JOURNAL   Saison 4

VOS GUEULES, LES MOUETTES !

Silence de plomb dans la rue depuis une dizaine de jours. Le restaurant en dessous est fermé pour les vacances et d’une façon générale, le quartier s’est désertifié. Quel délice, cette tranquillité ! On se croirait revenu au temps du confinement. A la seule différence qu’aujourd’hui, on n’entend pas un seul chant de piaf. Je crois bien que la canicule les a grillés sur pattes.

 

Vendredi 14 août 2020

Je me délecte de l’air frais qui s’engouffre par les fenêtres grandes ouvertes. La météo annonce pour les jours prochains de la pluie mais surtout des températures en baisse drastique. Je ne sais pas si je dois me réjouir de ressortir mon pyjama et mes chaussettes mais je dois reconnaître que le bon cul gelé d’animal à sang froid que je suis a hâte de retrouver la chaleur de son pilou.

Paradoxal. Je suis frileuse mais je déteste la chaleur que je ne maîtrise pas. Et de repenser à ces derniers jours à mariner à 32° dans le noir et à suer par tous les pores de la peau en restant parfaitement immobile, le ventilo si près de moi que si j’avais eu des poils, il m’aurait épilée en un rien de temps, bah j’en étouffe encore. Moi qui me pensais dénuée de glandes sudoripares, j’ai dû me rendre à l’évidence : je suis un mammifère comme les autres.

 

L’hôpital d’Auxerre a rapatrié Maman sur l’EHPAD hier après-midi. Son épisode aigu a été maîtrisé, suffisamment en tout cas pour qu’elle sorte. Je me prépare à prendre la route et aller la voir avec Toto. Je ne l’ai pas vue depuis deux semaines. Depuis le jour où je l’ai amenée avec son baluchon, comme on dépose son chat incontinent à la SPA.

Bref, ça me fait bizarre de m’habiller et de mettre autre chose que des tongs à mes pieds. Une semaine que je n’ai pas mis le nez dehors, tout juste un saut de trois minutes pour descendre la poubelle. Je m’auto-confine par choix. De toute façon, l’ambiance Sahara dehors n’invitait pas à la promenade.

Sur la route, j’ai le malheur de mettre la radio. L’obligation du port du masque mais dans certaines rues seulement, l’agression d’une infirmière dans un bus alors qu’elle faisait remarquer justement cette obligation à de jeunes merdeux, ce qu’ils appellent l’ensauvagement de la société…

Je le dis et le redis : vous n’arriverez à rien avec votre politique à tâtons, il faut du martial, maintenant. Imposez ce masque PARTOUT sans aucune exception, point-barre ! Et passez l’amende à 1 000 balles avec la prison en cas de récidive, ça fera réfléchir les « Laissez-moi respirer » et les « Je ne suis pas malade donc pas contaminant »

Créez des emplois avec des milices dédiées au contrôle du port du masque, filez-leur des tasers aussi, pour éviter qu’ils se fassent tabasser à faire leur boulot. Ça donnera certainement une ambiance dans la rue de fin du monde mais c’est bien cela qui arrivera si l’on ne fait rien de concret pour enrayer ce virus.

Virus qui, cela dit en passant, devait disparaître avec la chaleur de l’été… On voit bien qu’on ne sait toujours rien sur lui mais son imprévisibilité, au lieu de vous pousser à prendre enfin des mesures radicales et non plus des pseudos principes de précaution, vous font errer dans un champ de doutes et d’hésitations.

Oh, la navigation à vue, c’est terminé !!! Regardez ailleurs comment ça se passe et copiez-collez. L’Italie, notamment : le masque est obligatoire partout en dehors de chez soi et ils n’ont que 300 contaminations par jour, en France, on en est à 2 700 !!!

 

Derrière mon volant, autant dire que je bouillonne. Et cela enchaîne sur ce que j’affectionne par-dessus tout en ce moment : les conseils d’experts. Leur nouveau truc, aujourd’hui, c’est le… frigo. « …Avec la canicule, on ouvre dix fois plus le frigo qu’en temps normal. A chaque ouverture, vous faites entrer de la chaleur dans votre frigo qui doit alors pédaler à fond pour refaire du froid. Cela l’abîme prématurément donc préservez-le en ne l’ouvrant que si nécessaire… »

Bah oui, la clim et le ventilo propagateurs du Covid, ça n’a pas marché. C’était tellement nul d’ailleurs que vous vous êtes publiquement rétractés. Donc, fallait bien trouver autre chose pour que l’on continue de croire que l’on a besoin de vous pour savoir marcher.

Et ce qui fait déborder ma coupe déjà bien pleine, c’est l’annonce que l’Espagne va interdire de fumer dans la rue ainsi que sur les terrasses de café et que la France pense à faire de même : « Il est entendu que tous les fumeurs toussent et donc peuvent plus que les autres projeter le virus. De plus, la fumée de cigarette, très complexe, pourrait bien elle aussi véhiculer le Covid, donc par principe de précaution… »

Ah bon. Y a cinq mois, c’est tout juste si on n’incitait pas à fumer pour se protéger du virus. Vous ne savez rien sur rien, bande de baltringues ! Et c’est encore plus terrifiant de constater que cette course à la débilité, cette inscience affligeante est internationale.

That’s it. Ras le pompon, j’éteins la radio.

 

15.00. Maman est vautrée sur son lit, les yeux hagards, une perf de chlorure de sodium dans le ventre. Elle peine à me reconnaître. La conversation est plus que difficile. On pourrait croire qu’elle est devenue complètement sourde mais je me rends compte qu’en fait, ce sont mes paroles qui ne vont pas jusqu’à son cerveau. Elle me regarde d’un œil absent et en guise de réponse, quelques onomatopées parviennent à sortir de sa bouche.

Je me retiens de fondre en larmes. Qu’est-ce que c’est dur, de la voir comme ça ! Ce n’est pas une surprise mais ce n’est pas plus facile pour autant. Alors, je respire un grand coup dans mon masque et tandis que je lui dis au revoir, elle a comme un sursaut de vivacité et me lance :

–  Avant que tu n’arrives, je planifiais d’aller me promener. Tu veux bien venir avec moi ?

–  On ne peut pas, Maman, tu es re-confinée pour quelques jours.

–  Pourquoi ça ?

–  Parce que tu reviens de l’hôpital. Mais ne t’inquiète pas, je reviens la semaine prochaine, Tonton aussi peut-être et là on pourra te sortir un peu dans le jardin.

–  On pourra aller au restaurant ? Et visiter la campagne ?…

 

23.00. De retour dans mon appartement, je me rends compte que mes fenêtres laissées ouvertes ont à peine réussi à tiédir l’air ambiant. Je jette un œil au thermomètre… 29,5°. Pff ça va prendre au moins un mois avant d’évacuer toute cette chaleur. C’est pas demain la veille que je vais retrouver ma couette chérie.

Et tandis que je fais la crêpe sur mon lit, un coup à l’envers, un coup à l’endroit en attendant que mon somnifère fasse son job, je repense à Maman. Ça me titille encore de la reprendre chez moi. De la savoir là-bas complètement perdue, désorientée, sans personne à ses côtés, ça me fait mal.

Je sais qu’on a pris la bonne décision en la plaçant à l’EHPAD mais c’est plus fort que moi, je me sens minable. Elle vit ses derniers instants et je ne peux pas lui tenir la main.

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