JOURNAL   Saison 4

LA PUDEUR DE L’AUTRUCHE

Je me suis toujours demandé pourquoi l’autruche plantait sa tête dans le sable. Par lâcheté ou bien par pudeur ?…

 

Dimanche 26 juillet 2020

Les funérailles hier matin de la mère de ma belle-sœur. Très simples, sans cérémonie, sans un mot et encore moins de chichis. Mais pas moins de larmes. En tout cas, devant la stèle. Ensuite… Bah y avait un ‘pot’ au café du coin qui s’est transformé en apéritif géant.

Et là, j’ai commencé à tiquer. Je m’attendais à un petit rassemblement d’yeux bouffis et de nez qui coulent avec des condoléances de toutes parts mais au lieu de ça, j’ai eu l’impression de me retrouver au beau milieu d’un mariage, d’un anniversaire ou d’un baptême, je crois que peu d’ailleurs auraient fait la différence : plus de larmes mais des rires, des brailleries et des conversations à bâtons rompus sur tous les sujets sauf sur ce qui nous rassemblait, le tout copieusement arrosés de kir, de pastis et de whisky. Bref, j’ai trouvé cela quelque peu surréaliste.

Je connais bien cette communauté rurale, paysanne et bourrue pour y avoir été élevée par une famille elle-même championne du non-dit, allergique à toute démonstration d’émotions. Ici, tout est dans le torse bombé et le verbe haut, très haut. On aboie plus qu’on ne mord, cependant, malgré le panneau ‘Attention, chien méchant’ que l’on arbore sur le front de façon bravache.

Et bien sûr, on ne montre jamais ses sentiments, sous peu qu’ils ressemblent de près ou de loin à de l’amour, car c’est assimilé à de la faiblesse. Cela ne veut pas dire qu’on n’en éprouve pas, on a même souvent un cœur immense. Mais pour le voir, il faut savoir éviter les pièges à loups, sauter par-dessus les douves infestées d’alligators et défoncer la porte blindée. Les sentiments ici sont farouchement gardés comme un secret d’état.

Je pense plutôt que c’est par peur. Car ce sont pour la plupart de véritables tanks, des bulldozers équipés pour faire face à n’importe quelle agression extérieure mais si la menace vient de l’intérieur, ils ne savent pas comment réagir. Cela les déstabilise tellement qu’ils planquent tout au fin fond d’eux-mêmes et qu’ils jettent la clef. Et ils font comme si de rien n’était. D’où mon interrogation à propos de l’autruche.

Bref, le seul qui ait fait sens à mes yeux, c’est le frère de ma belle-sœur. Les yeux rougis par le chagrin, il s’est confié lors d’une cigarette partagée sur le trottoir, tout à son émotion mais répétant entre deux sanglots comme un leitmotiv « Je dois être fort »

« Et alors, c’est écrit où ? Tu as le droit de chialer et d’être une merde, tu viens de perdre ta mère ! Vas-y, le chagrin, ce n’est pas radioactif ! »

J’ai eu besoin de le bousculer et cela a semblé lui faire du bien. Mais ça m’a ramenée à mon propre chagrin, à celui qui emprisonne mon cœur depuis quelques mois et dont j’anticipe l’explosion prochaine. Je me demande comment je serai, moi, aux funérailles de Maman. Droite comme un i dans un carcan de douleur silencieuse ou geyser de larmes intarissable ?…

Une chose est sûre, cependant : devant le silence assourdissant au cimetière devant la tombe de la mère de ma belle-sœur, je sais désormais que moi, je ne laisserai pas partir Maman sans un mot.

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