Saison 1

PRINCE CHARMING

– Pourquoi tu ne l’appelles pas ? Pour en avoir le coeur net ?

– Mais Nénette, je lui dis quoi ? « Bonjour, pourquoi vous m’avez donné votre 06 ? »
– Bah, il te plaisait ou pas ?
– Je n’irais pas jusque-là…

Ma Nénette qui a bien ri quand je lui ai raconté pour l’hématologue et sa promptitude à me refiler son numéro perso. Ma Nénette si pragmatique, si directe mais qui oublie qu’elle parle à la reine des bulots.

Jeudi 30 avril 2020 – CONFINEMENT J+45

Du coup, me voilà en train de cogiter pendant que j’épluche les asperges que j’ai trouvées ce matin à Franprix. Dans ce tourbillon qu’est ma vie intérieure en ce moment, je n’ai pas eu l’opportunité de me poser la question : suis-je prête à rencontrer quelqu’un ?

A brûle-pourpoint, je dirais non. Non, dans le sens où j’ai besoin de me retrouver seule, de n’avoir que moi-même à me préoccuper. Je suppose que c’est temporaire mais j’avoue que si cette jachère devait perdurer, cela m’irait bien.

Bon, il faut quand même que je m’interroge sur ce que je veux et ne veux plus, s’il me reste quelque chose à donner, si je suis capable de recevoir, si je peux envisager une vie à deux et ultimement, si je peux faire confiance à un autre être humain.

Et si la conclusion me mène tout droit au couvent, bah qu’il en soit ainsi !

Le truc, c’est que ça nous tombe toujours dessus quand on y est le moins préparé. Je sais, j’ai eu le tour il y a sept ans. Ça débarque comme ça, ça balaye toutes les bonnes résolutions et la majeure partie des neurones. Dans mon cas, ça annihile aussi mon intuition.

Alors oui, c’est chouette, on se sent vivant et indestructible. Mais ne serait-ce pas une question d’hormones qui n’ont qu’un seul but, celui de faire se perpétuer la race humaine ? Existe-t-il une dimension divine tangible dans l’amour ? Si c’est le cas, cette transcendance rend-elle vraiment heureux ?

Moi, clairement, je ne recherche pas de géniteur. Plusieurs fois dans ma vie, j’ai loupé le coche pour faire un enfant, sciemment ou non, et je crois bien qu’aujourd’hui, je suis périmée. Le désir d’enfant m’a quand même habitée, parfois très fortement mais pas suffisamment et jamais de façon linéaire.

C’est comme de rêver de faire le tour du monde en voilier et de ne jamais le faire à cause d’un mal de mer si terrible qu’on ne peut poser le pied sur une péniche amarrée sans vomir ses tripes.

Quel serait l’homme idéal pour moi ? J’avoue ne pas trop savoir. Peut-être quelqu’un de plus âgé…  Quelqu’un qui puisse prendre soin de moi mais surtout pour lequel je ne serais pas le substitut de sa mère !

Oui, j’ai peut-être besoin aujourd’hui de me laisser faire, de lâcher prise, d’ouvrir la porte de ma coquille blindée…

Quelqu’un de bienveillant. De patient et de constant. Altruiste et magnanime. Loyal et courageux. Un saint, quoi. Et ce quelqu’un pourrait-il aussi être brillant, charismatique, drôle et amoureux du Montana ? Je rêve.

En général, c’est quand on dresse un cahier des charges que l’on se retrouve avec tout le contraire. Et si je raisonnais à l’envers ? Si je discernais ce que je ne veux pas ?

Alors, je ne veux pas d’un homme-enfant pas sevré. Je ne veux pas d’un homme torturé et torturant. Je ne veux pas d’un homme qui attend tout de moi et ne donne rien en retour.

Bon, ça ne m’avance pas plus. Tout ça, c’est beau sur le papier mais c’est très rare que cela devienne réalité. Alors, je tente le pragmatisme.

Un homme à qui il reste des forces pour mener d’autres combats que les siens. Un homme qui sache composer avec ma monkerie. Un homme qui prenne les décisions pour moi sans toutefois me priver de mon indépendance. Un homme qui accepte qu’on vive chacun chez soi dans un premier temps et qui parvienne ensuite à contourner mon extrême territorialité en proposant un toit commun sur terrain neutre. Idéalement, à la campagne ou au bord de mer.

Un homme qui arrive sur son cheval blanc et qui me cloue le bec en me kidnappant.

Ah merde ! C’est le prince charmant ! Aurais-je au fond de moi des réminiscences de midinette ? Ai-je le besoin inavoué d’être sauvée ? Mais sauvée de quoi ? De moi-même ? De ma condition délétère ?

Est-ce parce que j’en ai marre des décisions foireuses que j’ai prises dans ma vie que je brûle de m’en remettre à quelqu’un d’autre ? Ne plus vouloir être actrice de ma vie, botter en touche, m’asseoir sur la banquette arrière plutôt que derrière le volant, démissionner, quoi : suis-je capable de l’accepter ? Les épreuves ont elles eu raison de ma nature profonde ?

15.30. J’ouvre, un peu fébrile, les résultats de la prise de sang hebdomadaire de ma mère. Peut-être que ces six jours de nouveau traitement auront fait effet ? Que dalle, ces taux ont même encore baissé. Et elle a perdu un kilo en deux semaines.

Je ne peux pas lui mettre un entonnoir dans le gosier et je suis lasse de guerroyer à chaque repas. On voit le résultat. Maintenant, ce sont les compléments nutritionnels qu’elle refuse d’avaler :

– Oh non, je ne peux pas ! Rien qu’à les regarder, j’ai envie de vomir !
– Ce n’est pas une option, ordre du docteur !

J’espère qu’elle va tenir encore un mois et demi. Et moi aussi.

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