« Ça va pas du tout, Bichette, tu te rends compte à quel point tu es négative ? »
Oui, ma Nénette, je le sais.
Samedi 18 juillet 2020
Me suis pomponnée hier soir comme pour un rendez-vous galant, j’ai préparé de belles tomates-buffala et ouvert une bonne bouteille de Malbec pour recevoir Nénette venue voir la recluse que je suis devenue.
Ma première soirée à la maison depuis une éternité ! Heureuse de briser un peu la monotonie de mes journées qui se ressemblent toutes en ce moment. Je me suis demandé cependant si Nénette n’allait pas prendre peur à me voir dans cet état larvaire.
– J’aimerais dire que je vais mal mais c’est plutôt confortable, la néantisation. Tu vois, je n’ai pas envie de me suicider mais je n’ai pas envie de vivre non plus. J’ai réussi à sortir de l’Enfer mais je reste bloquée au Purgatoire sans savoir si j’ai envie de revenir dans le monde des vivants.
– On dirait que tu te punis toi-même, que tu ne parviens pas à te pardonner.
– Je ne vis pas dans le passé, pourtant, mais je ne vois pas l’avenir. Et mon présent n’est que limbes.
J’ai bien vu l’effarement dans ses yeux, alors j’ai tenté de la rassurer.
– Je pourrais glisser complètement dans la déchéance mais je ne me laisse pas aller, je me lève tôt, je me lave, j’envoie mon cv, je fais ma gym… C’est plus dans ma tête, quoi. Je n’ai rien qui me challenge, rien qui me motive, rien qui me pousse dans mes retranchements, rien à espérer, rien à désirer. Je vis comme un robot.
– Tu as pensé à reprendre un traitement pour ta dépression ?
– J’aimerais éviter.
On s’est resservi du vin.
– T’as un amoureux ?
– Tu sais, je vis en véritable recluse, je ne sors que pour faire les courses ou aller voir ma mère à l’hôpital, donc je ne vois pas comment je pourrais rencontrer quelqu’un. Si tant est que j’en ai envie.
– Bah les sites de rencontre ?
– Je suis nulle à ça ! Et pis, faut se décrire, faut décrire ce que l’on recherche et c’est bien mon souci du moment : savoir qui je suis et ce que je veux. Quand bien même, je ne sais vraiment pas ce que je pourrais apporter à quelqu’un.
– Déjà, il faut que tu arrêtes ton négativisme et que tu sois bienveillante avec toi-même.
La conversation ensuite est bien sûr arrivée sur Walter.
– Quoi ? Et pourquoi tu ne l’as pas appelé ?!
– J’appelle déjà pas mes amis… Regarde, c’est toi qui as pris l’initiative.
– T’en as pas marre ?
– Nan. Je sais pas.
– Bon, il va falloir que ça change, tout ça.
Nénette a alors remonté les manches qu’elle n’avait pas sur sa jolie robe d’été et a pris sa voix de maîtresse d’école.
– Bichette, ta vie en ce moment n’est qu’une grosse pelote de laine inextricable. Tout est emmêlé mais il suffira qu’un seul fil se dénoue pour que tout le reste suive. Alors, il faut que tu mettes du fun dans ta vie, des potins, du rock n’roll, bordel de merde ! Alors, tu vas commencer par t’inscrire sur Meetic. Même si tu n’y rencontres pas l’homme de ta vie, tu sortiras, tu iras boire un verre, tu parleras, tu vivras, quoi.
– Les Quatre Commandements de Nénette !
On s’est mises à rire. Bref, ce remontage de bretelles que j’avais trouvé de prime abord bien inoffensif, a commencé à faire son chemin. Et finalement, il a fait le job.
– Et ton blog, là, ça sert à rien. Il faut que tu en fasses un bouquin. Et si ta vie actuelle est morne plaine, tu n’as qu’à en inventer une autre. Va dans la fiction, rêve, imagine ! Mais vas-y à fond, sois extraordinaire, flamboyante, deviens une icône !
– Euh… D’accord.