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COCKTAIL LETAL

–  Comment tu te sens aujourd’hui, Bichette ?

–  Bah je suis dans la merde, je crois.

–  C’est-à-dire ?

–  Je viens de déterrer un truc, c’est énorme. Je suis sous le choc.

Nénette bien désemparée au bout du fil. Je l’ai rassurée du mieux que possible, elle a fini par conclure que l’important était que j’avance. Mais force est de constater que cela ne va pas être possible dans l’immédiat. J’ai découvert quelque chose qui va peut-être tout changer. Non, pas ‘peut-être’, c’est sûr. Du coup, ça projette une lumière nouvelle sur l’entièreté de mon être, de ma vie depuis ses fondations.

 

Jeudi 19 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+21

Coïncidence ? Mardi, une bonne grosse crise aigüe de fibro est revenue s’abattre sur moi. Pas tellement dans la douleur cette fois-ci mais dans un extrême épuisement. Plus de piles dans le lapin Duracell. Ce matin, je me suis sentie revenir petit-à-petit dans le monde des vivants. J’ai toujours une croix entre les épaules et mes hanches sont encore un peu soudées mais globalement, ça va mieux.

Et lovée en boule sur la banquette depuis deux jours, j’ai eu le temps de penser à la découverte que j’ai faite dimanche soir. Je repensais bien sûr à Bradley, à cette dernière semaine si chaotique entre nous. J’étais assez sereine, convaincue que de lâcher un peu la bride sur tout ça était la meilleure solution. Et venant de nulle part, j’ai été soudain assaillie par une angoisse qui m’a prise les tripes et j’ai repiqué la tête la première dans un seau d’amertume constellée de questions rugissantes.

Et là, j’ai percuté. C’était de l’ordre du psychotique. Quelque chose n’allait pas chez moi, quelque chose de plus fort que ma volonté qui devait trouver ses racines ailleurs que dans mon abus récent de Stillnox… J’ai repensé alors au trouble de la personnalité borderline, le TPB, qui m’a été diagnostiqué il y a sept ans. J’ai fait quelques recherches sur le net jusque tard dans la nuit et là, j’ai eu un choc. C’était là, sous mes yeux, décrivant exactement ce que je vivais !

Il y a sept ans, j’avais compris en diagonale avec un pitch à l’emporte-pièce ‘soit tout blanc, soit tout noir’ qui ne faisait que souligner mon côté entier selon moi plus qu’il ne m’handicapait au quotidien. J’avoue que je l’ai pris un peu à la légère. Et comme j’ai arrêté ma thérapie presque du jour au lendemain, ma psy n’a pas eu le temps de bien me briefer à cette époque-là.

Ainsi, le TBP est bien plus complexe, bien plus retors avec des répercussions terribles sur la vie entière d’un individu et s’il n’est pas correctement pris en charge, il peut conduire au suicide. Non pas que j’y pense en ce moment mais avec le cocktail TPB-Stillnox-décès de Maman, c’est étonnant que je sois encore debout. En tout cas, cela explique mon pétage de plombs récemment.

Voici ce qu’est le TPB. A ne pas confondre avec le trouble bipolaire.

Le trouble borderline est un trouble de la personnalité très fréquent. Sur 100 personnes, il est estimé que 6 souffriront de ce trouble en population générale, et jusqu’à 20 si l’on se place dans un service de psychiatrie. Ce trouble est associé à une souffrance existentielle considérable. En outre, ces personnes ont un risque accru de souffrir de dépression, d’anxiété, d’addiction, ou de troubles du comportement alimentaire à un moment de leur vie. Il s’agit du trouble le plus associé à la survenue d’idées de suicide et de comportements suicidaires, stratégies de dernier recours pour éviter la souffrance ressentie. On rapporte 4 grandes dimensions à ce trouble :

 

  1. LA DYSREGULATION EMOTIONNELLE, c’est-à-dire la difficulté à réguler ses émotions. Les personnes borderlines sont très sensibles. Elles présentent un seuil d’activation bas des émotions, une intensité émotionnelle importante, et un lent retour à la ligne de base. Un petit évènement va les affecter, et ceci va prendre des proportions importantes. Ce qui va contribuer à des niveaux de tensions émotionnelles plutôt élevées chez les personnes borderlines au cours d’une journée. La colère est une émotion ressentie en particulier de façon fréquente, et intense. On retrouve aussi un sentiment chronique de vide et une perturbation de l’identité. Ces personnes rapportent l’impression d’être comme une coquille vide, un pull inhabité. Il s’agit d’une difficulté à identifier qui elles sont, ce qu’elles aiment, ce qu’elles veulent faire de leur vie. La tendance à se coller à la perception et aux attentes des autres pour orienter leurs actions.

Les personnes atteintes de trouble de la personnalité borderline ont des difficultés à contrôler leur colère, elles s’irritent souvent de façon injustifiée et excessive. Elles peuvent exprimer leur colère par des sarcasmes cinglants, de l’amertume ou des diatribes virulentes. Leur colère est souvent dirigée contre leurs amis proches, leurs partenaires, les membres de leur famille et, parfois, les médecins parce qu’elles se sentent négligées ou abandonnées. Après l’accès de colère, elles se sentent souvent honteuses et coupables, ce qui renforce leur sentiment d’infériorité.

 Ainsi, 4 critères appartiennent à cette dimension :

    • Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur.
    • Perturbation de l’identité : instabilité de l’image, de la notion de soi.
    • Sentiment chronique de vide.
    • Colère intenses et inappropriées, ou difficulté à contrôler sa colère.

 

2. L’IMPULSIVITE est le fait qu’il y ait peu de temps entre le moment où la personne a une expérience interne (comme une pensée ou une émotion), et le moment où elle passe à l’acte. C’est-à-dire que face à une tension émotionnelle, un inconfort interne, la personne borderline va avoir tendance à mettre en place une action qui va la soulager très rapidement (une action qui va décharger sa tension émotionnelle), mais qui n’est pas efficace pour sa vie, qui ne prend pas soin d’elle sur le long terme.

Exemple : fumer des joints ou boire de l’alcool pour diminuer sa tension, faire des crises de boulimie, tenir des propos blessants auprès d’une personne importante pour soi sur un coup de tête (« mes mots dépassent mes pensées »), voire se scarifier ou faire une tentative de suicide.
Tous ces comportements ont la même fonction : éviter la souffrance le plus rapidement possible, trouver une sortie de secours rapidement.

Le problème des sorties de secours est qu’elles nous amènent rarement là où nous aurions souhaité. Ainsi, 2 critères appartiennent à cette dimension :

    • Impulsivité dans au moins 2 domaines potentiellement dommageables pour le sujet (dépenses, sexualité, toxico…) ;
    • Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d’automutilations.

 

3. LES DIFFICULTES DANS LES RELATIONS INTERPERSONNELLES, c’est-à-dire les relations à autrui
Les personnes borderlines fonctionnent généralement en tout ou rien, blanc ou noir. On parle de « fonctionnement dichotomique ». Elles vont avoir tendance à être hyper-entière dans les relations, à s’investir rapidement, et pleinement (voire trop). La relation nouvellement investie est généralement idéalisée. Et comme, au fur et à mesure du temps, l’autre ne répond pas à ses attentes, la personne borderline va devoir faire face à la déception. La relation va souvent être intense et instable, marquée par une alternance entre idéalisation de la relation, et dévalorisation. On retrouve également une peur intense de l’abandon, c’est-à-dire que les personnes investies affectivement s’éloignent de soi, rompent la relation. Ceci peut conduire à des comportements excessifs de réassurance, la tendance à tester les limites de la relation, voire des comportements pour se faire aimer de l’autre au détriment du respect de soi.

Souvent, lorsque les personnes atteintes de ce trouble sentent qu’elles sont sur le point d’être abandonnées, la peur et la colère les envahissent. Par exemple, elles peuvent se mettre à paniquer ou devenir furieuses lorsque quelqu’un d’important à leurs yeux a quelques minutes de retard ou annule un rendez-vous. Elles supposent que ces incidents résultent de ce que la personne ressent vis-à-vis d’elles plutôt que des circonstances sans rapport. Elles peuvent croire qu’un rendez-vous annulé signifie que l’autre les rejette et qu’elles ne valent pas la peine. L’intensité de leur réaction reflète leur sensibilité au rejet.

Ainsi, 2 critères appartiennent à cette dimension :

    • Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés ;
    • Modes de relations interpersonnelles instables et intenses.

 

4. Une 4ème dimension, à mettre en lien avec la dysrégulation émotionnelle : la survenue, dans des situations de stress intense, de SYMPTÔMES DISSOCIATIFS, c’est-à-dire de perte de contact transitoire avec la réalité. Ceci peut se manifester, pour la personne borderline, par l’impression que les autres lui en veulent ou lui veulent du mal, l’impression d’être dans un rêve éveillé ou en dehors de son corps, des distorsions temporelles, des hallucinations, ou encore l’impression que certaines parties de soi ne lui appartiennent pas ou l’impression d’avoir plusieurs identités.
Les personnes atteintes du trouble de la personnalité borderline sabotent souvent leurs propres efforts lorsqu’elles sont sur le point d’atteindre un but, de sorte que les autres les perçoivent comme étant en difficulté. Par exemple, elles peuvent abandonner les études, juste avant l’obtention du diplôme ou saboter une relation prometteuse.

 Ainsi, le critère faisant référence à cette dimension est :

    • Survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.

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Ça explique tant de choses !

Quand je disais à l’envi « I’m no good for anyone » ou “Je ne suis nulle en relations humaines”… Pauvre Bradley ! Pauvre Maman ! Pauvre tout le monde, quoi. J’ai passé en revue la quasi-totalité de ma vie et tout a pris sens. Enfin, sens… Disons que j’ai compris. Et même si je suis encore sous le choc de cette découverte, je me surprends à pouvoir relativiser et à me dire que tout n’était pas entièrement de ma faute. Que je peux réclamer des circonstances atténuantes.

Maintenant, de mettre des mots dessus, d’avoir une explication tangible, cela va-t-il me permettre d’aller mieux ? Ou mon salut ne peut-il passer que par le traitement et la thérapie ?

En urgence, ma doctoresse m’a prescrite de la paroxétine pour contrer les montées d’angoisse qui m’étouffent et m’a dit de reprendre très vite attache avec la psy qui m’a diagnostiquée il y a 7 ans. Ce que j’ai tenté de faire mais avec le covid, je peux me brosser.

Fibromyalgie et TPB, deux maladies fortement soupçonnées d’être héréditaires… Moi l’hérédité, ça me renvoie dans l’inconnu le plus total, le vide, quoi. De perdre Maman récemment a certainement mis ça à jour. Il faudrait que je m’interroge à ce sujet, puis-je en faisant le deuil de Maman faire le deuil de ces deux maladies ?…

Oh et puis merde, j’en ai ma claque des interrogations ! Car j’en ai encore des milliers, comme qu’en est-il de mon don, aurais-je la force de m’en sortir avec ma seule volonté, cela peut-il changer la donne avec Bradley, serais-je un jour saine et apaisée, et si, et pourquoi, et blablabla…

Bref, je n’en suis qu’au stade de la reconnaissance, de la compréhension. Viendra, je l’espère, le stade de l’acceptation. Et après, bah on verra. Cela ne change rien, j’ai décidé de me battre et je vais le faire. C’est juste que je ne pensais pas que cela commencerait par une reconstruction totale de mes fondations.

J’ai un beau CV tout neuf. C’est un bon début, non ?

 

Bradley part ce soir rejoindre son régiment. Je lui ai envoyé un petit mail ce matin pour lui souhaiter bonne chance. Deux appels anodins lundi, puis plus rien. Moi, parce que j’étais trop morte et lui… bah j’ai fini de supputer.

« … We make our life out of chaos and hope. And love…”

JE NE SUIS PAS UN SYLLOGISME

“… An unknown chapter lies ahead. But for now, for the first time, I look into the light with new hope…”

That can’t be closer to what I am feeling today. A new era has arisen in me, still mysterious but so much welcome. Many things have yet to come together but I know one thing: nothing will never be the same anymore.

 

Dimanche 15 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+17

J’ai retrouvé celle que j’étais en 2011, juste après mon divorce d’avec Sean. Je me suis retrouvée seule et heureuse de l’être, à faire les choses pour moi comme je l’entendais. J’avais mon boulot, certes alimentaire mais qui me permettait d’être indépendante financièrement, je sortais, je voyais mes amis, je faisais de la musique, je voyageais beaucoup…

Une vie banale mais qui m’allait bien. Je me souviens même avoir eu un moment de clarté absolue où je me suis dit « Purée, je kiffe ma life ! Je suis parfaitement en phase avec moi-même. »

Il y avait bien Walter en filigrane mais j’assumais mon célibat de fait avec joie finalement, m’octroyant quelques aventures par-ci par-là car j’aimais bien l’amazone en moi.

J’avais de plus eu la révélation de mon don et cette lumière qui ne me quittait pas… Bref, je crois que j’étais enfin heureuse et bien dans ma peau.

Je veux être celle-là à nouveau. Parce que c’est mon vrai Moi. Solide, sérieuse mais avec un grain de folie. Terre-à-terre et fantasque. Pragmatique et énigmatique. Solaire et lunaire. D’aucuns diraient que je ne suis qu’une grosse contradiction, une girouette permanente… Il y a bien un mot qui me vient à l’esprit mais j’ai dépassé la rébellion adulescente : je me fous de ce que l’on peut penser de moi, j’assume.

Cette ambivalence, ces contrastes, ces paradoxes me font toute entière. Je m’en sens riche et fière. Je ne suis pas un syllogisme. Rien ne me déduit. Tout me définit.

Vendredi, cela m’a sauté aux yeux. Ce point de vue extérieur sur mon parcours professionnel a fait se révéler une grande richesse et donc une force que je devais mettre en avant en liant ce que je croyais disparate en un tout homogène et fondé.

Je suis proactive, passionnée, intense, vive, prolixe. Je suis aussi réfléchie, pondérée et je sais faire preuve de raisonnement. Mon parcours professionnel reflète exactement ma vie et ce que je suis intrinsèquement : autodidacte, atypique, à ma juste place dans ce monde mais revendiquant le droit de marcher hors des sentiers battus.

J’aime les guitares andalouses, les violons yiddish, les Möttenten de Bach, les basses profondes et les boom-boom, les solos de batterie comme des rafales de l’Apocalypse, le gospel, les motherfucker et les fuck you qui ponctuent le heavy-metal…

J’aime le style gothique, dark, je le trouve esthétique. J’aime aussi la sérénité des murs blanchis à la chaux et le bleu électrique de la mer au large de Mykonos, j’aime l’épuré et la sobriété de certaines architectures comme j’aime le baroque, le surchargé d’histoire, j’aime la résilience des très vieilles pierres et l’éphémère des fleurs coupées…  Ma complexité. Ma richesse.

Je n’ai pas besoin de me réaliser à travers de mon boulot. Je comprends que ce soit la recherche de beaucoup de gens qui pousse ces derniers en cas d’échec à trouver un autre sens à leur vie, mais moi, ce n’est pas le cas. Je viens de comprendre ça.

Aussi, avoir un job rébarbatif ou vide de sens, ça me va, parce que je sais que je peux m’épanouir en dehors. J’aime le vin, la musique, j’aime sortir, partager, voyager au bout du monde, j’écris, je danse, je chante, je bulle et je contemple.

A vrai dire, c’est un équilibre que je sais maîtriser à la perfection, qui m’a accomplie dans le passé et qui sans nul doute m’accomplira de nouveau. Je veux me réaliser au travers d’une vie-patchwork dont j’étreins chaque élément. C’est clair pour moi aujourd’hui.

Donc, mon objectif n°1 : retrouver un boulot ici à Paris. Rien de folichon peut-être mais juste un boulot. Ça me permettra de me changer les idées, de me focaliser sur autre chose, de rencontrer des gens nouveaux, même si c’est des cons, je m’en fiche, et ultimement de retrouver ma place dans la société. Une certaine utilité.

Bon, je ne dis pas que je suis sûre de trouver un job sous quinze jours, un mois, six mois, il se peut que ma motivation et mon CV flambant neuf sur lequel je vais m’atteler très vite ne suffisent pas. Mais je me reposerai des questions à ce moment-là.

Chaque chose en son temps. Là, j’ai envie de me lever tôt et d’être à la bourre quand même, j’ai envie d’avoir un planning, d’être débordée, j’ai envie d’aller faire des happy-hours avec des collègues idiots aux vies idiotes, envie de refaire partie d’une meute, d’un clan et d’être idiote moi aussi 5 jours sur 7 de 9.00 à 18.00. Enfin, un peu plus tard, avec l’happy-hour.

Alors, pas ad vitam aeternam, peut-être… Le temps de murir mon projet.

Comme celui de me mettre au vert à la campagne. J’ai vraiment envie d’un retour à la terre, à des choses simples et sans artifice. Mais le projet que j’en avais jusqu’à lors n’était ni plus ni moins qu’une fuite, qu’un désistement, qu’un enterrement en bonne et due forme. Si cela doit se faire, je veux que ce soit quelque chose qui se formalise en moi avec envie et sans faux-semblants.

Ou les USA. Je tiens à creuser cette option. Besoin d’aller au bout du truc. Sinon, je vais encore rester sur de l’inachevé qui va me rendre amère et c’est tout ce que je ne veux pas.

Mon don, aussi. J’ai besoin de savoir ce que je peux en faire. Concrètement.

Tout ça doit mûrir en moi. Voir si l’un ou l’autre émerge en moi comme un impératif. Ou aucun. Je vais peut-être découvrir que je n’ai besoin d’aucun d’eux pour être heureuse. Mais peu importe la conclusion, le cheminement doit avoir lieu. C’est un projet en soi.

Bref, un gros chantier m’attend. J’ai un peu peur, j’avoue, mais j’y vais.

Je sais par quoi je suis passée. J’ai eu la vision très claire de la globalité de mon parcours, de tout ce qui m’a menée à ce que je suis aujourd’hui. Ou en passe de le devenir. De me sentir renaître est une sensation fantastiquement géniale et flippante à la fois mais « Nothing good comes easy »

Pas pour rien que j’ai un phénix géant tatoué dans le dos !

 

En parlant de cramage de plumes, Bradley est bien passé hier après-midi. Quelques heures pendant lesquelles on a pu discuter. Déjà lui, il s’est lancé d’entrée de jeu dans un déballage presque compulsif de tout ce qui l’occupait en ce moment à l’armée et moi je l’ai écouté sagement. Pas de tension, c’était même assez naturel.

Puis, on a parlé de choses et d’autres, de ses enfants, des projets qui prenaient forme en lui. Je lui ai reparlé de mes tarots divinatoires et de la carte Les Parents que j’ai tirée à plusieurs reprises le concernant. Importance du foyer, des fondations… Il est en train de poser quelques-uns de ses piliers fondateurs.

On lui a notamment proposé un job sur Paris qui lui permettra d’envisager tranquillement son projet de campagne tout en gardant son appart ici et la garde alternée de ses enfants le temps qu’ils soient à peu près autonomes. Il a aussi trouvé la voiture de ses rêves, un truc complètement fou mais qui lui correspond parfaitement. Ça paraît puéril mais pas tant que ça, en fait.

Enfin et surtout, il sait qui il est. Un fils de paysan qui rêve d’avoir la vie simple et tranquille de son père. Et il va tout faire pour. Le voilà qui pose ses valises. C’est bien. Je ne peux que m’en réjouir pour lui.

Et le temps d’une ‘pause’ avec une cigarette à la fenêtre, il s’est exclamé :

–  Je ne pensais pas qu’on allait parler autant !

–  Que TU allais parler autant ha ha ha ! ai-je répliqué en riant

–  Ah ? Tu attendais que je me taise pour enchaîner ?

–  Pas du tout ! Je t’ai tout dit par téléphone hier, je te signale. Pas idéal mais puisqu’il n’était pas dit qu’on se voit… Bon, maintenant, oui, si tu veux, je peux te faire un replay.

« Toi et moi, un mois et demi dans les faits. Cela paraît bien plus long mais parce que c’était dense et intense. Un mois et demi… on peut dire que c’étaient nos prémices, non? Maintenant, se recaler pour repartir, pourquoi pas. Disons que j’ai envie de voir venir, de laisser les choses se faire si elles doivent se faire. J’ai assez de sentiments pour toi pour essayer. 

Mais si tu restes sur le cauchemar de ces derniers jours, je voudrais juste remettre les choses dans le contexte. Tu es arrivé dans ma vie au moment où j’étais pulvérisée, complètement perdue après le décès de ma mère. Et bien sûr, celle qui a pris le dessus, ça a été celle qui souffrait, la dark, la torturée, la psychotique. Cela a donné ce que tu as vu et pris en pleine figure avec en point d’apogée ces derniers jours. Pardon pour le mal que j’ai pu te faire. 

A ma décharge, il y a le Stillnox que je consomme comme des tic-tacs depuis 2 mois. Je ne vais pas te lire la notice entière mais quelques effets secondaires indésirables, par pour me défausser mais pour que tu comprennes que tout n’est pas entièrement de ma faute  : hallucinations, agitation, confusion, cauchemars, dépression, comportement anormal, troubles de la conscience, délires, fixations… 

Sache que j’ai commencé à diminuer les doses et j’ai bon espoir d’arriver à décrocher. Sache aussi que j’ai décidé de changer. En tout cas, de me battre pour changer certaines choses en moi. Parce que je ne peux plus fonctionner comme ça. Je ne peux pas avoir tout sur la table et continuer de détourner le regard. Cela voudrait dire que je m’enterre sciemment. C’est l’option la plus facile pour moi. Mais j’ai choisi l’option hard-core. Pour m’aider, j’ai retrouvé celle qui était heureuse et bien dans sa vie, quelque part je sais que je suis entre de bonnes mains. Je lui fais confiance, fais-lui confiance aussi. 

Je le fais pour moi. Si c’est compatible avec toi, bah tant mieux, sinon tant pis, moi j’aurais avancé. « 

Il m’a demandé alors si je me rendais compte que son plan de vie ne m’incluait pas. Pas un scoop pour moi. Je lui ai répondu que le mien non plus. Que nos plans respectifs avaient de grandes similitudes mais que nulle part c’était écrit qu’ils devaient se croiser, encore moins se fondre en un.

Peu importe, en fait. Chacun a besoin de faire sa vie pour lui-même d’abord. Il en était déjà convaincu, je le suis aujourd’hui. Pour la première fois, on est en phase, lui et moi. C’est drôle que ce soit pour se séparer.

C’est vrai, j’ai embrassé sa vision. J’ai compris qu’il valait mieux vivre les choses plutôt que de les anticiper sinon, on passe à côté. Qu’autre chose peut naître, ou pas, mais que les questionnements sont inutiles, voire nocifs.

Il y a encore des choses que je ne sais pas à propos de lui, à propos de nous, si même il y aura un ‘nous’ mais je crois bien que je m’en fous. Lors du dernier tirage de cartes que j’ai fait à notre sujet il y a quelques jours, la carte symbolisant l’évolution de notre relation a été L’Aventure… Cela ne peut être plus parlant !

Il m’a demandé aussi comment je vivais le fait qu’il y ait très peu de chances maintenant que j’aie un enfant, comment je le vivais en tant que femme. Je ne sais pas trop. Si je suis enceinte, oui c’est sûr, je n’avorterai pas. Mais je ne ressens toujours pas ce désir d’enfant comme une priorité en moi. Donc j’imagine que je le vis bien.

Lui m’a dit qu’il n’en voulait plus. Ce serait se remettre un fil à la patte dont il préfère se passer. Surtout avec moi. Il ne me l’a pas dit texto mais c’est ce que j’ai senti. Bref, mise en pratique, hasard ou acte manqué, il s’est retiré à la fin lorsqu’on a fait l’amour. Je lui ai demandé pourquoi, selon lui, c’était une envie. J’en doute. J’ai senti alors que de repartir sur notre histoire en prenant ce genre de ‘précautions’ tout en les niant en tant que tel, n’allait pas nous porter bien loin.

Heureusement que je n’en ai plus d’attentes et que j’ai décidé de prendre les choses comme elles viennent.

Oui, on a fait l’amour. In extremis alors qu’il était sur le départ. On n’a pas ‘glissé’ comme le premier soir, lui je pense que c’était parce qu’il avait besoin de savoir s’il ressentait encore quelque chose et moi… bah parce que j’en avais foncièrement envie. Ce qui, apparemment, lui a fait plaisir à ressentir. Il s’est rendu compte que notre entente physique était indéniable et qu’on se plaisait. Cela a semblé l’interpeller et somme toute, lui suffire. A moi aussi, tiens.

 

Quelques heures donc de discussion, certes bénéfique et au final positive, mais qui a pu ressembler, maintenant que j’y repense, à une présentation Power Point, à un exposé, un argumentaire, une campagne de pub, à un prêche ?… C’est ainsi qu’il l’a certainement ressenti mais moi, ce n’était pas mon but. J’ai été on ne peut plus sincère sans aucune part d’ombre, sans chercher à le convaincre, à me convaincre de quoique ce soit.

Il a eu peur en fait que j’aille dans son sens, que je me conforme à sa façon de voir les choses, que je change pour lui en m’oubliant encore une fois. Il a soupçonné un éventuel revirement de ma part dans quinze jours, un mois, six mois quand je réaliserai que ce n’est pas moi.

« Bien sûr qu’il reste des choses que je ne sais pas ! Plein ! Tout ce que je sais aujourd’hui, et tu peux me croire ou pas, peu importe en fait, c’est que je sais qui je suis, en tout cas celle que je veux redevenir et honnêtement, si elle ne te plaît pas, bah tant pis. »

Bizarrement, cela lui a parlé. Même s’il a fallu que je lui arrache un sourire et qu’il a émis encore un doute du style « Ce n’est pas tant ce qu’on dit mais ce qu’on fait qui compte. » il a semblé presque convaincu. J’ai réellement une carrière dans le marketing, moi… Ou le prêche…

Bref. Il est parti sur un « On s’appelle » et son éternel clin d’œil et pis voilà.

 

J’ai l’impression que j’ai tourné une page. J’ai vidé le frigo, de toute façon je ne mange pas en ce moment, j’ai réordonné mon appartement… Je le sens, je suis déjà tournée vers un ailleurs. Un chapitre s’est clos. Un autre s’ouvre. Une ère nouvelle. Inconnue mais bienvenue. Et qui dit ère nouvelle, dit ménage armageddon.

IN DARKNESS BOUND, IN LIGHT DESTROYED

12.20. « Hello, j’ai rdv tél avec la mère de mes enfants à 13.30 pour caler leur garde en vue de mon prochain départ. Je te tiens au courant après. »

Moi, je suis en plein rendez-vous avec une conseillère de l’Espace Insertion, la branche Emploi de la CAF qui m’a convoquée. Et je me dis qu’il ne viendra pas à 14.00 comme il me l’a dit hier.

 

Vendredi 13 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+15

Un rendez-vous bien pertinent. J’y suis allée en pensant que ce n’était juste qu’une formalité administrative pour valider la poursuite du versement de mon RSA mais de faire le point sur ma situation au moment où j’ai décidé de me remettre en selle, bah ça tombait à point nommé.

Faut que je remanie mon CV qui n’est pas assez synthétique et accrocheur. Cette conseillère me dit que si, il y a toujours du taf malgré la crise, surtout pour mes compétences mais que mon CV est crucial pour ces logiciels de publication d’offres d’emploi qui fonctionnent par mots-clés.

Je vais donc m’y atteler dès lundi.

14.20. J’ai appelé Bradley, en espérant qu’il ait fini son appel avec son ex-femme. Apparemment, non. Bref, je me dis que ça prend beaucoup de temps pour caler ça mais bon. Et surtout, encore une fois, je me retrouve à attendre qu’il me rappelle.

Je n’ai plus vraiment de doute : il n’a pas envie de venir. Et cela me renvoie 20 ans en arrière, lorsque l’on s’est séparé lui et moi. Plus précisément, quand il est parti. Je ressens exactement la même chose. Lui fuyant au possible et moi frustrée, dans l’incompréhension la plus complète.

En colère aussi. Relative, cela dit. Je ne veux absolument pas retrouver cet état d’amertume et de rancœur qui m’a traumatisée à l’époque. Je me rends compte qu’il était déjà comme ça il y a 20 ans et malgré ce qu’il en dit aujourd’hui et le pardon qu’il m’a demandé, il est resté le même.

Je m’aperçois aussi qu’à l’époque, j’avais déjà ressenti le besoin de l’aider en étant un substitut de cette figure maternelle qui lui manquait tant. Mais bon, j’étais sa femme, pas sa mère. Et face à cet échec inévitable, je me suis dit que certaines personnes ne pouvaient être aidées. Que j’allais me perdre dans un combat perdu d’avance et que cela ne devait pas être mon job.

Aujourd’hui, je fais le même constat. J’ai merdé, certes, cela a certainement précipité les choses sur cette voie-là mais à bien y réfléchir, je pense que c’est lui le problème. Bref. Hier, moi j’ai décidé de changer. Et je vais le faire. Pour moi.

Je trouve simplement dommage que cela se termine en queue de sucette. Avec des non-dits qui pour le coup resteront dans l’ombre pour toujours.

15.10. Allez, perdu pour perdu… « Je crois que je ne t’ai jamais rien demandé jusqu’à lors. C’est dommage que tu n’aies pas cette dernière franchise vis-à-vis de moi. Tu me dois juste ça. »

15.44. Entrer dans les détails me fatigue. Je vais donc retranscrire l’infusion seule de cet appel de Bradley. Je crois qu’il est clair que nous sommes parvenus à un niveau d’incompréhension mutuelle tel qu’il est peut-être vain d’espérer qu’il y ait une suite à notre histoire. Cela dit, comme j’ai envie de croire que les choses ne sont pas écrites dans le marbre, je vais me permettre un peu d’insouciance à ce sujet, roue libre, quoi.

Dans les faits, Bradley récupère ses enfants ce soir mais il essaye de passer me voir demain après-midi. Et ce soir tard, c’est moi qui l’appelle. Et si possible, on essaiera de ne pas en faire un énième coupage de cheveux en quinze-mille-douze.

 

Je n’ai qu’une alliée : moi-même. Celle que j’ai retrouvée après des années enfermée dans ma prison mentale. Elle m’attendait juste à la sortie. Elle est belle, elle est forte, elle est riche.

LE CONSEIL DE LA NUIT

« Me again. Je serais bien venue te voir mais je n’ai pas d’attestation magique comme toi. Je pense qu’il est important que l’on finisse notre ‘conversation’, tu avais raison, j’avais besoin d’un peu de recul pour y voir plus clair. So come over, do not worry I won’t ask for much more. Let me know!”

Un mail que j’ai envoyé à Bradley une heure et demie après l’avoir eu au téléphone, le réveillant d’une nuit très alcoolisée pour savoir quand il pensait passer aujourd’hui. Il m’a dit qu’il allait me rappeler.

Jeudi 12 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+14

Je me suis couchée hier soir dans l’indécision la plus totale. J’ai réussi à dormir un peu et l’adage « La nuit porte conseil » n’a jamais été plus judicieux. Un rêve, déjà, lumineux et positif, qui m’a faite m’éveiller avec un sourire et un fort sentiment qu’un jour nouveau était prêt à m’accueillir.

Coïncidence, il fait un temps magnifique, le brouillard froid et humide d’hier a complètement disparu. Alors, j’ai laissé les premières impressions venir à moi naturellement. Celles-ci sont arrivées douces et claires, renforçant le sourire que j’avais en me levant.

J’ai décidé de changer. Je vais essayer, en tout cas. C’est maintenant ou jamais car je le sais, c’est ma dernière chance. Je ne peux plus avoir autant d’évidences sous le nez et les ignorer. Si c’est le cas, je scelle sciemment mon cercueil et je ne pourrai plus jamais en sortir.

Mes mécanismes de défense, mon schéma de fonctionnement, mes addictions, mes peurs, même s’ils ne sont qu’un héritage et non des choix conscients, je vais tenter de les changer. Je ne me fais pas de promesses mais je veux essayer. Je réussirai peut-être partiellement ou pas du tout mais je veux me dire que je me serai battue jusqu’au bout.

Concernant Bradley, je sais ce que je veux. Je veux qu’on vive ces quelques jours avant son départ en faisant table rase de ces dernières 48 heures et en passant à autre chose. J’en ai envie, vraiment. Ensuite, j’ai besoin de me laisser un peu de temps car je n’ai pas toutes les réponses à son sujet. Comme il part pour un mois, ça tombe bien. Bien sûr, on gardera le contact pendant ce temps-là et on verra ce qu’il en est quand il reviendra.

Je l’aime assez pour vouloir changer. Au bout du compte, peut-être que cela ne le fera pas, pour l’un ou pour l’autre ou pour les deux mais au moins, moi j’aurais avancé.

Je profiterai aussi de cette période pour conduire une longue introspection et savoir ce que je vais faire de ma vie. De ma vie à moi, sans Bradley. S’il peut, s’il veut s’y insérer par la suite, très bien mais je ne mettrai pas ma vie entre parenthèses pour lui, il faut que je pense à moi en premier. C’est ironique, c’est lui qui n’arrête pas de me dire ça ! Comme quoi…

Bref, il faut que je mette tout à plat, que je réfléchisse longuement et que je me décide. En gros, il faut que je trouve ma motivation. Je ne dis pas qu’au premier de l’an prochain, mon nouveau plan de vie sera lancé, surtout avec le confinement qui complique tout mais il sera en tout cas bien tracé dans les grandes lignes.

Je vais aussi me trouver un centre d’intérêt pour me changer les idées. Cela pourrait être une activité sportive ou autre mais à nouveau, le confinement contrecarre tout ça. Je ne sais pas, je vais voir mais c’est sûr, il faut que je m’ouvre à autre chose.

 

Bon, j’aurais aimé dire tout ça à Bradley mais pour ça, il faudrait qu’il vienne. Il est 14.30 et toujours pas de news. Je commence à me poser des questions. Alors oui, il a certainement une gueule de bois monumentale à gérer mais bon. Déjà, les raisons de son alcoolisation à outrance hier soir…

Peut-être qu’il a avancé lui aussi. Et pas forcément sur le même chemin que moi. Il s’est peut-être dit notamment qu’il ne pouvait pas faire avec mon côté dark. Mais tiens, je lui dirai si j’en ai l’occasion, je ne vois pas en quoi mon côté obscur qui me pousse parfois à faire des choses limites ne peut être acceptable car lui aussi peut être limite.

Comme hier soir, par exemple, à rentrer en voiture complètement bourré. Ou quand ça n’allait pas, juste avant son break auquel j’ai assisté par téléphone ce soir-là, il a pris des cachetons avec de l’alcool alors que ses enfants étaient là. Moi, au moins, je connais par cœur mon côté pourrave et je le maîtrise désormais.

Bref. Ou peut-être que nos modes de fonctionnement respectifs, lui ouvert, moi obtus sont trop incompatibles au final pour lui. Ou peut-être que cette situation depuis quelques jours a fini par le soûler définitivement et qu’il n’a vraiment pas envie d’une redite aujourd’hui.

Hier pendant notre conversation, j’ai pris l’initiative de ‘prendre ses constantes’. J’aurais au moins eu la confirmation que mon don n’a pas disparu. J’ai senti – et je lui ai dit – comme un ‘glissement’ en lui. Mais j’ai été bien incapable de lui donner plus de précisions.

Aujourd’hui, voilà, il a peut-être ‘glissé’ ?…

15.00. Allez, je le rappelle. Au pire, il ne me répond pas.

–  Oui ?

–  Tu n’as pas eu mon mail ?

–  Euh non, là j’arrête pas de bosser pour le truc à l’armée, j’ai quinze-mille mails à traiter, des infos à collecter de partout, bref, je suis débordé.

–  Donc tu ne passeras pas aujourd’hui ?

–  Je ne pense pas. Peut-être demain. C’était quoi ton mail ?

–  Juste te dire qu’il était important de finir notre conversation, de vive voix si possible.

–  Oui, c’est important mais là, je ne peux pas.

Je prends ma voix la plus douce possible mais je ne lâche pas l’affaire.

–  J’ai peur que demain, après-demain tu sois autant débordé. Je comprends que tout ça ne se prépare pas au débotté mais j’avais compris que tu aurais quelques jours de tranquillité avant ton départ. Bref, je suis navrée de te mettre la pression mais promis, pas plus. J’ai besoin de savoir si et quand on se voit.

–  Je t’appelle dès que j’ai fini pour te dire si je peux passer ce soir ou pas.

–  Vers quelle heure à peu près ?

–  Je sais pas !

–  Désolée mais c’est trop vague. Cette imprécision est difficile pour moi, tu sais ?

–  Bon, alors on va dire que je viens demain.

–  Demain, c’est large. Vers quelle heure ?

–  Oh ça suffit, la pression !!

–  Désolée mais tu ne peux plus me faire poireauter comme ça.

–  Bon, alors 14.00 demain, ça te va ?

–  C’est parfait, merci.

–  Comme ça, si j’arrive à tout plier ce soir et venir dans la foulée, bah on se verra plus tôt mais au plus tard demain 14.00.

C’est dingue cette volonté de laisser toujours un flou artistique derrière lui, comme la queue d’une comète. C’est vraiment ça, il a horreur des rendez-vous fixes, il veut arriver quand il arrive car l’important est qu’il arrive et qu’il ait eu l’envie d’arriver. Il veut être essentiel à l’instant T sans considération de l’avant et de l’après. Aucune planification, vivre comme un courant d’air, changeant comme la météo.

Pourquoi pas. Et après, c’est moi qu’il targue d’insaisissable ! Bref, quand on est seul, on s’en fout mais dès qu’il y a interaction, ça peut poser un problème. Car il ne conçoit pas que les autres aient besoin de précision comme une marque, même infime, de respect.

Depuis le début, c’est d’ailleurs une des choses qui m’horripile le plus chez lui. Ça fait partie des questions sans réponses auxquelles je devrai néanmoins répondre dans quelques temps. Peut-être que je pourrai me dire dans quelques temps : « Il est là, c’est bien, il n’est pas là, tant pis mais je ne l’attends pas, il catchera le train ou route ou pas. »

Comme quoi, l’armée n’est vraiment pas ce sur quoi je dois m’interroger en termes d’acceptation ou de refus !

Bref. Ce que j’ai perçu de lui au téléphone ne me dit rien qui vaille. Pas tant son ton autoritaire auquel il m’a habituée depuis quelques jours mais ses mots pour terminer notre appel comme une vraie formule de politesse « Merci de ta compréhension. Bises. »

Je tiens toujours à lui parler de vive voix. This is my outcome. Après, bah on verra.

16.30. Je me sens étrangement apaisée. Peut-être parce que j’ai réussi à être claire avec moi-même et avec lui, du coup. Je retrouve même un semblant de retour dans la réalité qui n’est pas pour me déplaire. Tiens, allez, je vais me faire une petite séance de wii-gym et peut-être même une séance de danse, histoire d’évacuer toutes les tensions accumulées ces derniers jours.

L’ARMISTICE? MES FESSES, OUI…

Hé, c’est pas censé être l’Armistice aujourd’hui ? Parce que moi, je suis en état de guerre, je ne trouve pas cela très raccord…

Round 1 hier soir = Moi 1 – Bradley 0

Round 2 ce midi = Moi 0 – Bradley 1

 

Mercredi 11 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+13

Rien que le fait de se sentir en état de guerre dans une relation amoureuse, ça craint. Et par conséquent, ça veut tout dire. Et pourtant…

Je savais qu’il fallait clore le débat hier soir pour ne pas laisser la porte ouverte à un épilogue sans fin. Ne pas laisser aussi la possibilité à l’autre de se regrouper pour mieux contre-attaquer. Yep, une mise à mort directe aurait été la meilleure solution.

Donc là, je viens d’essuyer une offensive nucléaire qui m’a littéralement atomisée. Il m’a retournée la tête bien comme il faut. Et ce qui faisait sens pour moi hier soir, voire même encore juste avant qu’il n’arrive, n’en a plus aucun.

Déjà, il m’a appelée ce matin pour confirmer qu’il venait « Je prends un café, une douche et j’arrive. » et deux heures plus tard, trouvant que cela prenait beaucoup de temps quand même, j’en ai déduit  « Encore une fois, je ne suis pas sa priorité. » et je me suis enfermée dans ma bulle, de la musique assourdissante dans les oreilles pour ne plus entendre le raffut au fond de moi.

Du coup, je ne l’ai pas entendu quand il est arrivé. Il m’a fait une scène d’une violence inouïe : « Ne me dis pas que tu ne m’as pas entendu, ça fait un quart d’heure que je tambourine à la porte, que je t’appelle et que tu ne réponds pas !!! Tu veux me montrer à quel point je n’existe plus pour toi, c’est ça ?!! Tu m’as fait venir exprès pour me le mettre en pleine gueule ?!!!!!!! »

Euh non… Je ne t’ai juste pas entendu… J’ai l’impression d’être une gamine qui se fait remonter les bretelles pour une connerie qu’elle n’a pas faite… Mais était-ce un acte manqué, ça…

Bref. Après s’être ‘expliqués’, on a pu commencer notre conversation. Enfin, disons que l’on s’est retrouvés tous les deux face à face sur un ring de boxe. Il a commencé direct par un crochet au foie : « Avant de venir, j’étais au téléphone avec l’armée, c’est pour cela que cela a pris un peu de temps. Donc, la mobilisation du 14 novembre est annulée mais je suis détaché quatre semaines à compter du 22 novembre avec une réunion de préparation le 20. Je te dis ça parce que, comme il est possible que ce soit rédhibitoire pour toi, ça peut t’apporter des éléments de réponse. »

Ça aurait pu, oui. Ça aurait dû… Mais l’absence de clarté au fond de moi et dans mes mots à ce moment-là a commencé à me déstabiliser et j’ai pressenti le début d’une longue traversée dans les marécages du no-man’s land…

Ce qui a suivi n’a été grosso modo qu’un remâchage de ce qu’on s’est dit par téléphone hier soir. Lui, quasiment avec les mêmes termes, la même phraséologie. La même véhémence, aussi. Il m’a redit que c’était clair pour lui, qu’il ne savait certes rien de demain mais que tout ce qu’il avait envisagé, c’était que l’on fasse le chemin ensemble. Que si cela marchait, très bien, sinon tant pis, ‘on aurait passé des bons moments’ et que la vie continuait. Yep.

Moi ça a eu pour effet de m’engluer encore plus dans les sables mouvants de ces fameux marécages, incapable de dire ni de penser quoi que ce soit qui fasse sens. Concrètement, il est presque parvenu à me ‘convaincre’, en tout cas à me faire douter avec sa clarté de sentiments et sa colère teintée de tristesse de ne pas comprendre que ce ne soit pas pareil pour moi mais en même temps, j’ai pensé dans mon for intérieur « Non, non, il faut que je maintienne ma position ! » sans que ces mots, pourtant si pertinents hier, n’aient pu franchir mes lèvres : « Toi et moi, ça ne marche pas et ça ne marchera jamais. On s’est donné ce qu’on devait se donner. Restons-en là. » 

On a repiqué aussi brièvement sur les griefs qu’il pensait que je tenais contre lui pour s’apercevoir que c’était lui qui en avait contre moi. Et de façon légitime, en plus.

–  Je te le répète, je n’ai aucun reproche à te faire. Tu as toujours été honnête et franc avec moi et tu as assuré peut-être bien plus que de raison. Notamment dimanche. Encore merci, d’ailleurs.

–  Oui, je suis toujours là pour toi, je n’ai pas fui malgré tes missiles et tes pièges-à-loups. J’ai même fait 400 bornes pour venir te voir en Normandie ! C’est toujours moi qui viens te voir, c’est moi qui t’appelle, qui m’enquiers de toi. Jamais toi tu ne m’appelles pour savoir comment je vais. Jamais tu ne viens de toi-même me voir. Et jamais tu n’exprimes que tu as envie de me voir. Que tu as besoin de moi.

Touché. Coulé. Il a souligné exactement la plus grosse de mes failles. Et cela m’a renvoyée dans mes barres manu militari. Cela aurait dû provoquer une prise de conscience de ma part bien plus éclairée mais cela n’a fait que de me plonger plus profondément encore dans mon indécision ultra confuse.

Pour en atteindre le paroxysme quand une de ses phrases, parmi toutes celles qu’il m’a assénées comme des mantras depuis son arrivée, a fait jour en moi : « Je me suis dit, je suis prêt à prendre la vie comme elle vient. Avec elle. »

Ça m’a touchée. Puis, interrogée. Suis-je capable moi aussi de ‘prendre la vie comme elle vient avec lui’ ? Le fameux Carpe Diem selon lequel j’ai vécu lundi peut-il durer en moi plus longtemps qu’une journée ? Les réponses que j’ai trouvées en moi ont été ‘Oui’ puis ‘Non’ puis ‘Oui mais’ pour finir par un énorme ‘CHEPA’ et je suis retombée les fesses en premier dans mon marécage dans un splaouff retentissant. Chouette.

Mais cela a permis quand même une chose, on a lâché de concert nos métaphores alambiquées quelques instants pour entrer dans le dur du sujet : est-on capable d’accepter le mauvais côté de l’autre avec tout ce que cela implique, les fameux packages respectifs ?

Mais si le concernant c’est carré et cadré, moi c’est plutôt subjectif et aléatoire… Donc, moi je dois prendre une décision en mon âme et conscience et lui doit le faire comme un acte de foi, je ne suis pas sûre qu’on puisse raisonner d’égal à égal sur ce coup-là…

Si c’était « T’as un chat et moi j’aime pas les chats. » ou « Je travaille 15 heures par jour et parfois même les week-ends. » ou « J’ai une maladie grave qui nécessite une attention particulière. » ou « Je pratique les sports extrêmes parce que j’en ai besoin. »  c’est facile, tu prends ou tu ne prends pas, point barre. Donc, le concernant, ça serait plus de cet acabit mais me concernant…

Bref. Lui, l’armée. Puis-je accepter ses absences de quelques semaines voire quelques mois avec zéro contact parfois pendant des jours ?

Moi, mon côté obscur et insaisissable. Peut-il l’accepter sachant que tout peut changer du jour au lendemain, qu’il peut s’inquiéter pour moi, que je peux péter un plomb à tout moment et tout plaquer, selon lui, sur un coup de tête ?

J’ai pensé, afin qu’on ait les mêmes enjeux, à mettre sur le plateau autre chose que l’armée qui pour moi est facile à accepter ou pas. Soit puis-je accepter sa versatilité et son égocentrisme ? Mais je me suis dit que c’était déjà assez embrouillé comme ça donc c’est resté lettre morte.

Ainsi, ni l’un ni l’autre n’avons pu répondre. Moi, parce que l’armée n’était pas la véritable question et lui, parce qu’il a commencé à se rendre compte de l’étendue de ma fucked-uptitude.

« Je suis bien quand je suis avec toi. Je t’avouerais que depuis vendredi, je le suis un peu moins. Et si ces mauvais moments venaient à être plus nombreux que les bons, je pourrais peut-être ne plus pouvoir faire avec… »

C’est là où j’ai ressenti le besoin de m’exprimer.

Car si lui n’en a aucune, moi j’ai deux certitudes. La première est que je suis foncièrement un être fait de lumière et d’ombre à parts égales et que j’ai besoin intrinsèquement de naviguer dans l’un et dans l’autre pour trouver mon équilibre. Lui pense que je suis entre les deux. Je lui dis que justement ce n’est pas un choix, que je suis bloquée dans ce clair-obscur et que cela me dérange profondément. Mais j’en suis certaine, en tout cas j’en ai la volonté, je vais retrouver mon équilibre car…

Ma deuxième certitude, c’est que peu importe mes incursions dans les ténèbres, mes pérégrinations et mes errances dans le noir, je sais que je ne m’y perdrai plus, je saurai toujours retrouver mon chemin. Ma mère a été mon lien avec la lumière, celle qui m’a rattachée au monde des vivants, ma force, mon instinct de survie. Quand elle est partie, j’ai été perdue car qui allait me sauver ? Mais j’ai découvert récemment que la Bichette bien ancrée dans la réalité existe bel et bien au fond de moi et qu’elle aura la force de me sauver si je dérive à nouveau un jour.

Il a eu l’air de m’entendre. Je pense plutôt qu’il a été surpris et peut-être content que je m’exprime pour la première fois en une heure et demie de façon claire et positive. Même si au final, ni lui ni moi n’avons toujours pas su répondre.

A part le fait que je ne voulais pas et qu’il ne voulait pas non plus que je fasse un choix tout en sachant que c’était voué à l’échec, autrement dit, que je remplisse ma vie avec un autre enfer, quoi. Mais j’ai eu l’impression qu’il se parlait à lui-même aussi.

Un bon gros brouillard nous a donc envahis.

« Bon, je vais devoir y aller, j’ai un premier briefing pour la réunion du 20. »

Après avoir rassemblé l’intégralité de ses affaires, son sac sur le dos, il m’a dit : « La seule et unique question est veut-on avancer ensemble ? Comme je sais qu’il te faut un certain temps pour décanter, je te propose de revenir et d’en reparler, qu’en dis-tu ? »

A nouveau, il m’a prise de court. Un troisième round ?!? Je n’ai rien pu lui répondre d’autre que « Tu comptes revenir quand ? » me disant que si c’était dans un mois, ça ne serait pas la peine. Mais il a répondu comme une balle : « Bah déjà, ça prouve que tu envisages de me revoir. »

Et re-belote, je n’ai plus su fonctionner, j’ai buggé mais là je lui ai dit.

–  Tu me perturbes, tu n’imagines pas à quel point ! Un vrai chien dans un jeu de quilles ! Et encore une grenade dans mon bunker ! Je ne sais pas ! Merde ! 

–  En attendant, la balle est dans ton camp. Réfléchis. Je pense repasser demain. Et je t’appellerai avant pour pas refaire la même qu’aujourd’hui. Allez, je te laisse ranger tes quilles, à demain !

Demain ? Soit 24 heures seule avec tout ce merdier au fond de moi ?!? Je suis restée un long moment comme un poulet sans tête à errer dans tout l’appartement, j’ai senti la peur panique de décrocher me gagner mais une voix au fond de moi a fini par m’apaiser. Cette bonne vieille Bichette ! Bref, j’ai alors fait la seule chose censée : j’ai appelé Nénette.

Comme je sais qu’elle parle beaucoup aussi avec Bradley, je lui ai demandé de ne pas lui répéter un mot de ce que j’allais lui confier car je voulais me sentir libre de tout lui dire sans retenue. Ce qui, bien sûr, tombait sous le sens pour elle.

« Tu ne penses pas que tu projettes tes questionnements sur lui ? Tu attends qu’il ait les réponses que tu n’as pas ? »

Oui, c’est pas faux. J’ai l’impression que tout est de ma faute, que c’est parce que je ne sais pas ce que je veux. C’est vrai. Mais quand je sens que je deviens une nuisance, j’ai tendance à partir en fermant la porte derrière moi. En gros, comme il me demande une réponse que je n’ai pas mais que je ne suis pas sûre qu’il l’ait non plus, mon réflexe est de renoncer en me disant que je préfère être seule plutôt que de composer.

Je ne sais pas faire de compromis. Je ne sais pas au sens propre du terme. C’est inconnu pour moi et littéralement inconcevable. Et ce clair-obscur dans lequel je patauge en ce moment est inconfortable au possible. Je m’y sens mal. Très mal.

Peut-être est-ce lié à mon trouble de la personnalité borderline. En gros pour moi, c’est tout ou rien. C’est l’absolu ou c’est le néant. C’est l’obsession ou c’est l’indifférence. C’est éclatant de lumière ou c’est sombre comme l’enfer. Au milieu, je ne connais pas. Ce n’est pas pour me défausser mais ça pourrait expliquer l’état de bouleversement extrême dans lequel je suis.

Ce que je n’explique pas en revanche, c’est pourquoi Bradley a cette portée sur moi, en moi. Pourquoi me perturbe-t-il à ce point ? C’est la seule et unique personne qui n’ait jamais pu me bousculer comme ça, me pousser dans mes retranchements et provoquer une telle confusion en moi. Pas volontairement, je sais, c’est d’ailleurs cela qui reste incompréhensible.

Nénette dit que c’est parce qu’il est important dans ma vie. Que si ce n’était pas le cas, je n’aurais aucune question et je ne serais pas chamboulée. Je ne l’aurais même pas calculé. C’est vrai. Elle dit aussi qu’il faut que j’arrête d’être trop exigeante avec moi-même à vouloir trouver à tout prix des réponses au fond de moi là maintenant alors qu’il n’y en a pas. Elle dit qu’il faut que je me laisse du temps. Qu’il faut que je lâche prise pour savoir. Plus facile à dire qu’à faire. Surtout en ces temps de confinement où je suis en huis clos avec moi-même 24/7 sans aucun dérivatif ni échappatoire…

Bradley dit que si lui est ouvert au monde, curieux de tout et laissant sa chance à la moindre influence extérieure, il me sait sur un autre mode, plus intestinal, en tout cas centré sur moi-même en autosuffisance et que cela peut être une différence majeure entre nous deux, voire une incompatibilité. Surtout si selon lui, je n’accepte pas de recevoir, si je ne peux fonctionner que dans le don, à sens unique sans échange possible. Il a raison. Mais de m’en rendre compte me permettra-t-il de changer ? Rien n’est moins sûr.

Je sais aussi que mon mode de fonctionnement est que, si je choisis de tourner la page, il faut que je le fasse de façon radicale si je veux avancer. Je dois passer un bon coup de balai, mettre tout ce que je dois oublier dans une boîte avec un sceau « Case closed » dessus et la ranger au fin fond de mon grenier ou la jeter dans la Seine.

Là, je regarde son oreiller, le t-shirt que je lui ai prêté comme pyj, les deux trois trucs dans le frigo, bien sûr le coin que je lui ai aménagé dans la chambre pour poser ses affaires, bref les quelques éléments indicateurs de sa présence dans mon appartement qui pourraient très bien aller dans ma boîte de l’oubli, si je voulais… Je sais aussi que cela ne me prendrait que 10 minutes, pas compliqué, en fait.

Mais je ne touche à rien. Je n’y arrive pas.

Bon, je crois qu’il faut que je fasse l’exercice de la balance, c’est-à-dire que je mets sur un plateau ce qui me fait mal, ce qui ne me va pas et sur l’autre, ce à quoi je ne suis pas prête à renoncer, ce pour quoi j’ai envie d’essayer. Ça va bien finir par pencher d’un côté ou d’un autre…

Mais que faire en cas d’équilibre parfait ? Qu’est-ce que je suis con, c’est déjà le cas ! Pff exit la balance, c’était débile comme idée. Bref, pas sortie de l’auberge, moi.

ET PAF LE CHIEN

16.56. (toujours mardi 10 novembre 2020)

–  Tu as prévu quelque chose ce soir ? Non ? En fait, j’ai la flemme de revenir mais je peux demain matin avec les croissants, qu’en penses-tu ?

–  Pas grand-chose, je ne sais pas quoi répondre à ta flemme…

–  Okay, là j’ai un truc à faire mais je te rappelle après.

Je suis estomaquée. Ça m’a coupé le sifflet. Je pose mon téléphone, je continue ma séance de gym bon gré mal gré… En fait, c’est le branle-bas de combat général dans ma tête. Surtout avec la première chose qui me vienne après s’être frayé un passage dans cette cohue : « That’s it. Enough is enough. »

Ça met une petite heure à prendre forme en moi. Je cherche les bons mots mais surtout, je tiens à les dépassionner quelque peu car je me sais assez tranchante parfois et je ne voudrais pas avoir de regrets à cause d’une sémantique bancale.

Je sais aussi ce que je risque de déclencher mais je ne peux plus me taire et mouronner dans mon coin. J’ai fait ça pendant presque 20 ans avec Walter, terminé, plus jamais. Alors, il veut de l’honnêteté et de la franchise, il va en avoir.

Et c’est moi qui l’appelle.

« Je suis un peu longue à la détente mais ça y est, je sais quoi te répondre maintenant. J’ai l’impression que je suis une éventualité pour toi. Je passe après tes enfants, tes amis, l’armée, ton bien-être et maintenant ta flemme. Bref, je suis ‘éventuelle’ et pas incontournable pour toi. Et ça ne me va pas. Alors, tu me rappelleras si un jour je le suis, d’accord ? »

So much for the diplomacy. Quoique je trouve que j’y suis allée mollo quand même. Bref. Bien sûr, il le prend mal. Très mal.

–  Je me suis juré que plus jamais quelqu’un ne serait incontournable pour moi !

–  Bah voilà. Les carottes sont cuites.

–  Non, c’est toi qui fais un coucou suisse parce que j’ai été honnête avec toi !

–  Je n’ai jamais dit le contraire. Bah moi aussi, je suis honnête avec toi, là maintenant.

–  Donc, c’est moi qui merde, c’est ça ? J’aurais dû quoi ? Me compromettre ?!

Le ton monte. Puis redescend. Puis remonte. Je lui parle enfin de mon incidence, plutôt de mon absence d’incidence sur sa vie.

–  Comment tu peux dire ça ?!! Tu m’as tellement apporté…

–  La chamane, oui. Mais elle n’est plus là, y a que moi et moi je ressens ça comme ça.

–  Tu te trompes !!!

–  Je n’ai pas dit que je détenais la science infuse, c’est juste mon ressenti. Si tu pouvais te désemberlificoter de ton égo une minute, tu essaierais de te mettre à ma place pour comprendre pourquoi et qu’est-ce qui m’a amenée à ressentir ça. J’ai voulu t’en parler hier mais je n’étais pas en forme pour un combat dans l’arène.

–  Donc tu m’as menti ?!

–  Non, c’est juste que ça vient là ce soir. J’en ai fini d’être muette et impassible comme une gargouille. Now I stand my ground and I am ready to face you and myself.

On parvient tant bien que mal à calmer le jeu. En découle une conversation comme on en a eu des centaines depuis le 29 septembre. Relativement. Je le sens prêt à exploser à chaque instant au moindre de mes mots que j’essaye donc d’enrober avec autant de tact que je peux sans toutefois me dévoyer.

Je suis bien consciente qu’on risque d’atteindre un niveau d’incompréhension mutuelle si indiluable que cela n’aura d’autres conséquences que de lui faire rendre les armes et moi de me conforter dans mon propos. Et donc, il se peut que notre ‘rupture’ se valide d’elle-même en fin de conversation.

–  Tout ce que je sais, c’est que je suis bien quand je suis avec toi. Je veux passer du temps avec toi, prendre les bons moments quand ils sont là.

–  Et quand ils ne sont plus là ?

–  Ça évolue. Mais je veux avoir envie d’être avec toi et non pas être obligé.

–  L’envie pour moi est éphémère et sans consistance. Moi, j’ai besoin d’avoir besoin. Et rien à voir avec l’obligation.

–  Besoin de quoi ? De l’incontournable ? Et c’est quoi au juste, pour toi ?

Le moindre de mes silences, même s’ils durent deux secondes, sont sujet à caution. Ainsi, il me relance ardûment en allant jusqu’à remettre en question la définition de ce terme qui, d’après lui, est brumeux même pour moi.

« Je t’ai dit, je suis faite pour être seule. Certaines personnes ont besoin de quelqu’un pour exister. Moi pas. Les relations ‘comme ça’ ne m’intéressent pas parce qu’elles ne me servent à rien. Donc, si je choisis de partager ma vie avec quelqu’un, il faut que je ressente ce quelqu’un comme une nécessité, une évidence, un incontournable.

Je veux en fermant les yeux que ce soit la première chose qui fasse jour en moi. Je veux le ressentir dans mon cœur, dans mes tripes, je veux que ce soit ma priorité absolue. Alors oui, avec l’emportement, la passion, c’est la cerise sur le gâteau mais ce n’est pas obligatoire. Je veux juste le ressentir en moi à un moment donné et surtout, le ressentir en l’autre aussi.

Une sorte de fusion, oui. Je ne dis pas que c’est synonyme pour moi d’être collés l’un à l’autre 24/7, au contraire, je suis convaincue qu’il ne faut pas se perdre pour autant. On doit rester deux entités qui existent par elles-mêmes en dehors du couple. Parce que sinon, c’est sûr, et je sais de quoi je parle, ça va dans le mur. On peut être séparés mais lorsqu’on se retrouve, plus rien d’autre que nous deux ne doit compter.

C’est ça que je définis comme incontournable. J’ai l’impression que je ne le suis pas pour toi et que je ne le serai jamais. C’est comme ça. Personne n’est à blâmer. Je n’ai simplement pas envie de m’en rendre compte sur le tard et de devenir esclave de cette discordance de phases.

Ce que tu me donnes, je suis désolée mais ce n’est pas assez. Je veux plus. Si tu ne peux pas, je ne t’en voudrai pas mais au moins maintenant, c’est clair, tu sais où j’en suis. »

On continue malgré cela à parler un long moment. Un étrange mélange d’explications de texte, d’accusations réciproques de complexifier le bordel, de questions franches et ouvertes, de réponses non moins franches et de pas mal de silences plus ou moins appuyés.

Et on en vient à reparler de sa dernière histoire d’amour. Je pense qu’il est encore dans le trauma.

–  Je me suis aperçu que ses projets à elle n’étaient pas les miens et que je l’avais suivie en pensant qu’ils pourraient le devenir. Je me suis juré alors que plus jamais je ne calerai ma vie sur celle de quelqu’un d’autre.

–  Si chacun marche sur son propre chemin, où est-ce qu’il y a un chemin en commun ?

–  On peut se côtoyer…

–  Ce n’est pas ce que j’appelle être ensemble, encore moins construire, toi qui parlais de construction. Tu te contredis quasiment à chaque phrase.

Ça me fait l’impression qu’il nie l’existence même de la force des sentiments qui parfois peuvent nous dépasser et nous faire perdre la raison. Il en conclut que c’est ce que j’attends.

–  Non, c’est juste que tu me sembles tellement dans le contrôle, le calcul que j’ai l’impression que tu réfutes toute influence des sentiments comme s’ils n’existaient pas. Toi, il faut que tu fasses pour voir s’il y a des sentiments, moi, je dois avoir des sentiments pour voir ce que je dois faire.

–  Tu te trompes.

–  Bref, as-tu peur de perdre pied ? Ou plutôt sais-tu au fond de toi que rien ni personne ne te fera perdre pied ?

–  Comment ça ?

–  Tes convictions, tes certitudes, peuvent-elles voler en éclats ? Si oui, as-tu peur de cela ?

–  Bien sûr que non !!! Je ne sais pas de quoi sera fait demain et je n’ai absolument pas peur de perdre pied et de me laisser emporter ! Justement, je n’ai aucune certitude dans ma vie !

La fatigue se fait alors sentir. Depuis presque deux heures, montés tous les deux sur nos ergots, on s’est livrés à un combat de coqs qui nous laisse un peu pantelants. Lui, surtout. Moi, je suis bien arrimée et encore prête à en découdre. Mais je lui concède la conclusion.

–  En tout cas, je crois que tout cela nécessite plus ample réflexion. Tu veux bien qu’on en reparle demain autour d’un café-croissant ?

–  Pourquoi pas. J’espère juste que je ne referai pas un aller-retour en enfer cette nuit et que je serai aussi claire demain matin que je le suis là.

–  Tu veux me faire culpabiliser de ne pas être là, c’est ça ?!

–  Non, c’est juste une possibilité.

Et un peu comme une dernière sonde qu’il lancerait avant de raccrocher :

–  Tu penses qu’on passe à côté de quelque chose, toi et moi ?

–  Oui. Chacun ses blessures, c’est vrai. Les miennes me poussent à ne plus attendre un train qui n’arrivera jamais. Mais c’est bien que l’on ait eu enfin cette conversation.

–  A demain. Je t’embrasse.

 

Et paf le chien. Sauf que je ne sais pas si le chien c’est moi ou Bradley. Round 2 demain, donc.

INCIDENCE

Confinement, vous avez dit ? Un simple coup d’œil sur le parc devant mes fenêtres ce week-end n’a fait que confirmer le contraire. Absolument rien de différent d’un autre week-end d’automne et le temps étant clément, c’était même surpeuplé. Je crois qu’l n’y a que trois mètres de neige et un blizzard canadien qui ferait déserter ce parc.

Bref, moi, ça fait bientôt neuf mois que je suis confinée alors, rien de nouveau, je reste chez moi 24/7 avec quelques rares et brèves sorties pour faire une course et c’est tout. C’est juste que là, je ne peux plus aller en Normandie ni chez Toto ni voir Maman au cimetière mais cela ne me pèse pas tant que ça.

 

Mardi 10 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+12

Rétrospectivement, je trouve que je n’ai pas tant merdé que ça vendredi soir. La bouteille de Havana Club m’a bien fait de l’œil, fortement je l’avoue, mais j’ai préféré m’assommer avec mes petits cachets qui m’ont amenée tranquillement vers le petit matin.

La journée de samedi s’est déroulée à blanc. Une parenthèse où j’ai navigué entre deux mondes dans une sidération quasi surnaturelle. Un calme olympien en moi, plus de bruit, plus de chaos, rien qu’un épais silence et cela m’a fait un bien fou. C’est au moins ça de positif quand on fait un crash-disk : on repart from scratch. C’est du moins ce que j’ai supposé.

Dimanche, j’ai tenté de me reconnecter à mon énergie intérieure. Peine perdue. Merde ! Plus de lumière, plus de vibration… L’impression d’être une coquille vide, une carcasse sans âme qui s’est mise à résonner comme un frigo vide. L’impression d’avoir été dépossédée, dépouillée.

Et tandis que le crépuscule est arrivé, des ombres se sont dessinées sur mes murs. J’ai ressenti alors quelque chose d’étrange, une émotion depuis longtemps oubliée qui a pris pied en moi. Et dans la semi-obscurité de mon appartement, j’ai retrouvé ma voix et me suis enfin révoltée. Je suis allée confronter Monsieur Machin auquel je n’avais pas parlé depuis des années.

« WHY DID YOU TAKE IT BACK FROM ME ?!! What did I do wrong? I thought that was mine so I feel violated, robbed, I am so angry! I didn’t know that it was just a loan… Or is it a trial? Do I have to be worthy of it? Like if it was a reward! Again, you should have told me about the rules before because I feel that you’ve tricked me, I am so pissed off!!!

But most of all, I feel really sad and empty because when I had it living in me, I was so happy, I’ve never felt this strong and confident in my entire life. Losing it is like losing everything that I thought was defining me so far. So please, I beseech you, give it back to me. I swear I’ll do my best to live by it.”

Cette fois, la bouteille d’Havana Club a gagné. Je me suis mise à errer dans les ténèbres, le corps et l’âme entaillés par des lames invisibles, je n’ai pas donné cher de ma peau à ce moment-là. Et Bradley est arrivé.

Le pauvre ! Je le plains vraiment, en fait. Depuis vendredi, je lui en ai fait baver quand même… Le pompon sur la cerise du bouquet final ayant été, lorsqu’imbibée d’alcool jusqu’à l’oblitération, j’ai failli faire un arrêt cardiaque dans ses bras !

« C’est peut-être à moi de t’aider maintenant… Allez, reviens dans la lumière ! »

Bref, une nuit très agitée où il s’est occupé de moi comme il a pu. Et il n’a pas pris ses jambes à son cou au petit matin. Moi, de façon vraiment inattendue, je me suis réveillée relativement en forme. Voire même le sourire aux lèvres. Peut-être un reste d’euphorie alcoolique…

Toujours est-il que l’on a pu enfin parler posément, lui et moi, tandis qu’un magnifique soleil est venu inonder l’appartement pratiquement plongé dans le noir depuis deux jours. Mes plantes vertes étaient contentes.

Il attend le go pour sa mobilisation. Son dilemme a disparu, c’est un soldat, point. Au moins ça, c’est clair. Il parle toujours de ses projets, de sa vie au singulier, ça, ça n’a pas changé. Il me dit pourtant avoir cogité intensément ces dernières 48 heures mais mis à part l’armée, je ne vois pas trop quelque autre fruit son cogitage lui a apporté.

Il me redit qu’il a besoin de moi encore. Je l’arrête dans son élan.

–  Je ne sais pas si je vais pouvoir faire quelque chose pour toi, cette fois… J’ai perdu ma lumière !

–  Je ne pense pas. Elle est différente, c’est tout.

– Tu prêches pour ta paroisse, sur ce coup-là ! Bref, si je ne suis plus qu’une coquille vide, je ne vois pas ce que je peux te donner maintenant.

–  J’ai besoin de TOI ! De toutes les ‘toi’ : la chamane-sorcière, la lumineuse, la dark, la bien dans sa peau, la barrée, bref, je prends tout le package. Comme il faut aussi me prendre tout entier comme je suis, avec mes forces et mes contradictions.

Fair enough. M’a clouée le bec.

–  C’est bon, je crois, tu as déployé toutes tes armes de destruction massive et cela t’embête que je sois toujours là, que cela ne m’ait pas fait fuir. Et quelque chose me dit que tu en as encore en magasin pour ma pomme…

–  Tu veux que je déballe tout là maintenant ?

–  Non, ce que je veux, c’est que tu répondes à cette question : veux-tu de moi dans ta vie ?

Cela prend un certain temps avant que j’arrive à articuler ces quelques mots : « Tu es déjà dans ma vie. En pointillés. » En fait, je meurs d’envie de lui dire : « J’ai l’impression que je n’ai aucune incidence sur ta vie, si demain cela s’arrête entre nous, tu seras certainement triste mais pas chamboulé. En revanche, toi tu as une vraie incidence sur ma vie que j’essaye de minimiser, voire même de rejeter avant qu’il ne soit trop tard… »

Mais je garde ça pour plus tard, quand j’aurais trouvé un peu de diplomatie pour l’enrober car je le sais assez prompt aux raccourcis cinglants bardés d’œillères. J’ai bien conscience qu’il faudrait une fois pour toutes aller au fond des choses mais bon, comme ce n’est pas le courage qui m’étouffe aujourd’hui et que mon cœur bat encore trop la chamade de ses embardées de la veille, bah je planque ça sous le tapis.

Surtout qu’il se met à enchaîner :

–  Si je fais un pas en avant et toi, deux en arrière, comment veux-tu que l’on avance ? Je veux que l’on construise quelque chose ensemble mais je ne peux rien sans ton aide.

–  Construire ??

–  Je veux que l’on avance toi et moi sur le même chemin. Regarde par toi-même : prends mes constantes.

Ce que je ne fais pas. A vrai dire, j’évite soigneusement de le faire depuis qu’il est revenu. J’ai réussi d’ailleurs à trouver un spot ‘neutre’ où caler mes mains lorsqu’il m’enlace : le haut de ses bras. Aucune vibration. Une vraie cage de Faraday. Au cas où mon don n’aurait pas disparu complètement…

Bref. Comme je me sens repartir en cacahuète, je respire profondément et je fais le vide. Je parviens à me zénifier en un temps record et un seul ordre s’impose en moi alors : « Carpe Diem » Et au final, la journée se déroule bien, dans une complicité simple et douce.

 

Ce matin, il est parti voir un ami, un autre army-guy comme s’il voulait s’assurer une fois pour toutes qu’il a pris la bonne décision. J’en profite pour faire un brin de ménage, deux lessives et je me surprends à ne pas gamberger plus que de raison, comme j’aurais pu le supposer.

Pas radieuse mais pas éteinte non plus. Je pense à ma lumière perdue. C’est comme si je me faisais une raison. Oui, pourquoi pas revenir à cette bonne vieille bourguignonne-normande de Bichette aux deux pieds solidement ancrés au sol ? Elle n’est pas si mal que ça et une chose est sûre, ça fera moins friser les moustaches d’Andrew !

C’est juste que je retombe dans ma chépattitude à contrecœur.

CRASH DISK

“J’ai encore besoin de toi.”

Je me sens comme une poule qui aurait trouvé une fourchette dans son nid. Quelque peu médusée. Et cela ajoute à la grande confusion qui m’agite depuis lundi. Confusion que j’ai tentée d’anesthésier avec quasiment deux nuits blanches devant ces interminables élections américaines.

 

Vendredi 6 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+8

S’il devait y avoir une conversation pertinente avec Bradley parmi toutes celles que l’on a pu avoir lui et moi depuis maintenant plus d’un mois, c’était celle d’hier. Elle n’était pas pour autant porteuse de réponses. Au contraire.

Car depuis lundi, une pagaille indescriptible règne en moi et je dois avouer que cela a altéré ma lumière. Cette dernière s’est fragmentée en mille éclats qui se sont retrouvés piégés dans un flipper géant à rebondir sur les bumpers sans pouvoir atteindre la sortie.

Oui, depuis lundi, je fais des rêves d’une acuité redoutable et j’ai des visions, des flashes en pleine journée. C’est la première fois que j’en ai autant. Serais-je aussi medium ? Est-ce une évolution de mon don ? Son avènement, sa véritable identité ?…

Au lieu de me combler, cela me chamboule bien plus que je ne l’aurais imaginé. J’ai l’impression que tout se contredit en moi. Que tout n’est qu’évidences d’égale importance mais que rien ne l’emporte. Un peu comme ces élections américaines. J’en viens à attendre les résultats finaux comme une délivrance pour mon débat intérieur. Drôle d’analogie.

Donc, sur cette pagaille se sont rajoutés les mots de Bradley. Le retour dans son appartement ne l’a pas broyé comme j’ai pu le craindre de prime abord. Car comme il me l’a dit avant de partir, il se sent plus fort, plus énergique et depuis lundi, il s’organise, il fait, même son ménage qu’il avait délaissé depuis quelques mois, il prend plaisir à passer du temps avec ses enfants et tout ça sans suffoquer.

Mais il se sent fragile, pas entièrement consolidé. Comme un AA qui compte sur son sponsor car il a peur de replonger. Je lui ai fait du bien et il en a encore besoin. Ce qui veut dire que ma mission n’est pas terminée. Alors pourquoi ai-je senti dimanche que c’était le cas ? Que puis-je lui apporter aujourd’hui ? Surtout, que puis-je lui donner sans compromission de ma part ?

Car ces rêves et ces visions me l’ont montré et dans cette petite maison dans les bois, la maison de mes rêves où je l’ai emmené la dernière fois où je suis allée voir Toto, et dans mon appartement ici à Paris avec ses deux enfants et une mystérieuse petite fille aux taches de rousseur…

Tout le relie à moi, je ne peux être plus compromise. Et cela me perturbe.

Je l’ai vu également venir à moi et me dire qu’il repartait à l’armée, dans mon rêve il partait en croisade à Jerusalem mais bon, et je lui ai répondu : « You’re gonna lose yourself. And you won’t be able to come back. »

Ce n’est pas nouveau, je ressens ça depuis le début chez lui. Depuis qu’il m’a confié ses doutes sur ses raisons de vouloir continuer l’armée. S’il a pu ressentir cette vocation de soldat, c’était peut-être parce que cela l’a façonné à un moment de sa vie où il était malléable à souhait, où il se cherchait sans trop savoir qui il était.

Cela lui a apporté une famille, des valeurs fortes d’engagement et d’honneur et une grande satisfaction. Mais pas une raison d’être. Et qui est-il ? Peut-être pas ou plus quelqu’un qui obéit sans mot dire, c’est peut-être quelqu’un qui a besoin aujourd’hui de se définir au travers de ses propres aspirations et non plus d’une idéologie communautaire patriotique qui, si elle a été riche d’enseignements, ne lui permet pas aujourd’hui de s’accomplir en tant qu’être humain.

Il a quelque chose qui grandit en lui. La voix forte d’un libre penseur, d’un rebelle aux doux rêves, d’un artiste contrit qui veut enfin s’exprimer. Et ce n’est pas compatible avec l’armée. Rien que de penser à se raser le crâne et la barbe d’ermite qu’il s’est pris à aimer, ça lui pèse terriblement.

D’où ma surprise lorsqu’il m’a dit la semaine dernière qu’il avait rempilé et qu’il se tenait prêt pour une mobilisation très prochaine. Parce qu’il avait, selon lui, trouvé la réponse auprès de ses ‘mentors’ consultés sur mon conseil pour en avoir le cœur net : selon eux, il était fait pour l’armée car c’était un soldat dans l’âme. Je me suis dit que l’important était qu’il avait retrouvé son chemin, peu importe mes réserves. Il en semblait heureux et j’étais heureuse pour lui.

D’où ma stupéfaction intégrale lorsqu’il m’a dit hier : « J’ai peut-être pris ma décision à la hâte… J’ai les mêmes doutes et j’ai peur que si j’y retourne, je vais me perdre à nouveau dans un personnage qui n’est pas moi. J’ai besoin d’autre chose en ce moment. Je suis sur le point d’enfin me mettre à écrire, c’est devenu une évidence. Si je repars à l’armée, je vais me focaliser sur ça et m’oublier encore une fois en revenant dans une routine de vie qui ne me va plus… »

Surtout qu’il avait commencé notre conversation sur un ton déterminé en m’annonçant qu’il avait reçu l’ordre de se tenir prêt pour une mobilisation du 14 novembre au 2 décembre et qu’une semaine de préparation en amont était requise donc à partir de lundi prochain, voire même à partir de ce week-end, il était peut-être censé partir. Je l’ai taclé.

« Donc, si j’ai bien compris, on ne se revoit pas avant le 2 décembre au mieux ? »

Ça l’a fait trébucher. Et c’est là qu’il m’a avoué ses doutes. Et son besoin de me voir. Puis, son envie de me voir. Il m’a demandé si moi aussi, j’en avais envie. Je n’ai pas pu faire autrement que de lui raconter toute la confusion en moi, mes rêves, mes visions mais également l’appel des Etats-Unis qui s’était amplifié et ma longue conversation par vidéo avec Lewis il y a deux jours…

Lewis avec lequel je me suis reconnectée instantanément. Ça faisait un bout de temps déjà que je sentais l’urgence de lui parler. Il a été mon révélateur, mon impulseur, mon allumeur de mèche il y a 9 ans. A Chestnut Hill, Massachussetts. Lui venait tout juste d’avoir sa révélation métaphysique au cours d’un voyage en Inde, il était donc ‘super-charged’ et au cours d’une soirée qui s’est prolongée sous les grands marronniers de la cour du petit logement de fonction qu’ils occupaient alors Zane et lui, il a simplement posé sa main sur mon bras et m’a transmise comme une étincelle qui a littéralement mis le feu aux poudres en moi.

Une fulgurance incroyable. La révélation suprême. Ma conscience s’est alors élevée si haut que j’ai pu rencontrer de véritables anges de lumière qui ont chacun déposé en moi une fraction de leur incandescence en me chargeant d’une mission que j’ai acceptée sans réserve. Sans trop toutefois en savoir la nature…

Je me souviens d’ailleurs, peu après être rentrée sur Paris, que je m’étais faite aborder au cours d’une promenade vers Neuilly par des jeunes de la Jeunesse Catholique qui m’avaient interrogée sur ma foi et ma relation à Dieu. Je leur avais alors parlé de ma récente transcendance ainsi que de la mission dont je me sentais investie en concluant que si c’était là la preuve de l’existence d’un quelconque pouvoir divin, qu’il en soit ainsi, mais que ce n’était pas mon but.

J’ai dû être à ce moment-là d’une conviction force 12 car je me souviens de ces trois jeunes gens complètement ébahis qui n’ont pu que bredouiller en chœur : « Vous avez une telle lumière en vous, vous devriez prêcher… » Limite, ils auraient mis un genou à terre, les mains jointes tout en criant Allelujah que cela ne m’aurait pas surprise ! Bref, j’ai pris mes jambes à mon cou, très embarrassée par ce qui venait de se passer. Moi, prêcheuse… N’importe nawak !

Bref, j’ai perdu cette lumière en 2013. De la retrouver récemment m’a donc fait un bien immense, c’était tellement inespéré ! Lewis en a été très heureux et devant mon avalanche de questions sur comment je fais pour développer et optimiser mon don en cette période de pandémie où le moindre contact physique est honni – c’est d’ailleurs très ironique, par là-même énigmatique, que ça m’arrive maintenant – il a eu ces mots :

”Maybe you should remember how you were able to use your gift back then to help people remotely. Don’t you remember that girl from Panama? You helped her over the phone and through webcam… Your power does not only work by touching people, you can connect to them from wherever you are on the planet, that’s huge!”

Comme le Professor X, quoi, le pouvoir de télékinésie en moins. Enfin, j’espère. Parce que là, ça va vraiment être le chambard. Pis après, je vais avoir le FBI, la NSA et tout le toutim sur le dos, non, pas glop du tout.

Bon, j’ai bien conscience que mon propos peut passer pour un salmigondis d’élucubrations et que je pourrais me faire enfermer pour bien moins que ça – ah Yang ! je peux presque t’entendre pester d’où je suis ! – mais je suis pourtant bien ancrée dans la réalité sans l’impression, aucune, de divaguer. Justement, ça m’arrangerait d’être folle à lier car plus besoin de chercher le pourquoi du comment.

Bref. Pour en revenir à Bradley, tout ce que je sais, c’est que je ne peux pas avoir ces visions de lui, de nous deux ensemble et en même temps, ces sirènes américaines qui m’appellent là-bas sans lui. Je ne peux pas aider quelqu’un à trouver ses réponses si j’en attends d’autres de lui, ce serait le guider selon mon propre agenda et je refuse ce dévoiement.

Et je ne peux pas aimer ce quelqu’un si je ne suis dans aucune de ses réponses. Je ne peux pas ressentir ce que je ressens et faire tout mon possible pour éjecter ces sentiments hors de moi. Car mon réflexe et ce, depuis le début de notre histoire, c’est de nier l’idée même que l’amour peut arriver entre nous. Parce que c’est plus facile. Je me sens désemparée devant la réalité d’une relation amoureuse car je ne sais pas quoi faire de tous ces sentiments, les siens, les miens…

J’en viens presque à regretter le cocon douillet de mon histoire d’amour imaginaire avec Walter. C’était parfait pour moi, en fait : incorporel et incorruptible. Et tellement paisible, sans combat intérieur, sans challenge, sans remise en question. Et lâche. Certes. Mais je suis lâche.

Donc, mon réflexe est d’effacer de l’équation ce qui me perturbe pour ne garder que ce que je peux contrôler. Je vais même jusqu’à penser que je devrais effacer l’équation toute entière et couper les ponts tout de suite avant que je ne puisse plus rien faire. Mais je me ravise car je ne peux me résoudre à le laisser tomber maintenant…

Pas pour rien que les psys ne doivent pas sortir avec leur patients car ils perdent toute objectivité et par là-même leur efficacité. Je sais que j’ai un choix à faire mais je n’y parviens pas.

D’où l’agitation intense en moi depuis lundi.

J’avoue que je suis perdue. Ce conflit perpétuel m’épuise, en fait. Nénette dit que je me pose trop de questions. Elle a raison mais je n’y peux trop rien, c’est hélas indépendant de ma volonté. J’ai besoin de comprendre les choses pour les accepter et quand celles-ci s’entrechoquent de façon complètement contradictoire en moi comme c’est le cas en ce moment, bah c’est le bordel.

Ainsi, selon Nénette, j’ai un irrépressible besoin de rationnaliser mon histoire avec Bradley en en purgeant tout sentiment amoureux parce que j’ai peur de me laisser aller. Du coup, je cherche à obtenir toutes les réponses tout de suite pour sécuriser un hypothétique lâcher-prise.

Je sais que je ne suis pas faite pour être amoureuse. En fait, je trouve que ça ne me va pas. Comme une fringue qui ne me mettrait pas en valeur. Je l’ai dit à Bradley qui m’a répondu que lui trouvait que ça m’allait bien… mais il y a 23 ans !

Nénette dit qu’aimer, ce n’est pas la même chose que d’être amoureuse. Amoureuse, je l’ai été et aujourd’hui est venu le temps d’aimer. Et d’être aimée. Car lorsqu’elle disait que l’on devait se réparer l’un l’autre Bradley et moi, elle ne parlait pas d’énergie même si c’est chouette mais… d’amour. Ah Nénette ! Si elle savait à quel point elle rajoute au bordel et à quel point, finalement, j’ai besoin d’avoir son ressenti…

–  Alors, puis-je venir te voir dimanche soir ? As-tu envie de me voir ?

–  A brûle-pourpoint, je dirais oui.

–  Tant mieux, moi aussi.

–  Mais je te préviens, tu seras sous ma loupe car j’ai besoin d’étudier la possibilité d’un avenant à notre ‘contrat’ car je ne sais pas si et ce que je peux faire pour toi cette fois-ci. Remarque, ça tombe bien, je suis en ce moment à la recherche de cobayes pour tester l’étendue et la maîtrise de mes pouvoirs magiques, tu veux bien faire mon cochon d’Inde ?

–  Euh… dit comme ça… Bon, oui.

–  Une dernière chose : je ne sais pas non plus comment me situer dans notre relation, il faut que j’étudie ça aussi dimanche soir.

–  D’accord.

En raccrochant, j’ai repensé à la semaine dernière, cette semaine de ‘mission’ où j’avais zéro conflit et un silence d’or au fond de moi, tout était simple et transparent… Je ne dirais pas que j’étais heureuse mais j’étais très certainement sereine et confiante.

« Pourquoi est-ce parti ? Ma lumière n’était-elle qu’un outil qui m’a été prêté dans le seul but d’accomplir ma mission ? Pour qu’elle revienne, faut-il que je sois missionnée à nouveau ? Si ce n’est plus jamais le cas, suis-je condamnée aux ténèbres et au chaos pour l’éternité ? Mon don ne serait-il qu’une fumisterie ? Ou serait-ce une épreuve pour apprendre justement à le maîtriser en pleine conscience ? »

Bref. Ça tournait tellement dans ma tête, comme dans une essoreuse, que j’ai ressenti l’irrépressible besoin de faire un tirage de cartes. J’en ai fait plusieurs. En premier, une triangulaire Moi-Bradley-Nous 2 comme je l’ai fait il y a un mois.

Moi : L’Ami(e) > Une figure souriante, bienveillante, chaleureuse, amitié confirmée, affection, réconciliation, retrouvailles. Signification karmique : gratification d’une vie antérieure. A l’envers : séparation, éloignement, refroidissement, absence.

Bradley : Les Parents > L’éducation et l’hérédité, chaleur et protection, influence positive, tendresse, réconfort. Signification karmique : importance des racines et du foyer. A l’envers : difficultés domestiques, turbulences, manque d’équilibre.

Nous 2 : Les Nuages > Ils vont et viennent là-haut, là-haut… Soupçons, brouilleries, intrigues, malentendus, les aléas d’une relation, les tensions de la vie à deux. Signification karmique : ils font ressortir le bleu du ciel. A l’envers : menace ou danger à l’horizon, soucis en perspective.

Mon interprétation : tout indique qu’il faut que je sois seulement une Amie pour lui. Notre histoire d’amour n’est pas viable. Et à la question en one-shot « Dois-je mettre un terme à notre relation maintenant ? » j’ai tiré la carte Les Parents qui indique que non, j’ai encore un devoir de ‘protection’ envers lui…

Puis, j’ai ressenti le besoin de faire un tirage pour moi. Chose que je n’avais pas faite depuis des années, voire une bonne décennie.

Mon passé : Les Nuages > voir ci-dessus

Mon présent : Le Travail Sur Soi > Le miroir joue le rôle du divan du psy, élimine les scories de l’éducation, de l’hérédité ou du karma. Nécessité de se défaire du manque d’assurance, des addictions, nécessité de travailler la confiance, le dialogue, en se débarrassant des crispations. Signification karmique : besoin de grandir, d’évoluer. A l’envers : insuffisance du travail entrepris.

Mon futur : La Maison > Une maison simple en moi depuis toujours. Douceur du foyer, chaleur, tendresse, travail à domicile ou chez autrui, importance de la maison dans le choix professionnel. Signification karmique : comme la tortue sur son dos, l’homme porte sa maison dans sa tête. A l’envers : souci domestique, manque de place, déménagement nécessaire.

Et à la question en one-shot « Dois-je partir de Paris ? » j’ai tiré la carte La Fortune qui, comme son nom l’indique, signifie que mon départ pour faire ma vie ailleurs sera placé sous les augures du succès, donc la réponse est Oui.

Mon interprétation : depuis le temps que je tire ces cartes, je n’ai jamais sorti La Maison, c’est dire son importance. Je dois donc partir de Paris, trouver ma maison et vivre d’une activité indépendante comme le consulting ou le service à la personne et… le conseil en orientation spirituelle. On y est.

Même si j’ai encore du mal à imaginer la boule de cristal, hier soir tout a fait sens. De voir ces cartes s’aligner dans une parfaite logique a magnifié ce qui, en filigrane, était déjà en moi depuis longtemps. Mais j’ai l’impression que je ne peux pas partir tout de suite, qu’il me reste encore quelque chose à faire ici, bref, j’ai encore un pied en dehors de la montgolfière qui est presque sur le point de s’élever dans les airs…

 

13.55. Appel de Kevin. Pour un Chronopost qu’il aurait reçu à son ancienne adresse, c’est-à-dire ici. Et on papote un peu. Il a bien eu le Covid dont il se remet à peine et reprend sa recherche d’emploi. Vu la conjoncture… Donc, si à la fin du mois il n’a toujours rien, il devra rendre son appart qu’il ne peut plus payer et repartir chez ses parents en province. C’est moche mais lui au moins a encore ses parents sur lesquels compter. Moi, je n’ai plus cette option.

Bref. Moi, je lui dis que c’est morne plaine pour moi aussi côté boulot, que j’envisage fortement de quitter Paris et je me mets à lui parler de ma récente révélation, de mon don, tout ça. Fidèle à lui-même, il ne se mouille absolument pas à me donner un quelconque avis et, parfaitement détaché, il me souhaite juste bonne chance.

Soudain, je ne sais pas trop ce qui me prend mais je me concentre et je tente d’entrer en lui. Je suis arrêtée presqu’instantanément par un gigantesque mur, le même mur que j’avais ressenti chez lui quand on s’était rencontrés. Un énorme « KEEP OFF » qui me renvoie dans mes billes illico presto.

Et là, je tilte. Je sais pourquoi mes sentiments pour Bradley me perturbent à ce point et pourquoi je fais tout pour m’en débarrasser. Je suis terrifiée à l’idée de me lier à quelqu’un car la dernière fois, j’y ai perdu non seulement mon cœur mais également mon âme.

Je pensais à l’époque pouvoir aider Kevin alors je lui ai tout donné, tout ce qu’il y avait en moi d’amour et de lumière mais c’est tombé dans un puits sans fonds, me laissant chaque jour un peu plus exsangue, vidée de toute substance. Car derrière son mur, Kevin n’est qu’un trou noir qui aspire toute forme de vie alentour.

Il m’a annihilée, exterminée, tout ce que j’étais a disparu et j’ai bien cru que c’était pour de bon. Je n’ai réalisé l’urgence de m’échapper que lorsqu’il a été trop tard, tous les deux piégés en enfer pieds et poings liés, condamnés à se détruire l’un l’autre pour l’éternité.

J’en ai réchappé. De justesse. Et tout ce qui ramène là-bas n’est que traumatisme. Je me dis que si je l’avais aidé sans être impliquée émotionnellement, je serais peut-être encore capable d’aimer aujourd’hui. Ou si j’avais pu l’aimer sans tenter ce sauvetage impossible, je ne me serais pas perdue à ce point. C’est cet engrenage infernal qui m’a détruite.

Et aujourd’hui, je m’aperçois de la portée que cela a encore sur moi. Je suis terrifiée de refaire la même avec Bradley. Une peur panique de refaire confiance à quelqu’un. Une peur panique de me laisser aller. Une peur panique d’aimer.

Bref. Maintenant, je sais d’où ça vient. Je ne sais pas trop comment je vais surmonter cela, ni si j’en ai envie d’ailleurs, mais un pas est un pas, chaque chose en son temps.

 

Et en début de soirée, j’appelle Toto. Prendre de ses nouvelles. Il commence à aller mieux, grâce aux cachetons. Mais sa psy d’opérette me fait sortir de mes gonds :

–  Tu vois, je l’ai trouvée un peu légère car en fin de séance, elle m’a dit « Je ne sais pas, je ne suis pas dans votre tête, Monsieur. »

–  Bah si, c’est ton boulot, bouffonne !

Alors, pour lui changer les idées, je me mets à lui parler pour la première fois de mon don. C’est très étrange d’avoir une telle conversation avec mon frère mais je sens que je peux désormais tout lui dire sans craindre son jugement. Je lui dis aussi que je réfléchis à partir de Paris pour venir m’installer vers chez lui, pourquoi pas dans la petite maison que j’avais vue dans les bois, et faire du service à la personne en journée et medium le soir.

–  Je serais un peu la sorcière au fond des bois que l’on vient consulter en cachette…

–  HA HA HA !!!

Ça me fait du bien de l’entendre rire. Ça me fait du bien de pouvoir en rire avec lui. Et là, tout doucement, il me dit : « Je veux bien que tu exerces ton don sur moi. » Je ne saurais dire pourquoi cela me trouble et me rassérène en même temps… Encore une ‘intervention’ auprès de quelqu’un avec lequel je suis impliquée émotionnellement, je ne suis pas sûre et pourtant j’ai envie d’essayer…

Je m’aperçois que cela va être difficile de trouver des cobayes avec lesquels je n’ai aucun lien. Je repense notamment à Lewis qui m’a avoué qu’il avait lui aussi perdu un peu son chemin dernièrement, j’ai ressenti le besoin de l’aider, j’ai même commencé pendant notre conversation vidéo… Je repense aussi à Miles qui me disait à quel point il se sentait vivifié, reboosté lorsque je venais les voir au Normandy Beach…

Peut-être ai-je besoin de ce lien pour pouvoir agir ? Peut-être que cela ne marcherait pas avec un parfait inconnu ? Bon, ça va être coton si je veux me faire une clientèle… Il faut vraiment que je teste pour savoir.

 

22.26. Bradley m’appelle, il répond à mon texto envoyé il y a une heure : « Are you ok ? Or does it have to do with the strange feeling that I have right now ? »

Il me dit aller bien. Il s’enquiert de ce ‘sentiment étrange’ mais je ne peux lui en dire plus. En revanche, je lui déballe tout le reste : tout ce qui m’agite, mes tirages de cartes de la veille, ce que m’a dit Nénette, ma prise de conscience après l’appel de Kevin, les mots de mon frère, tout y passe.

Et cela monte comme une mayonnaise en moi, ça prend de l’ampleur mais le bol est trop petit et ça se met à déborder. Le pauvre ! Il assiste à l’autre bout du fil à une véritable éruption de ma part sans pouvoir faire grand-chose pour la contenir, ça part dans tous les sens, c’est incohérent au possible, je m’étonne même qu’il n’appelle pas le service d’urgences psychiatriques ou le véto avec sa fléchette tranquillisante pour cheval fou…

Tant et si bien que cela finit par m’étouffer. C’est trop, tout ça en moi. Je suis en surchauffe, je sens que je vais imploser. Ce qui ne manque pas d’arriver. Il est minuit. Je ne suis plus là. Crash disk.

STORYTELLING

“We knew this was going to go long. We feel good about where we are. We really do. I’m here to tell you tonight we believe we’re on track to win this election. I’m optimistic about this outcome. Keep the faith, guys. We’re going to win this.”

Who is? It’s not very clear as both of them tells out the same, only with different words. And this raging battle raises only one thought in me: everything is really possible within these lands where the American dream is more alive than ever.

 

Mercredi 4 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+6 # USA ELECTION DAY D+1

Passé la nuit devant la télé et suis allée me coucher lorsqu’il a été clair qu’aucun résultat ne serait probant avant trois jours. J’ai sommeillé quelques heures et me voilà avec MON rêve américain qui revient me chatouiller.

C’est fou à quel point je peux me sentir patriote mais pas pour mon pays. Frémissante dès que j’entends l’hymne national américain, de marbre quand c’est la Marseillaise. Apolitique par principe en France mais férocement engagée aux Etats-Unis.

Est-ce parce que j’ai besoin de croire en un porteur de valeurs fort et digne de confiance ? Ici, c’est ‘faites ce que je dis, pas ce que je fais’ alors que là-bas, c’est ‘je fais ce que je dis, je suis ce que je dis’. Trump en est la preuve vivante. Que l’on embrasse ou non ses valeurs, on ne peut nier qu’il a toujours été fidèle à lui-même.

Biden sauvera-t-il le monde ? Malgré mon âme profondément démocrate, j’en doute. Mais j’ai de grands espoirs pour sa colistière Kamala Harris qui pourrait devenir la première femme à la tête de la plus grande puissance mondiale et changer ainsi le destin de tout un chacun sur cette terre.

Rien que le symbole pour moi est porteur d’espoir. Tout comme l’était celui d’Obama en 2008. Peu importe le bilan de ce dernier, quelque peu mitigé en fin de deuxième mandat il faut bien le reconnaître, il a incarné le changement et la volonté d’unir les peuples dans un but commun.

YES, WE CAN. Un slogan qui est encore gravé en moi profondément.

J’ai même donné pour sa campagne. N’étant pas citoyenne américaine, j’ai donné par l’intermédiaire de la maman de Zane qui était ravie d’avoir un tel ralliement à ses propres valeurs. Puis, j’ai rejoint les Democrats Abroad et j’ai suivi Obama sur les réseaux sociaux. Je suis même allée à Chicago, son fief. Et me suis prise en photo devant son portrait dans la galerie des présidents au Mount Rushmore dans le South Dakota. Oui, j’étais une fan inconditionnelle. Et quelle classe, ce mec !

Bref. Alors, mon rêve américain à moi, c’est l’idée que l’on peut se faire soi-même. C’est l’antithèse parfaite du système de castes : peu importe d’où l’on vient, ce qui compte c’est ce que l’on fait. On peut se construire en partant de zéro si l’on travaille dur et que l’on croit en soi. On peut se crasher et renaître de ses cendres, on est même encensé et pris en exemple dans ce cas-là.

En France, sans diplôme, sans éducation, on n’est rien. Même l’autodidacte le plus accompli soulève toujours des suspicions. On ne salue pas le travail mais l’aboutissement d’un parcours normé qui exclut la conviction et la révélation. On se méfie de l’atypisme comme de la peste, on veut du spécialisme, de la technicité enseignée, de l’expertise qui sort de l’école et non du vécu.

Et entreprendre en France, c’est une croisade sanguinaire où tout ce que l’on fait est de se battre contre, au lieu de se battre pour. Une chimère, un non-sens, un mirage. Et quand on s’est cramé les ailes une fois, on est bon à mettre à la poubelle, il n’y a plus rien en nous qui mérite l’attention, encore moins la reconnaissance.

 

D’aussi loin que je me souvienne, les Etats-Unis m’ont toujours appelée. Et à 20 ans, j’ai répondu à leur appel. Je suis partie sac-à-dos en tant que jeune fille au pair dans un premier temps. J’avais le plan ensuite de me fondre dans le pays pour tenter ma chance, comme on dit. J’étais naïve et certainement pas préparée, j’ai pris peur et je suis rentrée, la queue entre les jambes.

Mais je me rappelle, lorsque je suis arrivée pour la toute première fois donc aux Etats-Unis, à l’aéroport de Tampa Bay, Florida, j’ai ressenti immédiatement une impression de grandeur et d’espace. C’était enivrant et inquiétant à la fois.

Par la suite, j’y suis retournée maintes fois, quadrillant un peu tout le pays, avec une prédilection très marquée pour le Montana après l’avoir découvert en 2012. Je ne saurais dire pourquoi, j’ai l’impression que je suis chez moi aux Etats-Unis. Un sentiment indéfinissable d’appartenance à quelque chose que je connais instinctivement.

Même si je suis la première à dire que les Américains peuvent être des benêts incultes à la mémoire courte quand ça les arrange – je n’oublie et ne pardonne pas la spoliation des natifs américains et la fondation du pays sur le sang des esclaves arrachés d’Afrique – j’adhère complètement à leur mentalité de pionniers et d’entrepreneurs qu’ils ont tous, chevillée au corps.

Bref, je me sens à ma juste place là-bas. Et je ressens aujourd’hui plus que jamais leur appel comme celui d’une maman ourse pour son petit qui s’est trop longtemps éloigné d’elle. Une nécessité urgente.

Je ne sais hélas pas comment y répondre. Pas encore. Je pense qu’il faut que j’investigue dans cette voie-là. Mais je ne suis plus la gamine simplette aux illusions de grandeur, je ne repartirai donc pas à l’aventure avec ma seule conviction comme caution.

MISSION ACCOMPLIE

« Besoin de transmettre ce bouquin comme une bougie sur la route de quelqu’un qui s’était perdu… L’idée que la vie est pleine de surprises, qu’en deux ans, voire même en un, tout peut changer, c’est le meilleur booster d’énergie qui soit ! Un livre absolu, donc. Et qu’est-ce qu’on rit ! Merci, Harry. »

Une évidence là aussi. Bradley l’a lu d’une traite en se marrant toutes les trois minutes. Et déclame aujourd’hui à l’envi des répliques du style « Comme dirait Tonton Harry… » qui font désormais partie de lui. Une petite goutte de lumière supplémentaire bien efficace.

 

Dimanche 1er novembre 2020 # RECONFINEMENT J+3

Pas facile de retranscrire des émotions, des ressentis en rétroactif… Peut-être faudrait-il que je travaille à la frappe chirurgicale, à l’instant T sinon j’ai bien peur de finir schizo… Bref, allez, j’essaye. Donc, me voici en retransmission quasi-live. Disons que c’est plus frais que si j’avais attendu l’infusion des choses comme je l’ai fait jusqu’alors.

Ainsi, Bradley vient de partir. Chercher ses enfants sur l’ordre implacable de son ex-femme qui l’a mis devant ses incontournables responsabilités. Il a voulu jouer la carte de son devoir de militaire de réserve car il savait très bien qu’elle n’aurait cure de l’aider dans sa dépression en le déchargeant des enfants pour quelques temps. Mais elle a été inflexible là aussi.

Mais ce n’est pas plus mal. Car même si elle avait accepté, cela aurait été reculer pour mieux sauter, il aurait bien fallu régler le problème tôt ou tard. Bah là, c’est tôt. Je savais que ça le contrariait depuis lundi même s’il éludait plus ou moins brutalement dès que j’abordais le sujet et ce matin, j’ai su à la première prise de constante qu’il allait devoir prendre une décision.

On a parlé un long moment. On a abordé des sujets pragmatiques comme les divergences sur l’éducation des enfants que son ex-femme et lui ont pu et ont toujours, comme des options possibles pour faire en sorte qu’il continue d’assurer sa part de garde alternée sans être dans son appartement, des implications de ces options et quelque part, de la seule solution qu’il lui restait.

Il s’est rendu compte qu’il était piégé. Et que pour l’instant, il ne pouvait faire autrement que de subir cette situation avec tout ce que cela induit.

« Sache que je ne veux pas que la proposition que je t’ai faite soit un deuxième piège. Et je suis navrée du poids que cela ajoute à ton barda. Mais c’est peut-être un mal nécessaire ?… »

Il s’est mis à faire les cents pas dans le salon. Je pouvais sentir son énergie tressauter comme la flamme vacillante d’une bougie. Je n’ai pas pu le laisser se débattre plus longtemps avec si peu d’armes. J’ai alors rassemblé la lumière en moi, je l’ai concentrée puis je l’ai projetée sur lui en visant le plexus et le front avec ces mots dans ma tête comme un mantra : « Aie confiance en toi »

J’ai pris soin de ne pas plonger en lui, le but n’était pas cette fois d’aller installer des spots au cœur de l’obscurité mais de lui prêter la lumière du soleil pour tout éclairer. Il a paru désarçonné.

–  Et alors ?

–  Bah c’est comme un gâteau, il faut que ça cuise.

Et je suis partie vaquer à mes occupations sans plus me préoccuper de lui. Il a eu un moment de battement puis il s’est assis sur la banquette pendant un long moment, étrangement calme. J’ai même pensé qu’il piquait une sieste. Mais il a ‘ré-émergé’ trente minutes plus tard pour me dire qu’il n’était pas parti très loin et qu’il allait prendre une douche.

On s’est croisés à la sortie de la salle de bains, je l’ai frôlé par inadvertance et j’ai senti le changement qui s’opérait en lui. Et quelques minutes plus tard :

–  Je vais partir. Je vais chercher mes enfants et je rentre chez moi. Qu’en penses-tu ?

–  Ce n’est pas le temps pour moi de penser. C’est le temps des craintes.

–  C’est-à-dire ?

–  Je crains de ne pas pouvoir te rattraper si tu retombes dans ton gouffre. Je crains qu’il ne finisse par te broyer une fois pour toutes.

On a pris un moment côte à côte, le temps d’une cigarette à la fenêtre. Il s’est ouvert comme il ne l’avait jamais fait auparavant.

« Ça y est, je vois clair maintenant. Je ne sais pas ce que tu m’as fait mais c’est vrai, il fallait que ça infuse. Comme tu l’as dit, je connais aujourd’hui mes légitimités. Je sais qui je suis. Je suis un fils. Je suis un père. Je suis un ami. Je suis un soldat. Je ne sais pas trop encore qui je suis auprès de mon ex mais c’est de plus en plus clair. Au moins, j’ai accepté la rupture.

Et je n’ai pas peur de revenir dans mon appartement, je n’ai pas peur de retomber dans le cocon de la dépression, je me sens plus fort et j’ai confiance en moi. Je ne sais toujours pas ce que je vais faire dans quelques temps mais je sais que je vais partir de Paris. Quelque chose me dit que cette maison dont je rêve, ce havre de paix se présentera à moi de lui-même. L’idéal serait de… »

Je l’ai écouté, je l’ai regardé, il avait un air serein sur le visage et une petite flamme dans le regard que je ne lui connaissais pas. Et tandis qu’il a continué à explorer à voix haute tous les recoins de sa pensée, je n’ai pu m’empêcher de me dire « J’ai réussi, je suis trop forte. Il n’a plus besoin de moi, maintenant, ma mission est terminée. »

En un temps record, en plus. Je n’avais pas d’agenda précis mais je pensais que cela aurait pris plus de temps quand même. J’avoue que cela m’a fait une petite pointe de douleur à laquelle je ne m’attendais pas. Mais elle n’a pas duré, autre chose s’est déployé en moi et a fait revenir un large sourire sur mes lèvres : la lumière est revenue m’investir de part et d’autres.

–  … Tu avais raison, de m’exiler dans un endroit neutre pour me poser m’a fait le plus grand bien. Je n’ai peut-être pas toutes mes réponses mais j’ai avancé de ouf, je n’ai vraiment pas envie de partir mais je sais que je dois des explications à mes enfants et…

–  Je peux te donner ma première facture d’honoraires ? ai-je fait en riant pour désamorcer la solennité du moment.

–  Tu devrais penser à l’humilité, peut-être que les gens ont besoin de se dire qu’ils s’en sont sortis eux-mêmes et qu’ils ne doivent rien à personne… a-t-il répliqué, un peu cinglant.

–  Tu ne m’es redevable de rien du tout. C’est toi qui a fait le chemin. Moi, j’ai juste mis les spots sur le bas-côté pour ne pas que tu tombes. Rappelle-toi du tirage de cartes que j’ai fait pour nous deux : moi La Muse, toi Le Travail Sur Soi et nous deux La Loi autrement dit Le Contrat. C’était écrit.

Ouais, j’ai bien le droit d’avoir les chevilles qui enflent un peu. Une euphorie bien méritée, j’ai envie de dire. Même si étrange, quelque part, car elle soulève tellement d’autres questions !

Bref. Il est donc parti en coup de vent sur un mystérieux « Je reviens vite » et moi je suis allée finir de m’occuper des choux de Bruxelles que j’avais commencés à éplucher. J’ai essayé, tout du moins…

A la seconde où j’ai refermé la porte sur lui, j’ai ressenti, je n’ai pas d’autres mots, comme une chasse d’eau dans tout mon corps et j’ai été obligée de m’asseoir un instant. J’ai ‘dégonflé’ d’un seul coup, à tel point que la bague de Maman a glissé de mon doigt. Et autre fait notoire : ma boule au ventre a disparu.

Ce poids, comme une véritable boule de bowling, me pesait sur l’estomac depuis deux semaines. Je ne lui en ai pas parlé, je ne voulais pas en rajouter et à vrai dire, je ne savais pas trop moi-même ce que c’était. Jusqu’à ce qu’elle disparaisse, là.

Je sais que j’ai achevé ma mission. Avec les honneurs. Je n’ai donc plus rien à lui donner. Je suis sincèrement heureuse pour lui et je continuerai de l’encourager dans cette voie mais je ne vois rien d’autre au-delà de ça.

Il s’est révélé à lui-même. C’était le but. Je lui ai tout donné, il a tout pris. C’était le deal. J’ai su bien avant lui qu’il n’y aurait pas de redite de nous deux mais quelque part, je me suis laissée porter parce que c’était bon, tout simplement. C’était le risque. Maintenant, il n’y a pas de place dans son futur pour moi et je ne le revendique pas. C’est le constat.

Un sentiment hybride d’immense satisfaction et d’amertume. Mais je n’ai pas perdu ma lumière. Je crois que c’est le plus important.

 

Je profite de me retrouver seule pour revenir dans mon jardin, un peu délaissé ces derniers temps, je dois bien l’avouer. Je suis partie à des années-lumière mais je ne me sens pas tant dépaysée que ça. La preuve que ce n’était pas une fuite en avant mais un voyage qui ne me fait pas haïr ma friche en rentrant.

Ainsi, Toto ne va pas mieux. Sa petite semaine de vacances n’aura été qu’une maigre parenthèse dans le profond chagrin dans lequel j’ai peur qu’il s’ancre irrémédiablement. Il est en train de couler en entraînant ma belle-sœur vers le fond avec lui. Mais il a quand même réagi avec antidépresseurs et psy. J’espère que cela va vraiment l’aider.

J’ai presque mauvaise conscience. Moi, j’ai trouvé la paix et avancé à pas de géant mais j’ai l’impression d’avoir oublié mon petit frère loin derrière. Alors, je lui ai demandé s’il souhaitait que je vienne le voir ce dernier week-end de ‘tolérances’ dans le confinement tout neuf mais cela n’a pas l’air d’être une urgence pour lui. Quelque part, ça me rassure un peu.

Quant au cimetière, l’idée de ne pas y aller durant ce mois de confinement qui risque de durer, ne m’horrifie pas tant que ça. J’ai le sentiment que la dernière fois que j’y suis allée pour mettre la plaque avec la photo de Maman m’a vraiment permise de faire le deuil.

Le 28 il y a quatre jours, ça a fait un an que Maman est venue habiter avec moi en sortant de l’hôpital. Un an que c’était le début de la fin sans que personne ne le sache. Enfin si, moi. Mais je ne voulais pas y croire.

C’est pour ça, je pense, que j’étais tellement en colère durant tout ce temps que j’étais avec elle. Je voulais battre le sort tout en sachant pertinemment que je n’y parviendrais pas. Ce sentiment d’impuissance a généré chez moi une terrible frustration. Et plus j’étais en colère, moins je comprenais, plus j’étais déboussolée, plus ça me remettait en colère, le cercle vicieux, quoi.

Aujourd’hui, je pense à elle et c’est l’amour qui vient en moi avec une lumière bien chaude. J’ai encore des moments de rechute, comme lorsqu’en entendant une vieille chanson d’Hervé Vilard j’ai éclaté en sanglots car cela m’a renvoyée à la Chapelle Moulinard où nous étions, mes parents, mon frère et moi, heureux comme pas possible.

Mais je ne me suis pas noyée dans mes larmes, j’ai retrouvé mon sourire très vite en me disant que j’avais une chance folle d’avoir ces souvenirs de bonheur absolu en moi, qu’ils devaient nourrir désormais mon feu sacré.

 

Je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie prochainement. Et avec ce confinement que tout le monde prédit à rallonges, je pense qu’il est vain d’espérer un quelconque décantage côté boulot. Bon, en même temps, je peux tenir financièrement quelques mois encore mais c’est la même rengaine : ce n’est pas tant d’un job mais d’une réelle motivation dont j’ai besoin.

Avec ma récente révélation, j’ai trouvé un sens à ma vie mais pas forcément de direction. Je dois avouer que cela me chagrine un peu mais en aucun cas je laisserai le doute et l’angoisse revenir dicter leur loi en moi. J’ai même une certitude : c’est en arrêtant de chercher une réponse que celle-ci se présentera à ma porte.

Dès demain, je vais reprendre ma petite routine, je vais faire mon ménage, ma gym puis je repiquerai sur le projet du Normandy Beach. Ça me va. Ce n’était pas prévu mais maintenant que j’y repense, rien n’était prévu. Depuis une semaine qui me semble une éternité, j’ai vécu non pas au jour le jour mais à l’heure, voire à la minute. J’étais là, je faisais ça, je ressentais ça, point.

Et j’ai envie de continuer comme ça. Dans mon petit train-train confinée seule ou pas.