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LE SAMU

– Je veux mourir !

– Bah on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie.

Comme cela n’a pas l’air de la faire rire, je tourne les talons et je jette le contenu de son assiette à la poubelle.

Vendredi 8 mai 2020 – CONFINEMENT J+53

Devant mon évier, je cogite. Je suis inquiète, apparemment, elle ne veut plus rien avaler. Elle ne veut plus ou ne peut plus ? Mais comme je ne peux pas lui mettre un entonnoir dans le gosier et que je ne peux pas l’euthanasier, je ne sais pas trop quoi faire.

L’hypothèse du covid paraît maintenant bien moins plausible, même si ça expliquerait sa toux et son essoufflement. Quant à la montée en puissance de sa myélodysplasie, ça n’explique pas ses nausées. Son anorexie mentale, peut-être mais pas son asthénie qui est due, elle, à la myélodysplasie. Je tourne en rond, quoi.

Au bout d’un moment, j’en arrive tout de même à une troisième hypothèse, celle que j’ai formulée depuis le début ou presque : ce serait son cocktail de médicaments dont la dose pour certains a été doublée récemment, qui la détraquerait. Les troubles dont elle se plaint sont écrits en gros dans la liste des effets indésirables. Me voilà donc en prise avec un gros dilemme : qu’est-ce qui prime, que son taux de plaquettes remonte ou qu’elle puisse s’alimenter ? J’ai ma réponse, en fait.

Comme je ne veux pas prendre la responsabilité d’arrêter les médocs de ma mère sans avis médical, pas le choix, je dois appeler le 15 car on est férié. Pourvu qu’ils ne décident pas de l’envoyer aux urgences car je n’ai vraiment pas envie d’y passer le reste de ma journée ! La dernière fois, je suis restée six heures dans la salle d’attente avant de choper un médecin qui m’a dit :

– Ce n’était pas la peine d’attendre, on vous aurait appelée !

Bah dis ça au mec qui se planque derrière son ordi à l’accueil, c’est lui qui m’a vissée sur ma chaise !

Bref. J’appelle Toto avant pour l’informer de ma démarche puis j’ai un médecin au bout de sa life au téléphone qui me donne le feu vert :

– Oui, faites ça et prenez rendez-vous avec son médecin traitant pour faire le point dès que possible. C’est elle qui décidera s’il y a lieu de l’hospitaliser ou pas.

Je booke de ce pas une téléconsultation pour lundi après-midi. Bon, j’imagine que ce n’est pas seulement le fait de ses médicaments mais plutôt un medley de tout, Horton, myélodysplasie, médocs et fin de vie. Mais je veux quand même tenter. Je m’en vais donc enlever les trois quarts des médicaments de son pilulier.

– Allez Maman, tu as trois jours pour retrouver un peu d’appétit !

COVID OR NOT COVID ?

Jeudi 7 mai 2020 – CONFINEMENT J+52

Je me réveille en sursaut à 6.21 ce matin, quelque chose me tarabuste… A force de regarder House M.D, ça donne des idées. Comme des symptômes cachant d’autres symptômes. Et si ma mère avait le corona virus ?

Ça fait un mois à peu près que toutes ses analyses sont parties en sucette, ça fait un mois qu’elle se plaint de sa léthargie, de sa grande apathie, de courbatures, de douleurs, qu’elle tousse, qu’elle est essoufflée rien qu’à se lever de son fauteuil, qu’elle a le nez qui coule, des diarrhées, la perte de goût… Tout pointe vers le corona sauf… la fièvre qu’elle n’a absolument pas, c’est d’ailleurs pour cela que je ne me suis pas affolée, mettant tous ces troubles sur le compte de sa maladie qui s’aggravait.

Donc me voilà sur mon ordi à 6.32 à chercher si des cas de corona sans fièvre sont possibles. Comme il s’avère que oui, j’attends l’infirmière qui doit venir faire la prise de sang hebdomadaire de ma mère. Elle confirme et me dit que sur ordonnance de son médecin, elle pourra venir faire un test sans problème.

Ce qui est curieux, c’est que moi, je n’ai aucun symptôme, que dalle. Bref, j’appelle la doctoresse qui me fait l’ordonnance pour mardi. Si ma mère a bien le covid, je trouve que c’est, toutes proportions gardées, une bonne nouvelle car tout s’inverse : ce n’est plus le début de la fin, au contraire, c’est la preuve que son organisme se bat contre le virus et que par la suite surtout, elle ira mieux et sera immunisée.

Du coup, j’ai envie de me coller des baffes. Ma culpabilité refait surface.

Bon, on attend les résultats de ce test qui, cela dit, pourra être négatif car si ça se trouve, le virus est déjà parti de ma mère dont l’organisme peine à cicatriser depuis. Dans ce cas-là, il n’y aura aucun moyen de savoir si c’était le corona ou l’aggravation de sa maladie.

Mais moi, je veux croire qu’elle est forte et qu’elle va écrabouiller ce virus, qu’elle va lui faire un beau doigt d’honneur en lui survivant. C’est bizarre mais je me sens comme soulagée, je retrouve même mon âme de battante et mon positivisme.

Sur ce, je vais chercher les masques distribués gratuitement au gymnase d’à-côté avec mon petit formulaire d’inscription reçu de Monsieur le Maire par email il y a deux jours.

11.10. Un texto de Walter : « J’aimerais passer chez toi après le déconfinement, le jour que tu veux. »

J’aimerais tant y croire. Allez, je suis de bonne humeur aujourd’hui, je réponds : « Whenever you are ready. » Même si je sais comment ça va se passer. Dès lundi, je vais attendre un signe de lui qui n’arrivera pas et peut-être une semaine après, un bref texto me demandant pardon. Et rebelote dans un mois ou deux.

Et ce n’est pas sa réponse « I am. » qui me conforte. En fait, elle me fait aussi mal qu’elle m’emplit de joie. Et me revoilà, pour la dix-millième fois, en train d’espérer, d’essayer d’imaginer notre entrevue et de me préparer dans le même temps à être déçue.

Il dit être prêt, mais prêt à quoi ? J’ai à nouveau tendu le bâton pour me faire battre. Et moi, suis-je prête pour cette chose, quel qu’elle soit ? Se voir, d’accord mais qu’en découlera-t-il ?

Qu’est-ce qu’il en attend ? Qu’est-ce que j’en attends ? Est-ce le point de départ pour concrétiser notre histoire ? Même si j’ai envie de crier que c’est cela que je veux, suis-je capable d’effacer mon ressentiment ? M’en reste-t-il, d’ailleurs ?

Mais il y a cette petite voix au fond de moi, fluette mais têtue, qui me perturbe au plus haut point. Elle me souffle quelque chose que j’ai envie de croire mais que j’essaye d’éluder de toutes mes forces. Elle me dit que cette fois, ce sera différent…

Bref, ça me fait mal au coeur. J’y suis habituée, pourtant.

J’AI OUBLIE CE QUE J’AIMAIS FAIRE AVANT

– On est toujours confinées ?

– En quoi ça changerait quelque chose pour toi, Maman ?

Mardi 5 mai 2020 – CONFINEMENT J+50

Si les murs n’avaient pas été en béton armé et les fenêtres en double-vitrage, voilà longtemps que j’aurais eu les services sociaux sur le dos, à supposer qu’ils n’aient pas été confinés eux aussi, à force de crier sur ma mère comme je le fais. Surtout ce midi où j’ai particulièrement été odieuse.

Je ne parviens toujours pas à faire le gros dos. Je m’en veux, bien sûr et je remercie à nouveau chaleureusement Mère Nature de ne pas m’avoir dotée de pulsions meurtrières. De toute façon, j’ai tellement mal aux bras que je ne pourrais même pas lui coller une tarte.

Qu’il me tarde de ne plus être ce roquet colérique ! J’ai hâte de sortir de cet enfer qui me broie chaque jour un peu plus, j’ai hâte de reprendre ma vie ou d’en inventer une autre, j’ai hâte hâte hâte !

J’ai oublié ce que j’aimais faire avant, ce que j’aimais être. J’ai oublié que j’avais plus de mots doux dans le coeur que de mots durs dans la bouche. J’ai oublié ce que c’était que d’être en vie et d’aimer, j’ai oublié tout ça.

J’aimais chanter, j’aimais danser, j’aimais rire aux éclats, déguster du vin, flâner au hasard des rues, découvrir des passages secrets, prendre en photo tout et n’importe quoi, j’aimais tout ce qui avait quatre pattes, j’aimais prendre le temps de buller, j’aimais faire des bouquets de bleuets et de coquelicots, cueillir des noisettes, j’aimais aller me perdre tout au bout de Noirmoutier et imaginer que j’étais un goéland prêt pour sa première traversée de l’Atlantique…

Je veux retrouver tout cela.

EN COSTUME DE SUMO GONFLABLE

– Je deviens dure de la feuille, il faudrait peut-être que je passe un test d’audition ?

– Bien sûr, en plein confinement. Et ce n’est pas comme si ce n’était pas déjà fait le 15 février dernier.
– Ah bon ? Et je vais avoir un appareil ?
– Oui, le 1er janvier 2021 avec le 100% santé. Ou si tu trouves 1600 balles avant.

Je me retiens de lui rappeler que c’est elle-même qui a souscrit à cette mutuelle pourrie, la plus chère du marché et celle qui rembourse le moins. Là aussi, c’est parce qu’elle en avait marre de son ancienne mutuelle et qu’elle s’est faite embobiner par des démarcheurs.

Lundi 4 mai 2020 – CONFINEMENT J+49

Preuve déjà qu’elle perdait les pédales et qu’elle était devenue la proie favorite de tous les bonimenteurs de la terre. Comme chez le fleuriste où on ne lui a pas rendu sa carte bancaire, laquelle du coup a fait le tour des distributeurs d’argent des environs dans l’heure qui a suivi car elle ne s’en est aperçue que… le lendemain, quand elle a voulu justement retirer de l’espèce.

Et le marchand de fringues sur le marché qui lui refourguait tous les vendredis les pires oripeaux de son stand, j’en ai retrouvé la moitié avec leur étiquette dans son armoire quand je l’ai déménagée ! Bref, de l’argent proprement jeté par les fenêtres.

10.30. A la radio, ils parlent d’une start-up française qui a mis au point des caméras capables de détecter la proximité au centimètre près des personnes dans les bureaux et reliées à des enceintes, elles peuvent envoyer alors un signal sonore… Oh, je sens qu’on n’est pas loin de la clôture électrique comme pour les vaches… Et si c’est au centimètre près, si on est à 1,98m au lieu de 2m de Robert notre collègue préféré, on se fait taser ? Et dans les toilettes, on fait comment ? Surtout que les caméras dans les toilettes, y a matière à débat…

Les restaurants eux aussi essayent d’anticiper mais il y a quand même un truc que je ne pige pas. Admettons, masques et gants pour les serveurs, tables espacées d’un mètre mais cela veut dire une seule personne par table ? S’ils sont deux, il faut bien qu’ils enlèvent leurs masques pour manger, ils peuvent donc se contaminer…

Donc, rouvrir pour faire dix couverts, cela paye-t-il les charges ? Ça ne paye même pas le gaz et l’électricité pour faire à manger.

Allez, moi aussi, j’y vais de ma petite idée. Je propose qu’on mette tous des costumes de sumos gonflables, comme ça, la distanciation est respectée partout. On peut même décliner en licornes dodues, en triceratops, en pastèques géantes… Sinon, robe-cerceau et collerette pour chien. Qui sait ? Nous sommes peut-être à l’aube d’une nouvelle ère vestimentaire ?

18.00. La Wii-Fit dit que j’ai pris deux kilos. Je ne comprends pas, je suis affûtée comme un opinel avec toute la gym que je fais, je ne mange pas plus qu’avant, même plus de chips mais j’ai pris du poids… Serait-ce le fameux adage ‘Les muscles pèsent plus lourd que la graisse’ ?

Assidue je suis, autant que je puisse l’être avec ma cohorte de douleurs. Même si parfois j’en pleure tellement je morfle, je ne lâche pas l’affaire. J’ai encore quelques capitons rebelles à mater.

Donc si les chips ne font pas la différence, je vais aller me réapprovisionner.

LE GRAND PLONGEON

« … Après avoir examiné votre candidature avec attention, nous sommes au regret de vous informer que celle-ci ne peut être retenue. En effet aucune opportunité ne semble pour le moment correspondre à vos attentes… »

Au moins, ils se sont fendus d’une réponse. Bon, il va falloir revoir mon prévisionnel car toujours sans boulot et avec ma mère qui va en EHPAD, ma situation ne sera certainement pas celle que j’avais prévue il y a deux mois.

Vendredi 1er mai 2020 – CONFINEMENT J+46

9.00. Je profite de la fête du travail pour faire une demande de RSA. Je m’y suis résignée car je n’ai pas trop le choix. Si on me l’accorde, cela ne paiera pas mon loyer mais c’est mieux que rien. Et je reçois le message suivant :

« Vous venez d’effectuer une demande de Rsa en ligne. A partir des informations saisies, nous ne pouvons pas déterminer votre droit au Rsa. Votre situation nécessite une étude particulière de votre dossier. Vous pouvez aussi bénéficier de la Prime d’activité. A partir des informations saisies, le montant s’élève à 42,12 euros par mois. »

42 balles, c’est la moitié d’un caddie de courses hebdomadaire chez Franprix. Du coup, me voilà frénétiquement à refaire mes petits calculs. J’ai une toute petite pelote, ma part de la vente de la maison de ma mère, que j’ai gardée en cas d’urgence comme celle qui se profile.

Donc, je tiendrai jusqu’à fin août. Je pourrai ensuite régler le mois de préavis de mon appartement et six mois de garde-meubles. Pendant ce temps-là, je planterai une tente dans le jardin de mon frère ou j’irai chez mes amis en Normandie qui me l’ont très gentiment proposé.

Voilà le worst case scenario. Allez, je prie pour que l’activité reprenne dans dix jours.

J’ai gardé contact avec le consultant qui m’avait accompagnée lors de ma création d’entreprises, on est même restés assez proches. Quand je l’ai appelé il y a quelques jours pour prendre de ses nouvelles et lui expliquer ma situation, il m’a suggéré avec malice :

– Tu es prête pour faire mon job, à présent !
Ça, oui ! Mais pas forcément comme on pourrait l’attendre.
– Quoi ? Vous voulez ouvrir un restaurant ? Ça va pas la tête ?! Vous avez quoi en prévision de tréso, un million ? Oubliez, sinon !

Non, je ne peux pas aider de jeunes créateurs d’entreprises, je suis trop désabusée. Je serais un avocat du diable bien trop persuasif. La France, surtout en ce moment, ne s’en remettrait pas, économiquement parlant.

18.45. «… Sinon, je vais passer une annonce pour trouver quelqu’un qui voudrait bien venir avec moi en Bretagne pour une vie paisible avec la charge mentale la plus basse possible… »

Walter et ses envies d’escapade. C’est très tentant. Mais comme ce n’est pas la première fois qu’il a ce genre de lubies, je range son texto dans le répertoire ‘Fantasmagories stériles de Walter’ et j’essaye de penser à autre chose.

Peine perdue, je fouille dans mes archives et je tombe sur cette très longue lettre que je ne lui ai bien sûr jamais envoyée. Enfin, je crois. Datée d’il y a sept ans, un peu avant que je ne rencontre Kevin, elle n’est qu’un extrait du journal de bord que j’ai commencé à écrire dès notre rencontre le 17 février 2001 dans lequel je retrace nos échanges, nos textos à la virgule près. Une longue chronique sur plus de deux-cents pages que bien sûr je relis avidement.

Je suis médusée de redécouvrir cette photocopie littérale de nos échanges. Depuis tout ce temps, pourquoi l’ai-je conservée aussi religieusement? Etait-ce parce qu’à l’époque déjà, je savais que c’était tout ce que j’avais, que c’était la seule preuve de son existence dans ma vie ?

Ainsi, ces mots, les siens, les miens, me sautent au visage dans une déstabilisante vivacité. Notre histoire ressuscite littéralement au fur et à mesure de ma lecture. Je revis intensément ces montagnes russes, cette alternance de lumière et d’obscurité et mon cœur s’étreint.

Je savais que c’était une connerie à ne surtout pas faire en ce moment. Ça me fait mal. Pas trop besoin de ça en ce moment en plus de tout le reste mais bon, je ne m’en prends qu’à moi-même.

Car cette lettre, bien que symbolique, n’est qu’une des innombrables boucles qui constituent la spirale de notre histoire en se répétant à l’identique, à intervalles plus ou moins longs, sans que rien ni personne, certainement pas nous, ne puisse briser ce cycle infernal depuis plus de 19 ans.

Bref, le voilà, le grand plongeon que j’ai tant tardé à faire.

Jeudi 24 janvier 2013
« Je ne souhaitais pas être ‘gonflé’, j’étais juste épuisé. Je me suis couché de suite. Tu risques de te perdre ? Et de me jeter comme avant ? Je savais que ce que je te demandais n’était pas réalisable… Je voulais te prouver que je n’avais pas peur ! Et hop, encore une volée de bois vert ! Je ne dis plus rien car je sens que ça monte. »Tu le prends comme une ‘volée de bois vert’, un ‘volage dans les plumes’ dans les règles de l’art… C’est bien dommage. Je ne t’ai pas répondu. Et comme à chaque fois lorsque je ne te réponds pas de suite, tu m’as relancée par textos, comme si tu avais peur que je veuille rompre le lien.Puis, tu m’as appelée. J’ai dû sortir, il faisait froid dehors, j’étais congelée !On a parlé. Au début, tu te forçais à avoir un ton léger en évitant soigneusement d’aborder les points de discorde. Moi, je n’ai pas pu rester consensuelle, alors j’ai mis les pieds dans le plat. Là, le ton est monté, le tien principalement, puis tu as éclaté en sanglots, visiblement à bout de nerfs. On a fini par s’expliquer et ça nous a fait un bien fou, comme la pluie salvatrice d’un orage après une journée étouffante.

Ta demande de venir vivre avec toi tout de suite, c’était… pour me tester ! Pour voir si j’étais prête à faire le même grand saut que tu t’apprêtais à faire. Tu m’as ressorti que mon ex-mari avait tout quitté pour moi et que c’était une des raisons pour laquelle je m’étais mariée avec lui… Mais quel rapport avec nous ?! Pour toi, ce serait une preuve de mon engagement ? Que tu ne croiras à nous qu’à cette condition ? Je crois que c’est plutôt à toi de m’apporter cette preuve d’engagement.

Tu as pris mon refus pour ce qu’il n’était absolument pas, à savoir que je te rejetais, toi et tes enfants. Tu crois que je ne veux pas d’histoire sérieuse avec toi et tu me penses frivole, inconstante, ‘versatile’ pour reprendre tes termes… Mais bientôt douze ans et… je suis toujours là.

Je te l’ai fait remarquer et je t’ai rappelé que tu avais complètement occulté ma condition sine qua non pour cette vie à deux, à savoir qu’on s’aime d’abord et qu’ensuite seulement, je te suivrais au bout du monde. J’avais d’ailleurs bien insisté en t’envoyant le ‘mode d’emploi’. Ta voix a alors subitement changé et tu m’as répondu « C’est vrai… Comment ça se fait que j’oublie ce genre de choses ? » comme si d’un seul coup, la lumière se faisait en toi.

Moi, je sais. Tu prends le mors aux dents et tu fonces tête baissée vers un chiffon rouge imaginaire. A ce moment-là, tu ne vois plus rien d’autre. C’est très blessant. Au début, je ne comprenais pas mais aujourd’hui, je pense pouvoir dire que je te cerne mieux.

Alors, ce n’est pas si mal, hein ? Déjà, tu parviens à reconnaître tes torts et à t’excuser (à ta manière). Mais il reste du boulot ! Je t’ai dit que j’aurai la patience d’une amie fidèle pour t’accompagner mais mon amour saura-t-il résister encore longtemps ?…

Plus tard dans la soirée, toi :

– Es-tu masochiste ? Moi, je ne me supporterais pas 🙂
– Non. Tu peux être un vrai con, c’est vrai, et parfois je te déteste. Mais il y a du bon en toi, des étoiles, de la lumière et j’aimerais tellement t’aider à ce que tu ne voies plus que ça !

Vendredi 25 janvier 2013
– Merci pour le ‘vrai con’ lol. Non mais je peux t’expliquer et tu comprendrais tout. Mais en live alors ! Je ne veux plus te rendre triste. J’espère que tu me pardonneras.
– As always
🙂

Samedi 26 janvier 2013
– Bonjour. Tu aimes ? Il est beau, non ? » (en référence à la photo d’un bouquet de fleurs que tu venais de m’envoyer)
– Oui… A quand en vrai ?
🙂
– Soon, so soon.

Dimanche 27 janvier 2013
« Bonjour ! Comment vas-tu ? Ça a été hier ? Moi, drôle de soirée… »

Il faut savoir que mon week-end a été des plus mouvementés. A J-7 de ma première scène musicale avec force répétitions et réunions d’organisation, je n’ai pas eu une minute à moi… Et devant l’absence de réponse de ma part, tu m’as relancée vertement par texto en fin de journée :

« Alors ? Pas de nouvelles ?! »

Je t’ai alors répondu :

« Désolé mais je n’ai vraiment pas eu une minute à moi aujourd’hui. Je pensais aussi que tu souhaitais souffler quelques jours…»

J’ai imaginé que tu devais avoir besoin de me parler et que l’absence de réponse de ma part t’a frustré… J’ai effectivement un planning chargé en ce moment, et bizarrement, c’est toujours à ce moment-là que tu as besoin de moi et que je dois être disponible ! Je ne te dirai plus à l’avance mon planning, je verrai si tu le fais exprès ou pas !

Lundi 28 janvier 2013
– Bonjour ! Whaaa quel week-end ! Que fais-tu demain ?
– Je travaille un peu, pourquoi ?
– Je serai sur Paris de 10h à 16h.
– Pile poil ma plage horaire ! 🙂 Ensuite je suppose que tu iras récupérer tes filles ?
– Eh oui, pour 18h. Tu ne peux pas sécher ?
– Pas là, non, pas trop… Déjà que je fais des horaires raccourcis !🙂
– Je comprends, en ce moment… Tu déjeuneras où ? »
Se sont ensuivis quelques propos sur ta fille et son nouveau traitement, puis plus rien. En fin de journée, je t’ai envoyé un texto te disant que j’étais finalement dispo le lendemain matin et le midi… Pas de réponse.

Mardi 29 janvier 2013
Aucun message de ta part, rien… J’ai senti immédiatement que quelque chose n’allait pas.

« Bonjour, est-ce que ça va ? »

Ce à quoi tu as daigné répondre en fin de journée :

– Bonjour, oui ça va !
– J’ai eu peur…
🙁
– Pourquoi ?
– Parce que mauvaise intuition…
– Ah bon ?
– Tu n’as pas l’air dans une forme olympique tout de même, si ?
– Moyen. Mais je viendrai samedi.
– Puis-je te demander pourquoi ‘moyen’ ?
– J’aimerais qu’on me laisse, un peu.
– D’accord. Courage, bizooo.
– Je ne te repousse pas, bonne chance pour demain.
– Je sais.
🙂 »

Mercredi 30 janvier 2013
Pas de nouvelles. Bon, ça ne m’inquiète pas outre mesure vu que tu m’as dit hier. Mais ne t’avise pas samedi de me jouer l’Arlésienne devant ma mère et tous mes amis !

A vrai dire, je ne sais plus trop quoi penser. Il faut peut-être replacer tout ça dans le contexte : je suis à la veille de savoir qu’officiellement je n’ai plus de boulot et qu’il va falloir que je repense ma vie que j’ai mise, par la force des choses, en stand-by depuis quelques temps déjà. Je vis au jour le jour, j’essaye de ne pas trop penser, ça fait un peu roue libre dans ma tête en ce moment… Et la situation avec toi est du même acabit : en stand-by, en roue-libre, au jour le jour…

Bipolarité !

Ça fait un moment que j’y pense te concernant mais comme je ne suis pas psy, j’ai fait quelques recherches sur internet et je suis tombée sur cet article :

« … Le trouble bipolaire (ou trouble maniaco-dépressif, anciennement classifié sous les termes de psychose maniaco-dépressive (PMD) ou maladie maniaco-dépressive (MMD)) est un diagnostic psychiatrique décrivant une catégorie de troubles de l’humeur définie par la fluctuation anormale de l’humeur, oscillant de périodes d’excitation marquée (manie) à des périodes de mélancolie (dépression)… »

C’est ça ? Tu ne m’as jamais parlé clairement de ta ‘maladie’, je pense que tu as honte. Tu ne devrais pas.

Mardi 5 février 2013
Je ne sais pas par quoi commencer… Ces derniers jours ont été des plus extraordinaires, au sens propre du terme, surtout samedi… Que d’émotions ! Que de sensations fortes ! Et enfin, la révélation suprême… Décidément, le mois de février est notre mois !

Retour au jeudi 31 janvier 2013. Toi :
« Bonjour, j’espère que tu as de la voix pour samedi 🙂 Et ton travail, alors ? J’ai hâte de te voir sur scène ! »

Là, je t’ai envoyé ma feuille de calculs de mes indemnités de licenciement avec l’échéancier et le planning sur un an. Pour faire court, je serais en ‘vacances’ à partir d’avril jusqu’à décembre en conservant mon salaire et de solides indemnités à la clé.

– C’est bien ! Que vas-tu faire après ?
– Chaque chose en son temps, je pense.
– Que vas-tu faire de tes ‘vacances’ ?
– Acheter une voiture, me remettre en forme avec un coach sportif, écrire de nouvelles chansons, faire un tour dans le Montana…
– Ah, OK.
– D’avril à juin. Peut-être une formation à partir de septembre, je sais pas trop… Pourquoi, c’est pas bien ?
– Pas d’autre projet ?
– Vivre avec toi ?
– Si tu as une place dans ton programme ?
– Ce n’est pas un projet, ça se fera, c’est tout.
– Un projet de vie !!!
– Pour moi, c‘est juste un concept. Toi, tu vas devoir, c’est vrai, le mener comme un ‘projet’ avec un planning, des dead-line et des rapports d’activité. Mais on arrivera bien à se rejoindre en fin de compte, non ?
– Je vais dans le Montana ?
– Hein ?
– Laisse tomber.
– Laisse tomber quoi ? Je sais que tu n’es pas bien en ce moment.
– Non mais je ne vois pas au loin…
– Au figuré, je suppose ? Ce n’est pas grave. A regarder trop loin, on ne voit pas où on met les pieds et on trébuche. Je sais que tu as un besoin viscéral de te projeter et de tout cadrer à l’avance. Mais souffle un peu !
– Non mais tu vas me laisser, oui !
– De quoi tu parles ?! Honnêtement, je ne vois pas ce qui t’angoisse autant. Pour l’instant, je suis là, je t’aime et je n’aime que toi. Profite !
🙂
– On n’a pas les mêmes idées.
– Sur ? La dernière conversation qu’on a eue n’a servi à rien, apparemment…
🙁
– Oui.
– Alors, bonne soirée, bizoo.
– « On aura le temps de se prendre un appart, de s’installer, de profiter de vacances !!! » Ça c’est bon !
– Qui dit ça ? Toi ? Tu connais, je l’espère, ma seule condition. Si oui, j’avais espéré qu’on pourrait vivre ensemble à la rentrée.
– Ce que tu aurais pu dire… Je n’y crois pas.
– Je te le dis.
– C’est la première fois !
– Tu n’as pas bien écouté (ou lu) alors. Je n’ai pas dévié d’un iota, j’ai toujours été très claire, me semble-t-il.
– OK ! C’est moi. A samedi, alors ?
– Of course !
– Je me ferai discret.
– Pourquoi ?
– Je préfère.
– C’est-à-dire que tu te mettras dans un coin et que tu ne parleras à personne ? Woww
– Où est le problème ?
– OK, si tu le sens comme ça. Tu as peur de quoi ? De mes amis ? De ma mère ?
🙂
– Je veux te voir chanter ! C’est tout.
– J’ai bien compris mais que feras-tu en attendant ? Parce que le show commence à 14h mais on ne sait toujours pas à quelle heure on passe et si on fera un ou plusieurs passages… Donc, si tu restes dans ton coin, tu risques de t’emmerder un brin.
– Ah bon ? Ca ne sent pas bon, tout ça…
– De quoi ?
– Le plan !
– Pour toi ?
– Yep
– Eh bien ne viens pas ! Si tu ne veux rencontrer personne et faire ton clandestin, ce n’est pas la peine.
– OK je souhaite juste te voir chanter !
– Non.
– Mais comme tu voudras.
– C’est bon, là, tu m’as fait mal.
– Mais non! Je te dis que de rencontrer ton monde d’un coup n’est pas évident.
– Fais comme tu veux.
– OK salut.
– Comment veux-tu que je me projette avec toi alors que tu n’existes même pas ?! Tu n’es qu’un fantôme et apparemment, tu tiens à le rester ! Tu ne pouvais pas me faire plus mal.
– Super…
🙁 Bon écoute, tu seras avec moi ? Si tu es avec moi, OK !!!
– Tu pensais quoi ? Que j’allais te poser dans un coin et t’ignorer tout le reste du temps ??
– Désolé. Bon, tu es fâchée, c’est normal. Je serai là !
– Je ne suis pas fâchée, j’ai mal, c’est pas pareil.
– Je serai là ! J’ai eu mal aussi il y a quelques temps !
– Et alors ? C’est un prêté pour un rendu ?
– Ca va pas ?! C’est pour dire qu’on est con, parfois. A plus tard. C’est chiant, ces embrouilles ! On fait quoi, alors ?
– On fait quoi quoi ?
– Tu as envie de continuer ?
– Nous deux ?
– Oui.
– Avec un fantôme, non.
– Et tu veux me présenter comme quoi ? Un fantôme ?
– Je pensais tout simplement : « Je vous présente Walter. » Et pas à tout le monde !
– Comme un ami, alors.
– J’ai imaginé que tu serais mal à l’aise si je disais plus que ton prénom. Que voudrais-tu ?
– Je suis super mal de venir. Alors, juste le prénom, c’est bien.
– Si tu es mal, ne viens pas.
– Ah bon ? As you want… Tu veux que je vienne ou pas ?
– Je ne veux pas que tu sois mal.
– Tu veux que je vienne ou pas ?
– Fais comme tu veux, je t’ai dit.
– Tu t’en fous, maintenant !
– Si c’est pour que tu sois mal, je n’ai pas envie.
– Et si je ne viens pas, c’est fini, c’est ça ?
– C’est bien, tu fais les questions et les réponses.
– Evidemment que je vais venir ! Mais c’est bizarre que tu ne me dises pas qui il y aura, tout ça…
– Tu m’as demandé une place, je t’ai pris une place, après tu me dis que tu viens mais qu’en fait c’est comme si tu n’étais pas là car tu te cacheras. Après tu me demandes d’être avec toi mais que tu seras mal, je ne sais plus sur quel pied danser ! Moi aussi, je suis mal, maintenant. Honnêtement, ce n’est ce dont j’ai besoin en ce moment. Alors je vais essayer de faire de mon mieux sur scène, je leur dois. Et toi et moi, on va faire simple : tu viens, tu ne viens pas, on avisera.
– Ah super ! Je t’ai demandé comment me procurer une place, c’est tout.
– Peu importe, ça me faisait plaisir de te la prendre. Je ne peux pas faire plus simple.
– OK, on avisera.
– Tu veux savoir qui il y aura ? Pour savoir à quoi t’attendre ? Si ça peut te rassurer, personne ne te cuisinera et les rares personnes auxquelles je pourrai te présenter seront heureuses de te rencontrer.
– Tu ne m’as rien demandé !
– Demandé quoi ? Si tu voulais que je te présente ? Je n’avais pas ça bille en tête, non. Je me suis dit, s’il vient, s’il le veut, oui. J’avais l’intention de faire les choses sans calcul.
– Ce sera très bien. »

Puis, le lendemain, tu m’as appelée. On a eu à nouveau une longue conversation. J’ai alors compris ton appréhension, c’est juste que je n’avais pas pensé que cela pouvait être une présentation officielle. Je t’ai rassuré en te disant qu’il fallait laisser les choses se faire d’elles-mêmes et que tout irait bien.

Puis, tu m’as dit vouloir rompre. Parce qu’on n’était pas sur la même longueur d’ondes, parce qu’on ne voulait pas les mêmes choses, parce qu’on n’avait pas les mêmes projets de vie. Cela ne m’a pas surprise. Ni même anéantie. Car quelque part au fond de moi, je le voulais aussi. Je ne voyais pas d’issue à notre incompréhension mutuelle qui dure depuis bientôt douze ans.

Mais je ne sais pas pourquoi, je t’ai travaillé au corps, comme on dit, je t’ai poussé pour que tu me dises tout ce que tu avais sur le coeur, pour que tu ailles au bout de ta pensée laquelle pour moi, même si elle était loin d’être concise, devait néanmoins s’exprimer.

Comme à ton habitude, tu m’as sorti un méli-mélo de questions et d’interprétations diverses, sans aucune réponse ni de conclusion particulière. J’ai alors haussé le ton :

« Ecoute-moi bien car c’est la dernière fois que je te le dis. J’aurais préféré te le dire en face mais tant pis, ce sera au téléphone.

Je suis prête à vivre avec toi, avec ta petite famille mais pas tout de suite à cause de TA SITUATION ! Je pensais rencontrer tes enfants en juillet lors, si c’est possible, d’un voyage pour les vacances. Bien sûr, tu aurais divorcé d’ici là. Puis, vers septembre-octobre, je pensais oui qu’on pourrait s’installer ensemble.

Sache une chose me concernant : je n’ai qu’une parole et je ne m’engage JAMAIS à la légère. Si je m’engage, j’y vais à fond, de tout mon coeur, sinon je ne m’engage pas.

Ce que je t’ai dit, ce que je t’ai écrit, je le pense. Ne remets plus jamais en doute ma parole.»

Tu as semblé tomber des nues, comme si je prononçais ces paroles pour la première fois… Bref, on s’est dit à demain.

Et le lendemain est arrivé. Moi, j’avais le trac chevillé au corps et j’ai été à la bourre dès lors que j’ai ouvert les yeux. « Journée de merde ! » me suis –je dit en imaginant le pire, comme ma piètre prestation sur scène, ma déception de ne pas te voir et notre méga-embrouille à la clé…

Mais il n’en a rien été.

Voici d’ailleurs ce que je t’ai dit le soir : « Je crois qu’aujourd’hui, c’était le plus beau jour de ma vie. »

A un moment donné sur scène, sous les applaudissements, j’ai regardé mes amis, ma mère, je t’ai regardé toi et j’ai ressenti alors un bonheur immense m’envahir : c’était la photo parfaite, je n’ai jamais été plus heureuse qu’à ce moment-là !

Tout le monde me l’a dit : j’étais radieuse, lumineuse, ivre de bonheur, je rayonnais littéralement !

Et tu n’étais pas caché derrière un poteau à me regarder de loin, non, tu étais assis à la même table que mes amis et de ma mère à parler, à faire connaissance le plus simplement du monde. Comme si tu avais trouvé ta place, naturellement.

Je t’ai guetté un peu vers 12h30 mais comme on me réclamait pour la balance-son, j’ai dû me résigner à quitter la porte d’entrée des yeux… Tu es alors arrivé en catimini, tu m’as glissé dans le cou « Bonjour… » et moi, j’ai fondu !

On ne s’est quasiment pas quittés. Tu t’es installé à mes côtés à table et je t’ai présenté à tout le monde très simplement… Tu t’es rapproché de moi, tu as eu ces gestes d’affection qui ne mentent pas et tout naturellement, je me suis lovée contre toi… C’est ça qui est fou : tout s’est fait le plus naturellement du monde, on ne pouvait pas être plus à l’unisson qu’à ce moment-là !

On s’est pris en selfie, toi et moi, puis mes amis ont proposé de faire des photos de couple, ce qui ne t’a pas effrayé, bien au contraire ! Et lorsque je t’ai présenté à d’autres amis qui ont instamment demandé qui tu étais pour moi, même l’hésitation que j’ai pu avoir n’a rien entaché, je dirais même qu’il a provoqué l’inattendu : tu m’as embrassée devant eux en disant « Comme ça, c’est clair ? » !

Mes amis m’ont dit que c’était une évidence flagrante que tu étais fou amoureux de moi car tu ne me quittais pas du regard, tu étais plus qu’attentionné… Sur une des photos de ‘couple’, ça se voit, tu me regardes avec tellement de choses dans les yeux…

A table, tu t’es même targué de vouloir prendre un appartement avec trois chambres au moins, une pour nous, une pour tes filles et une pour… Je me suis arrêtée, je t’ai regardé, tu avais cette lueur mi interrogative, mi amusée dans les yeux… Tu as abordé ce sujet devant tout le monde, sans contrainte, naturellement une fois encore… Et même si mes amis faisaient semblant de s’intéresser à autre chose, crois-moi, ils ont bien entendu ! Ils n’en revenaient pas !

Puis, il y a eu le spectacle… Même si j’évitais de te regarder par peur d’être déstabilisée, je pouvais sentir ton regard qui ne me quittait pas une seule seconde. J’avais presque hâte que ça se termine… pour te retrouver. Même si je savais que c’était aussi synonyme de ton départ.

Je t’ai raccompagné, on a discuté un peu, tu m’as dit avoir passé une merveilleuse journée et je n’ai pu qu’approuver… On s’est embrassés et tu es parti… C’était un déchirement ! On rompait par la force des choses ce lien sublime qui nous avait unis cet après-midi-là…

Lundi, je t’ai envoyé les photos de nous…
– Oh my God ! Trop belle !
– Merci ! Oui, j’aime beaucoup ces photos !
– Moi aussi !
– Voilà, diaporama opérationnel sur mon ordi, je ne vois que toi désormais !
🙂 Ça me rend heureuse !
– Je te tél vers 15h ?
– Ah vi ah vi !
– Comment tu m’as trouvé ? Triste ? Fatigué ? Dis-moi !
– Un peu, certes. Mais je t’ai adoré comme tu étais !
– Car on me le dit souvent, en ce moment…
– Quel est l’avis qui compte le plus ?
🙂
– Tu es trop adorable !
– C’est un mot que tu n’as jamais employé pour moi… Ce sont mes amis qui ont déteint sur toi ?
🙂
– Je vais prendre soin de moi, faire ce qu’il faut !
– Yes, my love.
– Quand je t’ai revue il y a plus de deux ans, tu semblais fanée… Et là samedi, tu brillais de mille feux !!!! Incroyable !
– In my wildest dreams, I never would have thought that I could have been so happy !!! Thank you so much, my love ! C’est bizarre, après être montée si haut dans le ciel, je m’attendais à une dépressurisation sévère mais le fait est que je me sens délicieusement bien, sur un nuage, j’ai confiance en moi, en toi et je veux que jamais ça ne s’arrête !! »

Tu m’as appelée. On a à nouveau parlé longuement. Si longuement que tu n’as pas vu l’heure passer et que tu étais en retard pour aller chercher tes filles à l’école. Ça parait anodin mais c’était la première fois que tu ‘oubliais’ l’heure, toi qui d’habitude est réglé comme un coucou !

On a reparlé de samedi, bien sûr, tu as voulu savoir ce que mes amis et ma mère avaient pensé de toi… En fait, cela t’obsédait presque, comme si leur avis pouvait changer ta vie. Puis, on a reparlé de l’appartement avec trois ou quatre chambres… Je t’ai dit que provisoirement, deux chambres pouvaient très bien suffire et tu m’as dit :

« Je le reconnais, c’est ça que je n’arrive pas à me mettre dans la tête : provisoire !!! »

Enfin, la conversation est arrivée sur mes deux ex-maris… Toi :

– On dit jamais deux sans trois…
– C’est une demande formelle ???
– Peut-être…
– On va peut-être attendre que tu sois divorcé quand même, non ? De même que pour faire un bébé… Là tout de suite, ça la ficherait moyen, tu ne crois pas ?
– Euh oui, c’est vrai !

Tu as semblé vraiment étonné, tu me l’as dit d’ailleurs. Moi qui ne voulais plus entendre parler de mariage et encore moins d’enfants, je semblais à tes yeux transfigurée ! Mais c’était à l’époque où moi-même je n’étais pas encore divorcée et où je devais faire le deuil d’une relation stérile. Bref, la vie change, les choses et les gens changent, j’ai changé…

Oui. Depuis samedi surtout, tout a changé.

Mardi 5 février 2013, donc.
Toi : « Bonjour, ma belle. »

On s’est mis à papoter de choses et d’autres, de choses simples, anodines et pragmatiques comme un vrai couple. On a parlé de mon boulot notamment et de mon instance à être licenciée avec un gros chèque, on a parlé de ta demande de congé exceptionnel… Moi :

– Ce serait marrant d’avoir trois mois de congés en même temps !
– Oui, pour faire des travaux !
– Où ?
– Tous les apparts sur le marché sont pourris… Du provisoire OK mais pas du camping ! »

Ça commence à faire son chemin dans ta tête, on dirait… Et plus tard dans la soirée, toi :

– Je ne suis pas très bien, les larmes au bord des yeux sans raison. Il n’y a qu’à toi que je puisse dire ça. Ce sera mieux demain !
– Je suis avec toi
🙂
– Ne t’inquiète pas, ça m’arrive ! Love
– Ce n’est peut-être pas le moment mais je voulais te dire que je suis prête, vraiment. Je te prends comme tu es, en entier. Je nous veux maintenant et pour toujours. Je l’ai compris samedi.
– Pourquoi samedi ?
– Je ne sais pas, je l’ai ressenti très fort, c’est tout.
– Moi aussi, je voulais que ça dure indéfiniment !
– Oui, pareil…
– Je me suis dit « C’est ce que j’ai toujours voulu »
– Moi, j’ai ressenti au fond de moi comme une lumière, une véritable révélation ! Je sais, je suis mystique
🙂
– Tant mieux ! Imagine l’inverse !
– Tu veux dire si je n’avais pas ressenti ça ? Pour la toute première fois, toi et moi sommes sur la même longueur d’ondes, à l’unisson !
– Je suis amoureux ! »

On s’est vus le vendredi suivant. J’étais plus que jamais perchée sur mon nuage, heureuse et confiante… La magie a opéré une fois de plus, j’ai ouvert les bras et tu t’y es lové sans l’ombre d’une hésitation.

On a parlé, encore et encore. Du samedi bien sûr, mais aussi de l’avenir, de NOTRE avenir… On était bien, seuls au monde dans ce petit restaurant, comme si rien d’autre n’existait. Puis, tu as du partir, on s’est quittés devant la bouche de métro dans laquelle tu t’es engouffré en un éclair, me laissant quelque peu perplexe, vu la vitesse à laquelle tu as disparu…

J’ai su immédiatement, j’ai ressenti comme une pointe dans le coeur. Mon nuage était en train de se désagréger. Et ce mauvais pressentiment s’est confirmé le soir même : pas un seul message de ta part, encore moins un appel, le vide sidéral.

Malgré cela, je t’ai envoyé les deux photos que j’avais prises de nous deux avec « I love You » mais je n’ai eu de retour de ta part, si ce n’est quelques messages laconiques du style « Bonjour, grosses pensées ! » ou « Je crois que j’ai la grippe ! »

Moi, j’étais chez ma mère ce week-end-là pour l’anniversaire du décès de mon père. Déjà, ce n’était pas un contexte joyeux et je crois la neige n’a pas fait qu’envahir le jardin mais mon coeur aussi. Pour de bon.

En rentrant le dimanche soir, je n’ai pu m’empêcher de t’envoyer ces mots :
« Oui, je suis bien rentrée après un week-end triste comme tu as pu t’en douter mais pas que…

En effet, c’était même assez surréaliste, j’ai fait mon ‘coming-out’ officiel à propos de toi auprès de ma famille mais aussi auprès de mes amis… Depuis toutes ces années et il n’y a pas si longtemps encore, je préférais te garder dans mon jardin secret. Là, je t’ai fait sortir au grand jour. C’était une sensation très étrange, forte et douce à la fois. Ça s’est fait naturellement, une fois encore, sans obligation.

Je ne te cache pas que j’ai eu droit à un interrogatoire en règle de la part de certains mais globalement, c’était très positif, n’aie plus aucune crainte ! Et tout ça parce que nous avons enfin franchi le seuil du concret. Moi, surtout. Avant, c’était de l’abstrait, du fantasme et aujourd’hui, c’est devenu une réalité.

Alors, oui, il reste du chemin à parcourir mais je suis heureuse de m’y engager avec toi. Maintenant qu’on marche du même pas dans la même direction, je sens, je sais que tout ira pour le mieux et que notre bonheur n’est qu’à quelques pas devant nous. Je t’aime. »

Ce à quoi tu as répondu presque immédiatement :
– On t’a posé des questions ? lol Ta mère ? Tes amis ? Terrifiant !
– T’es censé dire « Je t’aime aussi »…
– J’en suis coi, en fait.

Et dès le lendemain matin, à la minute où j’ai ouvert les yeux, le sentiment sourd et poisseux que j’avais soigneusement éludé quelques jours auparavant est revenu me tancer, plus fort que jamais. Et j’ai dégringolé de ce qui restait de mon nuage. Une chute vertigineuse et un atterrissage fracassant. Toi :

– Bad trip today…
– Toi aussi ?
– Ah bon ?
– Oui, depuis que j’ai ouvert les yeux.
– Le Service me propose un poste en province…
– En Bretagne ? Et tu me dis ça le jour où je suis le moins glop !
🙁
– J’ai pas dit oui !
– Mais t’as pas dit non. Ça te trotte dans la tête depuis un bout de temps. Je peux comprendre, si tu penses être plus heureux comme ça…
– C’est un ‘retour’ d’une ancienne demande ! Oublions ! Tu es sombre, toi…
– Pas du tout. Enfin, pas plus que ça. Mais maintenant qu’on parle, toi et moi, je sais que tu envisages ce ‘retour aux sources’ mais qu’il signifie aussi ne pas être avec moi. Crois-moi, je suis navrée que tu aies ce dilemme.
– Ma note est si basse que ça ?
– Ta note ?
– Oui, celle que tes amis m’ont donnée, pour que tu dises ça ?
– Arrête ta parano, s’il te plaît. Que je te dise quoi ? Je ne peux pas être plus compréhensive et quelque part, je suis malheureuse de t’imposer ce choix.
– Excuse-moi, ce n’est pas le jour !
– D’ailleurs, l’as-tu vraiment fait ce choix ?
– Quoi ???
– Oui, je te demande si tu as fait le choix de rester sur Paris pour être avec moi ou si tu as encore quelques velléités à partir en province.
– Stop, s’il te plaît ! Tu me cherches ? Pas aujourd’hui.

Je savais bien au fond de moi que cela ne pouvait pas durer. Mais j’avais tellement envie d’y croire ! Me voilà revenue à la cruelle réalité, aussi glacée qu’une lame de couteau !

Puis, tu m’as appelée. Je suis encore restée dans le froid dehors pendant près d’une heure. Encore une de ces conversations où j’ai dû te pousser dans tes retranchements, où les mauvaises interprétations et les explications de texte ont foisonné pour finalement s’étouffer dans un goulot d’étranglement, sans que ni l’un ni l’autre ne soit rassuré un tant soit peu.

On s’est écharpés, on a reparlé de rupture, tu m’as dit que ton amour pour moi t’asphyxiait ! Tu m’as dit que je te mettais la pression encore et encore et que même si, quelque part, tu en avais besoin pour avancer, ce n’était pas pour autant évident à gérer.

Oui, c’est vrai, vendredi quand on s’est vus, je t’ai demandé de venir à la soirée anti-St Valentin à laquelle j’allais avec mes amis et que comme le 17 février suivait, j’ai souhaité que tu restes avec moi sur quatre jours. Je t’ai dit que si tu devais partir de chez toi, c’était le meilleur moment, car symbolique à l’extrême, mais aussi parce qu’il fallait bien que ça arrive un jour ou l’autre. Tu n’as ni acquiescé, ni refusé. Comme à ton habitude.

Dans quelques jours, notre histoire aura 12 ans.

Je t’ai dit que je n’avais pas envie de passer cet anniversaire seule comme toutes les autres fois, que je voulais le passer avec toi. Si tu me faisais faux-bond cette année encore, je t’ai dit que je ferais certainement un week-end avec mes amis pour ne pas rester seule ou que je prendrais la route, certainement vers ma plage comme il y a deux ans.

Alors oui, pression. Même si ce n’était pas mon intention. Mais comme à chaque fois que j’attends quelque chose de toi, tu le ressens comme une pression incommensurable. A ce moment-là, tu déclines, tu fuis, et je n’ai plus que le goût amer de la déception dans le coeur.

Je t’ai demandé de venir à cette soirée du 14 et de rester avec moi ce week-end du 17 février car j’avais espoir, les choses ayant tellement changé entre nous ces derniers temps, que tu puisses enfin avancer.

« Vas-y, fais ton week-end avec tes amis et si je peux, je me viendrai me greffer. »

Je n’aime pas ces conversations qui se tiennent sur un ring de boxe, même si, je le reconnais, elles permettent de dire haut et fort ce qu’on pense. Et à force de t’acculer dans les cordes, tu finis toujours par cracher le morceau, à commencer par les raisons – quand il y en a – de tes ‘descentes dépressives’…

Là, en l’occurrence, il y en avait deux.

La première est que tu étais sur le point de faire toi aussi ton ‘coming-out’ complet auprès de tes parents. Tu voulais leur dire que tu m’aimais et que tu restais à Paris pour moi, que c’était ton choix. Tu as cherché toute la journée comment leur dire, tu as ruminé, tu as essayé d’anticiper l’affrontement inévitable et ça t’a tordu les boyaux en te plongeant dans un état proche de la catatonie.
Je t’ai dit alors ceci :

« Tu veux savoir ce que j’ai dit à ma mère ? Elle émettait quelques réserves sur notre histoire, des réserves de mère qui s’inquiète pour sa fille, c’est légitime. Elle l’a déjà fait par le passé mais je n’en tenais pas compte. Mais là, je lui ai dit : Il y a des choses qui sont négociables avec moi et il y en a d’autres qui ne le sont pas. C’est lui, c’est l’homme de ma vie, j’y peux rien et crois-moi, j’ai bien essayé qu’il en soit autrement ! Maintenant qu’il y a une vraie chance pour que lui et moi ça fonctionne, je ne laisserai rien ni personne se mettre en travers de notre chemin ! C’est mon choix, ma décision, je sais à quoi je m’engage et aucun avis autre que le mien ou le sien ne rentre en ligne de compte. »

Tu as semblé admiratif, en tout cas, cela t’a interpellé…

Enfin, la deuxième raison… et quelle raison !!! Tu m’as sorti tout-à-trac que tu n’avais pas digéré le fait qu’à la soirée après le show j’ai dansé complètement saoule avec des hommes dont un qui s’est comporté un peu limite avec moi, tu m’as hurlé que tu ne voulais pas entendre ce genre de choses et que ça te gangrénait depuis le moment où je te l’avais dit, soit il y a dix jours ! Si c’est pas avoir un métro de retard !

C’est de ma faute, comment ai-je pu penser que je pouvais tout te dire ? Que tu pouvais tout entendre ? J’ai éclaté de rire, nerveusement et ça a fini par détendre l’atmosphère. Tu as même ri avec moi.

Bref. On a raccroché. Tu m’as rappelée ensuite plusieurs fois, comme si de rester sur des quiproquos te cramait sur pied.

– J’avance à petits pas comme un chat, en essayant de ne rien faire tomber… C’est trop magique ce que tu m’as dit hier ! Et puis, je ne suis pas maniaco-dépressif ni bipolaire ! Je suis juste un imbécile qui a peur de ses sentiments…
– On en reparlera, d’accord ? Parce que par tchat, on sait que ce n’est pas l’idéal.
– J’ouvre mon coeur, c’est tout.
– Parce qu’il était fermé ?
– Sous protection !
– Si tu restes sous ton blister, on n’est pas sortis de l’auberge !
🙂
– Je faisais l’inverse ! Je t’aime.
– C’est pas trop tôt. Lol
– You still love me ?
– Yes I do. Ca fait très formel.
🙂
– Tu es bizarre… Remonte sur ton nuage !
– Vas-y, fais-moi la courte échelle !
– Tu doutes, je le sens ! On est connectés…
– Douter de quoi ? Ne projette pas tes doutes sur moi.
– De moi. Car je n’ai pas été comme j’aurais dû…
– Qu’attends-tu ?
– De poser ma brosse-à-dents.
– Ca fait un bail que je l’attends ! Tu peux la poser en intérim, en attendant…
– Lol Bonne nuit ! Demain, mon ‘coming-out’ ! On a été con, aujourd’hui, non ?
– Plus toi que moi.
– Euh OK moi, en fait ! Bon, une petite courte échelle et au lit ! Dors bien sur ton nuage, mon amour ! »

Mardi 12 février 2013
Tu m’as appelée. Tu semblais dans de bonnes dispositions… Moi, passablement encore dans la brume de notre dernière conversation et pas spécialement dans une grande forme physique… Mais j’ai pris la décision de prendre les choses plus légèrement. Je me suis dit qu’on aurait encore bien des occasions de s’écharper, alors autant profiter des moments de trêve…

Tu es parti bille en tête avec une diatribe sur tous les aspects pragmatiques de ta future vie, seul et avec moi, comme ton budget mensuel, l’organisation au quotidien, mon incorporation dans le planning quotidien… Tu as voulu connaître chaque détail, savoir comment je concevais notre vie à deux dans ses moindres recoins, par exemple si j’étais prête à aller chercher tes enfants à l’école, quel était mon budget courses du mois, si j’étais de nouveau encline à vouloir acheter un jour un appartement etc.

Je t’ai répondu le plus sincèrement possible, même si je pensais que c’était un peu prématuré. On a reparlé des enfants que toi et moi on souhaiterait avoir, de l’organisation de la vie de tous les jours, je t’ai laissé faire…

Le fait est que j’étais un peu sur la réserve car hier, j’ai senti quelque chose se briser en moi. Je crois que ces hauts et ces bas ont fini par me retourner le coeur. Parfois je te sens prêt à franchir le pas mais l’instant d’après, tu repars dans une autre galaxie où je n’ai pas ma place…

Alors, je me donne une dernière dead-line : je t’attends encore jusqu’à juin mais si on en est toujours au même point, je mettrai un point final à notre histoire.

Mercredi 13 février 2013
Toi, le matin :
« Bonjour, je ne viendrai pas demain. Je ne peux pas. »

Toi, le soir :
« T’as pas un psy sous la main ? »

Devant mon absence de réponse, toi :
« Et un dîner à deux ? »

Jeudi 14 février 2013
Tu es passé dans l’après-midi. On a parlé, on a fait l’amour et tu es reparti. Tout semblait, selon tes dires, plus clair pour toi, désormais.

Tu as pleuré dans mes bras, tu as exprimé ton mal-être, la maladie qui t’oxydait, ton impossibilité à prendre ta vie en main, à faire des choix et à les imposer, notamment à tes parents qui te mettent une pression folle pour que tu reviennes vers eux, en Bretagne…

Je t’ai écouté, j’étais là. Mais en tant qu’amie. Car au fond de moi, je sentais que l’amante commençait à prendre de la distance.

Et je suis partie en soirée. Et tu m’as manqué.

Vendredi 15 février 2013
Toi :
« Tu sais, j’ai réfléchi, je souhaite partir en province. Je suis vraiment usé… Mais je prie pour que l’on reste des amis car tu comptes pour moi. »

Deux jours avant nos 12 ans.

Je t’ai demandé de m’appeler, je trouvais que c’était plus décent d’en parler de vive voix. Ce que tu as fait.

Je t’aurais suivi au bout du monde et tu le sais, si seulement si on avait eu un morceau de véritable histoire, quelque chose de concret. Mais tout plaquer pour te suivre alors que toi et moi on n’avait rien vécu ?!

Il y a un an, tu en parlais déjà. Il y a un an, je te disais de partir, de penser à toi, de te refaire une santé mentale et physique, à la campagne, n’importe où… Je te le redis.

Accepte cette offre de mutation.

C’est pour septembre ? Que vas-tu faire en attendant ? Régler ton divorce, loger chez un ami une fois votre maison vendue, préparer ton retour en Bretagne ?

Tu voudrais continuer à me donner des nouvelles et en avoir des miennes ? Je ne sais pas. Tu voudrais qu’on se voie ce soir ? Non, moi je ne veux pas.

Tu me souhaites d’être heureuse ? Je te le souhaite aussi.

Tu pensais que je ne m’y attendais pas ? Oh que si. Quelque part, ça me libère. Mais ce n’est pas pour autant facile à encaisser. Car je sais que cette fois-ci, c’est la bonne. C’est le point final qu’on a mis tant de temps à mettre.

Mais promets-moi une chose : si un jour tu rencontres quelqu’un, ne lui fais jamais subir ce que tu m’as fait subir. Car très franchement, je crois qu’il n’y avait que moi sur Terre pour accepter ça et continuer de t’aimer.

Je t’aimerai toujours, je le sais. Mais j’ai fini de t’attendre.

Adieu.

Un adieu que je ne lui ai pas signifié, pensant que mon silence parlerait de lui-même. Même si je l’avais fait, je ne suis pas sûre que cela ait changé grand-chose. Il a donc repris contact quelques mois plus tard. Et bien sûr, j’ai répondu. Avais-je en tête de lui laisser une dernière chance ? Bref, on s’est revus. Il n’était pas reparti en Bretagne. Etait-il resté pour moi ? Je ne sais pas, je ne lui ai pas demandé.

Je venais juste de rencontrer Kevin. Et le contraste a été assez flagrant pour que je perde patience très vite devant le même statut-quo vers lequel on se dirigeait. J’ai mis alors un terme définitif à notre histoire, cette fois-ci bien clairement, et j’ai tenté ma chance avec Kevin.

Sept ans après, qu’en est-il ? Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que notre histoire est restée figée tel quel. Lui comme moi voulant l’autre désespérément tout en étant incapable de s’en donner les moyens. Lui comme moi essayant d’oublier, de tirer un trait mais ne parvenant, au final, qu’à construire un autel à notre histoire inachevée que l’on a érigée au rang de mythe.

Ainsi, on s’est revus encore une fois, un an après ce semblant de point final que j’avais mis. Comme ça, en amis. Rencontre étrange, si tant est que l’on puisse parler de rencontre. C’était plutôt un test : pouvions-nous rester de simples amis ?

On a voulu y croire, lui comme moi, avec par la suite quelques textos par-ci par-là pour prendre des nouvelles. Il voulait partir à l’étranger, il avait changé de job, il semblait avoir trouvé la paix et moi, je lui confiais déjà que je regrettais cette aventure du restaurant avec Kevin…

Je lui ai même demandé de me pardonner. Je lui ai avoué qu’il n’avait pas quitté mes pensées. En fait à l’époque, j’avais l’impression de m’être trompée de vie, que tout ce que je vivais, j’aurais dû le vivre avec lui. Et bien sûr, l’enfer que je vivais avec Kevin et le restaurant n’a fait que renforcer mon terrible regret de l’avoir évincé.

Et plus j’essayais de me rapprocher de lui, plus il devenait distant. Jusqu’à disparaître complètement le 10 mai 2017. Plus aucune nouvelle. Je savais qu’il ne lui était rien arrivé de grave mais qu’il avait peut-être enfin réussi à m’oublier.

Nous n’avons jamais été sur la même longueur d’ondes, lui et moi, on a toujours loupé le coche. La preuve, encore.

Je ne l’ai pas relancé. Je me suis résignée. J’ai même tenté de sauver ma relation avec Kevin. Mais c’était peine perdue. Cela a même empiré. Jusqu’à ce soir de novembre 2018 où j’ai voulu en finir en avalant ma boîte de somnifères. Et peu après, il a repris contact.

D’une certaine façon, il m’a aidée à remonter la pente. J’avais de nouveau de l’espoir. Infime, comme une lumière faiblarde au bout du tunnel. Je lui ai alors raconté mon enfer, les raisons de mon geste et je l’ai remercié de m’avoir donné une raison de continuer. Et petit-à-petit, on a recommencé à tisser un lien…

Bien fragile, toutefois, car exclusivement par textos. Je lui ai demandé un jour de m’appeler mais je me suis faite si vertement rabrouée que je n’ai pas insisté. J’étais si blessée que j’ai arrêté de répondre à ses textos. J’ai essayé, du moins.

J’ai toujours fini par craquer, m’en voulant toujours après coup d’alimenter la virtualité de notre relation qui reprenait alors son cours comme si de rien n’était. Il m’a écrit de très belles choses, cependant, des choses que j’aurais bien gardées si une manipulation malencontreuse de ma part ne les avait effacées. Un acte manqué ?…

Bref, il a repris exactement là où l’on s’était arrêté six ans plus tôt. Il n’a eu de cesse de me demander si j’étais prête à venir habiter avec lui car il envisageait à nouveau un grand appartement avec plusieurs chambres et tout le tralala. Mais quand je lui ai dit que j’avais un gros bagage, ma mère en l’occurrence, ça l’a freiné. Je lui ai dit que de toute façon, tant que le restaurant n’était pas vendu, je ne pouvais aller nulle part.

Et cela nous a menés jusqu’à l’été dernier où il est venu déjeuner au restaurant. Un moment très bizarre. En le servant comme un client lambda, je n’ai pas pu échanger grand-chose à part des banalités et quelques regards troublés. On s’est quand même promis de se revoir bientôt, mais ailleurs. Un, deux puis trois rendez-vous ont été fixés et systématiquement, il les a annulés.

Et puis, j’ai fait ce rêve où venant tout juste de s’engager auprès de moi, il disparaissait littéralement sous mes yeux en se désintégrant dans l’air. Je me suis réveillée en sursaut, je savais que c’était prémonitoire. Effectivement, le lendemain il m’a envoyé un texto d’adieu en me demandant pardon.

Ma mère était alors en soins intensifs à l’hôpital, je croulais sous le boulot et la paperasse générée par le redressement judiciaire qui venait d’être prononcé, j’étais au bord de l’implosion. Autant dire que j’aurais bien eu besoin à ce moment-là d’une épaule pour pleurer. Aussi, quand j’ai reçu son texto, je n’ai rien su faire d’autre que de rire nerveusement. Et au fond de moi, je savais que je ne pourrai lui pardonner cette ultime défection.

Deux mois ont passé. J’avais accueilli ma mère chez moi, Kevin avait déménagé et j’étais déjà de plain-pied dans mon nouvel enfer quand il est réapparu. Par texto, bien entendu. Je n’ai pas répondu. Et j’ai tenu aussi fort et aussi longtemps que je le pouvais. Mais devant ses incessantes relances, j’ai craqué.

Je ne lui pardonnais pas pour autant mais couper le lien qu’il tentait de renouer était au-dessus de mes forces. Je ne lui ai rien expliqué de ma situation, je lui ai même écrit que s’il voulait vraiment avoir de mes nouvelles, il n’avait qu’à m’appeler. Ce qu’il n’a pas fait, bien entendu. Je lui ai dit aussi pour la liquidation du restaurant, on a échangé un peu sur le sujet par textos. Et puis voilà.

En prenant un peu de distance, je ne peux aujourd’hui qu’assumer ma part de responsabilités. Moi aussi, j’ai joué à ce jeu. Moi aussi, j’ai été insaisissable. Comme lui, j’ai éludé, j’ai navigué entre deux eaux, je n’ai pas été franche du collier et je n’ai pas apporté de pierres solides pour construire notre relation.

Je n’ai fait que l’attendre, l’aimer et le maudire tout en même temps. J’aurais pu moi l’appeler mais tout comme lui, je n’ai jamais pu. On s’est mis tous les deux dans une impasse, mais chacun d’un côté du mur en attendant que l’autre le franchisse.

Ce que je ressens ? Pour être honnête, je ne sais plus trop. Je sais que j’ai toujours mal de me retourner et de m’apercevoir qu’il n’est pas là. J’ai toujours mal lorsque je rêve de lui. Parfois, ces rêves sont tellement intenses qu’ils hantent toute la journée le moindre de mes regards, la moindre de mes pensées, me laissant dans un abîme de tristesse lorsqu’ils s’éteignent le soir venu.

D’une façon générale, j’ai toujours mal de son absence dans ma vie. Et j’ai mal d’espérer encore.

Même si je sais aussi qu’il n’est qu’un fantasme magnifié par toute cette absence. Je sais qu’il faudrait que je me fasse une raison. Ce n’est pas pour rien que je me suis faite tatouer il y a sept ans un phénix géant dans le dos avec écrit « I shall rise from your ashes »

Je l’aime toujours. Jamais je ne pourrai me défaire de lui. Il est mon addiction, ma faiblesse, ma malédiction, mon élixir de vie et mon poison dans un même flacon. Même si je suis condamnée à voguer entre ombre et lumière toute ma vie, il restera en moi jusqu’à mon dernier souffle.

Depuis la toute première seconde où nos regards se sont croisés. Un coup de foudre instantané qui aura changé ma vie à tout jamais.

PRINCE CHARMING

– Pourquoi tu ne l’appelles pas ? Pour en avoir le coeur net ?

– Mais Nénette, je lui dis quoi ? « Bonjour, pourquoi vous m’avez donné votre 06 ? »
– Bah, il te plaisait ou pas ?
– Je n’irais pas jusque-là…

Ma Nénette qui a bien ri quand je lui ai raconté pour l’hématologue et sa promptitude à me refiler son numéro perso. Ma Nénette si pragmatique, si directe mais qui oublie qu’elle parle à la reine des bulots.

Jeudi 30 avril 2020 – CONFINEMENT J+45

Du coup, me voilà en train de cogiter pendant que j’épluche les asperges que j’ai trouvées ce matin à Franprix. Dans ce tourbillon qu’est ma vie intérieure en ce moment, je n’ai pas eu l’opportunité de me poser la question : suis-je prête à rencontrer quelqu’un ?

A brûle-pourpoint, je dirais non. Non, dans le sens où j’ai besoin de me retrouver seule, de n’avoir que moi-même à me préoccuper. Je suppose que c’est temporaire mais j’avoue que si cette jachère devait perdurer, cela m’irait bien.

Bon, il faut quand même que je m’interroge sur ce que je veux et ne veux plus, s’il me reste quelque chose à donner, si je suis capable de recevoir, si je peux envisager une vie à deux et ultimement, si je peux faire confiance à un autre être humain.

Et si la conclusion me mène tout droit au couvent, bah qu’il en soit ainsi !

Le truc, c’est que ça nous tombe toujours dessus quand on y est le moins préparé. Je sais, j’ai eu le tour il y a sept ans. Ça débarque comme ça, ça balaye toutes les bonnes résolutions et la majeure partie des neurones. Dans mon cas, ça annihile aussi mon intuition.

Alors oui, c’est chouette, on se sent vivant et indestructible. Mais ne serait-ce pas une question d’hormones qui n’ont qu’un seul but, celui de faire se perpétuer la race humaine ? Existe-t-il une dimension divine tangible dans l’amour ? Si c’est le cas, cette transcendance rend-elle vraiment heureux ?

Moi, clairement, je ne recherche pas de géniteur. Plusieurs fois dans ma vie, j’ai loupé le coche pour faire un enfant, sciemment ou non, et je crois bien qu’aujourd’hui, je suis périmée. Le désir d’enfant m’a quand même habitée, parfois très fortement mais pas suffisamment et jamais de façon linéaire.

C’est comme de rêver de faire le tour du monde en voilier et de ne jamais le faire à cause d’un mal de mer si terrible qu’on ne peut poser le pied sur une péniche amarrée sans vomir ses tripes.

Quel serait l’homme idéal pour moi ? J’avoue ne pas trop savoir. Peut-être quelqu’un de plus âgé…  Quelqu’un qui puisse prendre soin de moi mais surtout pour lequel je ne serais pas le substitut de sa mère !

Oui, j’ai peut-être besoin aujourd’hui de me laisser faire, de lâcher prise, d’ouvrir la porte de ma coquille blindée…

Quelqu’un de bienveillant. De patient et de constant. Altruiste et magnanime. Loyal et courageux. Un saint, quoi. Et ce quelqu’un pourrait-il aussi être brillant, charismatique, drôle et amoureux du Montana ? Je rêve.

En général, c’est quand on dresse un cahier des charges que l’on se retrouve avec tout le contraire. Et si je raisonnais à l’envers ? Si je discernais ce que je ne veux pas ?

Alors, je ne veux pas d’un homme-enfant pas sevré. Je ne veux pas d’un homme torturé et torturant. Je ne veux pas d’un homme qui attend tout de moi et ne donne rien en retour.

Bon, ça ne m’avance pas plus. Tout ça, c’est beau sur le papier mais c’est très rare que cela devienne réalité. Alors, je tente le pragmatisme.

Un homme à qui il reste des forces pour mener d’autres combats que les siens. Un homme qui sache composer avec ma monkerie. Un homme qui prenne les décisions pour moi sans toutefois me priver de mon indépendance. Un homme qui accepte qu’on vive chacun chez soi dans un premier temps et qui parvienne ensuite à contourner mon extrême territorialité en proposant un toit commun sur terrain neutre. Idéalement, à la campagne ou au bord de mer.

Un homme qui arrive sur son cheval blanc et qui me cloue le bec en me kidnappant.

Ah merde ! C’est le prince charmant ! Aurais-je au fond de moi des réminiscences de midinette ? Ai-je le besoin inavoué d’être sauvée ? Mais sauvée de quoi ? De moi-même ? De ma condition délétère ?

Est-ce parce que j’en ai marre des décisions foireuses que j’ai prises dans ma vie que je brûle de m’en remettre à quelqu’un d’autre ? Ne plus vouloir être actrice de ma vie, botter en touche, m’asseoir sur la banquette arrière plutôt que derrière le volant, démissionner, quoi : suis-je capable de l’accepter ? Les épreuves ont elles eu raison de ma nature profonde ?

15.30. J’ouvre, un peu fébrile, les résultats de la prise de sang hebdomadaire de ma mère. Peut-être que ces six jours de nouveau traitement auront fait effet ? Que dalle, ces taux ont même encore baissé. Et elle a perdu un kilo en deux semaines.

Je ne peux pas lui mettre un entonnoir dans le gosier et je suis lasse de guerroyer à chaque repas. On voit le résultat. Maintenant, ce sont les compléments nutritionnels qu’elle refuse d’avaler :

– Oh non, je ne peux pas ! Rien qu’à les regarder, j’ai envie de vomir !
– Ce n’est pas une option, ordre du docteur !

J’espère qu’elle va tenir encore un mois et demi. Et moi aussi.

CAUSE TOUJOURS

Mardi 28 avril 2020 – CONFINEMENT J+43

Aujourd’hui, ça fait six mois que ma mère est venue chez moi. Et dans un mois et demi, je la déménagerai encore une fois. La dernière, en tout état de cause. Quand j’y repense,  je lui en ai fait baver : quatre ans, quatre déménagements. A son âge !

A force de voir sur Facebook les photos de masques confectionnés par des couturières en herbe, je me demande si je ne devrais pas m’y mettre aussi. Non pas que je me découvre une vocation et j’ai bien conscience que ma nullité en la matière sera difficilement améliorable mais au vu de mon stock de masques qui approche du zéro, je me dis pourquoi pas.

Mais, ma boîte à couture sur les genoux, je fixe les aiguilles d’un air perplexe : à supposer que je sache ce que je fais, comment vais-je pouvoir tenir une aiguille pendant une heure alors que je suis incapable de boutonner une chemise ? Les douleurs que je ressens dans les mains sont équivalentes à celles provoquées par l’arthrose et comme avec l’arthrose, le simple mouvement de pince est crucifiant. Du coup, je referme la boîte et me mets devant mon ordi à la recherche de masques.

15.45. Discours du premier ministre sur le déconfinement du 11 mai. Il parle français, moi aussi et pourtant, je ne comprends rien ! En quoi allons-nous reprendre une vie sociale ? Peut-on voir nos amis, notre famille autour d’un apéro, d’un repas ? Pas de bisou d’accord, éventuellement on reste à un mètre les uns des autres mais on fait comment pour manger et boire avec le masque ? Et si ça, c’est autorisé, pourquoi ne rouvrent-ils pas les restaurants ?

L’école sur la base du volontariat à raison de quinze élèves par classe : comment feront-ils si au matin du 12 mai, il y en a le double ? Comment choisir les quinze ‘en trop’, sur quels critères ? Et ils en feront quoi ? Retour chez les parents qui n’ont pas de solutions de garde pendant qu’ils doivent reprendre le travail ?

Ma pépite : les mariages ne seront pas prononcés, sauf en cas d’urgence… Urgence de quoi ?! Ils feraient mieux d’autoriser les divorces en urgence, oui…

C’est pareil, en fait, la seule différence, c’est que l’on n’a plus de dérogations à faire dès qu’on veut sortir et que ces sorties ne sont plus limitées. Je ne comprends pas bien la finalité : on veut refaire circuler le virus ou quoi ? On veut être confinés à nouveau juillet-août ? Parce que je les connais, les zozos de mon quartier : le 11 mai, le parc sera bondé, les gamins qui ne seront pas à l’école s’entasseront dans l’aire de jeux et les parents feront du beach-volley sur la pelouse.

Bref, j’ai l’impression que c’est une main derrière et une main devant et ça donne une cacophonie très confuse. J’espère qu’ils vont réussir à clarifier tout ça rapidement. Une chose est sûre, je n’aimerais pas être à leur place. C’est d’une complexité ! Quant à leur algorithme censé déterminer le taux de contamination par département et les protocoles sanitaires dans le milieu professionnel et scolaire qui font jusqu’à dix pages, bah ça donne mal au crâne.

Et je vire J.S.B. et son orgue. Trop lugubre. Je m’aperçois que sur les 157 CD de son oeuvre complète qui trône dans mon salon, je n’en aime qu’une quinzaine. Particulièrement les Sonatas and Partitas for Solo Violin qui me ramènent là où je les ai entendues pour la première fois, c’est-à-dire calée sur la minuscule banquette arrière d’une Ford Ka sur les lacets d’une petite route menant à Grasse…

Un instant hors du temps, une parenthèse de pure magie, un moment de grâce absolue qui m’a transcendée et qui restera gravé en moi toute ma vie.

MAUVAISE CONSCIENCE

– Pourquoi tu me fais manger cette horreur ?! C’est immangeable !

– Bien sûr, ça m’amuse de te servir de la merde et de t’obliger à la manger.
– Et le pain est rassis !
– Voui, je vais acheter une baguette chaque jour, t’en donner une lichette et jeter le reste parce que tu ne le mangeras pas le lendemain ?!

Lundi 27 avril 2020 – CONFINEMENT J+42

Vivement qu’elle soit en EHPAD où tout cela ne sera plus mon problème. Je le lui dis et au lieu de me répondre qu’elle s’y laissera mourir comme à chaque fois depuis que je lui en ai parlé, elle me balance, l’oeil mauvais :

– Tu veux te débarrasser de moi, c’est ça ? Pourtant, je me tiens à carreau, tu es méchante ! Je me suis bien occupée de toi quand je t’ai adoptée !

Elle ne me l’avait pas encore faite, celle-là. Faut-il que je sois en béton armé pour ne rien répondre ! Non, en fait, ça fait belle lurette que j’ai fait le deuil de ma mère.

Toutefois, je m’interroge sur ces soit disant nausées : et si c’était l’armada d’antibiotiques à l’hôpital qui lui avaient bousillé l’estomac et les effets secondaires de tous ses médocs qui lui provoquent ces troubles de l’alimentation ?

J’en ai bien parlé à sa doctoresse en téléconsultation mais elle n’a pas voulu arrêter ses traitements sans examen clinique et avec le risque de provoquer un truc qui l’enverrait à l’hôpital, ce qui ne serait pas une riche idée en ce moment.

Bref, il faut vraiment que je finalise ce dossier de demande d’EHPAD et que je leur repasse la patate chaude. Cela dit, comme j’imagine qu’ils ne pourront pas la stimuler 24/24, elle va très vite ne plus rien manger du tout et ne plus se laver. Ils la mettront alors sous perfusion et lui feront sa toilette au lit comme une grabataire qu’elle sera devenue.

J’ai mauvaise conscience sur ce coup-là. Mais je ne peux plus. Peut-être que mon frère pourra prendre le relais ?…

JE DETESTE

Dimanche 26 avril 2020 – CONFINEMENT J+41

« …Du plus loin que je me souvienne, je déteste être contraint. Je déteste ce monde masqué qui se détourne des enfants par une peur aussi incontrôlée que ridicule. Je déteste la privation de libertés qui se profilent, consentie par un monde moutonnier. Je déteste le troupeau et la bien-pensance sécuritaire qui l’accompagne. Je déteste l’idée de ne plus serrer dans mes bras les gens que j’aime. De ne plus embrasser. De ne plus caresser. Palper. Pétrir. Je déteste toute cette distanciation imposée. Je rêve de transgression, de voyager léger dans cette France recroquevillée sur sa peur. Je rêve que rien ne m’empêche de m’approcher de mes rêves. Si le virus a besoin de sa part d’humanité, qu’il la prenne et qu’on en finisse. Tout est concentré dans la pensée de J. London. La fonction de l’homme est de vivre, pas d’exister. Une fois rassasié, ce virus partira de lui-même. En ce 22 avril printanier, la liberté fleurit dans la rosée de ton sexe confiné. »

La dissidence est essentielle à l’esprit humain, elle permet de se rendre compte que la vie est autre chose que des gestes inculqués. J’aime la franchise qu’on peut avoir à ce propos et même si moi je suis un bon petit soldat, un brin fataliste, j’adhère complètement à l’idée de rester fidèle à soi-même sans faux-semblants.

Les mots de ce doux rêveur insurgé me donnent des envies de dire moi aussi tout ce que je déteste.

Je déteste ceux qui applaudissent au balcon tous les soirs à 20.00 mais qui portent des masques FFP2 pour aller chercher leur pain. Je déteste ceux qui donnent à Médecins du Monde mais qui signent une pétition pour faire expulser une infirmière de leur immeuble. Je déteste ceux qui me regardent de travers en supposant que c’est moi qui ai importé le virus depuis la Chine où je n’ai jamais mis les pieds.

Moi, je n’applaudis pas le soir parce que ça me soûle mais j’ai donné tous les masques que j’avais en début de confinement. Si je savais coudre, voilà longtemps que j’en aurais fait à la chaîne pour les distribuer dans l’immeuble et s’il n’y avait pas eu ma mère, j’aurais sans hésiter offert d’héberger une infirmière dans le besoin. J’ai même voulu donner un coup de main à l’hôpital avec mes petits moyens mais on m’en a dissuadée à cause de ma mère avec laquelle je ne devais prendre aucun risque.

Je ne suis pas militante pour un sou, je ne me rallie à aucune cause, je ne m’exprime sur rien en public, sur les balcons ou sur les réseaux sociaux, et je déteste être dans la lumière. Mais si je peux faire quelque chose, je le fais, mais en silence et dans l’ombre.

Ça me fait penser aux X-Men, ces mutants aux pouvoirs plus fantastiques les uns que les autres qui deviennent des super-héros, sauf peut-être celui qui a le pouvoir utile mais désuet de faire pousser les tomates en accéléré. Mais en cas d’hiver nucléaire, ce serait lui le super-héros. D’un seul coup, il deviendrait ultra-essentiel à notre survie.

Tous ces métiers de l’ombre, quasiment d’ailleurs tous ceux qui manifestaient dans la rue il y a plus d’un an, se retrouvent dans la lumière, encensés, louangés, magnifiés, à juste titre. Mais qu’en sera-t-il quand cette crise sera derrière nous ? Mettrons-nous réellement les moyens réclamés à cor et à cri depuis si longtemps ?

Est-ce que je déteste être privée de contact humain ? Bah ma foi, non. Je dirais même que cela m’arrange. Je n’ai jamais été très tactile, pour être honnête, je me suis toujours fait violence pour claquer la bise ou serrer une main.

C’est parce que j’ai un don mais qui m’embarrasse plutôt qu’autre chose. Je suis une hyper-empathique, au moindre toucher, je suis capable de ‘ressentir’ la personne en face de moi. Je ne suis pas medium, je ne vois rien, je ressens, c’est tout. Le problème, c’est que je ne ressens que le mal et la souffrance.

Donc, je fais quoi, je dis quoi quand je serre la main d’une personne et que je ressens quelque chose de négatif en elle ? Et que je lui dise ou pas, ça changera quoi ?

D’où mon embarras à propos de ce don que je trouve au mieux inutile, au pire maudit. J’ai mis des années pour apprendre à le contrôler. Je le voyais un peu comme un double maléfique qu’il fallait que je maintienne à distance sous peine qu’on me brûle sur un bûcher ou plus probablement, qu’on m’enferme dans une chambre capitonnée avec le fameux pyjama aux très longues manches.

Aussi, dès que je sais que je vais devoir serrer une main ou faire la bise, ou pire, une embrassade à l’américaine, je déploie dans ma tête un bouclier invisible et je visualise des ondes qui font ricochet dessus. Ça marche plutôt pas mal mais c’est une discipline de fer qui ne peut souffrir d’aucun relâchement. Si je suis distraite ou si je suis éméchée, tout s’engouffre alors dans la brèche et me saute dessus comme une hyène sur un gnou pataud.

Bref. La distanciation et le hochage de tête lointain me vont bien. Mais j’ai tout de même une question qui me taraude : comment ça se passe pour les célibataires qui font une rencontre ? Comment fait-on pour conclure, ne serait-ce que par un baiser ? Et si on se passe le corps en entier au gel hydro-alcoolique et qu’on garde nos masques, peut-on faire l’amour ? Faudra-t-il auparavant passer un test de dépistage comme pour le VIH, s’abstenir pendant un mois et refaire un test ? Le futur pour les célibataires ne sera-t-il que platonisme frustré ?

Bon. Y a d’autres trucs que je déteste, comme les films doublés en français. Je déteste le doublage tout court, rien de tel pour être nul en langues étrangères. Et ce soir, je déteste que mon lecteur dvd rende l’âme.

Mais ça, j’entends bien que tout le monde s’en tape.

MONK, MON EGERIE, MON MENTOR

« … Plusieurs études notent le faible taux de fumeurs parmi les malades du coronavirus, laissant penser que la nicotine pourrait par exemple avoir un effet contre le Covid-19… »

Ça tombe bien, je fume comme un sapeur ! D’ailleurs, il faut que je passe au bureau de tabac et que je prévoie une séance tubage très bientôt. C’est bien moins rapide que d’acheter une cartouche toute prête mais le prix de cette dernière est une raison imbattable à mes yeux. Et puis, à ma dernière radio des poumons il y a deux ans, on m’a dit :

– Vous avez des poumons de jeune fille ! On voit que vous ne fumez pas !

Samedi 25 avril 2020 – CONFINEMENT J+40

9.00. Un mail du liquidateur :

« … La date limite de dépôt des offres par mail chez l’huissier Maître Trucmuche a expiré hier à 17h00. Malheureusement, celui-ci m’a indiqué n’avoir été destinataire d’aucune offre. Nous devons désormais envisager la vente des actifs corporels par le commissaire-priseur afin de libérer les locaux et mettre fin aux loyers qui continuent à courir. Je vais donc préparer une requête en ce sens pour une vente à intervenir après le déconfinement… »

Voilà, ça c’est fait. C’était couru d’avance. Donc, pour nous, aucun espoir de voir notre caution baisser car cette vente à l’emporte-pièce ne rapportera que des roupies de sansonnet. Je ne réponds même pas à ce mail tellement je suis blasée. Bref, on attend que la banque se manifeste, ça m’étonnerait qu’elle oublie, encore moins qu’elle apure notre dette.

Le samedi, c’est ménage à la Bibi, c’est-à-dire du sol au plafond. Dire que cela me ravit est peut-être excessif, c’est plus du domaine de la compulsion : je suis extrêmement maniaque, une forcenée de la propreté avec des tocs. Mon dada : les traces d’eau.

Parfois, j’essaye de détourner le regard du mitigeur de la baignoire ruisselant après ma douche, je tente de l’oublier en faisant autre chose mais je reviens vers lui, serviette à la main, et ça tambourine dans ma tête :

– Ça va te prendre 12 secondes, vas-y, tu ne vas pas en dormir, sinon !
– Arrête, laisse ce pauvre mitigeur avec ses traces de calcaire, il ne va pas décéder !

Alors, je me force à quitter la salle de bains mais j’y retourne inexorablement cinq minutes plus tard et me mets à essuyer frénétiquement le mitigeur. Puis, tout ce qu’il y a autour. Et là en général, je me trouve pathétique.

Mon surnom, c’est Monk. Comme lui, j’ai aussi besoin que chaque chose soit à sa place, au centimètre près. J’ai besoin de faire les choses dans l’ordre sinon, je ne sais pas fonctionner.

Et en ces temps de phobies collectives, cette photo sur Facebook m’a faite bien rire :

Je me fais violence, des fois : je me répète que le monde ne va pas s’arrêter si je ne fais pas la poussière ou si mes bibelots ont migré d’un centimètre, je me force même à salir par terre et je me retiens de nettoyer dans les trente secondes qui suivent, voire je m’oblige à quitter la pièce pour ne plus y penser…

Même ma fibromyalgie ne me fait pas dévier. Même si l’aspirateur est trop lourd, même si de changer les draps m’arrache les épaules et que je mets bien douze heures pour m’en remettre, je n’ai d’autre choix que d’obéir, soumise, à mon démon intérieur. Je gobe un Nurofen et c’est reparti, mon kiki.

Avec le restaurant, j’avais très peu de temps à y accorder mais comme je passais très peu de temps à la maison, cela ne me pesait pas trop. Mais depuis que j’ai arrêté de travailler… Et encore ! Je ne mets pas mes lunettes quand je fais le ménage, sinon j’y passe le week-end !

J’ai toujours été comme ça. Kevin a bien essayé de s’y faire, mais avec ses sentiments est partie aussi sa considération de mon bien-être psychique. Mais bon, c’est une des rares choses pour laquelle je ne lui garde pas rancune.

Cela semblait toutefois convenir à Walter. Cela dit, il a passé trop peu de temps chez moi pour que cela finisse par le soûler. Aujourd’hui, je me demande vraiment qui pourrait me supporter, je me supporte déjà difficilement moi-même…

Ah si, les locations de vacances et les hôtels sont ravis  : quand je repars, c’est parfois plus propre que quand je suis arrivée ! Ils devraient faire un discount pour les clients/femmes de ménage…

Mais aujourd’hui, je ne sais pas ce qui se passe, une flemme immense s’empare de moi et me fait reposer mon arsenal, c’est-à-dire mon éponge et mon plumeau. Je regarde, indifférente, les quelques grains de poussière sur l’étagère de la cuisine qui me paraissent soudainement peser une tonne chacun…

Et je m’estomaque toute seule à ne passer que l’aspirateur et une lingette au sol. C’est tellement inattendu ! Et presque pas mauvaise conscience. Mais craignant que cette dernière ne me rattrape, je décide de sortir pour faire faire une promenade à ma mère.

Promenade qui dure vingt minutes pour 120 mètres parcourus aller-retour. Je la ramène à l’appartement au bord de l’inanition. Elle qui mettait son état sur le dos de son inactivité en me le reprochant copieusement, elle est bien obligée de se rendre compte que c’est le contraire.

C’était donc un test qui me donne raison une fois encore. On retentera lorsqu’elle aura retrouvé un peu de forces.