JOURNAL   Saison 4

FLOP FLOP

« J’en ai assez, je ne mange plus pour mourir plus vite. Dis, ma chérie, tu récupéreras ma bague quand je serai partie, hein ? »

Hier à l’EHPAD, assise au bord de son lit au matelas autogonflant, j’ai eu un mal fou à retenir mes larmes. Et l’infirmière n’a pu que confirmer son état mental déplorable.

 

Mardi 25 août 2020

Hier donc, Toto et moi lui avons amené ses dernières affaires, c’est-à-dire trois cartons de linge, ses cadres-photo et une étagère pour les mettre dessus. Le reste de ses meubles est resté chez Toto car cela n’a plus d’importance pour elle, comme tout le reste d’ailleurs.

Pourtant, lorsque je suis venue jeudi dernier la voir, elle n’allait pas trop mal. A part qu’elle commence à vraiment perdre la mémoire, parfois, elle reconnaît à peine les gens, comme son petit-fils… Moi, avec ma tête, elle arrive à me remettre sans difficultés mais ce n’est pas facile, j’imagine, pour ceux qu’elle fixe d’un regard amorphe sans pouvoir dire leur prénom…

Elle commence aussi à avoir des hallucinations et des délires récurrents. Elle a des bleus sur les bras causés par les multiples prises de sang et son hémophilie mais pour elle, c’est le résultat d’une ‘agression’ par de jeunes voyous qui auraient pénétré dans sa chambre tandis qu’elle était en train de retirer de l’espèce au distributeur… Ça me rappelle quand mon père a commencé à perdre la boule et qu’il voyait la nuit ‘l’amant’ de Maman monter dans la chambre de cette dernière. Il se mettait alors à hurler et à la traiter de tous les noms, moi pareil car il me pensait complice…

Bref. Jeudi, cela a choqué Tonton avec lequel on a fait un co-voiturage depuis Paris. Il a encore une pêche remarquable pour ses 81 ans qu’il ne fait pas du tout. Mais en sortant de l’EHPAD, je l’ai vu accuser le coup et l’immense chagrin qu’il devait ressentir est alors venu déposer sa créance d’ombres sur son visage…

Du coup, j’ai eu de la peine aussi pour lui et j’ai soudainement réalisé son âge. Comme je n’ai plus aucun tabou sur le sujet, je lui ai demandé ce qu’il avait prévu pour ses obsèques à lui. Il m’a répondu « Rien » et qu’il s’en foutait royalement. J’ai acquiescé mais lui ai glissé cependant que c’était important pour ceux qui restaient parce que lorsque cela arrive, on a tellement autre chose à penser qu’à deviner des dernières volontés qui n’ont pas été établies. Un petit plan obsèques est vraiment un confort d’esprit pour tout le monde.

Donc, je lui ai recommandé de laisser au moins un écrit disant qu’il s’en remettait complètement à Tata, ce qui a semblé faire sens. Puis, il m’a faite rire lorsqu’il m’a dit qu’il hésitait pour la crémation car il ne trouvait pas cela écologique, avec toute la dépense d’énergie et les rejets dans l’atmosphère… Ha ha ha, sacré Tonton, militant jusqu’au bout !

 

J’ai fait les changements d’adresse de Maman. Pragmatiquement, pas de souci, moralement… J’avoue que j’ai eu du mal à m’y faire. Comme de voir ses dernières affaires dans le sas de décontamination de l’EHPAD. La boucle est bouclée, c’est un chapitre qui se clôt pour moi mais je n’en ressens aucun soulagement. Ça me fait même un mal de chien.

Je repense à Mimine qui me disait en avril que je devais profiter de ces derniers instants avec ma mère, que même si à l’époque je ne la supportais plus et attendais son placement en EHPAD avec impatience, j’allais le regretter. Je crois bien qu’elle avait raison et que ce sont ces regrets qui me bouffent de l’intérieur.

A l’époque, je n’étais que colère et parfaitement incapable de repenser aux bons moments avec elle. Je ne faisais que de lui crier dessus, excédée, alors que ce n’était pas de sa faute. Elle était en fin de vie et je l’ai maltraitée. Je m’en veux tellement !

Aujourd’hui, ce qui me vient à l’esprit, ce sont justement tous ces moments de bonheur que j’ai partagés avec elle, tous les bons souvenirs, tout ce dont j’aurais dû profiter quand il était encore temps. Je regrette à un point !

Je me sens minable au plus profond de moi. A tel point que je ne sais pas si j’aurais un jour le courage de lui demander pardon. Punaise que c’est dur ! Si c’est ma punition, me voilà bien punie.

 

Sinon, samedi j’ai bien revu les enfants de Kevin comme c’était prévu. Ça m’a fait plaisir et peine en même temps. Plaisir de les revoir bien grandis, égal à eux-mêmes et de constater qu’ils ne m’ont pas rayée de leur cœur. Mais peine de ne pouvoir les serrer dans mes bras et une immense nostalgie de repenser au temps où je m’occupais d’eux comme une deuxième maman.

Ils m’ont manqué, ils me manquent encore aujourd’hui d’une certaine façon. Car j’ai toujours été naturellement maternelle, une vraie louve, malgré ou à cause du fait que je n’ai pas d’enfants à moi, je ne sais pas trop. Là, je me suis réfrénée, je suis restée bien à ma place d’ex-belle-mère et cela m’a renvoyée au marécage d’ex-tout dans lequel je patauge allègrement en ce moment : ex-belle-mère donc, ex tout court, ex-fille aussi, ex-patronne, ex-en pleine forme, je ne suis plus ce que j’ai été mais je ne sais pas pour autant ce que je serai demain…

Apparemment, pas responsable d’épicerie bio-éthique. On ne m’a appelée. Encore une ornière. Donc, me revoilà sur la route de la recherche d’emploi. Mais plus ça va, plus j’ai l’impression qu’elle ne me mènera nulle part. Bref, ça commence à me peser lourdement sur le moral, en plus de tout le reste.

Et hier, dans le village rural où habite Toto, j’ai vu un panneau pour une petite épicerie à créer, une initiative pour dynamiser le village comme il en existe beaucoup en France. On a pris quelques renseignements, le propriétaire est en vacances mais Toto le connaît bien et ira lui parler à son retour.

Il y a apparemment un gros potentiel dans ce village où l’on ne trouve qu’une boîte aux lettres, un café d’arcandiers et un distributeur de pain. C’est, de plus, un axe très fréquenté par les routiers. En faisant une rapide étude de marché avec Toto et ma belle-sœur qui seraient ravis d’avoir un truc de dépannage à proximité sans avoir à prendre la voiture, il s’avère qu’il faudrait faire aussi la livraison des courses à domicile pour les vieux dans la campagne profonde, un point wifi avec peut-être un petit espace salon de thé, vendre des bonbonnes de gaz car, je cite, c’est chiant de se trouver à court le dimanche en début de barbecue familial, le charbon de bois donc aussi, les glaçons, le pastis, le PQ, les Tampax, les cacahuètes, les piles et une tirette à bonbons selon ma nièce.

Pourquoi pas. Partir de Paris commence à devenir une idée de moins en moins saugrenue et quitte à partir, autant rallier la campagne profonde et son calme absolu. Avec le moins de voisins possible. D’ailleurs, lors de mes dernières pérégrinations dans le coin, je suis tombée par hasard sur la maison de mes rêves…

Au détour d’une route étroite à peine goudronnée avec de l’herbe au milieu, nichée au beau milieu d’un bois de noisetiers, j’ai découvert une petite maison biscornue flanquée d’un jardin à l’anglaise qui m’a immédiatement charmée. Un potager, deux poules grassouillettes, un minuscule ruisseau en contrebas et pas une maison alentour. Le nom du bled est écrit sur un bout de bois au début de la route, je trouve d’ailleurs cela un peu étrange de nommer un bled pour une seule maison mais ça me va bien.

Oui, j’avoue, me reclure au fin fond du trou du monde dans cette petite oasis n’est pas pour me déplaire. Alors, c’est vrai, certaines choses me manqueraient certainement, comme d’avoir toutes les commodités à portée de pied, les magasins ouverts jusqu’à 21 heures, la diversité des restaurants… Mais est-ce bien essentiel à mon bonheur aujourd’hui ?

Donc, changer radicalement de vie est peut-être la clé de mon renouveau. Je ne sais pas. Je serai, de plus, près de Toto et de Maman, un rassemblement familial, en quelque sorte. Et un retour aux sources. Je pourrais le voir aussi comme une régression, moi qui me suis sauvée à tire-d’aile de ce trou pourri dès que j’en ai eu l’occasion, mais ma vie dissidente m’ayant bien étrillée, j’ai peut-être besoin de ça maintenant pour me reconstruire.

Quant à ce projet d’épicerie, c’est tentant, même avec la palanquée d’horaires à rallonge qui vont avec ce type de commerce de proximité. Ce qui m’inquiète, en revanche, c’est le corps de ce projet : est-ce une gérance ou ai-je un patron ? Je préfèrerais la deuxième option car cela veut dire que j’aurais une paie et parce que de repiquer sur le patronat ne me dit pas du tout.

Car, si cela ne marche pas, si j’en ai marre et que je veux partir, en cas de gérance, il faudra trouver repreneur, tatati tatata… Bref, c’est un projet auquel je risque de me retrouver encore pieds et poings liés, l’expérience du restaurant m’a tellement traumatisée que je ne suis pas sûre de vouloir refaire la même de mon escient.

D’ailleurs, le mail ce matin du liquidateur judiciaire ne fait que me conforter dans mon aversion. Pour faire court, les 60.000 balles pour le rachat du fonds couvrant tout juste les dettes privilégiées, il ne restera rien pour la banque qui se rappellera alors à notre bon souvenir en activant les cautions solidaires en fin de balance des comptes passif-actif, on va dire en janvier prochain. Techniquement, je suis encore la Présidente de ma S.A.S. qui n’est toujours pas liquidée et je trouve hilarant d’absurdité qu’on vienne réclamer 96.000 balles à une ex-dirigeante qui touche le RSA.

Pareil pour Kevin. Même si lui a retrouvé un emploi, lui réclamer une telle somme est intolérable quand on sait tout ce que lui et moi avons perdu dans cette affaire. C’est pour cela que lorsqu’ils activeront les cautions, on les contestera avec force avocats. Si l’on doit rembourser une dette, ce sera notre dette d’honneur et aucune autre.

En parlant de Kevin, il s’est fait carotté par ses nouveaux patrons, des branquignoles apparemment qui font semblant de ne rien connaître au droit du travail, du coup, il touche bien moins que ce qu’ils lui avaient ‘promis’ pour un job qui s’avère être du caca en barre. Mais il ne peut pas se permettre de démissionner, vu la conjoncture, un job alimentaire est toujours mieux que pas de job. J’en sais quelque chose.

Bref, ça m’amène à penser que je devais être, moi, un ovni, l’exception qui a fait mentir la règle des patrons foireux car une de mes priorités alors a toujours été de payer mon personnel à sa juste valeur en temps et en heure, même dans la bérézina.

Je ne comprenais pas, en genèse de projet, lorsque certains me disaient « T’es obligée de magouiller, tu ne peux pas t’en sortir sinon. Et mets un maximum de cash dans ta poche pendant que tu le peux car lorsque tu n’auras plus rien, personne ne t’aidera. »

Je trouvais cela bien amer et j’ai voulu démontrer qu’en étant réglo d’un bout à l’autre, on pouvait quand même réussir. Qu’est-ce que j’ai pu être naïve ! Et ça me fait peine de me dire que si j’avais fait plein de black, si j’avais magouillé, sous-payé, pas déclaré, détourné, peut-être qu’aujourd’hui, le restaurant serait encore debout.

Être un patron accompli, c’est ne pas être idéaliste.

 

Bref. Je suis à nouveau sapée et j’ai grand besoin de m’aérer les idées. Alors demain, je vais revoir ma Normandie.

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