JOURNAL   Saison 7

FINI, LES PLANS SUR LA COMETE FOIREUX

« J’ai l’impression que l’on s’est vues deux fois déjà, non ? Il y a peut-être matière à réflexion, qu’en pensez-vous ? »

J’en pense qu’il n’y a pas de hasard, qu’il y a des rencontres que l’on doit faire dans la vie.

 

Mercredi 16 décembre 2020 # DECONFINEMENT/COUVRE-FEU/Y EN MARRE J+2

Hier matin, j’avais donc rendez-vous avec la conseillère du Pôle Insertion du Département pour faire un point entre autres sur ma recherche d’emploi. Deuxième entrevue donc et non pas la troisième comme elle semblait le penser.

Et l’on a digressé à fond les ballons. C’est parti du fait que je lui ai dit que malgré mon inactivité actuelle, je ne restais pas oisive pour autant et que notamment, j’avais entrepris d’écrire mon premier roman.

L’écriture. C’est ce qui a transparu nettement dans le premier chapitre de la thérapie à domicile pour les TPB que j’ai entamée depuis une semaine, chapitre qui nous amène à discerner les priorités de notre vie, les pierres angulaires, les incontournables.

Maintenant que j’y repense, je devais avoir 20 ans, un ami d’un ami qui se revendiquait médium n’avait vu que ça chez moi : l’écriture. Et du plus loin que je me souvienne, j’écris depuis que j’ai su manier l’orthographe et la grammaire. Avec une citation à l’académie de Dijon pour ma dissertation notée 20/20 lors de mon brevet des collèges et ma place de 2ème en national de la fameuse dictée de Pivot (niveau junior, faut pas pousser quand même). Et une parution à 16 ans d’une de mes nouvelles chez Flammarion Junior qui m’avait rendue fière comme un coquelet.

Des contes et légendes, des nouvelles fantastiques, des textes, des essais en tout genre, des poèmes, des chansons aussi… Je griffonnais sans cesse, partout, tout le temps, parfois sur des sets de table au restaurant, j’étais capable de marcher des heures dans la campagne ou en bord de mer afin de trouver le spot idéal pour m’installer avec mon calepin et mon crayon tout mâchouillé, ne rentrant qu’à la nuit tombée lorsque je ne voyais plus ce que j’écrivais.

J’ai eu aussi des périodes à vide où rien ne me venait et des périodes de latence où les mots se stockaient en moi sans pouvoir sortir de ma plume, des mots qui un jour jaillissaient comme un geyser, me jetant dans une frénésie d’écriture incontrôlable des jours et des nuits durant. Quand enfin le flot se tarissait, je m’arrêtais, exsangue, des valises sous les yeux et des crampes monstrueuses à la main et pourtant, j’avais un sentiment de complétion absolue.

Bref. Donc oui, je commence à écrire mon premier roman. Comme je suis en train de reconstruire ma vie, j’ai besoin de construire en parallèle quelque chose qui pourrait être le fer de lance de ma renaissance, l’étai et le garde-fou. Je me dis aussi que mes troubles dissociatifs et ma tendance schizophrénique liés à mon TPB peuvent servir à quelque chose car quitte à avoir plusieurs personnalités, autant y aller gaiement et en mettre une ou deux dans un roman de fiction…

D’une pierre deux coups : l’écriture et la thérapie.

Ainsi, j’écris une sorte de thriller fantastique à cheval entre la France et les Etats-Unis où je peux mettre en scène mon don et l’extrapoler à volonté sans crainte de me faire tancer par Yang… Yang qui sera d’ailleurs un des personnages-clés – même si relativement fictif – et que j’ai donc mis joyeusement à contribution, tant pour sa verve que pour sa caution scientifique.

Sa collaboration m’a enchantée. Tout autant que lorsqu’il m’a dit qu’il était bien embauché à 800 mètres de chez moi. On s’est vus faire des happy-hour de dingos où l’on écrirait à quatre mains tout en se racontant nos histoires de potaches que l’on affectionne tant. Et quand moi j’aurai retrouvé un job, on pourra en plus se raconter les potins de bureau et je n’aurai plus aucun scrupule à boire des coups à 18.00 avec un presque-collègue, pas idiot celui-ci.

Bref, tout ça m’emplit de joie. Que du positif.

Et pour en revenir à la fameuse conseillère que je vais appeler Mildred car je sais qu’elle et moi nous allons être amenées à nous revoir en privé, il s’est effectivement passé quelque chose dans son bureau. On est parties de l’écriture puis, je ne sais pas trop comment ni pourquoi, je lui ai parlé de mon don. C’était comme si j’avais senti une porte s’entrouvrir en elle.

C’est une médium. Une vraie. Mais qui refuse son don. Car elle tient par-dessus tout à être ‘normale’ et ne pas passer pour une illuminée. Elle fait des rêves et je pense qu’elle a le don de prémonition. Elle a de plus dans son entourage des gens qui ont eux aussi de puissants dons d’empathie, voire des médiums comme elle. Et sa cousine est psychanalyste. Alors, je me suis risquée à lui dire : « Votre cousine soigne les esprits, peut-être que vous, vous soignez les âmes ?… »

Et dans son regard lorsqu’elle m’a dit être persuadée de m’avoir vue deux fois déjà et qu’il fallait que j’y réfléchisse, j’ai su qu’elle avait fait un rêve et que notre rencontre ‘spirituelle’ n’était pas une coïncidence. Je ne la connais pas, c’est sûr, et pourtant, il y a quelque chose de familier chez elle, quelque chose que je ne vois pas mais que je ressens… Moi qui pensais que mon don était un peu en berne ces derniers temps, anesthésié par les médocs ! Bref, je vais investiguer mais je pense que le chemin que j’ai entrevu lorsqu’elle a ouvert sa porte intérieure va me mener vers un horizon que jamais je n’aurais pu soupçonner en arrivant dans son bureau. A suivre, donc.

Et pendant que l’on parlait elle et moi, j’ai entendu le bip de mon téléphone au fond de mon sac, me prévenant d’un texto que j’ai donc lu en sortant : « Bonjour, comment ça va ? As-tu quelque chose de prévu aujourd’hui ? »

Bradley. Après une semaine sans aucune nouvelle ! Mais bon, oui j’étais dispo. Il est donc passé un peu plus tard, arrivant chez moi en toute simplicité, sans emphase ni effusion. Il est tombé direct sur mes bouquins de thérapie du TPB et a enchaîné là-dessus, me posant des questions et me demandant comment j’allais.

Mais comme il a repiqué très vite sur son sujet favori, c’est-à-dire sa petite personne, je l’ai interrompu en lui disant que je souhaitais d’abord lui préciser exactement ce qu’était le TPB car j’avais l’impression qu’il n’avait pas saisi la gravité du truc et que c’était important à mes yeux. Quand j’ai eu fini de lui lire l’exposé, il m’a demandé : « Tu peux m’envoyer le lien de cet article ? Car il y a beaucoup de choses qui font écho en moi… »

Ah merde ! Si lui aussi est TPB, on n’est pas sortis de l’auberge ! Bref, je lui ai dit que j’avais commencé ma thérapie, que les médocs m’aidaient et que la méthode de l’élastique était très efficace. Il a semblé le voir pour la première fois alors que je l’avais déjà quand il était là il y a quinze jours. Comme quoi, aucune attention à moi.

Puis, il m’a fait un débrief sur ses fameuses emmerdes en cascade de ces deux dernières semaines, celles pour lesquelles il avait besoin soit-disant d’être seul afin de les gérer du mieux possible. Dans les grandes lignes, certaines choses ont avancé, d’autres non, ses dates de mission ont changé, c’est la guerre ouverte avec son ex-femme etc. Il a trouvé aussi la maison de ses rêves, une cabane au fond des bois au confort plus que rudimentaire et pis voilà.

Je l’ai écouté sagement. Mais au fond de moi, bah je m’en foutais.

–  Pourquoi es-tu venu aujourd’hui ?

 –  Tu t’es doutée que mon silence ces derniers temps était volontaire ? Je veux dire que oui, j’avais plein de trucs à gérer mais j’ai fait exprès de ne pas te donner de nouvelles. Quand bien même tu m’aurais appelé, je n’aurais pas répondu.

 –  Oui, je sais.

 –  Donc, je suis venu pour te parler, voir comment toi tu as vécu ça et ce que tu en penses.

Mais avant même que je ne puisse formuler un semblant de réponse, il a enchaîné :

–  En fait, je voulais voir si tu me manquais. Et la réponse est… non. Je veux dire que je n’ai pas ressenti ni l’envie ni le besoin de te parler ou de te voir. J’étais bien seul avec moi-même. J’ai beaucoup réfléchi aussi, tu te rends compte que dans aucun de mes projets, je n’inclus qui que ce soit, que je ne t’inclus pas ? Je me dis qu’en fait, je n’ai pas de place pour une relation sentimentale, je ne sais même pas si je suis encore capable d’aimer ! Et pour la première fois de ma vie, je me plais et je m’accepte comme je suis. Ce n’est peut-être pas ce que tu aurais souhaité entendre de ma part et je suis désolé si je te fais du mal mais je me devais d’être honnête.

 –  Tu veux entendre ce que j’ai à dire ou pas ?

 –  Ça dépend…

 –  Faudrait savoir !

 –  Bah ça dépend, tu vas peut-être me dire ce que j’ai envie d’entendre et essayer de retourner la situation car tu te sens abandonnée mais sache que ça ne changera pas ce que je pense.

 –  WOWW hold your horses !! Je t’ai expliqué que je travaillais justement à discerner ce qui relevait de mon TPB de ce qui était de ma volonté propre et clairement la manipulation et le changement d’humeur, bah c’est le TPB, ce n’est pas moi. De plus, que mon blog m’en soit témoin ! ce que j’ai à te dire, je l’ai déjà écrit et ça fait belle lurette donc…

 –  OK je t’écoute.

J’ai tout déballé. Allez hop, comme pour les soldes. Il n’a pas tiqué le moindre du monde, voire même je l’ai senti soulagé. Je lui ai même dit ce que serait mon idéal de relation avec lui, soit 48 heures love love mais pas plus, parce qu’après ça me soûlait. Je lui ai dit que moi aussi j’étais bien seule, que je n’avais besoin de personne et que si j’avais décidé de changer, ce n’était pas pour lui mais pour moi et moi seule.

–  Tu vois, aujourd’hui je suis là, demain, j’en sais rien mais je m’en fiche, je continue mon bonhomme de chemin et je verrai bien où ça ira. T’es là, c’est bien, t’es pas là, c’est bien aussi. Si un jour, toi et moi embrassons un projet en commun, c’est bien, sinon, bah chacun trace la route, c’est comme ça.

 –  Mais on n’est pas amoureux.

 –  « Etre amoureux, c‘est se rendre compte que quelqu’un nous manque. Platon » Tu es parti du principe que comme on ne se manquait pas, on n’était pas amoureux ? Bah nan, et ? Ça te dérange ? On a des sentiments l’un pour l’autre, c’est indéniable. Ce que c’est, perso je m’en fous. Ce n’est pas suffisant ?

–  Tu as raison. Mais ce que je veux dire, c’est que je suis bien quand je suis avec toi mais je suis bien aussi quand tu n’es pas là. Ce n’est pas normal, tu ne crois pas ?

 –  Qu’est-ce que la normalité, si ce ne sont des schémas enseignés depuis l’enfance où l’on norme et labellise les sentiments ? Non, moi, je vois plutôt ça comme un équilibre.

 –  Pourquoi pas, c’est vrai, je n’avais pas vu ça comme ça…

 –  C’est pareil pour moi et cela me va bien. C’est bizarre, j’ai l’impression qu’on a inversé les rôles : avant, c’était toi qui prônais la nonchalance et moi qui n’avais de cesse de trouver un sens à notre histoire et aujourd’hui, c’est toi qui te pose des questions existentielles et moi qui veux faire roue libre. Personne ne connaît l’avenir, pas même moi avec mes supers pouvoirs, donc autant vivre les choses comme elles viennent. Moi aussi, j’aime passer du temps avec toi et ça me suffit. Si pour toi, c’est anormal et stérile, je comprends et restons-en là. Que souhaites-tu, toi ?

 –  Non, je suis d’accord… C’est vrai, tu es intelligente, cultivée, ouverte, belle, drôle, artiste, originale et de l’aperçu que j’ai pu en avoir, j’aime le regard que tu portes sur le monde. Je me sens bien lorsque je suis avec toi, je peux être qui je suis sans détours, je peux dire ce que je veux, je suis vraiment moi. J’aime quand on parle tous les deux, quand on échange sur tout et sur rien, quand on se bourre la gueule, quand on partage un repas, quand on végète devant la télé, j’adore quand on fait l’amour… Tu es sans nul doute la femme idéale pour moi… C’est juste moi qui me demande si c’est normal que je n’ai pas besoin de toi…

 –  C’est si important pour toi, d’être normal ?

 –  Non, justement, je revendique d’être hors-normes. Waouh ! On est vraiment deux marginaux, toi et moi… Allez, je suis d’accord, on continue comme avant.

 –  Comme avant quoi ?

 –  Bah on continue de se voir et on prend les choses comme elles arrivent. Mais encore une chose : sache que je ne serai jamais un fantôme dans ta vie comme l’a été Walter, tu ne m’attendras pas éperdument, okay ?

 –  Easy cow-boy !!! Je t’ai dit, je n’attends plus rien de toi. Je ne suis plus dans l’attente tout court, de quoique ce soit dans ma vie, point-barre.

 –  Tant mieux. Allez, je dois filer. C’est bien que l’on ait eu cette conversation.

Il était sur le point de partir, ses enfants l’attendant à la maison, lorsque j’ai placé ma main sur sa nuque (la fameuse prise de constantes). Je l’ai embrassé. Chastement. Il a semblé décontenancé quelques secondes puis là, c’est lui qui m’a embrassée. Fougueusement.

« Now you can go. » lui ai-je dit en riant et en lui montrant la porte. Sur le seuil, il m’a regardée longuement avec un sourire en coin qui semblait dire « J’étais venu pour rompre avec toi mais tu m’as retourné la tête. J’hésite à trouver cela frustrant ou délicieux. » mais avant même qu’il n’ouvre la bouche, je lui ai lancé : « Shut the fuck up, kiss me once again and off you go ! »

En fait, je n’avais pas envie de l’entendre me dire « On s’appelle » ou « A très vite »…

 

Moi, ce que je trouve étrange, c’est la placidité dont j’ai fait montre tout du long. Limite de l’indifférence. J’ai bien eu envie de lui rabattre son caquet une fois ou deux devant son insupportable nombrilisme et les mots ‘gougnafier imbuvable’ qui sont bien montés à mes lèvres mais finalement, peu importe. Même après qu’il soit parti et aujourd’hui encore, aucune rumination, aucun coup d’élastique, je me sens d’une quiétude à toute épreuve et d’une certaine façon, bien dans mes baskets.

Bradley n’a plus d’emprise sur moi. Le nouveau chapitre qui semble se dessiner entre nous peut très bien ne faire que deux lignes que je m’en moque. Cette incertitude me va bien. Fini les plans sur la comète foireux et les coupages de cheveux en quinze mille douze. Comme dans toute ma vie aujourd’hui.

Allez zou, j’ai d’autres trucs à écrire et le chapitre 2 de ma thérapie à entamer.

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