JOURNAL   Saison 4

BAGUETTE PAS SI MAGIQUE

« Bonjour, votre Maman est stable sur le plan clinique et peut désormais sortir. Que fait-on ? L’EHPAD comme c’était prévu ? Sinon, nous pouvons l’accueillir ici en long séjour. Qu’en pensez-vous ? »

Pas grand-chose, à vrai dire. Je suis désarçonnée. Ce n’est pas évident, pour le paquebot émotionnel que je suis, de braquer à 360 degrés comme ça. Y a un mois, il fallait se préparer à sa mort imminente et aujourd’hui, elle est prête à gambader…

 

Vendredi 24 juillet 2020

C’était complètement inattendu. D’ailleurs, quand j’ai vu s’afficher le numéro de l’hôpital lundi, j’ai cru que c’était pour m’annoncer son décès. Car dimanche lorsque l’on est venus la chercher pour pique-niquer dans le jardin de l’hôpital, on a pensé qu’elle est était morte dans son fauteuil. On l’a trouvée complètement hagarde, les yeux fixes au fond de ses orbites creusées, le teint cireux et baignant les fesses à l’air dans son pipi de la veille. Une vision de cauchemar.

Lors du pique-nique où je lui ai donné carrément la becquée, elle a semblé reprendre un peu vie. Je pense que cela lui fait du bien de nous voir, de voir du monde. Elle a besoin de stimulation sinon, elle se laisse complètement aller : elle ne mange plus, ne se lave plus et elle se fait sur elle. Elle attend la mort, quoi.

Comme il n’existe aucun moyen de savoir combien de temps il lui reste, déjà que c’était inespéré qu’elle soit encore en vie aujourd’hui, ce choix cornélien m’a taraudée pendant deux jours. A priori, plutôt l’EHPAD mais tout ce tremblement pour quelques jours, peut-être quelques semaines, est-ce bien nécessaire ?

Mais l’annonce du coût du long séjour de Sainte Périne a fini par nous décider : ce sera donc bien l’EHPAD à la campagne près de chez Toto comme c’était prévu. Il y aura certainement plus de soins au quotidien, elle ne sera pas seule et peut-être que ce nouvel environnement lui apportera la stimulation nécessaire pour se maintenir encore quelques mois peut-être ?…

J’ai alors déclenché le plan ORSEC pour son transfert à l’EHPAD vendredi prochain. Coordination entre les deux établissements, avec Toto qui part en vacances deux jours après, commande de l’ambulance – à notre charge, bien évidemment parce que le trajet dépasse les 150 kilomètres – et préparation des diverses paperasses.

Mon chant du cygne en la matière.

J’ai encore un peu de mal à lâcher prise, à passer le flambeau, à me faire à l’idée que je ne m’occuperai plus de rien. Je me suis d’ailleurs sentie un peu coupable de démissionner de la sorte. Mais dernièrement, ce que j’ai ressenti n’a fait que me conforter. En effet, je me suis vue agacée, limite en colère avec une patience au ras des pâquerettes, d’où le raccourcissement de mes visites. J’ai bien compris que cela ne servait à rien, que JE ne servais à rien en l’état. C’est clair désormais, je ne peux plus m’occuper de ma mère. Physiquement et moralement.

 

Demain, je vais au cimetière. Ma belle-sœur, la femme de Toto, m’a annoncé lundi que sa mère venait de décéder d’un arrêt cardiaque à 66 ans. C’est la série. Et ça ne va pas m’aider à sortir de mon décor mortifère du moment.

J’ai bien repensé à ma soirée avec Nénette qui m’exhortait à me secouer les puces et à me réinventer une vie. Ça m’a paru très excitant sur l’instant mais j’ai vite déchanté. Définir ce que j’aimerais être et faire de ma vie si j’avais une baguette magique s’est révélé être un exercice impossible pour moi.

Car qu’est-ce que je voudrais être ? Célèbre ? Riche ? Immortelle? Une super-héroïne ? Une sorcière ? Une oie sauvage ? Ou simplement moi en version ‘tout me réussit’ ?

Le croquis d’une telle fiction, mythomane et mégalo, même à vocation thérapeutique, s’est vite coincé au travers de mes neurones. De créer de toutes parts un personnage que je ne suis pas et ne pourrai jamais être, c’est souligner au stabilo toutes mes failles et ma misérabilité.

Alors, je me suis demandé ce qui comptait le plus pour moi et j’en ai déduis que, comme tout un chacun, je voulais juste être heureuse. Mais de savoir que cela ne tenait qu’à moi ne m’a pas aidée.

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