Saison 1

JE DETESTE

Dimanche 26 avril 2020 – CONFINEMENT J+41

« …Du plus loin que je me souvienne, je déteste être contraint. Je déteste ce monde masqué qui se détourne des enfants par une peur aussi incontrôlée que ridicule. Je déteste la privation de libertés qui se profilent, consentie par un monde moutonnier. Je déteste le troupeau et la bien-pensance sécuritaire qui l’accompagne. Je déteste l’idée de ne plus serrer dans mes bras les gens que j’aime. De ne plus embrasser. De ne plus caresser. Palper. Pétrir. Je déteste toute cette distanciation imposée. Je rêve de transgression, de voyager léger dans cette France recroquevillée sur sa peur. Je rêve que rien ne m’empêche de m’approcher de mes rêves. Si le virus a besoin de sa part d’humanité, qu’il la prenne et qu’on en finisse. Tout est concentré dans la pensée de J. London. La fonction de l’homme est de vivre, pas d’exister. Une fois rassasié, ce virus partira de lui-même. En ce 22 avril printanier, la liberté fleurit dans la rosée de ton sexe confiné. »

La dissidence est essentielle à l’esprit humain, elle permet de se rendre compte que la vie est autre chose que des gestes inculqués. J’aime la franchise qu’on peut avoir à ce propos et même si moi je suis un bon petit soldat, un brin fataliste, j’adhère complètement à l’idée de rester fidèle à soi-même sans faux-semblants.

Les mots de ce doux rêveur insurgé me donnent des envies de dire moi aussi tout ce que je déteste.

Je déteste ceux qui applaudissent au balcon tous les soirs à 20.00 mais qui portent des masques FFP2 pour aller chercher leur pain. Je déteste ceux qui donnent à Médecins du Monde mais qui signent une pétition pour faire expulser une infirmière de leur immeuble. Je déteste ceux qui me regardent de travers en supposant que c’est moi qui ai importé le virus depuis la Chine où je n’ai jamais mis les pieds.

Moi, je n’applaudis pas le soir parce que ça me soûle mais j’ai donné tous les masques que j’avais en début de confinement. Si je savais coudre, voilà longtemps que j’en aurais fait à la chaîne pour les distribuer dans l’immeuble et s’il n’y avait pas eu ma mère, j’aurais sans hésiter offert d’héberger une infirmière dans le besoin. J’ai même voulu donner un coup de main à l’hôpital avec mes petits moyens mais on m’en a dissuadée à cause de ma mère avec laquelle je ne devais prendre aucun risque.

Je ne suis pas militante pour un sou, je ne me rallie à aucune cause, je ne m’exprime sur rien en public, sur les balcons ou sur les réseaux sociaux, et je déteste être dans la lumière. Mais si je peux faire quelque chose, je le fais, mais en silence et dans l’ombre.

Ça me fait penser aux X-Men, ces mutants aux pouvoirs plus fantastiques les uns que les autres qui deviennent des super-héros, sauf peut-être celui qui a le pouvoir utile mais désuet de faire pousser les tomates en accéléré. Mais en cas d’hiver nucléaire, ce serait lui le super-héros. D’un seul coup, il deviendrait ultra-essentiel à notre survie.

Tous ces métiers de l’ombre, quasiment d’ailleurs tous ceux qui manifestaient dans la rue il y a plus d’un an, se retrouvent dans la lumière, encensés, louangés, magnifiés, à juste titre. Mais qu’en sera-t-il quand cette crise sera derrière nous ? Mettrons-nous réellement les moyens réclamés à cor et à cri depuis si longtemps ?

Est-ce que je déteste être privée de contact humain ? Bah ma foi, non. Je dirais même que cela m’arrange. Je n’ai jamais été très tactile, pour être honnête, je me suis toujours fait violence pour claquer la bise ou serrer une main.

C’est parce que j’ai un don mais qui m’embarrasse plutôt qu’autre chose. Je suis une hyper-empathique, au moindre toucher, je suis capable de ‘ressentir’ la personne en face de moi. Je ne suis pas medium, je ne vois rien, je ressens, c’est tout. Le problème, c’est que je ne ressens que le mal et la souffrance.

Donc, je fais quoi, je dis quoi quand je serre la main d’une personne et que je ressens quelque chose de négatif en elle ? Et que je lui dise ou pas, ça changera quoi ?

D’où mon embarras à propos de ce don que je trouve au mieux inutile, au pire maudit. J’ai mis des années pour apprendre à le contrôler. Je le voyais un peu comme un double maléfique qu’il fallait que je maintienne à distance sous peine qu’on me brûle sur un bûcher ou plus probablement, qu’on m’enferme dans une chambre capitonnée avec le fameux pyjama aux très longues manches.

Aussi, dès que je sais que je vais devoir serrer une main ou faire la bise, ou pire, une embrassade à l’américaine, je déploie dans ma tête un bouclier invisible et je visualise des ondes qui font ricochet dessus. Ça marche plutôt pas mal mais c’est une discipline de fer qui ne peut souffrir d’aucun relâchement. Si je suis distraite ou si je suis éméchée, tout s’engouffre alors dans la brèche et me saute dessus comme une hyène sur un gnou pataud.

Bref. La distanciation et le hochage de tête lointain me vont bien. Mais j’ai tout de même une question qui me taraude : comment ça se passe pour les célibataires qui font une rencontre ? Comment fait-on pour conclure, ne serait-ce que par un baiser ? Et si on se passe le corps en entier au gel hydro-alcoolique et qu’on garde nos masques, peut-on faire l’amour ? Faudra-t-il auparavant passer un test de dépistage comme pour le VIH, s’abstenir pendant un mois et refaire un test ? Le futur pour les célibataires ne sera-t-il que platonisme frustré ?

Bon. Y a d’autres trucs que je déteste, comme les films doublés en français. Je déteste le doublage tout court, rien de tel pour être nul en langues étrangères. Et ce soir, je déteste que mon lecteur dvd rende l’âme.

Mais ça, j’entends bien que tout le monde s’en tape.

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