a tué le business à petit feu bien avant le Covid, je comprends qu’ils en aient lourd sur la patate rien que de l’envisager.

La désertification de ce lieu que j’ai toujours connu fourmillant de monde me fait mal au cœur. Une fois, la cour était tellement remplie de motos et il y avait tellement de bikers agglutinés autour de la grande table de ferme dehors, jonchée de bouteilles de bière, qu’on avait peine à circuler.

Moi, le trip moto et mécaniques en tout genre n’a jamais vraiment été mon dada mais l’ambiance, la convivialité, la passion partagée ont toujours su gagner mon cœur de parfaite néophyte. Alors, même si je faisais un peu semblant je l’avoue, moi aussi je me suis souvent extasiée devant les écrous flambant neufs. La bière aidait beaucoup, il faut bien le dire.

Ça, la bière gratos a toujours été très importante pour Miles. Je me souviens qu’il entassait des douzaines de bouteilles dans une poubelle géante avec des glaçons et invitait ses guests à se servir sans aucune façon, ce dont on ne se privait pas. En général, c’était plié en deux heures.

Et plus tard dans la soirée, on veillait autour de la cheminée et tout le monde se parlait, un verre de calvados à la main. A l’époque, j’étais moins bilingue que je ne le suis aujourd’hui et j’avais du mal avec l’accent so british de certains donc cela donnait lieu à pas mal d’interprétations approximatives de ma part et au final, à de franches rigolades.

Tiens, d’ailleurs, je ne sais pas si c’est l’alcool hier soir ou si c’est moi qui suis rouillée mais je parle anglais en ce moment comme une vache espagnole, selon la fameuse expression qui n’a aucun sens, à mon humble avis. Bref, dès que je veux aligner trois mots, je dois les répéter dans ma tête avant, ce qui n’empêche pas que je les sorte dans le désordre avec une grammaire fantaisiste et un accent mi-bengali, mi-bourguignon qui me colle une honte de lycéenne sous-douée en plein oral d’anglais…

On a papoté comme ça pendant près de deux heures puis Miles a consulté la pendule et s’est exclamé : « 19.00 ! Apéro-time ! Let’s go downtown ! » 

Il est conseiller municipal, autant dire qu’il connaît tout le monde et ce qui ressemblait de prime abord à un petit tour en ville est vite devenu une procession présidentielle avec serrage de louches (virtuel) et grandes tapes dans le dos : « Salut, ça va ? On s’appelle, on se fait un truc bientôt ? Et toi, comment vas-tu ? Ouais, je sais, on en a parlé lors du dernier comité, on se redit ça plus tard, okay ? »

Moi, j’ai suivi comme j’ai pu, déjà chancelante car rien d’autre que du vin dans l’estomac et nous sommes arrivés au pub, pit-stop incontournable dans cette tournée des grands ducs. J’ai bien senti le traquenard mais bon… Résultat : on est repartis deux heures après, ivre morte pour ma part, quasi incapable de marcher droit. On est rentrés, on a enfin mangé un truc puis on a fini le vin jusqu’à point d’heure. D’où la ruche dans mon crâne ce matin. Mais aucun regret. Une belle soirée qui m’a faite beaucoup de bien.

Deux nurofen et un saladier de café plus tard, j’attrape mon sac-à-dos et je file vers la plage. J’ai consulté les horaires de marée et la météo qui annonce de la pluie vers 16.00 : cela me laisse amplement le temps de faire une grande balade les cheveux au vent. Car de marcher en me vidant la tête, c’est un peu le but de ma venue.

Et je ne pouvais pas rêver mieux : le ciel est d’un bleu éclatant, le soleil hardi et le vent pas trop autoritaire… J’ai presque peine à croire que je suis en Normandie, mauvais esprit mis à part. Déjà hier, lorsque je suis arrivée pour faire mon pèlerinage, c’est-à-dire droper ma voiture en haut de Saint-Côme et rejoindre Arromanches en passant par la plage, j’ai bénéficié d’un temps idéal qui ne pouvait qu’augurer d’une belle journée aujourd’hui.

Trop belle, peut-être… J’ai bien pensé au coupe-vent à capuche mais pas au chapeau de soleil. Ce dernier ne tarde donc pas à me rappeler qu’il n’est pas l’ami de ma peau ultra-sensible… Je vais me choper un coup de soleil en Normandie, faut le faire ! Et d’un seul côté, en plus, vu que je marche tout droit vers l’est.

Bref, je parviens tout de même à faire roue-libre dans ma tête. Je regarde la mer au loin dans son habit de jade lumineux, les quelques baigneurs que je trouve bien téméraires, les chars à voile qui virevoltent dans une chorégraphie connue d’eux seuls, les gratteurs de sable qui remplissent frénétiquement leur seau de coques, les chiens qui se roulent dans le varech au grand dam de leurs maîtres qui les houspillent sans ménagement, les tracteurs qui charrient leurs immenses casiers d’huîtres, les mouettes alanguies au soleil qui s’éparpillent en grappes dès que j’approche…

La vie d’une petite plage normande par un jour de grand beau.

Ce qui risque de changer dans peu de temps… Je regarde à l’ouest les nuages s’amonceler doucement mais sûrement, alors je décide de faire une pause après deux bonnes heures de marche. Je rebrousserai chemin ensuite et avec un peu de chance, je serai de retour avant l’ondée annoncée.

Ainsi, seule au monde sur mon bout de rocher, je grignote mes chips et j’écris. Le silence est complet, tout s’est tu, les mouettes, les tracteurs… Serait-ce le calme avant la tempête ou juste la pause-déjeuner ?

Je repense à ma dernière venue dans le coin il y a un an avec Maman. Un mois avant qu’elle n’aille à l’hôpital. On avait fermé le restaurant quatre jours au 15 août, d’où cette petite escapade bienvenue dans le stress tumultueux de ma vie d’alors. Maman était déjà bien fatiguée mais encore relativement vaillante. Elle m’avait même accompagnée pour mon pèlerinage Saint-Côme/Arromanches par la plage !

Tant de choses ont changé depuis. Une année de chamboulement total, de séismes en tout genre, de remises en question sans épilogues. Une année à laquelle j’ai bien cru que je n’allais pas survivre. Mais quand je viens ici, cela remet mes pendules à l’heure et recharge mes batteries raplapla. Et dieu sait si j’en avais besoin !

Je ne sais pas pour autant ce que je vais faire de ma vie, ce que je vais devenir mais ce temps d’arrêt à laisser reposer les sédiments de la mare boueuse qu’est ma vie en ce moment, est fondamental pour y voir plus clair.

Bref. Je suis bien. Je pourrais rester là une éternité. Mais le gros nuage au-dessus de moi coupe court à mes rêveries avec ces quelques gouttes qui me font prestement déguerpir. 14.00, deux heures en avance sur ce qu’ils avaient annoncé, damned !

Donc, me voilà en train de pester mes beaux diables tandis que j’allonge le pas car les gouttes se resserrent. J’enfile ma capuche fissa en priant que cela se clairseme car mon port d’arrivée est bien loin sur l’horizon.

En fait, je prends une de ces chablées sur le nez ! Une pluie battante, bien lourde, en quelques minutes, je suis trempée jusqu’au soutien-gorge. L’avantage, mouillée pour mouillée, c’est que j’y vais gaiement dans les ruisseaux !

Je reviens donc dégoulinante chez Miles et Joan qui se moquent gentiment de ma mine piteuse mais qui finissent par avoir pitié en me proposant un thé bien chaud pour me réchauffer. Ah ça, c’est la Normandie comme je la connais ! La prochaine fois, j’amène le ciré et les cuissardes de pêche !

Vendredi 28 août 2020

16 ans que j’aime le Normandy Beach. Découvert un peu par hasard alors qu’il venait tout juste d’ouvrir. J’ai toujours préféré les chambres d’hôtes aux hôtels classiques, c’est plus convivial, et là, j’ai été plus que ravie, instantanément conquise. A l’époque, ils avaient trois chambres de refaites en haut de la grange et attaquaient la rénovation d’une quatrième. La cinquième, celle où je suis, a été refaite bien plus tard. C’est ma préférée, avec ses murs aux pierres d’époque et son petit air de cottage. Au rez de jardin, attenante au corps principal de la ferme, avec ma voiture garée juste devant, j’ai l’impression d’être dans un motel.

J’étais là d’ailleurs, le jour où ils ont dégagé les moellons de cet ancien grenier à grains. J’étais attablée au petit-déjeuner devant mon porridge assaisonné de whisky lorsque j’ai vu passer Miles avec une tasse de café et un grand verre de calva dans les mains. Devant mon œil interrogateur, il s’est exclamé : « C’est pour l’arpète, le jeune qui m’aide aux travaux, sinon, il avance pas ! »

Un grand moment. Comme tous ceux que j’ai passé ici.

J’avais prévu de repartir juste après le petit-déjeuner. Mais on recommence à papoter à propos de leur business et cela se transforme naturellement en un véritable brainstorming sur le sujet ‘The after-Covid big revival’. Du coup, je reste à déjeuner.

Cela m’apparaît soudain très clairement : mon business à moi est mort et il n’y a plus rien que je puisse faire mais si je peux aider à faire revivre le Normandy Beach, c’est ce que je vais m’attacher à faire dès aujourd’hui.

Je me sens presque investie d’une mission. Un milliard d’idées et de grands plans jaillissent dans mon esprit, tout s’imbrique alors très logiquement dans un dynamisme que je n’avais pas ressenti depuis très longtemps. Et comme c’est communicatif, Miles en est tout requinqué et c’est avec un large sourire qu’il me nomme alors sa ‘Business Revival Consultant’ HAHAHA !!!

Et même dans la voiture sur la route du retour que je ne vois pas passer donc, je cogite. C’est peut-être ma voie ? Je vais faire ça bénévolement bien sûr pour Miles et Joan et si cela marche, je peux me lancer par la suite ? En tout cas, c’est le premier truc qui m’emballe à ce point depuis un sacré bail. Je ressens une énergie, un enthousiasme débordant et au-delà de ça, je suis sûre de moi car j’ai l’intime conviction de savoir ce que je fais.

Comme une évidence. “THE NORMANDY BEACH : THE PLACE TO B n’ B”

And to be reborn, as I just have.

www.normandybeach.co.uk

FLOP FLOP

« J’en ai assez, je ne mange plus pour mourir plus vite. Dis, ma chérie, tu récupéreras ma bague quand je serai partie, hein ? »

Hier à l’EHPAD, assise au bord de son lit au matelas autogonflant, j’ai eu un mal fou à retenir mes larmes. Et l’infirmière n’a pu que confirmer son état mental déplorable.

 

Mardi 25 août 2020

Hier donc, Toto et moi lui avons amené ses dernières affaires, c’est-à-dire trois cartons de linge, ses cadres-photo et une étagère pour les mettre dessus. Le reste de ses meubles est resté chez Toto car cela n’a plus d’importance pour elle, comme tout le reste d’ailleurs.

Pourtant, lorsque je suis venue jeudi dernier la voir, elle n’allait pas trop mal. A part qu’elle commence à vraiment perdre la mémoire, parfois, elle reconnaît à peine les gens, comme son petit-fils… Moi, avec ma tête, elle arrive à me remettre sans difficultés mais ce n’est pas facile, j’imagine, pour ceux qu’elle fixe d’un regard amorphe sans pouvoir dire leur prénom…

Elle commence aussi à avoir des hallucinations et des délires récurrents. Elle a des bleus sur les bras causés par les multiples prises de sang et son hémophilie mais pour elle, c’est le résultat d’une ‘agression’ par de jeunes voyous qui auraient pénétré dans sa chambre tandis qu’elle était en train de retirer de l’espèce au distributeur… Ça me rappelle quand mon père a commencé à perdre la boule et qu’il voyait la nuit ‘l’amant’ de Maman monter dans la chambre de cette dernière. Il se mettait alors à hurler et à la traiter de tous les noms, moi pareil car il me pensait complice…

Bref. Jeudi, cela a choqué Tonton avec lequel on a fait un co-voiturage depuis Paris. Il a encore une pêche remarquable pour ses 81 ans qu’il ne fait pas du tout. Mais en sortant de l’EHPAD, je l’ai vu accuser le coup et l’immense chagrin qu’il devait ressentir est alors venu déposer sa créance d’ombres sur son visage…

Du coup, j’ai eu de la peine aussi pour lui et j’ai soudainement réalisé son âge. Comme je n’ai plus aucun tabou sur le sujet, je lui ai demandé ce qu’il avait prévu pour ses obsèques à lui. Il m’a répondu « Rien » et qu’il s’en foutait royalement. J’ai acquiescé mais lui ai glissé cependant que c’était important pour ceux qui restaient parce que lorsque cela arrive, on a tellement autre chose à penser qu’à deviner des dernières volontés qui n’ont pas été établies. Un petit plan obsèques est vraiment un confort d’esprit pour tout le monde.

Donc, je lui ai recommandé de laisser au moins un écrit disant qu’il s’en remettait complètement à Tata, ce qui a semblé faire sens. Puis, il m’a faite rire lorsqu’il m’a dit qu’il hésitait pour la crémation car il ne trouvait pas cela écologique, avec toute la dépense d’énergie et les rejets dans l’atmosphère… Ha ha ha, sacré Tonton, militant jusqu’au bout !

 

J’ai fait les changements d’adresse de Maman. Pragmatiquement, pas de souci, moralement… J’avoue que j’ai eu du mal à m’y faire. Comme de voir ses dernières affaires dans le sas de décontamination de l’EHPAD. La boucle est bouclée, c’est un chapitre qui se clôt pour moi mais je n’en ressens aucun soulagement. Ça me fait même un mal de chien.

Je repense à Mimine qui me disait en avril que je devais profiter de ces derniers instants avec ma mère, que même si à l’époque je ne la supportais plus et attendais son placement en EHPAD avec impatience, j’allais le regretter. Je crois bien qu’elle avait raison et que ce sont ces regrets qui me bouffent de l’intérieur.

A l’époque, je n’étais que colère et parfaitement incapable de repenser aux bons moments avec elle. Je ne faisais que de lui crier dessus, excédée, alors que ce n’était pas de sa faute. Elle était en fin de vie et je l’ai maltraitée. Je m’en veux tellement !

Aujourd’hui, ce qui me vient à l’esprit, ce sont justement tous ces moments de bonheur que j’ai partagés avec elle, tous les bons souvenirs, tout ce dont j’aurais dû profiter quand il était encore temps. Je regrette à un point !

Je me sens minable au plus profond de moi. A tel point que je ne sais pas si j’aurais un jour le courage de lui demander pardon. Punaise que c’est dur ! Si c’est ma punition, me voilà bien punie.

 

Sinon, samedi j’ai bien revu les enfants de Kevin comme c’était prévu. Ça m’a fait plaisir et peine en même temps. Plaisir de les revoir bien grandis, égal à eux-mêmes et de constater qu’ils ne m’ont pas rayée de leur cœur. Mais peine de ne pouvoir les serrer dans mes bras et une immense nostalgie de repenser au temps où je m’occupais d’eux comme une deuxième maman.

Ils m’ont manqué, ils me manquent encore aujourd’hui d’une certaine façon. Car j’ai toujours été naturellement maternelle, une vraie louve, malgré ou à cause du fait que je n’ai pas d’enfants à moi, je ne sais pas trop. Là, je me suis réfrénée, je suis restée bien à ma place d’ex-belle-mère et cela m’a renvoyée au marécage d’ex-tout dans lequel je patauge allègrement en ce moment : ex-belle-mère donc, ex tout court, ex-fille aussi, ex-patronne, ex-en pleine forme, je ne suis plus ce que j’ai été mais je ne sais pas pour autant ce que je serai demain…

Apparemment, pas responsable d’épicerie bio-éthique. On ne m’a appelée. Encore une ornière. Donc, me revoilà sur la route de la recherche d’emploi. Mais plus ça va, plus j’ai l’impression qu’elle ne me mènera nulle part. Bref, ça commence à me peser lourdement sur le moral, en plus de tout le reste.

Et hier, dans le village rural où habite Toto, j’ai vu un panneau pour une petite épicerie à créer, une initiative pour dynamiser le village comme il en existe beaucoup en France. On a pris quelques renseignements, le propriétaire est en vacances mais Toto le connaît bien et ira lui parler à son retour.

Il y a apparemment un gros potentiel dans ce village où l’on ne trouve qu’une boîte aux lettres, un café d’arcandiers et un distributeur de pain. C’est, de plus, un axe très fréquenté par les routiers. En faisant une rapide étude de marché avec Toto et ma belle-sœur qui seraient ravis d’avoir un truc de dépannage à proximité sans avoir à prendre la voiture, il s’avère qu’il faudrait faire aussi la livraison des courses à domicile pour les vieux dans la campagne profonde, un point wifi avec peut-être un petit espace salon de thé, vendre des bonbonnes de gaz car, je cite, c’est chiant de se trouver à court le dimanche en début de barbecue familial, le charbon de bois donc aussi, les glaçons, le pastis, le PQ, les Tampax, les cacahuètes, les piles et une tirette à bonbons selon ma nièce.

Pourquoi pas. Partir de Paris commence à devenir une idée de moins en moins saugrenue et quitte à partir, autant rallier la campagne profonde et son calme absolu. Avec le moins de voisins possible. D’ailleurs, lors de mes dernières pérégrinations dans le coin, je suis tombée par hasard sur la maison de mes rêves…

Au détour d’une route étroite à peine goudronnée avec de l’herbe au milieu, nichée au beau milieu d’un bois de noisetiers, j’ai découvert une petite maison biscornue flanquée d’un jardin à l’anglaise qui m’a immédiatement charmée. Un potager, deux poules grassouillettes, un minuscule ruisseau en contrebas et pas une maison alentour. Le nom du bled est écrit sur un bout de bois au début de la route, je trouve d’ailleurs cela un peu étrange de nommer un bled pour une seule maison mais ça me va bien.

Oui, j’avoue, me reclure au fin fond du trou du monde dans cette petite oasis n’est pas pour me déplaire. Alors, c’est vrai, certaines choses me manqueraient certainement, comme d’avoir toutes les commodités à portée de pied, les magasins ouverts jusqu’à 21 heures, la diversité des restaurants… Mais est-ce bien essentiel à mon bonheur aujourd’hui ?

Donc, changer radicalement de vie est peut-être la clé de mon renouveau. Je ne sais pas. Je serai, de plus, près de Toto et de Maman, un rassemblement familial, en quelque sorte. Et un retour aux sources. Je pourrais le voir aussi comme une régression, moi qui me suis sauvée à tire-d’aile de ce trou pourri dès que j’en ai eu l’occasion, mais ma vie dissidente m’ayant bien étrillée, j’ai peut-être besoin de ça maintenant pour me reconstruire.

Quant à ce projet d’épicerie, c’est tentant, même avec la palanquée d’horaires à rallonge qui vont avec ce type de commerce de proximité. Ce qui m’inquiète, en revanche, c’est le corps de ce projet : est-ce une gérance ou ai-je un patron ? Je préfèrerais la deuxième option car cela veut dire que j’aurais une paie et parce que de repiquer sur le patronat ne me dit pas du tout.

Car, si cela ne marche pas, si j’en ai marre et que je veux partir, en cas de gérance, il faudra trouver repreneur, tatati tatata… Bref, c’est un projet auquel je risque de me retrouver encore pieds et poings liés, l’expérience du restaurant m’a tellement traumatisée que je ne suis pas sûre de vouloir refaire la même de mon escient.

D’ailleurs, le mail ce matin du liquidateur judiciaire ne fait que me conforter dans mon aversion. Pour faire court, les 60.000 balles pour le rachat du fonds couvrant tout juste les dettes privilégiées, il ne restera rien pour la banque qui se rappellera alors à notre bon souvenir en activant les cautions solidaires en fin de balance des comptes passif-actif, on va dire en janvier prochain. Techniquement, je suis encore la Présidente de ma S.A.S. qui n’est toujours pas liquidée et je trouve hilarant d’absurdité qu’on vienne réclamer 96.000 balles à une ex-dirigeante qui touche le RSA.

Pareil pour Kevin. Même si lui a retrouvé un emploi, lui réclamer une telle somme est intolérable quand on sait tout ce que lui et moi avons perdu dans cette affaire. C’est pour cela que lorsqu’ils activeront les cautions, on les contestera avec force avocats. Si l’on doit rembourser une dette, ce sera notre dette d’honneur et aucune autre.

En parlant de Kevin, il s’est fait carotté par ses nouveaux patrons, des branquignoles apparemment qui font semblant de ne rien connaître au droit du travail, du coup, il touche bien moins que ce qu’ils lui avaient ‘promis’ pour un job qui s’avère être du caca en barre. Mais il ne peut pas se permettre de démissionner, vu la conjoncture, un job alimentaire est toujours mieux que pas de job. J’en sais quelque chose.

Bref, ça m’amène à penser que je devais être, moi, un ovni, l’exception qui a fait mentir la règle des patrons foireux car une de mes priorités alors a toujours été de payer mon personnel à sa juste valeur en temps et en heure, même dans la bérézina.

Je ne comprenais pas, en genèse de projet, lorsque certains me disaient « T’es obligée de magouiller, tu ne peux pas t’en sortir sinon. Et mets un maximum de cash dans ta poche pendant que tu le peux car lorsque tu n’auras plus rien, personne ne t’aidera. »

Je trouvais cela bien amer et j’ai voulu démontrer qu’en étant réglo d’un bout à l’autre, on pouvait quand même réussir. Qu’est-ce que j’ai pu être naïve ! Et ça me fait peine de me dire que si j’avais fait plein de black, si j’avais magouillé, sous-payé, pas déclaré, détourné, peut-être qu’aujourd’hui, le restaurant serait encore debout.

Être un patron accompli, c’est ne pas être idéaliste.

 

Bref. Je suis à nouveau sapée et j’ai grand besoin de m’aérer les idées. Alors demain, je vais revoir ma Normandie.

DENOUAGE de PELOTE ?

–  Tu es sur Paris ?

–  Oui. Mais dans quelques temps, je te répondrai peut-être non.

–  Tu m’invites à dîner ?

Walter hier. Branle-bas de combat. Qu’est-ce que je vais faire à manger ? Qu’est-ce que je vais porter ? Qu’est-ce que je vais lui dire ? Bref, j’y ai cru jusqu’à 21.26. Enfin, cru… j’ai simplement espéré qu’il n’annule pas encore une fois. Mais cas de Covid à son bureau et quatorzaine pour lui.

C’est le karma, qu’il dit. Je ne peux qu’agréer.

 

Mardi 18 août 2020

Je ne suis pas triste, ni même surprise, je m’y attendais en quelque sorte. Je suis juste déçue que cet ouragan qui a ouvert la porte de ma grotte n’ait été en fait qu’un simple coup de vent qui s’est carapaté en refermant derrière lui. Pas complètement, toutefois…

Car s’est engouffrée avec lui l’opportunité d’un job : responsable de boutique, une épicerie qui revend direct du producteur en circuit court. C’est un ancien collègue de mon temps dans les télécom qui a relayé une annonce sur Facebook. Lui aussi s’est reconverti après avoir bien galéré comme moi pour retrouver un job.

Alors, ce n’est le job de mes rêves mais cela a l’avantage de porter des valeurs que je partage entièrement. Ils ont déjà deux boutiques dans Paris qui fonctionnent tellement bien qu’ils souhaitent en ouvrir une troisième dans le XIème, d’où le recrutement. 35 heures, ambiance sympa, c’est payé des cacahuètes mais ce sera toujours mieux que le RSA que l’on m’a dernièrement accordé. Et surtout, cela me remet le pied à l’étrier.

Car je le sens, l’énergie en moi est revenue. Je me sens mieux. La canicule est repartie, la chape de plomb qui m’enchâssait aussi. C’est vraiment ça, je respire mieux, au sens propre comme au figuré. Et j’ai remis mes sacro-saintes chaussettes !

Bref, j’ai même un planning avec des projets, même si minimes, qui me poussent de l’avant. Ainsi, jeudi je retourne voir Maman, je récupère les papiers d’admission pour faire son changement d’adresse et je prépare ses derniers cartons toujours stockés chez Toto qui est reparti lui en vacances en Normandie jusqu’à samedi. Et lundi prochain, on lui amène à l’EHPAD.

J’ai résilié sa SIM car elle ne sait plus comment se servir de son portable et je lui ai fait mettre une ligne téléphonique directe à laquelle elle parvient tant bien que mal à répondre. Je viens de l’avoir, elle n’allait pas trop mal ce matin et moi, cela me suffit pour que je sois contente. Rien que d’entendre sa voix, ça me fait du bien.

Samedi, je vois Kevin à la Gare de Lyon pour accueillir ses enfants qui viennent enfin le voir pour les vacances. Comme j’ai émis le souhait de les voir un peu moi aussi et que j’ai des papiers pour les impôts à lui faire signer, ce sera l’occasion. Ce n’est pas parce que l’on est séparés, Kevin et moi, que je ne dois plus jamais les voir. Ils ont partagé ma vie pendant près de sept ans et je les ai aimés comme si c’était les miens.

Et puis, la semaine prochaine, probablement mercredi et jeudi, j’irai enfin en Normandie voir mes amis Miles et Joan, ceux avec le Bed & Breakfast que je voulais venir voir en tout début de confinement. Miles est passé à la télé la semaine dernière pour témoigner de sa saison désastreuse : 20 nuitées au total pour cette année et la nouvelle interdiction aux Britanniques de venir en France sonne le glas pour de bon. Ils vont se retrouver sur le carreau comme moi, quelle tristesse ! C’est pour cela que je tiens à les voir.

Enfin, si bien sûr je ne suis pas embauchée d’ici là. J’attends des news au plus tard demain matin pour un éventuel entretien. Allez, allez, j’y crois !

VOS GUEULES, LES MOUETTES !

Silence de plomb dans la rue depuis une dizaine de jours. Le restaurant en dessous est fermé pour les vacances et d’une façon générale, le quartier s’est désertifié. Quel délice, cette tranquillité ! On se croirait revenu au temps du confinement. A la seule différence qu’aujourd’hui, on n’entend pas un seul chant de piaf. Je crois bien que la canicule les a grillés sur pattes.

 

Vendredi 14 août 2020

Je me délecte de l’air frais qui s’engouffre par les fenêtres grandes ouvertes. La météo annonce pour les jours prochains de la pluie mais surtout des températures en baisse drastique. Je ne sais pas si je dois me réjouir de ressortir mon pyjama et mes chaussettes mais je dois reconnaître que le bon cul gelé d’animal à sang froid que je suis a hâte de retrouver la chaleur de son pilou.

Paradoxal. Je suis frileuse mais je déteste la chaleur que je ne maîtrise pas. Et de repenser à ces derniers jours à mariner à 32° dans le noir et à suer par tous les pores de la peau en restant parfaitement immobile, le ventilo si près de moi que si j’avais eu des poils, il m’aurait épilée en un rien de temps, bah j’en étouffe encore. Moi qui me pensais dénuée de glandes sudoripares, j’ai dû me rendre à l’évidence : je suis un mammifère comme les autres.

 

L’hôpital d’Auxerre a rapatrié Maman sur l’EHPAD hier après-midi. Son épisode aigu a été maîtrisé, suffisamment en tout cas pour qu’elle sorte. Je me prépare à prendre la route et aller la voir avec Toto. Je ne l’ai pas vue depuis deux semaines. Depuis le jour où je l’ai amenée avec son baluchon, comme on dépose son chat incontinent à la SPA.

Bref, ça me fait bizarre de m’habiller et de mettre autre chose que des tongs à mes pieds. Une semaine que je n’ai pas mis le nez dehors, tout juste un saut de trois minutes pour descendre la poubelle. Je m’auto-confine par choix. De toute façon, l’ambiance Sahara dehors n’invitait pas à la promenade.

Sur la route, j’ai le malheur de mettre la radio. L’obligation du port du masque mais dans certaines rues seulement, l’agression d’une infirmière dans un bus alors qu’elle faisait remarquer justement cette obligation à de jeunes merdeux, ce qu’ils appellent l’ensauvagement de la société…

Je le dis et le redis : vous n’arriverez à rien avec votre politique à tâtons, il faut du martial, maintenant. Imposez ce masque PARTOUT sans aucune exception, point-barre ! Et passez l’amende à 1 000 balles avec la prison en cas de récidive, ça fera réfléchir les « Laissez-moi respirer » et les « Je ne suis pas malade donc pas contaminant »

Créez des emplois avec des milices dédiées au contrôle du port du masque, filez-leur des tasers aussi, pour éviter qu’ils se fassent tabasser à faire leur boulot. Ça donnera certainement une ambiance dans la rue de fin du monde mais c’est bien cela qui arrivera si l’on ne fait rien de concret pour enrayer ce virus.

Virus qui, cela dit en passant, devait disparaître avec la chaleur de l’été… On voit bien qu’on ne sait toujours rien sur lui mais son imprévisibilité, au lieu de vous pousser à prendre enfin des mesures radicales et non plus des pseudos principes de précaution, vous font errer dans un champ de doutes et d’hésitations.

Oh, la navigation à vue, c’est terminé !!! Regardez ailleurs comment ça se passe et copiez-collez. L’Italie, notamment : le masque est obligatoire partout en dehors de chez soi et ils n’ont que 300 contaminations par jour, en France, on en est à 2 700 !!!

 

Derrière mon volant, autant dire que je bouillonne. Et cela enchaîne sur ce que j’affectionne par-dessus tout en ce moment : les conseils d’experts. Leur nouveau truc, aujourd’hui, c’est le… frigo. « …Avec la canicule, on ouvre dix fois plus le frigo qu’en temps normal. A chaque ouverture, vous faites entrer de la chaleur dans votre frigo qui doit alors pédaler à fond pour refaire du froid. Cela l’abîme prématurément donc préservez-le en ne l’ouvrant que si nécessaire… »

Bah oui, la clim et le ventilo propagateurs du Covid, ça n’a pas marché. C’était tellement nul d’ailleurs que vous vous êtes publiquement rétractés. Donc, fallait bien trouver autre chose pour que l’on continue de croire que l’on a besoin de vous pour savoir marcher.

Et ce qui fait déborder ma coupe déjà bien pleine, c’est l’annonce que l’Espagne va interdire de fumer dans la rue ainsi que sur les terrasses de café et que la France pense à faire de même : « Il est entendu que tous les fumeurs toussent et donc peuvent plus que les autres projeter le virus. De plus, la fumée de cigarette, très complexe, pourrait bien elle aussi véhiculer le Covid, donc par principe de précaution… »

Ah bon. Y a cinq mois, c’est tout juste si on n’incitait pas à fumer pour se protéger du virus. Vous ne savez rien sur rien, bande de baltringues ! Et c’est encore plus terrifiant de constater que cette course à la débilité, cette inscience affligeante est internationale.

That’s it. Ras le pompon, j’éteins la radio.

 

15.00. Maman est vautrée sur son lit, les yeux hagards, une perf de chlorure de sodium dans le ventre. Elle peine à me reconnaître. La conversation est plus que difficile. On pourrait croire qu’elle est devenue complètement sourde mais je me rends compte qu’en fait, ce sont mes paroles qui ne vont pas jusqu’à son cerveau. Elle me regarde d’un œil absent et en guise de réponse, quelques onomatopées parviennent à sortir de sa bouche.

Je me retiens de fondre en larmes. Qu’est-ce que c’est dur, de la voir comme ça ! Ce n’est pas une surprise mais ce n’est pas plus facile pour autant. Alors, je respire un grand coup dans mon masque et tandis que je lui dis au revoir, elle a comme un sursaut de vivacité et me lance :

–  Avant que tu n’arrives, je planifiais d’aller me promener. Tu veux bien venir avec moi ?

–  On ne peut pas, Maman, tu es re-confinée pour quelques jours.

–  Pourquoi ça ?

–  Parce que tu reviens de l’hôpital. Mais ne t’inquiète pas, je reviens la semaine prochaine, Tonton aussi peut-être et là on pourra te sortir un peu dans le jardin.

–  On pourra aller au restaurant ? Et visiter la campagne ?…

 

23.00. De retour dans mon appartement, je me rends compte que mes fenêtres laissées ouvertes ont à peine réussi à tiédir l’air ambiant. Je jette un œil au thermomètre… 29,5°. Pff ça va prendre au moins un mois avant d’évacuer toute cette chaleur. C’est pas demain la veille que je vais retrouver ma couette chérie.

Et tandis que je fais la crêpe sur mon lit, un coup à l’envers, un coup à l’endroit en attendant que mon somnifère fasse son job, je repense à Maman. Ça me titille encore de la reprendre chez moi. De la savoir là-bas complètement perdue, désorientée, sans personne à ses côtés, ça me fait mal.

Je sais qu’on a pris la bonne décision en la plaçant à l’EHPAD mais c’est plus fort que moi, je me sens minable. Elle vit ses derniers instants et je ne peux pas lui tenir la main.

CANICULE & MUTINERIE

« … La ville de Paris va bientôt imposer le port du masque dans certains espaces publics à l’air libre très fréquentés et cela ne plaît pas du tout aux résidents… »

C’est comme pour l’écologie, on est pour, du moment que l’on ne nous empêche pas d’utiliser notre voiture quand on veut, d’acheter un nouveau portable tous les ans et des fringues pas chères.

Dimanche 9 août 2020

L’ambivalence de la plupart d’entre nous me hérisse le poil. Profondément individualistes, faussement solidaires, vaguement patriotes, on se fédère et on obéit si et seulement si cela ne touche pas à notre pré carré. Car on déteste la privation de libertés. Pas étonnant que les restrictions liées au Covid commencent à taper sur le système.

« Mon masque est dans mon sac car il fait trop chaud ! Là, ce sont les vacances et j’ai envie d’en profiter. Déjà qu’on a été confinés pendant deux mois… »

Tu feras moins ta faraude, ma grande, lorsqu’on sera re-confinés. Au train où vont les choses, dans pas longtemps.

Bref. Moi, ce ne sont pas tant les restrictions et les recommandations en tout genre qui m’insupportent mais la façon dont on essaye de nous les inculquer. On s’adresse à nous comme à des débiles profonds, tout en marchant sur des œufs et en appelant à notre sens civique.

Si la santé publique est en jeu, arrêtez votre marche en crabe, les gars, et imposez, obligez, dictatoriez ! Alors oui, l’économie blablabla… Deux poids, deux mesures. Un peu comme pour le tabac, hein ? Arrêtez de fumer, c’est mauvais pour la santé mais achetez nos cigarettes pour faire rentrer des sous dans les caisses de l’état….

A force d’avoir un pied sur l’accélérateur et l’autre sur le frein, ça n’inspire pas l’adhésion. On en arrive même à soupçonner un complot machiavélique pour nous asservir. Il n’y a qu’à voir les manifestations ‘anti-corona’ qui fleurissent un peu partout dans le monde où le rejet du masque est devenu un geste politique contestataire… Je ne cautionne pas mais je comprends.

Bon, ce n’est pas parce que moi, je respecte les consignes à la lettre que je suis plus civique que les autres. Le masque, la distanciation, le confinement même me vont bien, j’imagine que si cela me soulait, je serais la première à râler.

Mais j’aime pas quand on me parle comme si j’étais neuneu. D’où ma petite révolte du moment. Je supporte de moins en moins quand ils l’ouvrent sur tout à tout bout de champ, comme des pseudos patriarches bienveillants. Tout y passe. Ça fait un bout de temps déjà que je ne regarde plus la télé mais je crois que je vais bientôt aussi boycotter la radio.

« Ne mettez pas la clim ni le ventilo, ça propage le virus. » Ah parce qu’il a des ailes, le corona ?!

« Faites une pause toutes les deux heures sur la route et mangez léger pour éviter la somnolence. Voici nos recettes de déjeuner light… » Sont jamais allés dans un restoroute, eux, où les pommes ne l’emportent jamais contre les sandwiches, les chips et les Snickers.

« Ne vous exposez pas trop au soleil pour éviter les cancers de la peau et mettez de la crème solaire. »    Je croyais que ça polluait la mer ?…

« Soyez bienveillant avec vous-même, pardonnez-vous, chouchoutez-vous car le bien-être est fondamental. » La dépression n’est pas une maladie honteuse.

« … Mangez bio, mangez sain, évitez la viande, les plats préparés, le Mac Do, faites vous-mêmes, modérez l’alcool, buvez dix litres d’eau,  triez vos déchets, apportez vos bocaux pour faire vos courses, traversez dans les clous, respectez les limitations de vitesse, ne faites pas de doigt d’honneur aux radars, mettez une capote, de la crème solaire donc et ne dites pas de gros mots… »  TA GUEULE !!!

 

En revanche, je n’entends jamais : « Ne jetez rien sur la voie publique, dans la mer, sur les petits chemins de randonnée et gardez vos ordures dans votre poche jusqu’à temps de trouver une poubelle, n’abandonnez pas votre chien sur le bord de l’autoroute, encore moins votre mémé, et ne jetez pas votre tortue de Floride dans les toilettes, bande de gros dégueulasses !!! »

Parce que moi, l’écologie, c’est mon dada. Une prise de conscience que j’ai eue en 2009. A l’époque, je bossais dans une boîte de télécom et réseaux avec un trajet quotidien en voiture de deux heures aller et retour. Un soir en rentrant, j’étais dans ma voiture en plein bouchon et l’absurdité de ma vie m’est apparue clairement : le carbone que j’émettais chaque jour toute seule dans ma voiture pour apporter ma pierre à l’édifice de la consommation ultra-polluante, valait-il que je rabroue les convictions qui grandissaient alors en moi ?

Tout ça pour payer des crédits et des taxes à gogo et avoir l’illusion d’être propriétaire de quatre murs. Comme si l’on pouvait posséder la terre. Je préfère payer un droit de vivre plutôt qu’une foncière pour des cailloux sur lesquels je n’ai aucun droit.

Bref, je me suis donné bonne conscience alors avec une chaudière à condensation et des plants de tomates bio sur mon toit-terrasse puis j’ai continué lâchement ma petite vie. Parce que de vivre en marge et à l’envers de la société s’est avéré être un choix trop difficile à faire à ce moment-là. Même aujourd’hui, j’ai un loyer à payer et un monceau de dettes.

Et au-delà de ça, serais-je capable de plaquer ma petite vie de consommation pour vivre dans une cabane au fin fond des bois ? Bon, si ça se trouve, dans quelques temps, j’aurai enfin l’empreinte carbone proche du zéro dont je rêve quand je serai à la rue à dormir sur des cartons et à recycler le contenu des poubelles de restaurants…

 

On en revient à l’individualisme de tout un chacun. Nos cas de conscience s’effacent très souvent devant la réalité quotidienne. C’est d’autant plus le cas lorsqu’on a des enfants. Car il faut alors transmettre quelque chose qui nous survive, un héritage. En général, c’est une maison. Que les enfants revendent la plupart du temps car cela ne correspond pas à leur vie du moment.

Peu vivent selon leurs convictions, quel qu’elles soient. Ils passent souvent pour des marginaux fanatiques ou des olibrius qui n’ont pas la lumière à tous les étages. Publiquement moqués mais secrètement enviés. C’est extrêmement dur de faire des choix de vie radicaux pour aider une cause plus grande que nous, en espérant que notre exemple fasse des émules.

L’être humain cherche le bonheur au travers du confort et vice-versa. Ses valeurs sont celles qu’on lui a transmises, ou pas, et qu’il transmettra à son tour, ou pas : faire des études, trouver un boulot, se marier, avoir des enfants, acheter une maison, attendre la retraite et mourir avec le contentement d’avoir réussi sa vie.

C’est simple, censé et légitime mais immanquablement nombriliste. Et l’on erre tous comme ça dans nos bulles individuelles sans autre but que de produire d’autres petites bulles qui a leur tour ne se poseront pas plus de questions existentielles que leurs parents.

On se soucie très peu de notre destin commun. On se contente de faire ce qu’on peut à son petit niveau. On sait bien que ce n’est qu’une gouttelette dans l’océan mais on s’endort le soir en se disant que 7,8 milliards de gouttelettes vont bien finir par faire un océan.

Moi, ma conscience aigüe de la cause écologique mondiale n’a d’équivalent que ma lâcheté à ne pas faire plus que la plupart des gens. Je trie méticuleusement mes déchets, je n’achète plus ou très rarement de bouteilles plastiques, auquel cas je les écrase bien dans le sens de la hauteur, je ne jette même pas un mégot par terre et je fais les gros yeux à ceux qui jettent leur merde devant moi.

A la maison, j’ai des multiprises à interrupteur, des ampoules basse consommation, de l’électroménager AA+, je prends deux bains par an, très peu ma voiture, plutôt le métro ou mes pieds pour me déplacer et j’envisage sérieusement de ne plus jamais prendre l’avion.

D’autre part, je bataille du mieux que je peux pour faire comprendre autour de moi qu’il ne faut pas confondre bio et écolo. Le bio, c’est préférer se faire du bien plutôt que de faire du bien à la planète. Donc, moi, le bio, je m’en tape sauf si c’est local, français au moins. Les pommes bio du Chili, non merci.

Je lis attentivement les étiquettes. Mes bêtes noires étant l’huile de palme et le soja brésilien qui génèrent la déforestation forcenée, j’ai arrêté les Curly sans aucun regret. Et les M&M’s. Et les Häagen Dazs. De toute façon, je suis au régime.

Cela fait très longtemps aussi que je ne consomme que des produits de saison : les fraises en décembre, quelle honte ! Pas de viande, pas de poisson à cause de mes allergies mais si je pouvais en remanger, j’irais certainement à la ferme et à la pêche.

Bref, je me force à espérer que les choses changent à grande échelle et que les pouvoirs publics vont enfin faire de l’écologie leur priorité absolue sans plus aucune compromission que ce soit. Mais c’est pas gagné.

Quand on voit le ridicule de notre parc éolien et solaire, par exemple : c’est chouette, l’énergie propre mais pas dans mon champ, s’il vous plaît… Bah réquisitionnez et pis c’est tout. Et mettez le paquet, enfin, pour le développement des autres alternatives au carboné et pétrolifère. L’économie est moribonde ? C’est le moment ou jamais d’en créer une nouvelle.

Quand on voit les limitations de vitesse pour cause de pollution de l’air respectées par à peu près 10% des automobilistes, on se demande pourquoi vous perdez votre temps en incitations molles du string alors que vous savez très bien que seules la répression et l’atteinte au portefeuille pourront faire changer les mentalités. Là aussi, vous devriez taper du poing sur la table.

Ou mettre un mouchard dans tous les véhicules qui bornerait aux panneaux de limitations de vitesse connectés : à chaque dépassement, ça déclencherait l’envoi automatique d’un PV au propriétaire du véhicule. Ce mouchard serait imposé par les assurances, un peu comme les détecteurs de fumées dans les habitations.

Moi la première, j’ai eu du mal à me faire une raison mais si j’avais pris une prune à chacun de mes excès de vitesse, ça m’aurait calmée de suite. En fait, j’ai fini par me dire que je ne pouvais pas tenir un discours écologique et faire le contraire quand ça m’arrangeait. J’ai décidé alors de me ranger et de respecter les limitations, celles à cause de la pollution, du moins. Donc dernièrement, c’était 110 sur autoroute tout du long et un seul petit appel de phares derrière un lambinard sur la voie de gauche. J’étais fière de moi.

Cette idée de mouchard m’a faite repenser à Sean, ingénieur de son métier, auquel je soumettais souvent des idées saugrenues pour sa caution scientifique et technique. Combien de fois l’ai-je harcelé de questions du genre « … Et pourquoi on ne parvient toujours pas à maîtriser la fission nucléaire qui pourrait enfin générer une énergie propre à profusion? Et pourquoi on ne peut pas stocker l’électricité ? Et pourquoi on ne reconstruit pas d’aqueducs pour acheminer le trop plein d’eau des régions du nord vers le sud ? Et où en est-on de la téléportation ? … »

Le pauvre ! Je suis sûre qu’il se souvient encore de mon idée de valise autoportante à localisation GPS et de potager suspendu dans l’air en pleine ville ! A coup sûr, mon idée de mouchard anti-vitesse aurait donné lieu à une discussion des plus prolixes !

 

Ce combat pour le climat n’est gagné nulle part. Et certainement pas aux Etats-Unis. Quand on voit des aberrations comme Las Vegas, cette débauche scandaleuse d’eau et de lumières en plein milieu du désert et d’une façon générale, leur j’m’en-foustisme en matière d’écologie, j’ai beau les aimer de tout mon cœur, je les désapprouve dans les grandes largeurs.

Ils m’ont plus d’une fois choquée, à la Nouvelle-Orleans, notamment : avec 40° degrés ambiants et 80% de taux d’humidité, même la nuit, tous les bars et restaurants de la fameuse Bourbon Street sont climatisés mais les portes grandes ouvertes, donc les compresseurs tournent à plein régime. Quand on sait que les fluides frigorigènes polluent plus que le dioxyde de carbone, on imagine sans mal qu’une seule nuit de la Nouvelle-Orleans peut aisément faire un trou dans la couche d’ozone à elle toute seule.

Et lors de mon séjour de pêche à la mouche dans le Montana, j’avais discuté avec le guide qui se disait ultra-respectueux de la nature. La preuve, on pratiquait ici une pêche dite de no-kill, c’est-à-dire que l’on rejetait le poisson une fois pêché avec des hameçons sans ardillon… Je me suis dit : « Waouh ça, c’est de l’écologie ! Sont super contents à Greenpeace ! »

Bref, il était tout fier de me démontrer l’exemplarité de sa conscience bienveillante de l’environnement mais quand je lui ai demandé quelle était la plus grande source d’énergie aux Etats-Unis, il s’est rembruni et a marmonné un truc du genre « On a plein de charbon, chez nous ».

Je lui ai fait remarquer que c’était un peu polluant quand même et en pleine contradiction avec la préservation de l’environnement chère à son cœur. Il a alors conclu avec un « On aime notre électricité pas chère, j’imagine. » et je n’ai pas insisté. Je l’avais certainement vexé et ça me disait moyen qu’en représailles, il me jette dans la rivière ficelée dans du fil de pêche pour mérou…

 

Et puis, l’ultra consumérisme m’a toujours hérissé le poil. A cause des fringues et des babioles en tout genre qui arrivent de Chine avec une facture carbone aberrante pour de telles futilités, à cause de l’obésité d’internet et de ses data center qui consomment de l’énergie en quantités astronomiques, à cause de l’état qui ferme les yeux sur l’obsolescence programmée par les constructeurs d’équipements, nous forçant à racheter une machine à laver ou un ordi tous les treize mois, une fois que l’on n’est plus sous garantie…

A cause aussi et surtout du recyclage qui, le moins que l’on puisse dire, est loin d’être au point. C’est même terriblement inefficace, servant juste de caution morale aux industriels. Bah oui, ce n’est pas rentable donc à quoi bon se donner les moyens ?

On ne sait/veut pas recycler les minerais des composants électroniques des smartphones et consorts – rien que leur extraction du sous-sol africain génère une pollution monstrueuse et je ne parlerai pas de l’esclavagisme des populations locales qui n’ont pas le choix si elles veulent survivre – alors on préfère les enterrer. Comme ça, on les oublie.

Sans compter les déchets nucléaires. L’Allemagne est championne de l’agriculture bio. Mais sur des sols pollués par des tonnes de déchets toxiques, les nôtres, notamment… Merci Areva ! Quel non-sens !

Dernière infamie qui m’a faite sortir de mes gonds dernièrement : les immenses décharges à ciel ouvert en Asie ! En effet, les sociétés spécialisées ont trouvé plus rentable d’envoyer nos déchets plastiques à l’autre bout du monde plutôt que de les recycler sur place. Sont spécialisées dans quoi, au juste ? Du coup, retour à l’envoyeur. Bien fait. J’espère que maintenant, on va revoir sérieusement notre politique en matière de recyclage et les réduire, peut-être, en mettant en place une consigne, comme pour le verre ?

 

Mais tant qu’il n’y aura pas de réelles volontés de changement en profondeur, juste des mesurettes à deux balles pour nous donner l’illusion qu’on s’en soucie, rien n’avancera concrètement. Aujourd’hui, rien n’incite le plus grand nombre à consommer éco-responsable et bio-équitable car il faut bien le dire : le bio-éco-équitable, c’est cher. Même si cela tend à se démocratiser, seule la catégorie sociale privilégiée dite +++ peut se le permettre tous les jours.

J’ai bien essayé avec le restaurant : circuits courts d’approvisionnement, bio, artisanal et tout le toutim mais j’ai vite déchanté devant l’absence de rentabilité de ce modèle économique. A moins d’augmenter nos tarifs au point de faire fuir les trois quarts de notre clientèle qui pourtant avait les moyens, comme on dit. J’avoue que c’était très utopique de ma part.

Bref. Pour résumer, on est écolo sauf s’il faut se passer de clim lorsqu’il fait 40°, on combat le Covid sauf si cela remet en cause nos vacances à la Baule, on mange bio sauf si c’est trop cher, on attend tout de l’Etat, qu’il nous donne la becquée et qu’il nous torche les fesses, sauf s’il s’adresse à nous comme à des demeurés.

Toutes ces contradictions, que je rêve exogènes, ont trouvé leur point d’orgue récemment lorsque j’ai entendu cette ritournelle, tellement usuelle qu’elle en est devenue un lieu commun :

« Si je gagne au loto, j’arrête de bosser, je place tout et je vis des intérêts. Avec dix-mille euros par mois à vie, c’est chouette. »

C’est un sacré rendement, dis donc ! Tu sais que tu vas placer ton argent dans des sociétés à hauts risques et leur mettre la pression pour exiger une rentabilité qui cartonne ? Les fameux dividendes des actionnaires, ceux qui doivent être versés même si le chiffre d’affaires est bof… Bah c’est possible avec la seule variable d’ajustement qui soit : la masse salariale. Donc, on restructure, on licencie, ça allège les charges et on peut dégager du profit.

Toi, tu touches ton argent mais cela a peut-être mis sur le carreau dix, voire vingt salariés. Tout ce que tu dénonces à longueur d’année quand on annonce un nouveau plan social. Tu deviens tout ce que tu détestes et tu fais aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. Alors, ils sont où, tes idéaux à la Mélenchon, quand tu gagnes au loto, hein ?

« J’ai assez donné, à mon tour d’en profiter »

Et alors ? On oublie ses principes et on ne pense qu’à soi ? L’intégrité ne rime qu’avec pauvreté ? A la limite, je préfère ceux qui claquent tout, façon cigale dispendieuse et inconsciente. Car l’argent rend fou mais c’est mieux que de baisser son froc et de vendre son âme au diable.

Je dis ça, je ne sais pas, moi, ce que je ferais si je gagnais des millions d’un coup. Je me suis bien posé la question et à part « Je tombe dans les pommes », je ne sais vraiment pas quoi répondre. Je ferais probablement comme ceux auxquels je viens de tailler un costard.

Peut-être si, l’envie de faire enfin quelque chose qui compte comme d’acheter une île déserte – si tant est qu’il en existe encore sur cette terre – et d’y fonder une société nouvelle qui s’auto-suffit, une arche de Noë paisible et harmonieuse, un havre de paix apolitique et athéiste. Ah merde, ça s’appelle une secte.

 

Non, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que le monde actuel m’insupporte chaque jour d’avantage. Et je ne dis pas ça parce que je souffre de dépression chronique. C’est justement ce qui me fait sortir de ma léthargie, en ce moment. La mutinerie comme thérapie contre la dépression.

J’étais tellement en rogne, d’ailleurs, qu’en début de semaine, je me suis secoué les puces comme jamais. Je me suis regardée dans le miroir et j’ai trouvé assez satisfaisant les premiers résultats de mon régime sans chips. J’ai alors ressenti une niaque que j’avais oubliée depuis longtemps et j’ai pu pondre une belle lettre de motivation à joindre à mon CV.

C’était en effet ce qui manquait. Jusqu’à lors, quand on me demandait mes motivations, la seule chose qui me venait à l’esprit, c’était « Payer mon loyer ». Bref, je suis un employeur, je m’auto-claque en lisant cela. Non là, j’ai eu l’inspiration. Une chouette lettre à la Yang, sincère et positive. Et convaincante, j’espère bien.

 

18.00. Il fait 30° à mon thermomètre-gekko dans l’entrée. Mes volets et fenêtres sont fermés, les ventilos à fond et j’entame ma quatrième carafe d’eau filtrée de la journée. Lorsque j’entrouvre la fenêtre pour fumer une cigarette, c’est comme si j’ouvrais la porte du four en fonction grill. Du coup, je fume moins.

Il m’en faut beaucoup, pourtant, pour que je passe en mode canicule. Il y a encore trois jours, j’avais ma couette et mon pyjama. Mais aujourd’hui, je reconnais que c’est difficilement tenable. Hier, j’ai pris la route par 40° pour aller voir Maman à l’EHPAD. Ma voiture est climatisée mais le peu que j’ai eu à marcher à l’extérieur m’a littéralement suffoquée. Je crois même que j’ai attrapé un coup de chaleur avec vertiges et nausées.

Bref. Tout ça pour qu’on me dise une fois arrivée à l’EHPAD que je ne pouvais pas la voir car elle venait juste d’être transportée aux urgences ! Dans la nuit, elle a déclaré une forte fièvre et s’est mise à tousser. Gros tintouin avec l’infirmier de garde, le médecin traitant fraîchement appointé par nos soins mais en vacances, d’où les urgences d’Auxerre.

Je ne comprends pas : c’était justement pour éviter cela qu’il y avait une prescription d’hospitalisation à domicile, aucun médecin ne s’est déplacé depuis une semaine alors que c’était un cas à monitorer de très près ?

Ils soupçonnent une nouvelle infection et l’ont remise sous antibio. Une déshydratation aussi. Bah ça, déjà qu’elle ne boit pas en temps normal, par cette canicule, c’était couru. Ça me met un peu en colère, tout ça.

J’ai passé les consignes à mon frère par téléphone, il est rentré de vacances cet après-midi et il sera sur place demain pour sonner les cloches si besoin. Il faut rapatrier Maman à l’EHPAD et mettre en place cette fichue HAD car il n’est pas question qu’elle crève à l’hôpital sans qu’on puisse la voir.

Pourtant, elle allait bien, cette semaine. J’ai réussi à l’avoir sur son portable presqu’à chaque fois. Elle avait l’air de s’acclimater. Elle me disait qu’on l’aidait beaucoup plus qu’à l’hôpital pour faire sa toilette, que la bouffe était mangeable et qu’elle dormait bien dans son lit. Elle n’avait qu’une hâte, c’était de sortir pour voir la campagne aux environs.

J’étais contente, je me suis même surprise à espérer. Et à tirer des plans sur la comète, comme de lui organiser un petit pique-nique goûter dans le jardin après une jolie balade en fauteuil roulant.

Et hier, patatras, tout s’est écroulé et le spectre de sa mort imminente est revenu rôder dans mes pensées. Moi qui avais repris un semblant de goût à la vie cette semaine, je me suis faite bien mal aux fesses en retombant au fond de mon puits.

Un aller-retour pour rien. Une facture carbone bien inutile.

QR CODE

« Bonsoir, messieurs dames, vous pouvez consulter notre carte en scannant le QR Code que voici, je reviens dans un instant prendre votre commande. »

Je tâte, dépitée, mon téléphone préhistorique dans mon sac mais je finis par remonter le menton d’un air bravache et demander à la cantonade si quelqu’un veut bien me faire la lecture. Si j’étais venue dans ce restau avec ma mère, bah on serait reparties.

 

Lundi 3 août 2020

Réunion du Scoobigang samedi soir, sur la terrasse de ce restaurant ultra-moderne, donc. Ça faisait un bail ! Andrew, Mimine et Timothy ont répondu comme un seul homme à mon signal de détresse où j’indiquais vouloir entrouvrir la porte de la grotte dans laquelle je me suis sordidement refugiée depuis trop longtemps, maintenant.

La soirée sous l’étendard « Il faut sauver Bichette » aurait pu consister en un étrillage en bonne et due forme mais les bien meilleures armes que sont le rire et la dérision ont été préférées. Ainsi, pas d’inquisition moralisatrice, pas de sonnage de cloches, pas de bourrage de mou à coups de mantras.

Et c’était ce qu’il me fallait. Car j’en ai un peu marre, en ce moment, qu’on me dise ce que je dois faire, pas faire et d’une façon générale, marre du gouvernement et de ce bataillon d’experts sermonneurs qui ramènent leur fraise à propos de tout. Un salmigondis de recommandations infantilisantes au possible. Ils vont bientôt nous dire comment chier, comment clamser, comment dire des insanités sans passer pour l’antéchrist. Bref, je suis un bon soldat dans l’âme mais là, ras le pompon.

Ma petite rébellion pourrait augurer d’une première marche gravie dans mon processus de sortie de grotte. Peut-être. Mais bon, j’ai entrouvert la porte, certes, mais c’était parce que cela sentait le moisi et que j’avais besoin d’oxygène.

Et ce grand bol d’air, le Scoobigang me l’a apporté sur un plateau, en même temps que ma burrata à la truffe et de multiples verres de Crozes-Hermitage. Un moment d’un réconfort inouï qui m’a rabibochée avec le monde des vivants. La légitimité d’être à ma place, d’appartenir à un tout.

C’est rassurant de constater que certaines choses ne changent pas, que l’amitié, même en pointillés, ne perd pas une once de sa valeur et de sa force lorsqu’on se regarde dans les yeux et que l’on éclate de rire à l’unisson.

C’est revigorant aussi de remarquer que d’autres choses peuvent changer et que ce n’est pas la fin du monde pour autant. Mimine a eu un coup de blues. Elle qui d’habitude est un monument de retenue, d’une placidité inébranlable, s’est enfuie à un moment donné pour cacher son émotion, après un échange de propos qui n’avaient malheureusement pas ce but-là quand ils ont éclos.

Je l’ai rejointe, elle s’est confiée. Je me suis bien gardée de lui faire ce que je déteste qu’on me fasse, c’est-à-dire de la gaver de conseils aussi creux que vains. Je l’ai simplement prise dans mes bras – fuck le Covid – et je lui ai dit qu’elle avait de la chance de ne pas être blasée comme moi. Son émotion m’a touchée et je l’ai trouvée belle dans ce nouvel apparat.

–  Je me sens nulle. Comparé à ce que tu vis en ce moment, j’ai honte de m’apitoyer sur mon sort…

–  La douleur ne se compare pas : quand ça fait mal, ça fait mal, point !

–  Mais on était censés ce soir te remonter le moral à toi, pas à moi…

–  Billevesées ! Allez, je sais que tu es forte, tu sauras retrouver ton chemin. En attendant, ma copine, on se fait l’after chez moi ?

After qui s’est terminé aux premières lueurs du jour. Comme au bon vieux temps ! Ainsi, rires, chants et chorégraphies improbables, gnôle débusquée au fin fond d’un placard, petit frichti improvisé à cinq heures du mat par Timothy, dépité de prime abord par le dénuement du contenu de mon frigo – bah oui, c’est frugal, une végétarienne au régime – et l’on s’est quittés à force embrassades – re-fuck le Covid – non sans s’être copieusement promis de se refaire ça dès que.

J’ai alors dormi deux petites heures, pas plus car j’étais un vrai ressort dans le lit. Etonnamment en forme, j’en ai profité pour faire mon ménage. Puis, la flemme. Pas de step, pas d’abdos, je suis restée en boule devant la télé pendant près de douze heures d’affilée. Et en y repensant, je n’ai que ces mots :

Ça fait du bien de revoir ses amis.

Ça fait du bien de rire.

Ça fait du bien de raconter des conneries.

Ça fait du bien de mettre des sandales à talons et de marcher comme une fille.

Ça fait du bien d’avoir des ampoules aux deux pieds.

Ça fait du bien d’avoir une mini-gueule de bois.

Ça fait du bien de nettoyer après une grosse soirée, ça prouve qu’il y a eu de la vie dans cet appartement-témoin.

SUR LA ROUTE DES VACANCES… OU PAS

–  Ça te plaît ici, Maman ?

–  Oui mais je ne sais pas où je vais ensuite.

–  Nulle part, tu es à l’EHPAD maintenant.

–  Mais après, je vais où ?

Je me mords les lèvres pour ne pas lui répondre du tac-au-tac « au cimetière », ce qui sans nul doute la ferait rire, car je repense au sermon de Tonton qui m’a enjointe ce matin d’y aller mollo avec elle…

 

Vendredi 31 juillet 2020

40 degrés ambiants, soleil au zénith et bouchons des départs en vacances : décidément, pas le bon jour pour le transfert de l’hôpital à l’EHPAD ! Heureusement que l’ambulance est climatisée !

Sur place, Maman sur son brancard, est accueillie dans le sas de décontamination par le CDC, ou équivalent : ils lui sautent dessus, l’emmaillotent dans une sur-blouse, lui collent une charlotte sur la tête, sur les pieds, gants, masque, il ne reste que les yeux qui ne soient pas emballés. Vu la chaleur, je n’ose pas imaginer ce qu’elle doit endurer.

Je lui fais coucou de la main puis ils l’emmènent prestement au loin. Je pose dans le sas son sac d’affaires, son rollator et sa canne qui doivent être décontaminés eux aussi, puis je me dirige vers l’accueil. J’essaye, du moins : je n’ai pas fait un pas et demi que l’on me crie « Halte ! » et qu’un essaim de petites mains s’affairent autour de moi. A mon tour, me voilà sous blister de la tête aux pieds et copieusement arrosée de gel hydro-alcoolique. Je me mets alors à cuire à petit feu.

L’équipe soignante vient me poser des questions, j’attends les papiers d’arrivée. J’aimerais bien aussi voir Maman dans sa chambre. Ils sont en train, apparemment, de la doucher. Alors, je patiente comme je peux, thermostat 12 fonction pyrolyse puis enfin, je peux monter la voir. Une demi-heure max et en ressortant, je dois mettre mon costume de saucisse grillée dans la poubelle jaune et en remettre une autre toute neuve pour reprendre l’ascenseur et traverser le hall d’entrée.

Ils rigolent pas ici, avec le Covid. C’est rassurant, j’imagine. Oui, je sais, il faut dire LA Covid mais je trouve discriminant de mettre au féminin toutes les catastrophes de la terre : les tempêtes, les tornades, les épidémies, les sept plaies d’Egypte… Donc moi je dis LE Covid.

Et tandis que je remonte dans le sauna de ma voiture sur le parking à peine ombragé, je revois le visage famélique de Maman sur lequel j’ai pu lire un début de panique lorsque je lui ai dit au-revoir. Je m’écroule en larmes. Je devrais me sentir soulagée mais j’ai le cœur tellement serré que j’en étouffe. J’ai l’impression de l’abandonner, comme si je l’avais attachée à un arbre sur le bord de la route.

« Tiens bon, ma petite maman, encore un peu, d’accord ? Tu es fatiguée, je sais, mais on a encore besoin de toi… Ils vont prendre bien soin de toi, ne t’inquiète pas. Et je reviens vite te voir. »

Samedi prochain. J’espère qu’elle va tenir mais cela a l’air fortement improbable. Ça s’entend à sa voix d’outre-tombe, à son élocution plus que difficile, ça se voit à ses yeux éteints et à son corps recroquevillé comme une feuille fanée, ça se sent même avec une légère odeur de formol qui suinte de sa peau…

Je chasse ces visions d’horreur d’un revers de main, je sèche mes larmes et je reprends la route pour aller chez Toto. Je passe la nuit chez lui car ils annoncent des orages violents avec des grêlons comme des balles de golf et je n’ai ni l’envie ni la force de tenter le Trophée Andros sur l’autoroute ce soir.

Et dans la touffeur de la nuit, allongée en croix sur le canapé-lit du salon, trois verres de rosé et un somnifère entier dans le coco, je ne dors pas. Je pense à Maman à sept kilomètres à vol d’oiseau, toute proche mais pourtant si loin. Je prie, je pleure. Et je finis par reprendre un somnifère pour m’assommer.

LA PUDEUR DE L’AUTRUCHE

Je me suis toujours demandé pourquoi l’autruche plantait sa tête dans le sable. Par lâcheté ou bien par pudeur ?…

 

Dimanche 26 juillet 2020

Les funérailles hier matin de la mère de ma belle-sœur. Très simples, sans cérémonie, sans un mot et encore moins de chichis. Mais pas moins de larmes. En tout cas, devant la stèle. Ensuite… Bah y avait un ‘pot’ au café du coin qui s’est transformé en apéritif géant.

Et là, j’ai commencé à tiquer. Je m’attendais à un petit rassemblement d’yeux bouffis et de nez qui coulent avec des condoléances de toutes parts mais au lieu de ça, j’ai eu l’impression de me retrouver au beau milieu d’un mariage, d’un anniversaire ou d’un baptême, je crois que peu d’ailleurs auraient fait la différence : plus de larmes mais des rires, des brailleries et des conversations à bâtons rompus sur tous les sujets sauf sur ce qui nous rassemblait, le tout copieusement arrosés de kir, de pastis et de whisky. Bref, j’ai trouvé cela quelque peu surréaliste.

Je connais bien cette communauté rurale, paysanne et bourrue pour y avoir été élevée par une famille elle-même championne du non-dit, allergique à toute démonstration d’émotions. Ici, tout est dans le torse bombé et le verbe haut, très haut. On aboie plus qu’on ne mord, cependant, malgré le panneau ‘Attention, chien méchant’ que l’on arbore sur le front de façon bravache.

Et bien sûr, on ne montre jamais ses sentiments, sous peu qu’ils ressemblent de près ou de loin à de l’amour, car c’est assimilé à de la faiblesse. Cela ne veut pas dire qu’on n’en éprouve pas, on a même souvent un cœur immense. Mais pour le voir, il faut savoir éviter les pièges à loups, sauter par-dessus les douves infestées d’alligators et défoncer la porte blindée. Les sentiments ici sont farouchement gardés comme un secret d’état.

Je pense plutôt que c’est par peur. Car ce sont pour la plupart de véritables tanks, des bulldozers équipés pour faire face à n’importe quelle agression extérieure mais si la menace vient de l’intérieur, ils ne savent pas comment réagir. Cela les déstabilise tellement qu’ils planquent tout au fin fond d’eux-mêmes et qu’ils jettent la clef. Et ils font comme si de rien n’était. D’où mon interrogation à propos de l’autruche.

Bref, le seul qui ait fait sens à mes yeux, c’est le frère de ma belle-sœur. Les yeux rougis par le chagrin, il s’est confié lors d’une cigarette partagée sur le trottoir, tout à son émotion mais répétant entre deux sanglots comme un leitmotiv « Je dois être fort »

« Et alors, c’est écrit où ? Tu as le droit de chialer et d’être une merde, tu viens de perdre ta mère ! Vas-y, le chagrin, ce n’est pas radioactif ! »

J’ai eu besoin de le bousculer et cela a semblé lui faire du bien. Mais ça m’a ramenée à mon propre chagrin, à celui qui emprisonne mon cœur depuis quelques mois et dont j’anticipe l’explosion prochaine. Je me demande comment je serai, moi, aux funérailles de Maman. Droite comme un i dans un carcan de douleur silencieuse ou geyser de larmes intarissable ?…

Une chose est sûre, cependant : devant le silence assourdissant au cimetière devant la tombe de la mère de ma belle-sœur, je sais désormais que moi, je ne laisserai pas partir Maman sans un mot.

BAGUETTE PAS SI MAGIQUE

« Bonjour, votre Maman est stable sur le plan clinique et peut désormais sortir. Que fait-on ? L’EHPAD comme c’était prévu ? Sinon, nous pouvons l’accueillir ici en long séjour. Qu’en pensez-vous ? »

Pas grand-chose, à vrai dire. Je suis désarçonnée. Ce n’est pas évident, pour le paquebot émotionnel que je suis, de braquer à 360 degrés comme ça. Y a un mois, il fallait se préparer à sa mort imminente et aujourd’hui, elle est prête à gambader…

 

Vendredi 24 juillet 2020

C’était complètement inattendu. D’ailleurs, quand j’ai vu s’afficher le numéro de l’hôpital lundi, j’ai cru que c’était pour m’annoncer son décès. Car dimanche lorsque l’on est venus la chercher pour pique-niquer dans le jardin de l’hôpital, on a pensé qu’elle est était morte dans son fauteuil. On l’a trouvée complètement hagarde, les yeux fixes au fond de ses orbites creusées, le teint cireux et baignant les fesses à l’air dans son pipi de la veille. Une vision de cauchemar.

Lors du pique-nique où je lui ai donné carrément la becquée, elle a semblé reprendre un peu vie. Je pense que cela lui fait du bien de nous voir, de voir du monde. Elle a besoin de stimulation sinon, elle se laisse complètement aller : elle ne mange plus, ne se lave plus et elle se fait sur elle. Elle attend la mort, quoi.

Comme il n’existe aucun moyen de savoir combien de temps il lui reste, déjà que c’était inespéré qu’elle soit encore en vie aujourd’hui, ce choix cornélien m’a taraudée pendant deux jours. A priori, plutôt l’EHPAD mais tout ce tremblement pour quelques jours, peut-être quelques semaines, est-ce bien nécessaire ?

Mais l’annonce du coût du long séjour de Sainte Périne a fini par nous décider : ce sera donc bien l’EHPAD à la campagne près de chez Toto comme c’était prévu. Il y aura certainement plus de soins au quotidien, elle ne sera pas seule et peut-être que ce nouvel environnement lui apportera la stimulation nécessaire pour se maintenir encore quelques mois peut-être ?…

J’ai alors déclenché le plan ORSEC pour son transfert à l’EHPAD vendredi prochain. Coordination entre les deux établissements, avec Toto qui part en vacances deux jours après, commande de l’ambulance – à notre charge, bien évidemment parce que le trajet dépasse les 150 kilomètres – et préparation des diverses paperasses.

Mon chant du cygne en la matière.

J’ai encore un peu de mal à lâcher prise, à passer le flambeau, à me faire à l’idée que je ne m’occuperai plus de rien. Je me suis d’ailleurs sentie un peu coupable de démissionner de la sorte. Mais dernièrement, ce que j’ai ressenti n’a fait que me conforter. En effet, je me suis vue agacée, limite en colère avec une patience au ras des pâquerettes, d’où le raccourcissement de mes visites. J’ai bien compris que cela ne servait à rien, que JE ne servais à rien en l’état. C’est clair désormais, je ne peux plus m’occuper de ma mère. Physiquement et moralement.

 

Demain, je vais au cimetière. Ma belle-sœur, la femme de Toto, m’a annoncé lundi que sa mère venait de décéder d’un arrêt cardiaque à 66 ans. C’est la série. Et ça ne va pas m’aider à sortir de mon décor mortifère du moment.

J’ai bien repensé à ma soirée avec Nénette qui m’exhortait à me secouer les puces et à me réinventer une vie. Ça m’a paru très excitant sur l’instant mais j’ai vite déchanté. Définir ce que j’aimerais être et faire de ma vie si j’avais une baguette magique s’est révélé être un exercice impossible pour moi.

Car qu’est-ce que je voudrais être ? Célèbre ? Riche ? Immortelle? Une super-héroïne ? Une sorcière ? Une oie sauvage ? Ou simplement moi en version ‘tout me réussit’ ?

Le croquis d’une telle fiction, mythomane et mégalo, même à vocation thérapeutique, s’est vite coincé au travers de mes neurones. De créer de toutes parts un personnage que je ne suis pas et ne pourrai jamais être, c’est souligner au stabilo toutes mes failles et ma misérabilité.

Alors, je me suis demandé ce qui comptait le plus pour moi et j’en ai déduis que, comme tout un chacun, je voulais juste être heureuse. Mais de savoir que cela ne tenait qu’à moi ne m’a pas aidée.