Blog

YANG²

– So let’s switch in English. How many other interviews did you have besides this one?

– Well… two?

Pas très fière de ce mensonge mais ils m’ont prise au dépourvu et c’est sorti comme ça. Donc, j’ai dû broder un peu et dieu sait si je suis une piètre couturière. Vu qu’ils notaient tout scrupuleusement sur leur cahier, ils vont peut-être vérifier. Bah tant pis, c’est fait.

Mercredi 10 juin 2020 – DECONFINEMENT J+31

Je ressors de ce premier entretien avec un sentiment mitigé. Pas tant sur le poste proposé que sur ma performance, pas très brillante selon moi. Mon propos n’était pas pertinent d’un bout à l’autre et manquait certainement de cohérence. J’ai aussi pas mal bafouillé et j’ai oublié de poser les questions essentielles.

Ils avaient l’air cependant intéressés par mon profil. Premièrement, parce que je sais ce qu’est le petit patronat et comment gérer un business et deuxièmement, parce qu’il y a une partie essentielle de représentation que la direction d’un restaurant m’a enseignée à n’en pas douter, selon eux.

Je me suis abstenue de leur dire que c’était justement ces deux raisons qui m’ont faite envisager un autre chemin professionnel. Gérer des salariés et porter des Louboutin, la peste et le choléra pour moi.

Bref, je marche vers le métro en ressassant tout ça dans ma tête. Je me retrouve sur le boulevard Richard-Lenoir et d’un seul coup, une grande bouffée d’angoisse me saisit. Là, je réalise où je suis. Le Bataclan n’est qu’à quelques encablures et ce boulevard montré en boucle sur BFMTV le 13 novembre 2015 se met à prendre vie en moi dans un mélange de poudre, de poussière et de sang.

Ce que je ressens est visqueux, étouffant. Je ne m’y attendais pas. Je hâte alors le pas, je me dépêche de mettre de la distance. Merde, si jamais je suis embauchée ici, j’espère que je n’aurais pas droit à cet affreux revival à chaque fois que je traverserai ce boulevard.

Je m’engouffre prestement dans le métro qui, au passage, est loin d’être l’horreur que certains m’ont décrite, c’est même pas mal du tout avec le respect de la distanciation, le port du masque par tout le monde et sans bousculades.

Quelques minutes plus tard, je me retrouve à Trinité Estienne d’Orves. Je connais bien ce quartier pour l’avoir fréquenté à raison d’une fois par semaine pendant six mois lorsque je venais faire signer mes chèques à l’administrateur judiciaire pendant le redressement du restaurant.

Bref, la brasserie qui fait l’angle dans laquelle j’ai donné rendez-vous à Andrew est fermée. C’est moche. Mais l’autre un peu plus loin est bien ouverte et a colonisé pratiquement tout le trottoir avec ses tables bistrot sur près de cent mètres. Et c’est quasiment plein.

Comme je suis heureuse de revoir Andrew ! Mon Yang ! Non pas que je sois son Yin mais parce que je suis, moi aussi, un Yang. C’est parti d’un bouquin ‘La diététique du Yin et du Yang’ que l’on a lu tous ensemble, le Scoobigang et moi il y a quelques années. Il décrit les cinq typologies d’énergie universelle et les tempéraments associés. Andrew et moi, nous nous sommes reconnus instantanément dans le Yang.

Le Yang

Le tempérament et le comportement sont de type ACTIF, PEU EMOTIF, EXTRAVERTI. Les correspondances énergétiques sont celles de l’organe du FOIE et de l’élément naturel BOIS.

Caractères physiques : bonne musculature, souvent athlétique, visage et yeux expressifs, langue sèche, mains osseuses et fermes.

Qualités possibles : enthousiasme, goût de l’effort et de la réussite, combativité, volontarisme, fiabilité, fermeté, entreprenant, imaginatif, brillant, actif, idéaliste, généreux, sportif.

Défauts éventuels : nervosité, inquiétude, entêtement, colère.

Alors oui, le Yang est masculin. Le heavy-metal et mes jurons fleuris lorsque je suis au volant qui ne font clairement pas de moi l’ambassadrice idéale du Yin, m’avaient déjà mise la puce à l’oreille. Et à vrai dire, mis à part mon tour de poitrine, il n’y a pas grand-chose de féminin chez moi. Monsieur Machin a dû se gourer au départ.

Bref, cela a évolué depuis. Je pense que dernièrement, j’ai dilué dans mon Yang un peu de Yin, voire même d’Hyper-Yin. Les défauts notamment, comme l’indécision, le bouillonnement intérieur, l’hypersensibilité, la vulnérabilité… Le bon côté des choses, c’est que je suis peut-être plus équilibrée ? Moins Monstroplante, quoi.

Donc, c’est avec une joie non-dissimulée que l’on se retrouve, Andrew et moi, et en bons dissidents, on se claque même la bise. Et installés sur notre mini-table au bord du trottoir, on se met alors à papoter à bâtons rompus. On débriefe bien sûr sur mon entretien où je lui fais part de mes doutes sur le volet représentation du poste.

– Calembredaines et billevesées ! Tu es classe !

– Peut-être mais je ne suis pas tendance !

– Bah c’est l’occasion de renouveler ta garde-robe et d’aller chez le coiffeur.

Pas ultra-convaincue, car j’aime ma coupe de cheveux apocalyptique et mes boots de pseudo motarde mais je finis par en rire et l’on passe à notre sujet préféré, celui de refaire le monde devant une pinte de blanche et trois pop-corn. Enfin, Perrier-menthe pour moi.

Et ce monde post-confinement est riche en réflexions, en interrogations, en non-sens et absurdités en tout genre, à commencer par cette terrasse où l’on est entassé sans masque à se postillonner dessus à qui mieux mieux. Surtout moi qui rit maintenant à gorge déployée aux réparties facétieuses d’Andrew.

Il a crû, par exemple, et c’est pour cela qu’il m’a boudée, que l’invitation à mon blog venait d’une certaine Anastasia, nubile ukrainienne professionnelle du montrage de seins sur internet. J’ai bien failli en cracher mon glaçon et je l’ai assuré de mon souhait de garder mon 90B bien au chaud.

Il n’a pas changé, toujours aussi fou. Ah si, il s’est mis au sport avec un coach sur internet et il mange sainement. Fini les chips et le saucisson ! Du coup, il est beau comme un camion. Ça va peut-être me motiver pour arrêter les chips une fois pour toutes…

Puis, de façon assez inattendue mais non moins bienvenue, on se fait le quart d’heure ‘on arrête de dire des conneries’ et l’on aborde les sujets sensibles, comme celui de ma mère et bien entendu, celui de leur couple, Mimine et lui.

Et ce qu’il m’apprend me remplit de joie. Ils ont réussi à dépasser leurs problèmes et sont même repartis comme en quarante ! Il m’avoue que le confinement a révélé un mal-être chez lui qui a bien failli le faire imploser en balayant tout sur son passage mais qu’il est parvenu à gérer la situation en formalisant très simplement son malaise auprès de Mimine. Et à deux, ils ont pu retrouver un nouveau souffle.

C’est bien ce qu’il m’avait semblé lorsque je les avais eus tous les deux au téléphone ces derniers temps. Autant dire que je suis littéralement ravie que mon intuition ait été la bonne. Une bonne crise de la quarantaine vaincue par knock-out sans aucun dommage collatéral. Bravo.

20.00. Dans le métro pour rentrer chez moi, je fais le point sur cet après-midi rempli de premières fois : premier métro, premier entretien, premier pot en terrasse, première revoyure d’ami… Le tout globalement très positif. Je me sens ragaillardie.

Et pour la première fois là aussi, j’ai l’impression de reprendre un peu de cette vie que j’appelle de mes vœux depuis longtemps maintenant. Une vie simple faite de petites banalités pour apaiser les meurtrissures de la précédente.

SPACE MOUNTAIN

« Bonjour, votre maman n’a plus de fièvre et va un peu mieux cliniquement alors nous pensons la transférer demain dans une maison de convalescence dans le 16ème qui est spécialisée dans les pathologies lourdes des personnes âgées. »

Décidément, elle aura fait tous les hôpitaux du coin. Je remballe les deux kilos de cerises que je comptais amener aux infirmières et me mets sérieusement à songer au clafoutis. Sans gluten.

Lundi 8 juin 2020 – DECONFINEMENT J+29

« Bonjour, Je peux vous proposer mercredi à 17h, qu’en pensez-vous? »

Que du bien, Madame, que du bien ! Du coup, j’appelle Andrew dont le bureau n’est pas très loin de mon lieu de rendez-vous pour lui proposer de prendre un pot en terrasse une fois sortie de mon entretien. Comme il me perçoit un peu fébrile, il me dit d’y aller à la cool mais pimpante et dynamique comme je sais l’être. C’est vrai, cela ne sert à rien de psychoter 48 heures à l’avance.

Je décide donc de me changer les idées en faisant un saut chez Ikea pour remplacer mes boîtes dépenaillées par des nouvelles plus sobres. Un lundi 13.30 : le parking est plein comme en week-end, j’hallucine !

Et tandis que j’approche de l’entrée avec mon sac bleu au liséré jaune, j’aperçois une file d’attente qui me laisse perplexe. Moi qui pensais juste faire une incursion chirurgicale, me voilà en train de reconsidérer la chose. Pff tant pis j’attends, un aller-retour pour rien, ça me soûle encore plus.

Donc, je me place sagement dans le tortillon de la file d’attente et je regarde comment ça s’organise. En fait, il y a trois files : celle où je suis pour le magasin, une pour le retrait des trucs lourds et une autre pour les retours et échanges. Au bout de chacune d’elles, deux cerbères avec oreillette et talkie qui font rentrer les gens par lot de dix pour ma file ou au compte-gouttes pour les deux autres, non sans avoir échangé auparavant quelques ordres brefs et incompréhensibles avec des collègues invisibles :

– Vas-y, je peux en caler encore deux pour le RZ-986.

– Y en a six déjà en stand-by.

– Bah envoie sur le FT-475.

– D’accord.

Et tandis que j’avance hardiment au rythme des moulinets de bras du cerbère n°1, je ne peux m’empêcher de penser, goguenarde, que j’embarque pour le Space Mountain ! Si j’osais, je lui demanderais s’ils prennent une photo également lors de la descente vers le libre-service…

Dans le hall d’accueil, pareil, zéro possibilité de batifoler. La nana devant moi, bien que masquée, dédaigne soigneusement le distributeur de gel hydro-alcoolique et hop coup de sifflet :

« Madame s’il vous plaît, le gel, merci ! »

Ils rigolent pas, les Suédois. Tout ça pour six TJENA 32X50X32 et une FEJKA.

16.00. Le remplacement de mes boîtes fait, je contemple ma chambre. Même la cave à vins se fond dans le décor. C’est incongru, je le conçois mais je n’avais pas le choix car plus de place dans le salon avec l’arrivée de la grande table.

Bref, je suis assez contente de l’ensemble. Mais à quel coût ? Car si j’en crois la douleur qui irradie dans mes épaules, mes coudes et mes mains, c’est comme si j’avais manipulé tout le magasin. Bon, ma séance de ménage d’hier n’y est certainement pas étrangère. Surtout qu’en plus, j’ai fait la maline avec une petite boum improvisée où j’ai dansé et chanté sur des trucs parfaitement débiles entre deux lessivages de murs. Sur le coup, ça m’a fait du bien.

Je m’interroge. Ma fibromyalgie arriverait-elle à un autre stade ? Le stade ‘pas de bras, pas de chocolat’ ? Parce que désormais, je ne peux quasiment plus me servir de mon bras gauche et les douleurs sont présentes 24/7, même les dimanches et jours fériés.

Et la gym que j’avais délaissée la semaine dernière pour cause d’emploi du temps surchargé, me confirme à la première tentative d’abdo-fessier, que j’ai hélas bien franchi le cap de non-retour. Je me sens un peu désemparée, surtout que le paracétamol, c’est de la roupie de sansonnet, que j’ai déjà fini l’ibuprofène de ma belle-sœur et que la pharmacie refuse de m’en vendre parce qu’il y a des risques avec le corona gnagnagna…

Bref, tout me pousse à me remettre à boire et à fumer des joints, quoi. La panacée.

ARMAGEDDON

 

Dimanche 7 juin 2020 – DECONFINEMENT J+28

Branle-bas de combat depuis l’aube. Gavée d’ibuprofène, j’ai sorti mon arsenal de ménage Armageddon et j’ai lessivé à grande eau les murs, les portes, les chambranles, le sol, le plafond et fait les grilles d’aération à la brosse à dents. Y a juste les carreaux que je n’ai pas lavés car c’est au-dessus des forces de mes biceps en mousse.

Ça sent bon le propre. Enfin, la Javel. J’ai perdu 10.000 calories, je suis exténuée mais contente de moi. Une belle feuille blanche pour repartir et pouvoir tourner la précédente toute crabouillée.

Aujourd’hui, c’est la Fête des Mères. La mienne, c’est sa fête depuis un bout de temps déjà, mais sans les fleurs ni le collier de pâtes. On l’a appelée hier Toto et moi, elle a crû encore une fois que l’on venait la délivrer de sa prison…

Son état est stationnaire, c’est-à-dire au trente-sixième dessous. J’espère tellement qu’elle puisse aller à l’EHPAD qui sera son dernier havre de paix. Quelque part, je m’en veux de lui avoir fait subir tout ce chambard depuis quatre ans.

Bref, je ne vais pas refaire l’histoire mais le ‘si j’avais su’ est vraiment quelque chose qui me hante ces derniers temps. Et mon super-don d’empathie, qu’est-ce qu’il en dit ? Je lui ai bien mis une muselière concernant ma mère mais il parvient quand même à me parler. Je ne veux pas l’entendre, dans le déni j’imagine, alors je me bouche les oreilles et je fais l’autruche.

Et mes prières à Monsieur Machin ne m’ont apporté aucun réconfort. D’une, parce qu’elles n’ont pas été exaucées et de deux, parce que je sais qu’elles ne sont qu’une béquille vermoulue que l’on sort du grenier lorsqu’on a épuisé toute notre rationalité. Mes rapports avec Monsieur Machin ont toujours été conflictuels. Mais là, je suis bien partie pour le bouder jusqu’à la fin de mes jours.

Memories consume
Like opening the wound
It’s picking me apart again
You all assume
I’m safe here in my room
Unless I try to start again

I don’t want to be the one
The battles always choose
‘Cause inside I realize
That I’m the one confused

I don’t know what’s worth fighting for
Or why I have to scream
I don’t know why I instigate
And say what I don’t mean
I don’t know how I got this way
I know it’s not alright
So I’m breaking the habit
I’m breaking the habit
Tonight…

…TO BE CONTINUED ON SEASON 3…

ÇA RESONNE

« Coucou, on prend la route ! »

Texto de ma belle-sœur à 8.05. Qui me réveille car j’ai oublié de mettre mon alarme hier soir.

Samedi 6 juin 2020 – DECONFINEMENT J+27

J’ai un mal de cheveux ! Je ne comprends pas, j’ai pourtant bu raisonnablement hier soir… Bref, pas le temps de m’apitoyer sur mon sort, j’avale un saladier de café et me voilà à pied d’œuvre en train de préparer les meubles et les cartons pour le déménagement.

Le peu que je manipule me fait savoir de suite que je vais de nouveau devoir faire banquette. Mes muscles, qui plus est avec l’alcool d’hier soir, sont à l’agonie. J’annonce la mauvaise nouvelle à Toto et à ma belle-sœur quand ils arrivent, ce qui n’entame en rien leur entrain. Tant mieux, car je suis en mode larve, aujourd’hui.

Et comme ils ont cueilli tout leur cerisier, ils m’ont ramené cinq kilos de cerises dans une énorme cagette que j’ai du mal à rentrer dans le frigo. J’adore les cerises mais comment je vais faire pour m’enfiler la cagette sans être malade ? Je pourrais peut-être les vendre au coin de la rue ?…

12.30. Le camion est chargé, Toto et sa femme ont bien bossé. On déjeune sur la grande table débarrassée maintenant des cartons de ma mère. Cette grande table de ferme, démesurée pour la taille de mon salon, est bien plus vieille que moi. J’y tiens comme une folle.

Chez mes parents depuis toujours, je l’ai rapatriée au restaurant lorsque j’ai déménagé ma mère il y a quatre ans. Et elle trône dans mon salon depuis le 24 février. Tout s’organise autour d’elle, à vrai dire. Quitte à louvoyer. Peu m’importe, elle m’a quasiment vue naître et elle m’accompagnera jusqu’au bout.

15.00. Toto et sa femme sont repartis et je me retrouve seule dans l’appartement qui semble bien vide. Il paraît plus grand, aussi. Limite, ça résonne…

Faudrait faire le ménage, un gros. Car outre le fait que cela fait un mois que je n’ai rien fait d’autre qu’un rapide coup d’aspi, en déplaçant les meubles, bah y a des grosses traces noires sur les murs et des moutons accrochés au plafond. Pas très Monk, ces derniers temps.

Mais une grosse fatigue vient s’abattre sur moi. Ma gueule de bois renchérit et me voilà en boule sur la banquette. Tant pis, je ferai ça demain. D’autant plus si lundi ils me confirment mon entretien et si je suis embauchée dans la foulée, j’ai intérêt à être à jour dans le ménage parce qu’après, je n’aurai plus le temps.

L’APERO SOCIAL

 

– Oh tu m’as apporté des cerises, c’est gentil ! Quand est-ce que je sors ?

  • Pas tout de suite, Maman, pas tout de suite.

Hier dans sa chambre d’hôpital d’une tristitude absolue. A n’en pas douter, elle sera mieux à l’EHPAD. Mais bon, son état reste trop critique pour envisager une sortie dans les jours prochains. Et ça, elle a du mal à le comprendre.

  • Je ne souffre pas, tu sais. Je suis juste extrêmement fatiguée. A mon âge, c’est normal. Mais j’en ai marre d’être là, qu’est-ce que j’étais bien chez toi ! Je peux revenir ?
Vendredi 5 juin 2020 – DECONFINEMENT J+26

Levée aux aurores bien avant la sonnerie aigrelette de mon réveil, j’ai passé la journée à trier et à ranger. Outre le sapin et ses deux cartons de déco, j’ai gardé une boîte entière de lettres et de cartes postales dont certaines remontent à mes 10 ans ! Des albums photos aussi, ma robe de mariage que je décide de filer à ma belle-sœur pour qu’elle la ‘recycle’ car je n’ai pas le cœur de la jeter.

Je ne sais pas pourquoi j’ai gardé tout ça et pourquoi je ne jette pas aujourd’hui. Je me dis que tant que ça tient dans mes placards et que je n’ai pas besoin de place… Je sais, c’est mauvais pour le feng shui mais je ne m’y résous pas.

Bref, la chambre ressemble à entrepôt de stockage, manque plus que le fenwick. Au moins, c’est rangé, je travaillerai sur l’esthétique plus tard.

Et dans l’optique d’optimiser le rangement, j’ai promené le reste de mes affaires de placards en tiroirs, de boîtes en autres boîtes pendant au moins deux heures. J’ai fini par tomber sur une toute petite boîte que je n’aurais pas dû ouvrir. J’aurais la prendre tel quel et l’enfouir au fin fond de ma grosse boîte de bidules divers tout en haut de l’étagère du placard de l’entrée.

La boîte ‘Reliques de Walter’. Et presque religieusement, j’en ai inventorié le contenu. Sa carte de visite de l’époque, la carte d’un restaurant où l’on s’était retrouvé un jour, celle de l’hôtel où je m’étais réfugiée le 17 février 2011 et où je l’avais attendu en vain, un fast-pass de Disneyland où nous avions passé un après-midi, un ticket-cadeau Passionata, la montre Chanel qu’il m’a offerte mais que je n’ai jamais pu porter car elle me faisait de l’allergie, un pendentif en forme de cœur sur un lacet de cuir noir et un fax du dessin de son tatouage, un dragon celte avec ces quelques mots écrits de sa main…

Ça m’a rendue triste et en colère à la fois. Et comme si cela ne suffisait pas, des tréfonds d’un tiroir de la salle de bains, j’ai exhumé l’Huile Sublimante à la poudre d’or que je portais… lorsque j’ai rencontré Walter. Je l’ai respirée… Oups la boulette ! Le truc à ne pas faire en ces temps d’instabilité émotionnelle. On dit bien que la mémoire olfactive est la plus puissante, la mienne m’a mise K.O. en une bouffée. Le parfum est resté intact et m’a transportée instantanément 19 ans en arrière.

Je n’ai rien pu faire pour retenir mes larmes. Rien pu faire non plus pour me forcer à tout jeter. Car c’est tout ce qu’il me reste de lui. Ça et les 265 pages du tableau de bord de notre histoire.

17.45. Vu le temps qui vire à la tempête, je consulte mes mails, voir si la soirée barbecue des voisins n’a pas été annulée. Apparemment, non. En revanche, j’ai reçu ça :

« Bonjour, 

Nous vous remercions pour votre candidature et l’intérêt que vous portez à notre agence.

Après avoir examiné votre profil, nous avons trouvé celui-ci très intéressant. Ainsi, nous souhaiterions vous rencontrer afin de discuter d’une éventuelle collaboration.

Pourriez-vous me communiquer vos disponibilités ?

En vous remerciant par avance. »

YEEPEE !!! Mon premier entretien ! Je réponds de suite puis je regarde la pendule… Bon, j’aurai une réponse lundi matin, je pense.

C’est un cabinet d’architecture franco-japonais basé à Oberkampf. Je fais quelques recherches sur leurs ouvrages et je tombe en totale admiration : la pierre douce et le bois blond, la pureté des lignes, la maîtrise de la lumière, ça me parle ! Bien sûr, mon job ne sera pas architecte, je ne suis qu’une amatrice éclairée, mais c’est toujours mieux de bosser dans un environnement que l’on admire.

J’ai une palanquée de magazines divers d’architecture et de décoration dans lesquels j’aime me replonger parfois : je me transporte littéralement dans une page, je m’imagine sur les lieux, je ressens l’atmosphère, je touche, je respire…

C’est à chaque fois un véritable voyage dont je reviens émerveillée, comme d’un week-end dans un manoir d’hôtes à Aberfeldy au cœur des Highlands. Je voyage pour 6 euros, imbattable, non ? J

Zone de texte

https://www.pressreader.com/france/maison-cote-ouest/20191204/281547997740733

Un coup d’œil sur Google Maps : 50 minutes porte à porte mais un seul métro. Un peu long, certes, mais je ne peux pas faire la fine bouche. C’est vrai qu’au début je cherchais relativement à proximité de chez moi, déjà pour éviter de passer un tiers de ma journée dans les transports mais surtout en cas de grève, pour pouvoir aller bosser à pied car le vélo et encore plus la trottinette, c’est exclu pour moi. Bah allez, ce n’est pas la mer à boire.

19.00. Je sonne à la porte de l’appart-terrasse, une bouteille de Côtes du Lot à la main, une des rescapées du restaurant. Je le connais, le voisin ‘Je golfe à Courçon’, c’est un grand amateur de bons vins. J’espère d’ailleurs qu’il y aura son Rêve de Ternac à table… Un des plus forts coups de cœur de toute ma vie de pseudo œnologue, impossible à se procurer si l’on n’est pas proprement parrainé.

La soirée se passe bien. Mon premier apéro social ! Sans masque donc, en essayant de garder nos distances les uns des autres. Pas gagné. Il y a des têtes que je connais des anciennes fêtes des voisins et puis des petits nouveaux, très sympathiques. Très jeunes aussi. Comme ils n’arrêtent pas de me vouvoyer, j’en déduis avec désolation que je fais mon âge, comme on dit. Merde.

Pour la peine, je décide de me resservir de la soupe de champagne. Je picore quelques olives et je m’incruste auprès des ‘anciens’ qui eux me tutoient d’emblée. On parle de tout, de rien, de mes déboires d’ancienne restauratrice et de cette crise sanitaire qui affectent toutes les strates de la société, on rit beaucoup aussi, bref, une bonne soirée.

Je pensais mon instinct grégaire ténu de nature, voire inexistant mais je m’aperçois qu’il est capable de caracoler joyeusement sans ouvrir en moi d’abîme de consternation. C’est agréable, au fond, de fréquenter d’autres humains.

Et rassemblés autour de l’immense table déployée sous le store aux dimensions d’une voile de catamaran, on termine la soirée doucement. C’est l’heure des confidences que l’on échange avec son voisin/voisine de fauteuil. C’est comme cela que j’apprends, par sa femme, que l’hôte de la soirée Monsieur FFP2 bah portait justement ce masque parce qu’il a été atteint par la Covid-19 et apparemment, méchamment… Dans ma tête, je me confonds en excuses pour l’avoir jugé sans savoir. Je me sens bien minable, du coup.

Alors, je prends congé de la petite assemblée et les deux hôtes de maison me raccompagnent tous les deux. Comme ils connaissent Kevin, ils ont été accablés quand ils ont eu vent de notre séparation et le sont encore plus lorsque je leur confie, sur le palier, ma vie depuis avec ma mère.

Mon émotion doit être palpable car ils me prennent tous les deux dans leurs bras. Heureusement que j’ai activé ce soir mon bouclier anti-empathie, le modèle blindé. J’espère que ça marche aussi pour le virus, s’il en reste…

Bref, cinq minutes plus tard, je suis chez moi en train de me brosser les dents. Je suis fière de moi, je ne suis pas ivre morte. C’est un fait en soi assez extraordinaire, au sens propre, pour le mentionner : au moment où j’ai senti que j’allais basculer, ce fameux moment que j’affectionnais tant avant, je suis allée remplir mon verre d’eau au robinet de la cuisine puis j’ai piqué un peu de multi-fruits dans la bouteille réservée de Monsieur Champomy.

Pourquoi ? Car j’avais très peu de route pour rentrer, à pied et en ascenseur en plus, et personne qui m’attendait pour me faire la morale… Alors oui, mon problème cardiaque. Mais non, je l’ai bel et bien décidé de façon lucide et responsable. Je suis restée digne. Très 48 ans, en fait. Re-merde.

De toute façon, rien de bon ne m’est jamais arrivé lors de mes séances d’éthylisme aigu, ni pendant et encore moins après. Ne commencerais-je pas à apprendre les leçons du passé ?…

 

DES CERISES

… My life is perfect, so you believe
Are you that stupid ’cause I strongly disagree
I’m not a martyr, more like a thief
Your rules are twisted and they don’t affect me !
There ain’t nothin’ in this world for free
There’s not a man, not a man I believe
Give a rat’s ass what you think about me
I’ll dot your I’s and cross your fuckin T’s !…

Five Finger Death Punch à fond dans la Clio chargée jusqu’au plafond hier, direction l’EHPAD et Toto pour déposer les premières affaires de Maman. De chanter à tue-tête la musique à fond et de retrouver mes anciens réflexes de conduite, même si pas forcément glorieux vu que j’ai toujours conduit comme une délinquante de la route, bah ça m’a fait un bien fou. Et je déteste toujours autant les femmes en Twingo qui freinent autant qu’elles accélèrent et qui mettent leur clignotant à droite pour tourner à gauche.

Mercredi 3 juin 2020 – DECONFINEMENT J+24

J’ai toujours aimé conduire. Partout, sauf à Paris. Je crois que je l’ai fait trois fois dans ma vie, contrainte et forcée. Faut regarder à gauche, à droite, devant, derrière, au-dessus, les sens uniques sinon tu refais un tour gratuit… Faut faire gaffe aux scooters, aux vélos, aux trottinettes, aux piétons qui traversent en dehors des clous le nez vissé sur leur portable, bref, on a les yeux partout sauf sur la route. Sans parler de se garer.

Non, je préfère la route, la vraie. J’aurais pu être routière. J’aime bien les camions et j’ai déjà les tatouages. Mon record : seize heures d’affilée pour faire l’aller-retour Denver-Durango dans le Colorado en passant par les Rockies et trois tempêtes de neige !

Dernièrement, j’étais un peu frustrée niveau conduite routière, je ne faisais que trimballer ma mère en mode ‘ambulance’ où l’aiguille dépassait rarement les 30 km/heure. Et avant cela, pas le temps, pas l’argent pour une escapade quelconque, donc ce petit tour hier m’a fait le plus grand bien.

Lundi, j’ai bien fait les cartons que j’ai réussi, mais à quel coût, à fourrer dans la voiture. En effet, j’y ai laissé un tibia et mes deux bras. Le tibia est resté sur l’escabeau duquel je n’ai pas manqué de dégringoler en voulant attraper une caisse de photos perché sur une armoire, quant aux bras, notamment les coudes, déjà mal en point depuis quelques temps, ils ont fini par décéder après le troisième carton, celui des bouquins…

J’ai donc pris la route hier avec les deux derniers Nurofen que j’ai dénichés au fin fond de mon sac et laissé mon frère et ma belle-sœur s’occuper du déchargement pendant que je bullais sur leur terrasse. Cela a parfois du bon d’être handicapé.

J’ai fait le tour de leur jardin, ravie. Rat des villes depuis des lustres, je ressens néanmoins un immense plaisir à chaque fois que je me mets au vert. Et là, j’ai eu la totale : les gazouillis des petits oiseaux dans les arbres, l’air pur, les salades fringantes dans le potager et le cerisier regorgeant de fruits. Et même pas la tondeuse du voisin !

C’était aussi l’anniversaire de Maman que j’ai appelée avec Toto. Je ne sais pas si c’est son téléphone à l’hôpital qui est pourri et/ou sa surdité qui s’aggrave mais elle a cru que l’on venait la chercher… Ça m’a fait peine.

Puis, nous sommes allés rencontrer la directrice de l’EHPAD qui nous a fait visiter l’établissement sur son Ipad. On a pu voir cependant les extérieurs qui étaient très agréables, fleuris, au calme… Un environnement idéal pour une convalescence, ce dont j’ai fait part à la directrice.

  • Je dois faire le point avec les médecins mais s’il s’avère que l’état de ma mère ne s’améliore pas, pouvez-vous l’accueillir quand même ? Elle sera mieux ici plutôt qu’à l’hôpital.
  • Oui, on peut faire une réservation.
  • Comme sur RB&B ?…

J’ai eu un bon feeling, Toto également. Le personnel nous a semblé très gentil et dévoué, les résidents n’avaient pas l’air d’être maltraités, on avait même l’impression qu’ils étaient contents d’être là. Bref, on a tablé sur fin juin au max.

Je suis repartie tard dans la soirée, saluée par les grillons qui s’en donnaient à cœur joie dans la lavande. Le cœur rempli d’espoir et le coffre plein de cerises. J’ai regagné mon petit appartement citadin qui du coup m’a paru bien exigu, après cette journée au grand air.

Surtout avec le tas de cartons et de sacs en vrac dans le salon déjà prêts pour l’acte II du déménagement samedi.

Je suis revenue avec une petite extinction de voix aussi … Pas à cause des courants d’air mais à force de brailler sur System Of A Dawn sur la route du retour. Kevin aurait été ravi, le heavy-metal étant un des rares points que j’avais en commun avec lui.

Bref, j’attends ce dernier justement d’un instant à l’autre pour aller vider mon garde-meubles et m’aider à réaménager l’appart, en tout cas, pour ce qui nécessite la force de deux bras vaillants. Comme de repasser mon lit dans la chambre. Après plus de deux ans de nidification dans le salon, il va falloir que je me réhabitue à finir ma nuit à côté. Mine de rien, c’est un sacré changement.

16.00. Vu qu’il fait 30°, la terrasse en-dessous est en pleine effervescence. Déjà hier soir en rentrant vers minuit, j’ai vu qu’il y avait du monde. Il va donc falloir que je réacclimate mes oreilles à ce bruit de ruche mais là, ça me soûle alors je ferme les fenêtres et je mets en route le ventilateur fraîchement récupéré de mon garde-meubles.

Profitez bien car demain, c’est la Toussaint et vous ferez moins les malins avec vos anoraks et vos moufles. Une belle vacherie que la météo, n’est-ce pas ? Mais une aubaine pour mes oreilles.

Il a bien bossé, Kevin. Il a eu pitié de mes bras en carton et il a ramené tout seul l’intégralité de mon garde-meubles. Il a également évacué les trois mètres cubes de ce que j’ai jeté et poussé les meubles en deux coups d’épaules. Je lui dois une fière chandelle. Toute seule, cela m’aurait pris jusqu’à Noël.

On a fait une petite pause-déjeuner sur un bout de table et on s’est mis à papoter. Lui, surtout. Surprenant, car si moi je suis un bulot, lui c’est une bernique en temps normal. Bref, on a parlé entre autres de sa recherche de job, il m’a dit notamment qu’il envisageait un retour dans son pays d’origine car il aurait quelques opportunités… Ce serait l’occasion ou jamais. Mais comme il faut un visa permanent et la maîtrise un tant soit peu de la langue, ce n’est pas un voyage à faire sur un coup de tête.

Je suis contente pour lui. C’est quelque chose dont il a besoin. L’aboutissement d’une longue quête. Je comprends, même si cela m’est complètement étranger. Je n’ai jamais ressenti cet appel de la mère-patrie qui pour moi ne l’est pas.

Est-ce parce que moi j’ai été adoptée lorsque j’étais bébé et que je n’ai aucun souvenir ? Rien de franc, en tout cas. Ma mère m’a dit que j’avais juste peur des avions dans le ciel et que je courais me cacher sous la table en me bouchant les oreilles. Mais était-ce bien une réminiscence et non une peur légitime pour une fillette de deux ans ?…

J’ai bien fait quelques recherches sur mes origines vers mes trente ans. Jamais auparavant je n’avais ressenti ce besoin, j’étais d’ailleurs plutôt dans le rejet. Il aura fallu un extrait à la télé de la comédie musicale Les Dix Commandements et cette chanson Mon Frère :

« … Chacun avec sa peine… Que le temps nous apprenne… A nous aimer… En frères… »

Je me souviens m’être figée devant la télé, ces mots résonnant à l’infini et soudain cette question s’est mise à hurler en moi : était-ce parce que j’avais été adoptée que je ne connaissais pas cet amour filial inconditionnel et si demain je rencontrais quelqu’un de mon sang, le ressentirais-je enfin ?

J’ai déterré alors mon dossier d’adoption que mes parents m’avaient donné à mes dix-sept ans. Déterré, c’est bien le terme. Car lorsque je l’ai eu en mains la première fois, j’ai fait une sorte de fracture d’identité et je suis partie en cacahuète. Fugue, abandon de l’école et dérives en tout genre…

J’ai mis du temps à m’en sortir. Mais quelque part, ce qui m’a empêchée de me perdre définitivement a été mon enfance ultra-heureuse. J’en ai toujours puisé une force, même, surtout, je dirais ! dans mes heures les plus noires, pour me relever, pour me battre, pour vivre. Le seul rocher indéboulonnable dans cet édifice sans fondations sur lequel je me réfugiais au moindre tremblement de terre.

Je me suis reprise en main et j’ai enfoui ce dossier, source de tous mes maux selon moi, au fin fond d’un carton et même s’il a suivi toutes mes pérégrinations depuis lors, je ne l’ai jamais rouvert. Jusqu’à ce jour devant la télé et cette stupide comédie musicale.

Tout ce que j’avais pu lire jusqu’à lors était une traduction sommaire du rapport de l’orphelinat et pas grand-chose sur mon abandon. J’ai alors traduit l’intégralité de mon dossier et fait quelques recherches en contactant certains organismes sur place.

Ainsi, j’ai découvert que ma mère biologique avait seize ans lorsqu’elle m’a eue et qu’une fille-mère dans ce pays rétrograde en matière de droits de la femme – qui l’est toujours, d’ailleurs – n’avait d’autre choix que de m’abandonner. Elle vivait dans les bidons-villes, près de la base militaire américaine. D’où ma peur des avions, peut-être. Et la cicatrice de brûlure sur mon épaule droite est le résultat d’un incendie qui était monnaie courante dans les bidons-villes où l’on s’éclairait à la bougie.

C’était certainement une prostituée et pas par choix. Je ne peux qu’imaginer sa détresse lorsqu’elle s’est retrouvée enceinte de moi. Bref, je suis née dans une poubelle. Littéralement. Elle a accouché accroupie sur un tabouret. Cependant, elle ne s’est pas débarrassée de moi immédiatement, elle a essayé mais sans ressources, elle n’a pu faire autrement que de me donner à l’orphelinat lorsque j’ai eu un an.

Un autre facteur très important dans cette décision, c’est le fait que je n’étais pas une ‘pure race’. En effet, ce n’est pas très clair mais il est fait mention que j’ai dû avoir un géniteur aux origines occidentales pour moitié. Mes traits, en grandissant, l’ont confirmé. Peut-être la base militaire américaine à proximité ?…

Je n’ai jamais eu d’illusions, je ne me suis jamais dit que j’étais une princesse qui avait été enlevée à des parents aimants. D’être le bâtard non-désiré d’une jeune fille prostituée n’était pas pour autant ce à quoi je m’attendais mais cela ne m’a pas révulsée, bien au contraire, cela m’a apaisée et j’ai pu pardonner à cette femme qui n’a vraiment pas eu de chance et qui, d’une certaine façon, m’a sauvée.

Toute ma vie, j’ai fait ce rêve où cachée à l’orée d’un bois, je regarde la vie d’un petit village se dérouler en contrebas. Une femme s’en vient vers moi, je sais que c’est ma mère même si elle n’a pas de visage. J’ai envie de sortir du bois et de courir vers elle mais je ne peux pas, quelque chose me retient. Je ne fais que fixer son ventre vers lequel je tends les mains sans jamais pouvoir le toucher.

A la suite de ces révélations, j’ai refait ce rêve une seule fois. Et là, je suis sortie du bois, je suis allée vers elle et son visage est apparu. Un sourire heureux et triste à la fois, pas de larmes. Et j’ai enfin pu toucher son ventre.

Ça a été le déclic, il était temps pour moi de retourner au pays. Je suis allée directement à l’orphelinat qui n’en était plus un mais la chapelle baptiste dans laquelle j’avais été amenée était, elle, toujours là. Pour moi, c’était mon ombilic, mon point de départ.

Et seule pendant deux heures dans cette grande salle surannée au décor rococo, je lui ai parlé. Et j’ai pu faire la paix.

« … Me pardonnes-tu ma colère toutes ces années ? As-tu pensé à moi ? T’es-tu demandée si j’étais heureuse ?

J’ai grandi tant bien que mal avec ce trou immense dans mon cœur. Je n’étais qu’un fantôme de moi-même. Je tendais les doigts vers le miroir mais je ne me voyais pas. Je me suis construit une carapace à toute épreuve, tout en sachant que le danger viendrait de l’intérieur.

Peur d’imploser. Peur de lâcher la bride à mes émotions et qu’elles me submergent, peur de m’y noyer sans bouée de secours. La peur surtout d’aller jusqu’au bout de moi-même et de ne pas savoir en revenir. Peur de t’aimer, sans retenue et sans regret.

Aujourd’hui, je te pardonne. Car tu m’as sauvé la vie en me confiant à des gens qui m’ont aimée de toutes leurs forces. Alors du fond du cœur, merci… »

De ne pas faire de recherches plus poussées a souvent été mal interprété, notamment par d’autres adoptés qui pensaient que j’étais lâche. Eux qui n’avaient de cesse de retrouver leur famille biologique en mettant tous leurs problèmes existentiels sur le dos de leur abandon, ils avaient du mal à comprendre que je me suffise d’un simple retour au sol.

Je leur ai répondu que c’était ma quête à moi que personne n’avait le droit de juger. Je leur ai dit aussi que c’était peut-être eux les lâches, en ne prenant aucune responsabilité dans ce qui n’allait pas dans leur vie. Qu’un visa permanent n’était pas un passeport pour le bonheur pour autant.

Tous ces jugements à l’emporte-pièce, tout ce pathos, ces regards de chiens battus ont fini par me soûler et je me suis éloignée.

C’est un très beau pays qui mérite vraiment d’être découvert, touristiquement parlant. Je ne pourrais y vivre, c’est trop aux antipodes de ce que j’ai connu jusqu’à lors. Je ne me suis jamais sentie autre chose que Française. Bourguignonne-Normande, plus exactement. Une fille du terroir, du cru. C’est comme ça, la greffe a prise. Seul le Montana peut rivaliser dans mon cœur.

J’ai de plus un regard particulier sur l’adoption en général. Pendant longtemps, je disais que j’avais été choisie sur catalogue puis apportée par une grosse cigogne aux ailes de fer qui, de nos jours, aurait pu s’appeler Amazon. C’est à peu près ça dans les faits, mais comment faire autrement ?

Non, le plus gros reproche que je puisse faire, c’est aux destinataires du colis, ceux qui passent commande. Commander un enfant, avec peut-être tous les traumas qui l’accompagnent, ce n’est pas comme de commander un jeu-vidéo ou un lave-vaisselle : il n’y a pas de notice, pas de SAV et pas de bon de retour. Plus grave, il n’y a pas ou très peu d’enquête sur l’habilité psychologique à devenir parents.

Même pour faire un enfant naturel, je pense qu’il faudrait un permis, plutôt qu’un passe-droit.

Bref, moi j’ai eu une chance incroyable d’avoir été adoptée par des gens aimants car je me suis rendu-compte, au fil de mes rencontres dans cette association, que ce n’était pas la majorité ! Certains ont été carrément maltraités, abusés : comment peut-on faire cette démarche censée être remplie d’amour si l’on est plein de haine et de perversité ?

Je pense que les adoptants devraient passer des tests psychologiques plus poussés qu’un QCM d’une heure avec un psy d’opérette et une formation sur ce qui les attendra inévitablement, à savoir comment gérer et accompagner un enfant déraciné en quête de ses origines.

Certains de ces adoptants vont jusqu’à gommer complètement l’identité de l’enfant et lui cacher son dossier d’adoption, voire lui mentir sciemment. Ils lui martèlent qu’il n’a qu’un seul pays et qu’il doit être reconnaissant, que sans eux, il serait mort. Ils prennent toute question, tout embryon de recherche, ne serait-ce que de se rapprocher d’une association d’adoptés, comme une trahison suprême. Certains même vont jusqu’au chantage :

« Tu choisis : nous qui t’avons sauvé la vie ou eux qui t’ont jeté dans le caniveau ! »

L’adoption, pour moi, est tout sauf altruiste. C’est une démarche égocentrée et bien trop souvent inconsciente. Comme de faire un enfant naturel, d’ailleurs. On assouvit un désir biologique, on essaie de s’accomplir, de se dépasser mais très rarement, on se met à la place de l’enfant. Quelle déception, quelle cuisante défaite lorsque ce dernier avoue qu’il aurait préféré rester dans sa misère, si tel était sa destinée et que de changer le cours naturel des choses n’a fait de lui qu’une âme en peine, une coquille vide, un arbrisseau déraciné qui pourrit sur pied…

Là aussi, j’ai eu une sacrée chance d’avoir des parents qui m’ont accompagnée comme ils ont pu sans jamais me renier, même dans les pires moments de ma révolte. Ils ne comprenaient pas, comment auraient-ils pu, mais ils n’ont jamais cessé de m’aimer et de me souhaiter tout le bonheur possible.

C’est grâce à eux, à leur amour, que j’ai pu réchapper à tous ces tourments. Cela a toujours été très clair pour moi, je n’ai eu qu’une seule maman, qu’un seul papa, qu’un seul pays mais dans mon cas, personne ne m’a lavé le cerveau.

Je suis peut-être l’exception qui confirme la règle. Même si au fond de moi, je reste fataliste : si j’étais restée dans mon bidonville, je serai déjà morte certainement. Mais bon, sur les milliards que l’on est sur terre, cela s’appelle la sélection naturelle.

17.00. Il faudrait que je commence à ranger, à trier. Mais comme je sais que je vais y passer la nuit et que mon courage s’est carapaté en même temps que l’effet de l’ibuprofène de contrebande que ma belle-sœur m’a refilé, je remets ça à plus tard. En l’occurrence, à vendredi car demain je vais voir Maman à l’hôpital et faire l’état des lieux de sortie de mon garde-meubles.

23.00. Ça me fait bizarre de me traîner, mon somnifère avalé, du lit de ma mère réhabilité en banquette devant la télé jusque vers mon lit dans la chambre. Bien sûr, je ne manque pas de laisser mon deuxième tibia, le valide, sur un carton qui traîne dans le passage…

Ainsi, allongée dans le noir, les yeux grands ouverts, j’essaye de ressentir la présence de ma mère qui dormait, il n’y a pas si longtemps encore, à la place exacte où je suis. Mais je ne ressens rien. J’imagine que d’avoir évacué ses affaires y est pour quelque chose.

EMPATHIE vs SYMPATHIE

 

– Bonjour, j’ai des papiers à faire signer à ma mère, impôts et assurance, je peux la voir ?

  • Oui, on va vous équiper car il ne faut pas que vous lui ameniez des microbes.
  • Pas de problème ! Attendez… Oh mince ! J’ai oublié les papiers dans mon autre sac ! Je suis trop nulle !

Gros moment de solitude, hier après-midi.

Dimanche 31 mai 2020 – DECONFINEMENT J+21

Maman ne m’a pas reconnue, elle m’a prise pour un chirurgien avec ma blouse, mon masque et ma charlotte. Bref, elle ne se lave toujours pas, pas plus qu’elle ne change de linge, vu les deux pauvres culottes sales que je récupère, elle ne mange pas plus qu’avant, bref, elle est toujours aussi fatiguée et aussi déboussolée que lorsqu’elle est partie aux urgences il y a deux semaines.

Et cela devient de plus en dur pour moi de la voir comme ça. J’essaye de la convaincre qu’elle ira mieux bientôt et que le pire est derrière elle mais je m’aperçois qu’en fait, c’est moi que j‘essaye de convaincre. Alors, encore une fois, je ne fais pas de vieux os et je me sauve avec le mini sac de linge sale.

Je n’en reviens toujours pas pour ces papiers ! Avant de partir, je les ai bien glissés dans la poche arrière de la malle-cabine qui me sert de sac à mains mais en soulevant ce dernier, vu la trotte qui m’attendait, je l’ai troqué avec un petit sac à dos et bien sûr, j’ai oublié de reprendre ces satanés papiers.

J’étais perturbée. Sûrement. Depuis le matin quand j’ai reçu le texto de Nénette qui m’annonçait le décès de son beau-père. Connaissant l’affection qu’elle lui portait, cette nouvelle m’a frappée en plein cœur car je pouvais ressentir sa peine. A tel point que j’ai éclaté en sanglots. Et cette tristesse ne m’a pas quittée de la journée. Ma pauvre Nénette !

Du coup, je m’interroge : est-ce parce que le barrage a cédé dernièrement que je pleure désormais pour un oui ou pour un non ou est-ce mon don d’empathie qui s’amplifie ? On m’a dit dernièrement que j’avais certainement aussi le don de ‘sympathie’ car au-delà de ce que je ressens, je suis maintenant très affectée, comme si cela m’arrivait à moi… Avant, le malheur, la tristesse, la noirceur que je pouvais ressentir chez les gens ne m’atteignaient pas. En tout cas, pas comme ça.

C’est très étrange, dérangeant même et je me demande bien ce que je vais pouvoir faire de ce ‘don’ encore plus inutile que le premier.

14.30. J’ai enfin terminé le ménage sur Facebook. J’y ai passé la soirée d’hier soir et toute la matinée aujourd’hui. C’est pour moi que je l’ai fait car je me doute bien que les gens s’en foutent et ont autre chose à faire que de fouiller dans mon passé virtuel. Ainsi, j’ai quasiment effacé sept ans de photos et de vidéos qui ne voulaient plus rien dire.

J’ai désormais un profil narcissique comme tout le monde. Je me sens mieux, plus légère.

J’aurais peut-être dû opérer en plusieurs fois car cela m’aurait laissé le temps de faire autre chose, comme de commencer les cartons… Mais le Monk qui est en moi ne m’a pas lâchée d’une semelle et m’a littéralement vissée devant mon ordi pour terminer ce que j’avais commencé. Obsédée, incapable de passer à autre chose.

Et maintenant que la journée est bien entamée, une flemme énorme me tombe sur le paletot. Je regarde le pyjama que j’ai toujours sur le dos, les cartons encore pliés et les quelques babioles que j’ai commencé de rassembler, je tâte les muscles de mes jambes qui pâtissent encore de ma promenade à l’hôpital d’hier… Et je décrète que je serai mieux en croix devant la télé.

C’est calme, dehors. Pas comme hier. Avec la réouverture du parc, c’était la kermesse sous mes fenêtres : pique-niques dans l’herbe haute pas tondue, apéros sur les bancs, frisbees, foot, rodéos de mobylettes, voitures vitres ouvertes et musique à fond… Pauvres canards ! Fini le bon temps où vous aviez le parc pour vous tout seuls !

Mais j’y pense… la terrasse du restau en-dessous de chez moi va rouvrir bientôt ?! Et merde. Je n’y peux rien, ça finit de me saper le moral. Du coup, j’ai envie d’un bon gros bain moussant. Je crois que le dernier remonte à plus de quatre ans ! Et comme j’ai enlevé le siège de douche pivotant de ma mère qui mangeait toute la place dans la baignoire, je n’ai plus d’excuses.

Oui oui, demain, je ne fais que ça : les cartons.

DECRIVEZ-VOUS…

 

« … Il s’agit d’une self-made woman au parcours atypique, une enthousiaste pleine de ressources qui s’adapte à toutes sortes de situations sans jamais se départir de son positivisme… »

Paradoxal, une semaine après mon roulage en boule.

Jeudi 28 mai 2020 – DECONFINEMENT J+18

Bref, aujourd’hui, concentration maximale sur mon cv. L’activité semble repartir et mes contacts se sont bien activés. Mimine, surtout, une vraie coach ! Au programme : phrases d’accroche et définition de mes objectifs. Parce que ce n’était pas très clair. J’avoue.

L’exercice est très dur pour moi qui déteste me mettre en lumière comme ça. Mais essentiel. Donc, ça donne ça :

ASSISTANTE DE DIRECTION / OFFICE MANAGER

bilingue anglais

Forte d’un parcours atypique qui révèle une richesse et une variété de compétences me permettant de gérer toutes sortes de situations, je sais définir mes objectifs et les atteindre avec une appétence sans équivoque pour l’excellence. D’un naturel équilibré entre énergie et stabilité, entre autonomie et travail d’équipe, je suis proactive, investie mais également organisée et structurée, le multi-tasking étant un challenge que j’aime particulièrement relever !

Je dois dire que je suis assez contente de moi. Je suis allée chercher loin en moi les ressources nécessaires pour me remettre en selle et dresser un portrait éloquent et ma foi, percutant sans être mégalomaniaque.

Ça m’a faite sortir de ma torpeur mentale dans laquelle, je dois bien l’avouer, je m’étais confortablement installée. Du coup, ça me donne envie de gros ménage. Sur Facebook, d’abord, en écoutant le premier ministre dérouler sa phase 2 du déconfinement.

Chouette, on pourra bientôt gambader librement par monts et par vaux au-delà de 100 km. J’appelle donc l’EHPAD et Toto pour confirmer le rendez-vous de visite mardi prochain. J’en profiterai pour amener déjà quelques cartons. Ce que je réussirai à descendre au parking et à faire rentrer dans ma Clio. Pas gagné, avec mes petits muscles amorphes, ça va me prendre des plombes et je n’ai absolument pas commencé le moindre carton. Va falloir que je me secoue.

Appel de la médecin de l’hôpital.

  • Alors, l’EHPAD dans quinze jours, c’est peut-être prématuré car on préfère la monitorer encore quelques temps puis l’envoyer en convalescence.
  • Ah bon ? Votre assistante sociale m’a appelée hier pour me demander si un placement en EHPAD avant le 13 juin était possible, faudrait savoir.
  • Au cas où, mais nous sommes sceptiques. Comme son taux de plaquettes continue de baisser, si elle a le moindre choc, elle sera incapable de coaguler, le pire serait une chute sur la tête, vous comprenez pourquoi. D’autre part, même si nous l’avons mise en isolement sous antibiotiques, ses défenses immunitaires restent insignifiantes et le moindre rhume pourrait lui être fatal.
  • Votre assistante sociale m’a également dit qu’au-delà de 150 km du domicile, il n’y avait pas de bon de transport en ambulance. Donc, vu que c’est à 178 km, ce sera à moi de l’emmener à l’EHPAD au moment venu. Je voulais savoir : je devrai l’envelopper de papier-bulle ?…

JE NE ME SOUHAITE A PERSONNE

 

– Votre maman refait de la température et ses globules blancs sont toujours très bas alors nous la renvoyons à Ambroise Paré ce midi.

J’appelle Toto dans la foulée pour qu’il prenne ses dispositions si l’arrivée en EHPAD est retardée. On maintient quand même le déménagement au 6 juin et si besoin, il stockera les affaires de Maman chez un ami à lui qui a un grand hangar.

Mardi 26 mai 2020 – DECONFINEMENT J+16

Je le savais bien. Ils vont la garder deux mois, ça va faire comme à Pompidou il y a sept mois où ils n’arrivaient pas à expliquer sa fièvre intermittente et encore moins à trouver les bons antibiotiques.

Bref. Ce qui me tracasse en revanche, c’est son état de propreté. Dimanche, je suis allée lui porter un sac entier de linge propre et l’infirmière m’a donné en retour une culotte et un bas de pyjama dans un état immonde.

  • Maman, tu te laves au moins ?
  • Je me fais une toilette de chat…
  • Tu n’as pas pris de douche depuis une semaine ?!
  • Bah j’ose pas demander de l’aide…
  • Il faut ! Et change de culotte, s’il te plaît !

Quand j’en parle au personnel soignant, on me dit qu’elle s’est bien lavée, sur stimulation certes, mais qu’elle est toute propre. Bon, elle ne se rappelle même plus et elle baigne dans sa crasse. Ça aussi, je m’en doutais.

Mon roulage en boule aura duré deux bons jours. Je n’en suis pas tout-à-fait sortie, je suis encore en mode demi-hérisson. Malgré cela, j’ai réussi à faire ce que j’avais mis de côté depuis un bout de temps. Un bon coup de pied aux fesses auto-administré.

Ainsi, j’ai eu ma doctoresse en téléconsultation pour renouveler mon Stilnox parce que j’ai fini mes deux boîtes et entamé mon stock secret. La droguée et son dealer. On en a profité pour parler de ma mère qui est une des causes de mes insomnies récalcitrantes.

Je dors de façon anarchique en ce moment, parfois six heures d’affilée, parfois par tranches de deux heures, parfois pas du tout et ce, même avec deux cachets dans le buffet. Ma doctoresse ne désespère pas de me faire décrocher un de ces jours, moi non plus car j’ai bien réussi une fois…

Je me rappelle que je voulais littéralement faire le tour de la terre pour avoir un tel jet-lag que mon horloge biologique aurait bien fini par se caler d’elle-même sans aucune aide chimique. Je voulais rallier en premier le Montana puis descendre sur San Fransisco, ensuite Hawaï, le Japon, les îles Fidji, la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie…

Bon, je suis allée au plus rapide et au moins cher : j’ai arrêté un soir de prendre mon petit cachet oblong. J’ai morflé quelques jours ensuite puis je m’y suis faite. J’étais fière de moi. Ce que je ne savais pas alors, c’est qu’un sevrage brutal n’est jamais anodin et peut avoir des répercussions longtemps après. Ainsi, cela a certainement dû participer à mon break psychotique effectivement quelques mois plus tard…

Bref, ce n’est pas le bon moment pour réessayer. Mais j’ai bien peur que ce ne soit jamais le bon moment, alors…

J’ai également envoyé le mail de résiliation pour mon box au 9 juin et traité différentes paperasses qui traînaient dans ma corbeille. Je suis allée faire quelques courses, dont les cartons pour le déménagement, au grand Auchan dans lequel je n’avais pas mis les pieds depuis trois mois.

L’avantage de faire les courses à Franprix, c’est qu’on n’est pas tenté d’acheter des conneries. Comme le Gym Form Total ABS qui trône désormais à côté de la Wii dans mon salon. Je me suis dit qu’avec le retour des chips, il allait bien falloir deux armes pour vaincre mes derniers capitons…

Comme je me sens passablement stupide avec mes électrodes sur le ventre, j’en rigole au téléphone avec mes amis dont je salue l’optimisme à toute épreuve :

  • C’est chouette, ton truc, tu peux faire du sport et mater une série en même temps !

Mes amis sont mes petites bulles d’oxygène. Heureusement qu’ils sont là et qu’ils m’aiment toujours, même dans le ridicule !

J’ai surtout enfin retouché mon cv, surtout la dernière expérience professionnelle. Quand je l’ai écrite début mars, j’étais encore imprégnée du restaurant donc pas très objective et encore moins factuelle. Aujourd’hui, c’est propre et concis. J’espère.

J’ai aussi réactivé sérieusement mes contacts, répondu à plein d’annonces et créé un compte sur plusieurs sites de recrutement. Je me suis faite violence car je déteste les petites cases à cocher pour se décrire et décrire ses objectifs. Je déteste tout autant les questions à choix multiples qui jamais ne proposent le choix ‘Autre’… Je déteste être définie par la somme de petites croix dans les bonnes cases. Ou les mauvaises. Je déteste n’être pas plus complexe qu’un grille-pain.

Ça me rappelle Meetic. Qu’est-ce que j’en avais bavé pour me créer un profil ! Au final, ça ne ressemblait à rien et je passais un temps infini à expliquer mes petites croix dissidentes à des mecs pour la plupart déroutés qui finissaient par fuir à toutes jambes.

Je ne me rappelle pas trop, d’ailleurs, pourquoi j’avais fait cette démarche. J’imagine que c’est parce que je me sentais seule à ce moment-là et que j’avais besoin de parler. Ça a parfois débouché sur des embryons de relations, plus charnelles qu’émotionnelles, ce qui m’allait bien.

En fait, j’ai longtemps collectionné les relations éphémères. Trois mois, c’était ma durée légale. Ne jamais m’investir. Ne jamais être déçue. Abandonner avant d’être abandonnée. Héritage de ma toute petite enfance.

Puis un jour, je me suis mariée. Sur un pari. Du style ‘chiche, pas chiche’. Oh je l’aimais, Bradley, pas de doute mais je n’avais aucune idée de ce que je faisais, ni même de ce que je voulais. Je me disais fantasque et romanesque alors que j’étais con et inconsciente !

Bref, j’ai mis une année entière à savoir dire ’nous’ et la suivante à me faire à l’idée de redire ‘je’… Une première audience de divorce un 14 février et quelques jours plus tard, je rencontrais Walter qui était lui sur le point de se marier.

Quelques années et une longue traversée du désert plus tard, je me suis remariée. Avec Sean. Un collègue de bureau. Je l’aimais lui aussi et je pensais que cela mettrait un terme définitif à mon histoire avec Walter qui m’avait bien étrillée.

Mais cela m’a menée à un deuxième divorce. Ce qui m’a fait reconsidérer sérieusement ma vie sentimentale. Je n’étais peut-être pas faite pour le mariage ? Je sais qu’il ne faut jamais dire ‘jamais’ mais je crois que je suis vaccinée.

Quand j’ai besoin de victimiser, je me dis que je n’ai pas eu de chance : Bradley et moi étions très complices mais on ne pouvait pas vivre ensemble, Sean et moi étions de parfaits colocataires mais n’avions aucun point en commun…

Mais de façon plus lucide, je dirais que les deux m’ont sincèrement aimée, les deux ont essayé de trouver leur place à mes côtés et les deux se sont brisé les reins à l’assaut de la tour fortifiée dans laquelle je m’étais enfermée en déployant la bannière « Je t’aime mais je n’ai pas besoin de toi ».

Je n’ai gardé aucune rancœur.

Même si mon premier divorce a été douloureux. C’était la première fois que je faisais confiance à quelqu’un qui était censé m’aimer à la vie à la mort, comme ma mère biologique. J’ai donc ressenti le divorce comme un deuxième abandon et je suis partie en vrille.

Je me revois, juste avant de nous séparer, dans cette spirale nauséabonde de violence et de jalousie où l’on en est venu aux mains et je me revois drapée dans une mesquinerie sans nom au moment du partage des biens…

Je me revois surtout, quelques temps après, me jurer à moi-même de ne plus jamais vouloir être celle que je venais d’être et que j’exécrais de toute mon âme. Cela m’a tellement traumatisée que j’ai tenu ma promesse jusqu’à ce jour.

Je suis même restée en bonne relation avec Sean qui, après notre divorce – le plus courtois que les juges aient pu voir de leur vie ! – s’est expatrié à l’autre bout de la terre et que je revois avec plaisir lorsqu’il revient en France.

Ainsi, lui et Bradley m’ont aimée comme ils ont pu et même s’ils ont eu des torts, la palme m’en revient sans l’ombre d’un doute. Je ne suis pas un cadeau. Plutôt un boulet aujourd’hui, avec ma fibromyalgie. Bref, je ne me souhaite à personne.

En amour comme en amitié. Il vaut mieux me fréquenter en pointillés. A exposition prolongée, je deviens insupportable. Mes amis, ceux qui ont résisté, l’ont bien compris. Nénette la première. Et pourtant, je lui en ai fait baver !

Même mon chat a capitulé. Au bout de dix ans de vie commune, du jour au lendemain, il a fait en sorte que je le laisse à demeure chez sa nounou préférée, me crachant dessus dès que je venais lui rendre visite ensuite !

14.00. Un mail du voisin FFP2 sur le nez pour aller chercher le pain :

« ‌‌Chers voisins et amis,  

J’ai eu l’occasion, en particulier très récemment, de mieux connaitre certains d’entre vous. Avec mon épouse, nous avons imaginé un pot/petit barbecue chipolatas et merguez sur notre terrasse vendredi 5 juin vers 18h30/19h00 pour fêter la fin progressive du confinement et retrouver cette convivialité qui nous tient à cœur. Un petit groupe de voisins anciens et nouveaux… Bon sang ! Que la vie redémarre ! »

C’est l’appart-terrasse de 200 m² au dernier étage où j’ai déjà fait quelques afters très arrosés de Fête des Voisins auparavant. L’ascenseur se souvient bien de moi.

Bon, les merguez et les bobos de l’immeuble, ça me tente moyen. Allez, je dis oui. Ça me fera du bien de redevenir mondaine le temps d’une soirée et qui sait, je me ferai peut-être de nouveaux contacts pour trouver un boulot ?

 

LA TACTIQUE DU HERISSON

 

 

– Bonjour, je vous appelle pour vous informer que l’on a fait une transfusion de plaquettes à votre mère et que nous mettons en place un nouveau traitement censé la rebooster. Nous pensons la transférer vendredi en maison de convalescence à Sèvres en attendant son placement en EHPAD le 13 juin, c’est bien ça ?

Quand je l’ai dit à Maman, elle a voulu rassembler ses affaires et m’attendre pour rentrer à la maison… Cela m’a fait mal au cœur.

Vendredi 22 mai 2020 – DECONFINEMENT J+12

10.00. J’attends que la maison de convalescence m’appelle. Hier, ils m’ont dit qu’ils auraient peut-être besoin de la carte vitale et de la mutuelle, j’en profiterai pour apporter d’autres affaires. Bien que je sache qu’elle n’en aura pas besoin car elle ne change de culotte que si on lui arrache celle qu’elle a sur elle.

Je pourrais appeler l’hôpital pour savoir vers quelle heure ils comptent la transférer mais comme ils m’ont gentiment envoyée balader hier, je n’ai pas insisté. Pas envie non plus de tanner à nouveau le cuir de mes fesses sur les chaises de la salle d’attente, j’attends simplement qu’on m’appelle.

Pendant ce temps-là, je me secoue les puces et je prépare mon plan de bataille. En premier, la logistique du déménagement. Demain, je vais acheter des cartons et du papier-bulle pour la télé et c’est parti. Cela devrait aller vite car le volume des affaires de ma mère n’est pas énorme, le tri ayant été fait quand elle est arrivée il y a sept mois. Le plus complexe va être de distinguer ce qui suivra ma mère à l’EHPAD de ce qui restera chez mon frère.

Je loue un petit garde-meubles depuis la fin du restau où j’ai stocké les archives de ma société, une table, deux chaises et une étagère de ma mère que j’avais recyclés au restau et que je n’ai pas eu le cœur de laisser là-bas. Des conneries aussi, comme mon sapin de Noël.

Bref, je n’ai plus les moyens de garder ce box mais il peut se rendre utile encore quelques temps. Donc, le plan c’est de jeter ces archives et de rapatrier toutes mes conneries dans mon appart pour les remplacer par les affaires de ma mère, en attendant le déménagement le 13 juin.

Ensuite, je réaménage l’appart : ce sera principalement le jeu des chaises musicales et un peu de bricolage. Mais pour ça comme pour le garde-meubles, il faut des muscles non-fibromyalgiques. Quand je repense au bulldozer que j’étais avant ! J’aurais plié ça en deux temps trois mouvements sans l’aide de qui que ce soit ! Bref, merci Kevin.

C’est mine de rien une situation qui n’a rien d’évident : je dois réaménager l’appart pour moi seule comme il y a six ans avant Kevin, tout en sachant que peut-être je serai à la rue dans quelques mois. Je ne vais donc pas acheter de nouveaux meubles, je n’en ai pas les moyens de toute façon. Ça tombe bien, le home staging, c’est mon dada.

Indispensable, tout ça. Je me connais, je ne pourrai pas avancer sinon. Je suis ultra-séquentielle, parfaitement infichue de me dédier à une autre tâche tant que la précédente n’est pas terminée.

12.30. Kevin m’appelle pour me dire qu’il ne sera pas disponible avant douze jours. Il me dit voir quelqu’un qui souhaite passer une semaine chez lui et qui ne veut pas qu’il soit ‘contaminé’ par moi s’il vient me donner un coup de main…

J’avoue que c’est une surprise, bien que je ne m’attendais pas à ce qu’il reste célibataire ad vitam aeternam. Je lui demande si c’est quelqu’un que je connais, il hésite une seconde à me répondre par la négative, ce qui ne me laisse aucun doute du contraire.

Je pourrais faire la pie mais je m’en fous, en fait. J’espère juste que leur relation ne s’est pas nouée dans mon dos à l’époque. Car même si notre rupture est bel et bien consommée, ce n’est jamais agréable d’apprendre une trahison après coup. Bref, je pense qu’elle est simplement jalouse. Mais c’est de bonne guerre.

Du coup, je dois revoir mes plans.

Ainsi, Kevin m’aidera à vider mon garde-meubles dans douze jours donc et mon frère viendra chercher l’ensemble des affaires de ma mère quelques jours après pour les déposer à l’avance à l’EHPAD. Si d’ici là, on a le droit de voyager au-delà de 100 km. Et ensuite, je me débrouillerai avec mes petits bras pour réaménager l’appart.

Moi qui m’étais secouée pour avancer, me voilà déjà dans l’ornière. Délayer sur douze jours ce que j’étais prête à faire en trois, c’est de la méga-procrastination. Mais forcée, sur ce coup-là. Et je ne peux m’empêcher de constater que tout le monde avance, sauf moi.

Figée à un énorme carrefour au bord du passage-piétons. J’ai envie de traverser puis je me ravise et je finis par laisser les feux se succéder sans bouger d’un iota. Je suis perdue. Je ne sais pas vers quoi me diriger ni quelle rue emprunter, je n’ai pas de carte, encore moins de GPS, à supposer que j’ai une adresse à lui indiquer. Le bourdonnement de la rue, le mouvement des gens, des voitures me donnent le vertige. Ça me submerge. Mon réflexe est de rentrer tout au fond de ma coquille.

Il va bien falloir pourtant que je me donne un coup de pied aux fesses. Mais pour aller où ?…

Je me rends compte à quel point j’ai besoin d’aide en ce moment. L’aide d’un psy. Mais ça, comme l’acupuncture, cela devra attendre que je retrouve une paie. Je vais m’en sortir, je pense, car j’ai déjà processé pas mal de choses, mais l’aide d’un pro ne serait pas superflue. J’étouffe un peu, en fait.

Je suis encore loin du break psychotique qui m’a poussée à consulter il y a sept ans mais l’état larvaire dans lequel je me suis engluée ces derniers temps est de plus en plus intenable. D’en connaître la cause principale ne m’avance guère car c’est repartir sur un chemin que je m’étais jurée de ne plus arpenter.

«… En effet, en dehors des symptômes très largement présents chez tous les patients atteints de fibromyalgie, douleurs diffuses et chroniques, asthénie, troubles du sommeil, il existe un autre syndrome : l’état anxio-dépressif et parfois même une dépression sévère voire mélancolique… »

Et ça, ça veut dire cocktail d’anti-anxiolytiques et d’antidépresseurs, avec le petit parasol en crépon et la cerise confite. Je préfèrerais un Perrier-menthe et quelques séances sur un divan. Du coup, je me revois il y a sept ans dans le cabinet de la psy qui me parlait de troubles de la personnalité borderline, de bipolarité, de cyclothymie…

J’étais atterrée. Une prise de conscience très violente mais nécessaire, de mes actes et de mon comportement, limites tous les deux. J’ai pris alors la décision de me soigner et de faire en sorte de ne plus jamais revivre ce que je venais de vivre, à savoir cette crise psychotique qui avait bien failli m’annihiler pour de bon. J’avais vraiment fait n’importe quoi jusqu’à ne plus pouvoir me reconnaître dans le miroir.

Comme cette crise d’hystérie où je m’en suis prise à un ami qui ne m’avait rien fait. Je me revois ivre de colère lui aboyer dessus, pourquoi, je ne sais pas, et si j’avais eu une arme dans les mains à ce moment-là, je sais que je serais en taule aujourd’hui. Le pauvre ! Bien sûr, il a coupé tous les ponts mais peut-être qu’il n’est pas trop tard pour m’excuser ?…

Je buvais aussi à l’époque, beaucoup, je m’imbibais littéralement jusqu’à l’intoxication. En fait, je ne savais pas fonctionner sans alcool. Ça me faisait faire des choses que je ne regrettais pas vu que je ne m’en souvenais pas le lendemain. Je faisais les pires trucs et je n’en subissais aucune conséquence. Et j’évitais les miroirs.

Cette autodestruction a duré quelques temps jusqu’au jour où j’ai eu un blanc, un vide, une absence. Et un soir, j’ai avalé une bouteille entière de Jack et de quoi anesthésier un éléphant. Mon plan était de ne pas me réveiller. J’ai fait un coma. Je me suis réveillée. Et là, j’ai dit stop, direction le psy.

Dès lors, j’ai tout gobé, diagnostics et petits cachets, sans chercher plus loin. Et j’ai tout arrêté quelques mois plus tard car j’ai cru que j’étais ‘guérie’. Mon histoire avec Kevin venait de commencer et la passion des débuts aidant, j’ai cru que cela était le meilleur des antidépresseurs.

Je vois bien aujourd’hui que le problème sous-jacent est toujours là. Tapi dans l’ombre depuis trop longtemps à son goût, il ne pouvait revenir sur le devant de la scène qu’avec véhémence.

Et je ne peux m’empêcher de constater la similitude de ma situation d’aujourd’hui avec celle d’il y a exactement sept ans : sortant d’une relation houleuse et stérile, bonne pour le couvent, perdue, sans job, sans boussole… Tout ce qui diffère, c’est qu’aujourd’hui je suis fauchée et sobre comme un chameau. Mais est-ce bien important ?

Vais-je avoir à nouveau un break psychotique ? Vais-je me résoudre à reprendre un traitement ? Vais-je retrouver la force de me battre ? Ne vais-je pas lâchement choisir de tout envoyer valdinguer et de tirer ma révérence ?…

14.00. Je finis par appeler la maison de convalescence où ma mère est bien arrivée en fin de matinée. Je l’ai même au téléphone.

  • Maman ? Comment vas-tu ?
  • Bof… Quand est-ce que je sors ?

J’irai dimanche après-midi lui apporter des affaires. Je demanderai si une petite visite en ninja est tout de même possible… Voilà, il n’y a plus qu’à attendre. Même si je sais qu’elle est entre de bonnes mains et que je ne peux plus rien y faire, je m’inquiète. Je crains qu’elle ne remonte pas la pente.

Tout petit moral. Je dirais même que je suis au fond du puits. Mon estime de moi-même est au plus bas. Je n’ai qu’une envie : me rouler en boule et hiberner jusqu’à l’année prochaine. Et ce ne sont pas les mises en garde alarmistes à la radio qui annoncent un retour du Covid à l’automne qui m’aident.

Si jamais je parviens à reprendre un semblant de vie avec un job notamment, ça se passe comment si on est reconfinés avant la fin de ma période d’essai ? Ça se passe comment pour ma mère qui a déjà le moral dans les chaussettes au bout de trois jours sans voir personne ?

Le présent, c’est chiant. L’avenir, c’est angoissant. Il pleut ce soir. Parfaitement raccord avec mon humeur. Allez, je me roule en boule.