– Oh la la, je n’ai plus de forces ! Je vais mourir !
– Avant, on va aller voir le docteur. Allez hop, pomponne-toi, le taxi arrive dans trente minutes.
Vendredi 24 avril 2020 – CONFINEMENT J+39
Le taxi nous dépose devant l’entrée de cette jolie clinique privée de Neuilly, nichée dans un écrin de rhododendrons et de lauriers roses tout fringants de fleurs.
Dès le sas d’entrée, le ton est donné avec un flacon géant de gel hydro-alcoolique qui trône en plein milieu. A l’accueil, on nous prend la température au front avec un pistolet digne de Luke Skywalker puis on arrive dans la salle d’attente où des flacons de gel sont disposés auprès de chaque rangée de fauteuils. Je ne me suis jamais sentie autant aseptisée !
Derrière mon masque cependant, je n’en mène pas large car ma mère n’arrête pas de tirer sur le sien en râlant qu’elle étouffe, ce qui m’oblige à l’asperger de gel. Les autres patients nous regardent en biais… Pourvu qu’elle ne se mette pas à tousser ! Non, à la place, elle se met à vitupérer car l’attente est trop longue, selon elle :
– Non Maman, c’est nous qui sommes en avance.
– Mais puisqu’on est là, il pourrait nous recevoir !
– Bah il a le droit d’avoir d’autres patients, non ?!
– Ce n’est pas normal quand même.
Sur la route déjà, j’y ai eu droit et le chauffeur de taxi aussi, du coup.
– Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Tout est fermé ! C’est une honte d’interdire aux gens de travailler ! Il faudrait faire une manif !
Le chauffeur a croisé mon regard désabusé et par son hochement de tête, j’ai compris qu’il avait compris.
Bref. Le professeur nous reçoit pile à l’heure et je lui expose la raison de notre consultation. Je sors fièrement le dossier que j’ai préparé et je reçois ses félicitations ha ha ha…
La myélodysplasie de ma mère s’est aggravée avec des trucs dans sa moelle osseuse qui ne devraient pas être là. Il n’y a pas grand-chose à faire. Certainement pas une transfusion de plaquettes car c’est inutile à l’âge de ma mère, ça lui durerait trois jours et il faudrait refaire à l’infini une procédure bien trop lourde pour des résultats trop maigres. Il augmente néanmoins la dose de son traitement actuel et prescrit d’autres trucs en cas de fièvre.
Je dois dire qu’il est assez plaisant, pour un professeur d’une clinique privée de Neuilly. Je m’attendais à un collet monté condescendant, c’est tout juste si je ne me suis pas entraînée à la révérence avant de venir. Donc, entre deux questions sur l’état de ma mère, il me demande ce que je fais dans la vie et on finit par papoter, badins…
A la fin, il nous raccompagne et me glisse… son 06 « au cas où… » ! HA HA HA au cas où de quoi ?! C’est donc en riant que je me dirige, ma mère aux basques, vers l’accueil pour commander un taxi. Bon, je sais que c’est le printemps et qu’il y a en cette période de confinement beaucoup de frustration sexuelle, mais quand même !
J’aurais bien ri, c’est toujours ça de pris.
Puis, sur le chemin du retour, je m’interroge : vais-je pouvoir détendre l’élastique maintenant que je sais que tout ce qu’il reste à faire, c’est d’attendre le placement en EHPAD ?