JOURNAL   Saison 4

SUR LA ROUTE DES VACANCES… OU PAS

–  Ça te plaît ici, Maman ?

–  Oui mais je ne sais pas où je vais ensuite.

–  Nulle part, tu es à l’EHPAD maintenant.

–  Mais après, je vais où ?

Je me mords les lèvres pour ne pas lui répondre du tac-au-tac « au cimetière », ce qui sans nul doute la ferait rire, car je repense au sermon de Tonton qui m’a enjointe ce matin d’y aller mollo avec elle…

 

Vendredi 31 juillet 2020

40 degrés ambiants, soleil au zénith et bouchons des départs en vacances : décidément, pas le bon jour pour le transfert de l’hôpital à l’EHPAD ! Heureusement que l’ambulance est climatisée !

Sur place, Maman sur son brancard, est accueillie dans le sas de décontamination par le CDC, ou équivalent : ils lui sautent dessus, l’emmaillotent dans une sur-blouse, lui collent une charlotte sur la tête, sur les pieds, gants, masque, il ne reste que les yeux qui ne soient pas emballés. Vu la chaleur, je n’ose pas imaginer ce qu’elle doit endurer.

Je lui fais coucou de la main puis ils l’emmènent prestement au loin. Je pose dans le sas son sac d’affaires, son rollator et sa canne qui doivent être décontaminés eux aussi, puis je me dirige vers l’accueil. J’essaye, du moins : je n’ai pas fait un pas et demi que l’on me crie « Halte ! » et qu’un essaim de petites mains s’affairent autour de moi. A mon tour, me voilà sous blister de la tête aux pieds et copieusement arrosée de gel hydro-alcoolique. Je me mets alors à cuire à petit feu.

L’équipe soignante vient me poser des questions, j’attends les papiers d’arrivée. J’aimerais bien aussi voir Maman dans sa chambre. Ils sont en train, apparemment, de la doucher. Alors, je patiente comme je peux, thermostat 12 fonction pyrolyse puis enfin, je peux monter la voir. Une demi-heure max et en ressortant, je dois mettre mon costume de saucisse grillée dans la poubelle jaune et en remettre une autre toute neuve pour reprendre l’ascenseur et traverser le hall d’entrée.

Ils rigolent pas ici, avec le Covid. C’est rassurant, j’imagine. Oui, je sais, il faut dire LA Covid mais je trouve discriminant de mettre au féminin toutes les catastrophes de la terre : les tempêtes, les tornades, les épidémies, les sept plaies d’Egypte… Donc moi je dis LE Covid.

Et tandis que je remonte dans le sauna de ma voiture sur le parking à peine ombragé, je revois le visage famélique de Maman sur lequel j’ai pu lire un début de panique lorsque je lui ai dit au-revoir. Je m’écroule en larmes. Je devrais me sentir soulagée mais j’ai le cœur tellement serré que j’en étouffe. J’ai l’impression de l’abandonner, comme si je l’avais attachée à un arbre sur le bord de la route.

« Tiens bon, ma petite maman, encore un peu, d’accord ? Tu es fatiguée, je sais, mais on a encore besoin de toi… Ils vont prendre bien soin de toi, ne t’inquiète pas. Et je reviens vite te voir. »

Samedi prochain. J’espère qu’elle va tenir mais cela a l’air fortement improbable. Ça s’entend à sa voix d’outre-tombe, à son élocution plus que difficile, ça se voit à ses yeux éteints et à son corps recroquevillé comme une feuille fanée, ça se sent même avec une légère odeur de formol qui suinte de sa peau…

Je chasse ces visions d’horreur d’un revers de main, je sèche mes larmes et je reprends la route pour aller chez Toto. Je passe la nuit chez lui car ils annoncent des orages violents avec des grêlons comme des balles de golf et je n’ai ni l’envie ni la force de tenter le Trophée Andros sur l’autoroute ce soir.

Et dans la touffeur de la nuit, allongée en croix sur le canapé-lit du salon, trois verres de rosé et un somnifère entier dans le coco, je ne dors pas. Je pense à Maman à sept kilomètres à vol d’oiseau, toute proche mais pourtant si loin. Je prie, je pleure. Et je finis par reprendre un somnifère pour m’assommer.

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