Saison 1

MONK, MON EGERIE, MON MENTOR

« … Plusieurs études notent le faible taux de fumeurs parmi les malades du coronavirus, laissant penser que la nicotine pourrait par exemple avoir un effet contre le Covid-19… »

Ça tombe bien, je fume comme un sapeur ! D’ailleurs, il faut que je passe au bureau de tabac et que je prévoie une séance tubage très bientôt. C’est bien moins rapide que d’acheter une cartouche toute prête mais le prix de cette dernière est une raison imbattable à mes yeux. Et puis, à ma dernière radio des poumons il y a deux ans, on m’a dit :

– Vous avez des poumons de jeune fille ! On voit que vous ne fumez pas !

Samedi 25 avril 2020 – CONFINEMENT J+40

9.00. Un mail du liquidateur :

« … La date limite de dépôt des offres par mail chez l’huissier Maître Trucmuche a expiré hier à 17h00. Malheureusement, celui-ci m’a indiqué n’avoir été destinataire d’aucune offre. Nous devons désormais envisager la vente des actifs corporels par le commissaire-priseur afin de libérer les locaux et mettre fin aux loyers qui continuent à courir. Je vais donc préparer une requête en ce sens pour une vente à intervenir après le déconfinement… »

Voilà, ça c’est fait. C’était couru d’avance. Donc, pour nous, aucun espoir de voir notre caution baisser car cette vente à l’emporte-pièce ne rapportera que des roupies de sansonnet. Je ne réponds même pas à ce mail tellement je suis blasée. Bref, on attend que la banque se manifeste, ça m’étonnerait qu’elle oublie, encore moins qu’elle apure notre dette.

Le samedi, c’est ménage à la Bibi, c’est-à-dire du sol au plafond. Dire que cela me ravit est peut-être excessif, c’est plus du domaine de la compulsion : je suis extrêmement maniaque, une forcenée de la propreté avec des tocs. Mon dada : les traces d’eau.

Parfois, j’essaye de détourner le regard du mitigeur de la baignoire ruisselant après ma douche, je tente de l’oublier en faisant autre chose mais je reviens vers lui, serviette à la main, et ça tambourine dans ma tête :

– Ça va te prendre 12 secondes, vas-y, tu ne vas pas en dormir, sinon !
– Arrête, laisse ce pauvre mitigeur avec ses traces de calcaire, il ne va pas décéder !

Alors, je me force à quitter la salle de bains mais j’y retourne inexorablement cinq minutes plus tard et me mets à essuyer frénétiquement le mitigeur. Puis, tout ce qu’il y a autour. Et là en général, je me trouve pathétique.

Mon surnom, c’est Monk. Comme lui, j’ai aussi besoin que chaque chose soit à sa place, au centimètre près. J’ai besoin de faire les choses dans l’ordre sinon, je ne sais pas fonctionner.

Et en ces temps de phobies collectives, cette photo sur Facebook m’a faite bien rire :

Je me fais violence, des fois : je me répète que le monde ne va pas s’arrêter si je ne fais pas la poussière ou si mes bibelots ont migré d’un centimètre, je me force même à salir par terre et je me retiens de nettoyer dans les trente secondes qui suivent, voire je m’oblige à quitter la pièce pour ne plus y penser…

Même ma fibromyalgie ne me fait pas dévier. Même si l’aspirateur est trop lourd, même si de changer les draps m’arrache les épaules et que je mets bien douze heures pour m’en remettre, je n’ai d’autre choix que d’obéir, soumise, à mon démon intérieur. Je gobe un Nurofen et c’est reparti, mon kiki.

Avec le restaurant, j’avais très peu de temps à y accorder mais comme je passais très peu de temps à la maison, cela ne me pesait pas trop. Mais depuis que j’ai arrêté de travailler… Et encore ! Je ne mets pas mes lunettes quand je fais le ménage, sinon j’y passe le week-end !

J’ai toujours été comme ça. Kevin a bien essayé de s’y faire, mais avec ses sentiments est partie aussi sa considération de mon bien-être psychique. Mais bon, c’est une des rares choses pour laquelle je ne lui garde pas rancune.

Cela semblait toutefois convenir à Walter. Cela dit, il a passé trop peu de temps chez moi pour que cela finisse par le soûler. Aujourd’hui, je me demande vraiment qui pourrait me supporter, je me supporte déjà difficilement moi-même…

Ah si, les locations de vacances et les hôtels sont ravis  : quand je repars, c’est parfois plus propre que quand je suis arrivée ! Ils devraient faire un discount pour les clients/femmes de ménage…

Mais aujourd’hui, je ne sais pas ce qui se passe, une flemme immense s’empare de moi et me fait reposer mon arsenal, c’est-à-dire mon éponge et mon plumeau. Je regarde, indifférente, les quelques grains de poussière sur l’étagère de la cuisine qui me paraissent soudainement peser une tonne chacun…

Et je m’estomaque toute seule à ne passer que l’aspirateur et une lingette au sol. C’est tellement inattendu ! Et presque pas mauvaise conscience. Mais craignant que cette dernière ne me rattrape, je décide de sortir pour faire faire une promenade à ma mère.

Promenade qui dure vingt minutes pour 120 mètres parcourus aller-retour. Je la ramène à l’appartement au bord de l’inanition. Elle qui mettait son état sur le dos de son inactivité en me le reprochant copieusement, elle est bien obligée de se rendre compte que c’est le contraire.

C’était donc un test qui me donne raison une fois encore. On retentera lorsqu’elle aura retrouvé un peu de forces.

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