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ALTER EGO

« Tu te souviens, on s’était faites virer de la formation et on a fini dans un pub, ivres mortes ! C’était un vendredi 13, d’ailleurs… »

Plongée près de 30 ans en arrière. Sur les traces de mon passé. Souvenirs vivaces. Etonnant, compte-tenu de mon black-out sur mon histoire avec Bradley 20 ans seulement en arrière.

 

Jeudi 22 octobre 2020 # COUVRE-FEU J+6

J’ai recontacté Tamara. Pour la remercier déjà des fleurs qu’elle a envoyées aux funérailles de Maman. Aussi parce que mon intuition m’y a poussée, je ne sais pas, quelque chose d’imperceptible et pourtant de persistant…

Et tandis qu’on s’est remémoré nos souvenirs comme une flambée qui repart de braises mourantes, qu’on s’est parlé de nos vies aujourd’hui, toutes les deux amenées au tournant majeur du questionnement existentiel par les ravages successifs des dérives en tout genre auxquelles elle et moi avons abondamment cédé, j’ai soudain réalisé qu’elle était et est toujours mon alter ego. Du côté obscur de la force.

Autant Andrew est sans nul doute mon alter ego du côté lumière, il est mon positivisme, mon exhausteur d’enthousiasme, mon cheminement de bravoure, mon Yang, quoi, autant Tamara était, et encore aujourd’hui, mon bouillonnement intérieur, mon abysse de déliquescence, mon miroir aux angoisses.

D’aucuns diraient que je suis, somme toute, équilibrée, entre ombre et lumière.

Comme je l’ai écoutée se raconter, je me suis reconnectée instantanément à celle que j’étais il y a tant d’années, à cet étrange lien qui nous unissait elle et moi sur le bûcher ardent de nos tourments, un lien indéfectible, presque mystique et hors du temps.

L’enfer, on l’a arpenté en long et en large elle et moi, ensemble puis chacune de notre côté. Tout au long de ces années, elle comme moi avons pensé à maintes reprises que nous ne réchapperions pas à la prochaine pulvérisation de notre âme qu’en bonnes junkies masochistes nous ne manquerions pas de provoquer. Et nous voilà aujourd’hui, résilientes comme jamais, même si sceptiques sur le sens ultime de cette survivance.

J’ai repensé à ce que m’a dit Nénette, que Bradley et moi devions nous réparer l’un l’autre, l’un avec l’autre. Je ne suis pas tout-à-fait certaine de pouvoir aider Bradley, encore moins que lui puisse m’aider mais ce que je sais en revanche, c’est que ma réparation s’amorcera avec la purge et l’exorcisation d’un pan de ma vie que j’ai refoulé au plus profond de ma conscience pour ne plus avoir à en souffrir.

Et Tamara détient la clé de la porte qui mène à ces souvenirs enfouis. Nous allons donc nous revoir. Bientôt.

 

Last night, another unexplained phenomena occurred. Roswell vs Walter.

–  I hope this time he is the one for you.

–  Doesn’t matter. All I know is that I can’t wait for you anymore.

–  Few days is such a long time to wait.

–  How the hell was I supposed to know?! Told you to hurry.

–  I’m in.

–  You’re where in?!

–  Don’t pretend you don’t understand. As you wish.

By the time I figured this out, he was already gone. Was he ever there? I guess that I’ll never know what could have happened if I had opened the door and he had stood on my doorstep. The ultimate defection. Whatever.

CHEMIN DE CROIX & TRANSCENDANCE

« C’était peut-être trop tôt, ou trop tard. Ce qu’on a pris pour du synchronisme n’était peut-être qu’un pur hasard et si sens il y a, c’était peut-être pour confirmer que l’on est mieux l’un sans l’autre ?… »

Déploiement de mon bouclier anti-missiles. Surblindage de ma coquille. Et champ de barbelés tout autour. C’est hallucinant de constater la facilité, l’automatisme de mes réflexes de défense. Me revoilà confinée. Raccord pour une fois avec la société. Sauf que moi, je n’ai eu droit qu’à trois petites semaines d’aventure à l’extérieur.

 

Lundi 19 octobre 2020 # COUVRE-FEU J+3

La boucle avec Bradley aurait pu être bouclée en une soirée lorsqu’on s’est revus. Mais cela aura pris un peu plus de temps, comme si on voulait être sûr pour de bon. Une sorte de banc de test grandeur nature. Pour moi, cela donne une semaine où mes fondements ont volé en éclats, une semaine de décantage et une semaine à comprendre l’absence de sens à tout ça. Une bien étrange trinité.

Je ne sais donc faire autrement que de me retrancher au fin fond de mon bunker mental en tentant de nier l’existence de mon escapade au dehors. Retrouver le confort de ma grotte pourrait me rassurer mais je dois avouer que c’est plutôt le contraire, je me sens un peu comme une étrangère chez moi, une apatride qui revient au pays pour découvrir que celui-ci ne ressemble plus à celui que j’ai quitté.

Quand bien même, n’ayant nulle part d’autre où aller, je m’improvise un petit nid sous la table renversée et à la lueur de ma lampe-torche, j’essaye d’analyser tout ça.

« Ça sortira quand ça sortira, comme ça sortira. Comment je le prendrai est mon problème. » qu’il me disait. Comme si cela ne pouvait l’atteindre, comme s’il était imperméable à… moi. Je pense que c’est ça, le hic majeur, son égocentrisme surdimensionné et revendiqué qui, bien que justifié par la profonde dépression qu’il traverse, est incompatible avec les prémices d’une relation.

Je l’ai senti pratiquement dès le début, à vrai dire, le lendemain après nos 30 heures passées ensemble. Pas un seul coup de fil, au moins un texto avant la fin d’après-midi. C’est moi qui l’ai relancé d’ailleurs (waouh l’évènement !) et à 17.49 il m’a envoyé « J’ai encore un truc à faire et j’arrive », à 19.23 « Sur la route, quelques bouchons mais j’arrive » et à 21.07 il s’est excusé de son retard car il avait musardé sur la route, notamment en faisant un saut dans une librairie…

Je pourrais m’en vouloir de ne pas avoir écouté mon intuition, encore une fois, mais d’une je ne parvenais pas à mettre le doigt dessus de façon précise et de deux, je pensais que j’étais un peu rouillée, côté précognition, que j’étais en tout cas, en phase de rodage donc pas forcément efficiente.

Puis en Normandie, lorsque j’ai vu le dessin de nos deux chemins qui s’étaient croisés pour repartir dans la même direction mais en parallèle, avec juste quelques interactions diaphanes et pas l’ombre d’un autre rendez-vous, d’une autre croisée de nos chemins.

Et toute la semaine qui a suivi. Ma semaine de décantage, sa semaine avec ses enfants qui a ‘empêché’ qu’on se voit, ne serait-ce que pour déjeuner ensemble pendant les heures d’école : « C’est vrai, c’est con, je suis en arrêt, tu es au chômage, on a plein de temps libre… »

Et cela s’est renforcé juste avant qu’on puisse se retrouver le dimanche soir. Toute la semaine avait été ponctuée par nos très longs coups de fil dans l’après-midi ou tard dans la nuit, certains même ont pu être roucoulants et samedi soir : « Je suis chez des amis, si je ne rentre pas trop tard, je t’appelle, sinon demain matin. »

Nada toute la journée. C’est moi qui l’ai relancé à 19.47 en lui demandant vers quelle heure il comptait arriver. C’est là que cela a commencé à me soûler. « J’arrive quand j’arrive » j’ai pris ça pour un manque de correction. Faire dépendre quelqu’un de ses atterrissages impromptus, being at his beck and call whenever he shows up, j’ai donné, non merci. Le zéro-contraintes, zéro-obligations, je peux comprendre mais il y a un minimum syndical, je trouve.

Mais je n’ai rien dit et notre soirée de retrouvailles a effacé tout ressentiment chez moi. Cette soirée, cette nuit et cette journée d’après ont même d’ailleurs été intensément denses et constructives, surprenantes à bien des égards dans leur aisance à nous faire glousser comme deux ados à leur second rendez-vous.

J’ai même fait un tirage de cartes qui, une fois encore, a fait montre d’une précision redoutable.

MOI > La MuseCes dons, comme leur nom l’indique, représentent une gratification.

LUI > Le Travail Sur Soi Le miroir joue le rôle du divan du psy, élimine les scories de l’éducation, de l’hérédité ou du karma. Besoin de grandir, d’évoluer.

NOUS > La LoiMariage, PACS, contrats, actes notariés, legs. Les règles, les lois, les interdits.

Cette dernière carte, je dois bien l’avouer, a failli nous faire nous étrangler de rire. Mais bon.

 

On a esquissé des projets ensemble. Des micro-projets, certes, mais des projets quand même. Comme de revoir les amis que l’on avait lui et moi il y a 23 ans et avec lesquels il est resté en contact toutes ces années. Comme de prévoir bientôt un week-end en Belgique. Et à plus long terme, cet immense voyage aux USA dont je lui ai parlé en long et en large et auquel il s’est rallié avec enthousiasme.

D’entrevoir un avenir ensemble, même si aucun projet de vie concret n’a été abordé, voire même pensé, m’a donné l’impulsion nécessaire pour faire le ménage de mon côté. Cela m’est apparu clairement : avec ou sans Bradley, je ne pourrais pas avancer dans ma vie si je gardais l’entrave de Walter. Et par un hasard des plus inouïs, ce dernier m’a envoyé un texto au moment même où l’idée se formalisait en moi : « Coucou, j’espère que ça va. Je souhaite te voir mais s’il te plaît, ne parlons plus du passé J Je t’embrasse »

J’ai pris une grande inspiration et ai décidé d’être aussi lâche que lui en répondant par texto : « Toi comme moi ne pourrons jamais oublier le passé, il est temps d’accepter que l’on n’ait pas d’avenir… Je nous souhaite une belle route, libre de tout fantôme. »

Fière de moi, sur ce coup-là. Nénette aussi.

« C’est horrible, ce qu’il te fait : ressurgir aujourd’hui comme ça ! Je trouve cela vicieux de te garder sous sa coupe en te donnant des miettes par-ci par-là, ça suffit, il t’a asservie depuis trop longtemps ! Bon débarras ! Qu’est-ce que je suis contente que tu aies pu enfin te défaire de son emprise, bravo Bichette ! »

J’en ai alors fait mention à Bradley qui m’a rétorqué, limite cinglant :

–  Et ? Cela ne concerne que toi, ce n’est pas mon boulot de t’applaudir. 

–  Je l’ai fait pour moi d’abord, c’est vrai, mais je pensais que cette ombre pesant sur un hypothétique ‘nous deux’ en te mettant sur la réserve à mon propos, le fait de la faire partir aujourd’hui t’aurait prouvé que j’étais prête à faire ce qu’il fallait pour nous laisser une chance et nous permettre d’avancer…

–  Bah okay. C’est bien.

Pas concerné, hein ? La douche froide. Il n’a pas compris à quel point c’était énorme pour moi. Il ne s’en est pas donné la peine, trop absorbé par son bouquin dans lequel il s’est replongé illico presto, me laissant passablement sonnée, mon portable dans les mains n’arrêtant pas de vibrer des messages qu’a enchaînés Walter.

Bref. J’en ai déduit que je devais faire mes trucs de mon côté, qu’il devait faire ses trucs de son côté, qu’on pouvait se donner des nouvelles mais que cela ne devait pas supposer un quelconque impact sur l’autre. Selon lui, avant de penser à ‘nous’, il fallait penser à ‘je’, avant d’être bien à deux, il fallait être bien avec soi-même. Ce qui s’entend. Mais dans son cas, c’est poussé à l’extrême. Et de partir du postulat que l’autre a le même process, c’est déjà égoïste en soi.

Il le revendique. Tout est tourné vers lui. Ce qui importe, c’est son bien-être, rien d’autre. Il est comme il est, il dit ce qu’il dit, comment les autres le prennent, il s’en contrecarre, c’est leur problème, pas le sien. Ce qui m’amène, entre deux, à repenser mon envie de lui faire rencontrer mes amis à moi car si d’aventure il part dans la provocation sans égard pour moi, je me demande si je pourrais être assez magnanime pour accepter cette marque de non-considération, surtout que je sais que mes amis, eux, le seront.

Il est en dépression mais aussi – et cela ne va-t-il pas de pair ? – en rébellion. Contre tout, la moindre chose, aussi futile et insignifiante qu’elle puisse être. Une mutinerie à fleur de peau. Presque à chacune de ses respirations. Il met ça sur le dos de sa punk-attitude qu’il assume parfaitement, et qui devrait, selon lui, être la norme dans notre société, si tant est qu’une norme puisse sortir de l’anarchie.

Bref, je pense plutôt que c’est l’expression d’un mal-être qui le ronge depuis longtemps et qui a explosé récemment sous les coups de boutoir du burn-out qu’il a subi, après des années de frustration et de non-reconnaissance à essayer d’être ce qu’il n’était pas.

Alors, même si moi le bon petit soldat qui obéit en se foutant de tout, j’ai pu trouver son insurrection quelque peu rafraîchissante, j’ai eu tôt fait de ressentir l’inadéquation de son envie de révolution.

–  Les gens sont cons, de vrais moutons bien au chaud dans leur cocon de convenance.

–  Chacun fait comme il peut, je pense, avec ses failles et ses manquements. Qu’est-ce qui t’exonère du jugement que tu leur portes ?

–  Rien ! C’est juste que cette société m’insupporte au plus haut point.

–  Mais tu y vis et à moins d’être ermite au fin fond du trou du cul du monde, et encore ! tu ne peux t’affranchir de toutes les règles ni n’avoir aucune obligation ! Tes enfants, déjà. Ou comme tu disais, monter un bar où la règle serait qu’il n’y en aurait aucune comme dans le film Coyote Ugly, tu es bien obligé de te plier à certaines contraintes et d’accepter des lois et des régulations-muselières sinon, tu ne peux même pas ouvrir ! Et je ne te parle même pas de la responsabilité d’être patron avec des salariés à gérer !

–  Je peux choisir les règles auxquelles j’accepte de me soumettre…

–  A la carte, quoi. C’est un peu facile et somme toute, assez banal. Comme tout le monde. Ironique, tu ne trouves pas ?…

Individualistes, égocentrées aussi, toutes ses idées de plan de vie, ses projets plus ou moins plausibles, ses aspirations, ses lubies car presque jamais son équation ne comporte un semblant de ‘nous’. C’est surtout son extrême versatilité qui est déstabilisante et qui, de par le fait, exclue toute possibilité pour moi de m’inscrire auprès de lui de façon concrète :

« Je pourrais acheter un gîte à la campagne que tu m’aiderais à tenir ? J’ai toujours voulu tenir un bar musical avec mon pote, à Paris intra-muros parce qu’ailleurs, c’est pas viable… Ou je repique à l’armée, on me propose d’ailleurs plein de missions en ce moment… Ou je plaque tout et je vais me terrer aux confins du monde avec mes bouquins, je me mettrai à écrire sérieusement, je ferai pousser mes tomates et j’élèverai des poules… Ou je ré-ouvre une boîte de pilotage de drones, le marché est très porteur… Ou je peux m’associer avec un autre pote dans sa boîte… Ou viens, on se casse aux Etats-Unis et on rentre quand on le décide, si on le décide… »

Moi, j’ai essayé d’envisager concrètement la faisabilité de chacune de ses hypothèses, celles tout du moins dans lesquelles j’aurais pu m’insérer. Un gîte, pourquoi pas ? Bon, faut pas que je prenne un boulot sur Paris, quoi… Les States, bah pas tout de suite, avec le covid… Un bar d’associés avec moi à la gestion administrative ? Mouais, chépa trop, la restauration pour moi…

Bref, l’effet de girouette m’a vite donné le tournis. Mais comprenant la grande précocité de la survenue de ce concept du ‘nous’ en l’état actuel des choses et ayant le même brainstorming avec moi-même avec tout l’éclectisme incohérent de ma récente et toujours présente remise en question, je ne lui en ai pas tenu rigueur. Pas au début, en tout cas.

Car avoir en face de soi quelqu’un qui oblitère, même si inconsciemment, la possibilité de l’autre dans son avenir et qui exhorte cet autre à faire de même, cela finit par rabrouer pour de bon. Surtout à ce moment si spécial après la rencontre où l’on balbutie à deux, où l’on cherche les premières compatibilités, les premières briques pour un éventuel édifice en commun.

Ses errements sont légitimes et justifiés et il aurait pu encore virevolter tout son soûl jusqu’à ce que je lui demande d’atterrir un peu car trop désarçonnée par son inconstant verbiage. Il m’a répondu :

–  Je réfléchis à voix haute, en fait. Je lance des idées comme ça contre le mur et j’attends de voir laquelle va rebondir. Comme toi, non ?

–  Non, chez moi ça mouline en interne avec tous les éléments que je collecte en espérant que quelque chose fasse jour. Mais pour en revenir à toi, partir bientôt en mission pendant 4 mois, c’est dans ton champ des possibles ?

–  Oui, pourquoi pas.

–  Je comprends mais dans ce cas, je n’irai pas plus loin avec toi. Je viens de me débarrasser du plus gros fantôme de ma vie, ce n’est pas pour m’en retaper un autre.

–  Pourquoi, si on est un ensemble ? 4 mois ce n’est rien !

–  Si on a déjà une histoire solide derrière nous, c’est vrai. Mais là, on n’a rien. En 4 mois, moi j’aurais déjà vécu 4 vies, je ne peux pas t’attendre, c’est au-dessus de mes forces.

Il s’est retrouvé quelque peu abasourdi par ma déclaration en coup de fouet. Je peux comprendre, après tout le mutisme dont j’ai fait preuve ces derniers temps – je pense que j’étais en gestation en pleine collecte de données – ma première restitution s’étant faite du tac-au-tac, brut de pomme, sans filtre, ce n’est jamais agréable de se prendre une claque.

Et cela ne s’est pas arrêté là. C’était juste le premier brin de l’écheveau que j’ai donc commencé à dérouler frénétiquement. Ah ça, ma lenteur émotionnelle s’est bien faite la malle pour laisser la place à une réactivité épidermique dont je conçois, pour tout interlocuteur, qu’elle soit difficile à appréhender. Je ne sais pas si j’ai gagné au change, du coup.

Bref. Cette dissonance, ce truc qui cloche n’a fait que grandir au fur et à mesure que la semaine passait. Avec comme point de départ, sa non-reconnaissance du gigantesque pas en avant que j’avais fait en ‘rompant’ définitivement avec Walter. Plus tard, il m’a avoué que c’était pour se protéger. Mais se protéger de quoi ? Je pense plutôt que cela lui a mis la pression et sachant qu’il n’avait rien de cette importance à m’offrir en retour, cela l’a fait flipper.

Puis, nous sommes bien allés voir les amis que l’on avait à l’époque, lui et moi. Un grand moment où l’on s’est tous remémoré les bons vieux souvenirs. J’étais sincèrement heureuse de les revoir et de partager cette immersion 23 ans en arrière mais un peu sur la réserve quand même car, après 8 mois de confinement et presque 4 ans d’emprisonnement, je dois avouer que mon relationnel en a pris un sacré coup. Et peut-être parce que je suis fondamentalement comme ça, aujourd’hui.

D’ailleurs, un de ces amis l’a souligné sans ambages, ne faisant qu’appuyer ce que Bradley n’a pas manqué de me dire dès que l’on s’est revus, puis plus instamment par la suite : « Je t’ai connue plus joyeuse, plus pétillante, plus solaire, tu es un peu éteinte, c’est dommage… »

Ah bah oui, on ne peut pas morfler comme j’ai morflé avec de plus une maladie incurable aux fesses et une mère qui décède il n’y a pas deux mois sans en être affecté, sorry ! Bref, Bradley l’a bien compris même s’il m’a avoué avoir hâte de retrouver celle dont il était éperdument amoureux il y a 23 ans… Avait-il besoin que ceux qui m’ont connue à l’époque lui confirment le fait que je ne sois plus la même pour éviter d’espérer ?

Il a tenu ensuite à me montrer son appartement, à m’amener dans son antre. Devant mon manque flagrant d’enthousiasme une fois sur place, il s’est retranché, tout à sa déception, derrière un gros nuage bien gris qui m’a poussée à me justifier… en lui mentant. Je lui ai dit que je ressentais ces lieux comme un lieu de transit plein de courants d’air et en même temps comme une voie de garage statique qui n’invitait pas à la détente ni au confort.

Lui qui était content comme un gosse de me montrer ses jouets et qui souhaitait que je puisse mettre un visuel désormais lorsqu’il me dirait au téléphone « Je vais me coucher ou je bois mon café sur ma terrasse », je peux comprendre son désappointement. Mais bon, valait mieux ça plutôt que je lui dise la vérité.

La vérité est que dès que j’ai posé le pied à l’intérieur, j’ai été saisie par une lame de froid, pas mordante mais suffisamment présente pour que j’en frissonne, un peu comme quand on pénètre dans un cellier souterrain. Et de l’entrée jusqu’à la fameuse terrasse, ce frisson désagréable ne m’a pas quittée. Il y avait quelque chose d’immobile et d’austère qui flottait dans l’air et en m’approchant d’un patchwork de photos au mur près de la télé, pile au centre de l’appartement, j’ai compris : il y avait bien en vue la photo de son ex. Un joli brin de fille, cela dit. Une très belle photo aussi. Qui disait tout.

« Oui, je n’ai pas enlevé sa photo, je ne sais pas pourquoi. » Moi, si.

 

Et puis, nous sommes allés au cimetière sur la tombe de ma mère. J’y ai placé la plaque avec la photo comme j’avais dit que je le ferai, j’ai alors eu le sentiment d’avoir accompli ma mission, que maintenant elle pouvait reposer en paix et que moi aussi. Bradley était bien là. Mais en filigrane. Pas comme le tuteur, le garde-fou à mes débordements que j’avais souhaité qu’il soit. Il était là pour lui, pas vraiment pour moi. Je pense qu’il était sincèrement ému devant la tombe de mes parents qu’il a vraiment aimés et donc, il s’est préoccupé de son propre chagrin plus que du mien.

Encore une fois, la preuve de son égocentrisme. Je me suis alors dit que j’avais fait une erreur en lui demandant de m’accompagner. Que c’était inapproprié en l’état actuel de notre relation. Que j’aurais dû faire cette démarche seule, au final. Et cela a empiré lorsque nous nous sommes dirigés vers chez Toto.

–  Ah oui, c’est vrai, j’avais zappé ! Tu sais, je le fais pour toi car ça ne me dit rien du tout ! Si j’avais eu ma voiture, je serais reparti ! 

–  Bah désolée mais je t’ai dit que j’avais besoin de le voir.

–  Je sais, mais sache que cela me coûte.

Ça m’a blessée. Et conforter dans mon idée d’une grossière erreur de ma part à son sujet. Plus tard, il m’avouera qu’en fait, il avait redouté le jugement de Toto sur lui et que cela lui avait fait mal de constater qu’il n’aurait jamais lui la vie que mon frère a, c’est-à-dire 20 ans de vie commune avec la femme qu’il aime et ses enfants auprès de lui.

Et même si au final, lui comme moi avons passé une bonne soirée, moi pour avoir vu mon frère souriant et quelque peu requinqué et lui pour ne pas s’être senti comme un intrus, accueilli à bras ouverts par des gens qu’il pensait inhospitaliers, je n’ai pu m’empêcher de me sentir bien seule ce soir-là.

Incapable de penser à quelqu’un d’autre que lui-même. Tout se ramène à lui. Il m’avait prévenue. Mais n’est-ce vraiment qu’une phase passagère qui va s’estomper avec le temps ?… Alors, sur la route du retour tard dans la soirée, pour éviter de trop y penser, j’ai mis Five Finger Death Punch à fond en lui disant de se boucher les oreilles si ça ne lui plaisait pas et on a roulé comme ça un long moment. Et aux abords de Paris, il m’a lancé soudainement :

« Je sais, ce n’était pas prévu et tu as horreur de ça mais si on dormait chez moi ce soir ? Ça m’éviterait un aller-retour demain matin pour aller voir ma sophro… »

Oui, c’est vrai, je ne découche que très rarement, auquel cas je planifie bien à l’avance. Ça s’est mis donc à cogiter dans tous les sens dans ma tête mais je suis parvenue à me faire violence en acceptant. Allez, je n’allais pas en mourir et même si je ne savais pas si cela allait bien se passer, c’était tout de même une preuve que je pouvais changer.

Sur place, j’ai été néanmoins prise d’angoisse à l’idée de ne pas dormir de la nuit car je n’avais pas mon somnifère. De m’imaginer tourner en rond comme un lion en cage pendant des heures dans cet appartement où je n’avais pas ma place, cela m’a terrifiée. Alors, j’ai improvisé. Je l’ai offusqué d’ailleurs en avalant cul-sec la rasade de Diplomatico qu’il m’a servie à ma demande, et j’ai enchaîné jusqu’à ce que je me sente glisser dans une douce torpeur.

Mais cela a eu un autre effet des plus inattendus : l’amazone qui dormait en moi depuis bien longtemps s’est tout d’un coup réveillée et nous avons passé une nuit, on va dire, endiablée… Enfin, selon lui car moi le lendemain, bien sûr, je ne m’en suis pas souvenue.

Toujours selon lui, l’alcool a aussi permis de délier nos langues et nous avons pu nous livrer à cœur ouvert. Avouant nos sentiments réciproques. Parlant même d’amour… Le pauvre ! Il a eu l’air bien légitimement consterné devant mon trou de mémoire, j’avoue que je n’étais pas fière sur le moment.

Puis, j’ai décidé de l’accompagner à sa séance de sophro aka Nénette chez qui je comptais bien lézarder en attendant. Car de faire le pied de grue dans cet appartement m’est apparu insupportable. Surtout s’il lui prenait l’envie, comme souvent, de prendre tout son temps… Bref, Nénette a éclaté de rire en nous voyant arriver tous les deux et la séance de sophro s’est transformée immédiatement en retrouvailles de copains de type revival 20 ans après.

Bradley me dira un peu plus tard que c’était un peu dommage car il avait plein de trucs à dire pour sa séance… Ah bon ? Bref, on a décidé tous les trois d’aller manger en ville et Nénette, profitant d’être seule avec moi l’espace d’un instant, m’a glissé, goguenarde :

–  Alors, heureuse ?

–  Chépa.

–  T’es bien ou pas ?

–  Chépa. Je vis sur l’instant.

–  Et ?

–  Bah chépa.

–  T’es nulle. Bah moi, je suis contente pour vous deux.

Et tandis qu’un gros nuage est venu obturer le soleil, nous faisant reconsidérer notre déjeuner en terrasse, je me suis rendu compte que ma réponse préférée n’était pas due aux vapeurs de l’alcool de la veille ni à la complexité de mon bordel intérieur trop long à expliquer en si peu de temps mais parce que je ne savais réellement pas.

Très étrange ce vide que j’ai ressenti, ce silence, cette absence de réponses, aussi ténues soient-elle. J’ai alors repensé aux visions que j’ai eues juste après la première nuit passée avec Bradley. Elles sont effectivement bien venues à la vie mais elles ne m’ont pas apporté de signification supplémentaire. Et depuis, plus rien. D’où le chépa.

Jusqu’à ce qu’un peu plus tard dans la journée, tandis que l’on rentrait enfin chez moi, l’éventualité d’un retour à l’armée est revenue dans la discussion et les mots sont alors sortis tout seuls de ma bouche. Sûrs d’eux-mêmes et sans équivoque.

–  Prends ce que je te dis pour une donnée paramétrique. Si cela peut t’aider à y voir plus clair.

–  Euh… Je prends note, okay. J’avoue que je ne m’y attendais pas.

–  Toi comme moi n’avons plus le temps de perdre notre temps.

Nous sommes donc rentrés dans une atmosphère un peu tendue. Une fois chez moi, je me suis précipitée pour constituer une trousse de survie en cas d’un futur découchage intempestif – on ne me la refera pas, celle-là – et nous nous sommes préparés pour rejoindre d’autres amis à lui à l’autre bout de la pampa parisienne, y aller tôt histoire de ne pas rentrer trop tard à cause du couvre-feu à minuit… Soirée qu’il a tenté d’annuler car pris d’une grosse flemme et d’une envie aigüe de grottisme mais bon, il a réussi à se motiver in extremis.

Et ce n’est qu’en rentrant, sobre comme un chameau et déterminée comme une fouine, après l’avoir rejoint au lit et l’avoir forcé à abaisser son bouquin dans lequel il s’était plongé sitôt revenu, que j’ai repris notre conversation de l’après-midi.

–  Tu m’as demandé d’être honnête et franche. Alors, y a un truc qui me chiffonne. Plusieurs, en fait.

–  Attends, tu as pris ton somnifère ?

–  Oui mais il ne va pas faire effet tout de suite et j’ai pas envie de tourner en rond dans le salon en attendant.

–  D’accord, je t’écoute.

–  Y a un truc qui cloche, qui sonne creux. Depuis le début de la semaine, j’ai l’impression qu’on joue au petit couple bien installé, il manque la folie.

–  Je ne pensais pas qu’on ‘jouait’.

–  Façon de parler. Ce sont les débuts, on devrait être fous, hors de toute réalité, on devrait être l’un sur l’autre, à s’apprendre, à se découvrir, à rêver et fabuler… Là, chacun vaque à ses occupations dans son coin, si tant est qu’il y ait des coins dans un appartement aussi petit, occupations te concernant qui se résument à la lecture de tes bouquins et des centaines de notifications sur ton portable, sans moi donc. On va se coucher en pyjama, on regarde la télé, on papote de choses et d’autres, bref, on est comme un petit couple qui a déjà des heures de route au compteur, quoi.

–  Et ça t’emmerde ?

–  Je crois oui. Je n’y trouve pas de sens. En tout cas, pas maintenant. Et il n’y a pas que ça…

Mais je n’ai pas pu aller plus avant, mon somnifère m’a assommée d’un coup. Je pensais avoir plus de temps. Bref, la nuit a passé, je me suis réveillée tôt, j’ai profité du fait qu’il dormait encore pour faire mon petit tintouin et puis, il s’est levé. Moment de gêne assez palpable entre nous. On a déjeuné puis il m’a demandé si ça me dérangeait qu’il prenne un peu de temps pour lire. Je lui ai répondu que oui et j’ai enchaîné.

–  Je suis désolée pour hier soir, là, je suis à jeun de tout et j’ai la pleine conscience de mes paroles. Je sais que cela a mis un temps infini pour sortir, désolée aussi de ça, mais maintenant, c’est là.

–  Tu passes ton temps à t’excuser.

–  Bah oui, tu m’as demandé le respect donc chez moi, ça passe par des excuses quand elles sont requises.

–  D’accord, merci. Vas-y.

Et donc, je lui ai tout déballé, tout ce qui clochait selon moi, tout ce qui ne trouvait pas de sens à mes yeux et qui commençait à m’étouffer. Sa dépression, sa versatilité, ses absences, son égocentrisme, ses blessures anciennes et récentes…

–  Et je m’excuse, oui encore, pour ne pas t’avoir donné matière à arrêter ta dérive, de t’avoir perdu plus encore avec mes chépa à répétition. Je ne sais pas trop pourquoi je te livre tout ça, en fait, car je n’ai pas de but précis, si ce n’est de faire sortir tout ça avant que cela ne pourrisse au fond de moi et qu’on en arrive à un jeu de dupes. Je sais que ça fait beaucoup d’un coup à avaler, navrée de ne pas savoir comment doser le flux mais c’est comme un barrage qui cède.

–  Tu es authentique et c’est bien que l’on ait cette conversation.

Puis, on en est venus à parler de la conception étrange et fantasque qu’il se fait du couple. Rien que ce mot le fait tiquer car il n’est, selon lui, approprié que lorsqu’on parle de perruches. Lui parle d’un ensemble, de deux entités qui choisissent de passer certains moments ensemble et non pas qui le subissent. Il parle d’une relation ultime et entière, sublimée, magnifiée où deux êtres s’assemblent et se lient par leur seule envie et non pas par un bout de papier, ou un titre de propriété, ou même des enfants.

C’est beau, c’est divinement puissant comme concept mais cela ne reste qu’un concept, justement. La réalité est toute autre et même si l’on doit tendre vers cette perfection, cet idéal, nier le pragmatisme de la vie et rester dans l’abstrait, c’est se mettre la tête dans le sable.

Je pense que sa dernière relation se passait comme ça, chacun chez soi mais une semaine sur deux chez elle. A ne faire aucun projet ensemble autre que des vacances et des sorties. Malgré que lui ait souhaité à un moment s’engager plus loin avec elle.

Il n’a rien vu venir, la rupture a été abrupte, sans avertissement et ça l’a complètement anéanti. Il ne l’a pas comprise car basée selon lui sur rien de tangible : elle ne l’aimait plus suffisamment pour envisager son avenir avec lui. Et pourtant, c’est bien la seule chose contre laquelle il est inutile de lutter.

Bref, je pense qu’il vit ce qu’il nous arrive comme une extension de sa dernière relation. Pas tout-à-fait conscient qu’il devait combler le vide à tout prix, pour lui j’étais le parfait substitut qui tombait à point nommé. J’ai de plus, selon lui, plein de points en commun avec elle…

Ça a semblé faire sens tout à coup chez lui. D’où c’est peut-être trop tôt car il n’a pas eu le temps de se résigner, de faire son deuil et bien sûr de tourner la page. Et de fil en aiguille, il s’est rendu compte aussi que c’était peut-être trop tard car celle que j’étais il y a 23 ans n’existe plus, et même s’il dit vouloir apprendre à connaître celle que je suis devenue, il regrette énormément celle d’avant.

Trop tôt et trop tard, ce qu’on a pris pour le bon timing était juste le plus inconfortable de tous. Et le plus stérile.

D’où mon retour illico presto dans ma coquille. Je ne vais pas me mentir, j’ai mal. Mais je vais lui mentir à lui, je n’ai pas le choix. C’est même automatique. Même si je sais que sa clairvoyance à mon sujet est toujours là, je ne peux que lui répondre « Je ne sais pas » quand il me demande ce que je ressentirais si tout s’arrêtait entre nous là maintenant.

Je ne peux m’empêcher de redouter les heures, les jours prochains. C’est devenu tellement singulier entre nous. Lui et moi à nouveau dans nos coquilles respectives mais derrière la porte à guetter le moindre signe de l’autre. On sait que l’on doit, lui comme moi, ouvrir la porte et faire un pas en avant – a leap forward, a leap of faith – ensemble. Sinon, ça ne sert à rien.

En aura-t-on la volonté ?

Moi, la reine des bulots, la championne du tout ou rien, l’handicapée des émotions, je me demande vraiment si je dispose du bon patrimoine génétique pour réagir et interagir comme un être humain. Je cherche partout en moi en quête d’un signe, d’un indice, d’un présage quelconque, même d’un soupçon d’espoir dans ce vide sidéral qui ne peut que résonner du bruit de mon farfouillage.

Mon regard se perd quelques secondes sur un rayon de soleil venu illuminer le salon et soudain, je me cristallise. La lumière me transperce de part en part et dépose au creux de mon plexus solaire une image d’une puissance qui n’a d’égal que sa fugacité.

–  Où es-tu partie ? Tu as eu une vision ?

–  Je nous ai vus tous les deux riant aux éclats dans la cour de l’immeuble dans lequel nous habitions il y a 23 ans…

–  Réminiscence ou prémonition ?

–  Je ne saurais dire.

–  Qu’as-tu ressenti ?

–  J’étais… rassérénée.

–  Prémonition, alors.

Et soudain, je comprends. Je LE comprends. Tout s’emboîte dans ma tête. Alors, je me mets à dérouler mon ressenti à haute voix.

Lui et moi sommes capables d’avoir des moments de communion plénière d’une intensité incroyable, une communion tant spirituelle que charnelle et l’instant d’après, il se téléporte dans une autre galaxie aux confins de l’univers où rien, certainement pas moi, ne peut l’atteindre. Et où bien sûr, les communications ne passent pas. Il est ce que j’ai appelé ‘Of Ice and Fire’. Quel dommage qu’il n’ait pas vu Game Of Thrones, il aurait adoré Drogon

J’arrive à reconnaître ses départs imminents pour le no-man’s land de ses errements : son regard s’assombrit, un nuage squatte son front, sa mâchoire se crispe et sa voix devient lointaine. Je me souviens qu’il était déjà comme ça il y a 23 ans. D’ailleurs, je crois que c’est cela qui nous a fait nous déchirer. J’avais alors de plus en plus souvent en face de moi quelqu’un qui n’était plus là, qui partait au loin combattre des démons internes en me claquant la porte au nez.

Et plus il dérivait, plus je devenais agressive car laissée à patauger dans l’incompréhension la plus totale. Moi la solaire, je ne comprenais plus rien au lunaire qu’il était devenu. J’avais l’impression de perdre chaque jour un peu plus l’homme que j’avais aimé et épousé.

Ainsi, déjà à l’époque, il se posait une tonne de questions sur lui-même. D’où sa quête incessante de réponses partout où il croyait pouvoir en glaner. Rejeté par sa mère puis par son père, il s’est construit comme un orphelin en colère contre la terre entière avec le désir ardent même si inconscient de prouver qu’il était quelqu’un malgré tout.

Si moi aussi j’ai grandi avec cette même colère au fond de mes tripes, j’ai choisi de n’avoir besoin de personne puisqu’on n’avait pas eu besoin de moi. Lui, il n’a eu de cesse de trouver une famille de substitution pour avoir enfin sa place au sein d’un tout. Il a eu et a toujours ce besoin d’appartenance, de juste valeur dans un ensemble, une cohérence.

Pour savoir qui il était. Quel homme il devait être. Puisque la seule valeur qu’on lui ait apprise jusqu’à lors était qu’il ne valait rien, qu’il n’était pas digne d’être aimé et que c’est pour cela qu’on le rejetait. Je lui avais dit à l’époque qu’il ne pouvait porter les failles des autres comme étant les siennes toute sa vie, qu’il devait investiguer pour comprendre et pouvoir faire la paix au fond de lui.

Le père, son père et tous les pères spirituels qu’il a pu rencontrer dans sa vie ont toujours tenu une place prépondérante en lui. D’une certaine façon, c’est grâce à eux qu’il est devenu l’homme qu’il est aujourd’hui avec des valeurs bien ancrées en lui comme l’honneur et la noblesse d’âme.

Autant il a pu faire la paix avec son père, autant faire de même avec sa mère s’est vite avéré être une cause perdue. Et cela a laissé une empreinte indélébile dont lui-même n’a pas conscience. Pour lui, elle l’a rejeté car elle ne l’aimait plus, il n’était plus ‘digne’ de son amour. Comme si un enfant pouvait être indigne d’être aimé ! Ce n’est pas lui qui avait un problème, c’est elle.

Bref, inconsciemment, il a fait en sorte à un moment donné de ne plus mériter l’amour des trois femmes de sa vie : moi, sa deuxième épouse et sa dernière compagne qui avons toutes les trois capitulé. Avec chacune des trois, un amour fou suivi d’une descente aux enfers. Un schéma qu’il a reproduit encore et encore sans en avoir conscience.

On ne reproduit ce genre de schémas que dans l’espoir de les maîtriser un jour. Car on s’est senti impuissant à un moment de sa vie, on n’a pu que subir, on a été victime alors on se remet en situation encore et encore jusqu’à ce qu’on puisse prendre le contrôle, en général en devenant le bourreau.

« Il est temps peut-être de dire stop, ni victime, ni bourreau, ce n’est pas ce que tu veux, ce que tu es, tu peux aimer et être aimé en retour sans qu’on ne te fasse défaut, sans que tu ne TE fasses défaut… »

 

Mes mots semblent le percuter de plein fouet. Il a ce regard un peu halluciné comme lorsqu’on vient d’accuser la rage dévastatrice d’une tornade. Je pourrais m’arrêter là mais je sens que quelque chose s’opère en moi. Un changement en profondeur. Les morceaux se rapprochent les uns des autres et commencent à fusionner dans un magma de lumière flamboyante, je me mets à vibrer de toutes les fibres de mon être et les choses m’apparaissent alors dans une clarté absolue. J’ai ce qu’on appelle une transcendance.

Darkness can not come out of darkness. Only light can.

Je regarde Bradley, je plonge en lui, je suis en lui, je vois l’ombre qui l’étreint, les nuages lourds de pluie et les amas de pierres silencieuses. Une lumière clignote au fond d’un puits, un peu comme une ampoule sur le point de s’éteindre.

Je sens alors une boule d’énergie se former en moi, une aura pure et puissante qui commence à m’irradier de partout, je sais à ce moment-là que je n’ai d’autre choix que de projeter cette énergie sur lui, de lui déverser ma lumière pour vaincre ses ténèbres. Ce que je ressens ne provoque pas le chaos en moi, au contraire, je suis d’une sérénité absolue, je sais exactement où je suis, qui je suis et ce que je dois faire. Je crois que j’ai atteint un niveau de conscience si élevé que je peux percevoir l’essence de chaque chose comme si cela faisait partie de moi.

Je viens de comprendre enfin ce que je devais faire de mon don d’empathie.

Doubt is part of life. Darkness is for a reason. A reason to invent the light bulb.

Je suis une révélatrice de lumière. Et maintenant que j’y pense, je me rends compte que ce n’est pas la première fois que ce concept apparaît dans ma vie. Auparavant, oui, on me l’a reporté à plusieurs reprises. Comme quoi je révélais en certains soit un don bien particulier, soit un chemin à suivre, soit une clé pour ouvrir une porte.

Je trouvais cela tellement incongru venant de moi qui ai passé la majeure partie de ma vie dans un labyrinthe sombre et tortueux à éviter le plus possible toute interaction humaine, que je n’y ai jamais vraiment prêté attention.

Je ne suis pas une guérisseuse, je ne peux pas extraire l’obscurité des gens, je ne peux qu’aller révéler au fond d’eux la lumière nécessaire pour combattre leurs ombres. Et dans de rares cas, je peux transmettre ma propre lumière.

Donc, c’est peut-être ça, j’ai été placée sur la route de Bradley dans ce but précis. D’où la dissonance de mon rôle auprès de lui, je ne suis peut-être pas celle qui peut le guérir par son amour mais par sa lumière ? Car clairement, je ne peux être juge et parti, je ne peux avoir le détachement nécessaire pour intervenir que si je n’ai pas d’enjeux personnels avec lui, sinon c’est corrompu.

Cette révélation semble lui faire sens en même temps qu’un énorme dilemme commence à s’édifier au fond de lui. Je le sens s’éloigner tandis qu’il est assailli de toutes parts, dans son regard passent successivement le désarroi, l’espoir, la peur et la confiance. C’en est trop pour lui.

Je reste plantée là dans le salon, soudainement vidée. Ma boule d’énergie a disparu dès qu’il a refermé la porte derrière lui. Je sais cependant que cela lui fera le plus grand bien de prendre l’air. Et à moi de me retrouver seule. Car je lui ai menti là aussi lorsqu’il m’a demandé plus tôt si je souhaitais qu’il parte.

Bref. Il revient une petite heure plus tard. Je peux sentir avant même de le voir qu’il a pris une décision, même si encore fragile et chancelante. Bien retranchée dans ma coquille blindée, je l’attends. J’ai eu le temps de fourbir mes armes.

« Je te veux toute entière. Ta tête, ton cœur, ton âme et ton corps. Je n’ai pas peur. »

Je lui réponds dans ma tête « You can’t have it all… »  mais je lui réponds en live dans une pirouette, non sans avoir mauvaise conscience de lui mentir effrontément : « C’est l’heure de l’apéro ! Et parlons d’autre chose ! Allez, et si on se faisait rire ? »

Une très bonne soirée, une très belle nuit. De la même qualité que notre toute première. Assez facile, finalement, de me dédoubler. D’être là sans être là.

Il est reparti hier en fin d’après-midi. Je me suis attelée immédiatement au ménage, j’ai fait des cigarettes devant ma série du moment, une séance mani-pedi et hop mon nouveau traitement à base de mélatonine dans le coco, je suis allée me coucher extraordinairement tôt.

Aucune nouvelle depuis. Je ne lui ai pas manqué la semaine où l’on ne s’est pas vu, il m’appelait quand il en avait envie. Là, avec tout ce que je lui ai asséné ce week-end, je peux comprendre qu’il n’ait pas envie, encore moins besoin d’entendre ma voix. Et moi, je ne le relancerai pas, je le laisse décanter tranquillement. S’il doit revenir, il reviendra.

 

Je suis plus que jamais dans ma chépattitude, bien que je sente se dessiner en moi des résolutions que j’avais oubliées. Mais j’ai avancé. J’ai même appris sur moi des choses dont je ne me croyais pas capable. Comme de découcher à l’improviste, d’être capable de l’improviste tout court sans que j’en fasse un coucou suisse aux répercussions psychotiques irréversibles. Ça paraît débilement anodin mais cela ne l’est pas.

J’ai aussi et surtout trouvé ENFIN un sens à mon don. C’est devenu quelque chose que je comprends et dont je peux me servir concrètement. Et l’état nirvanesque dans lequel cela m’a plongée est définitivement une des plus belles expériences de toute ma vie. Je me savais messed-up, fucked-up, brisée, fragmentée, mais force est de constater que la cohérence qui fait jour en moi n’est pas le fruit du hasard.

Et j’ai trouvé la force pour enfin dire adieu à Walter. Est-ce que je regrette? Je ne crois pas, j’ai entendu une chanson à la radio qui m’aurait avant rendue très nostalgique mais qui là, ne m’a pas fait mal. Ça fait bizarre d’avancer sans plus aucune entrave.

Je ne peux cependant m’empêcher de relire ses textos qui n’ont fait que pleuvoir après celui de mes adieux. Et de repenser à il y a 7 ans lorsque j’ai fait la même.

  • ?
  • 🙁
  • OK
  • Je n’ai pas dit oublier mais regarder devant 😉 Comme tu voudras.
  • Je veux venir vers toi et tu recules ! Je souhaite simplement être avec toi, paisiblement.
  • ?
  • Je suis très triste, que t’arrive-t-il ?
  • Tu me rejettes, encore.
  • ………..

La finalité, c’est qu’il ne m’a pas appelée et qu’il est encore moins passé me voir à ce moment-là, me prouvant une ultime fois qu’il ne serait jamais là.

 

23.40. Tandis que je finis d’écrire ces mots, Bradley m’appelle. Il n’était pas parti très loin comme je l’aurais supposé. Je vais me coucher encore plus déboussolée qu’avant son appel. Déboussolée et sereine à la fois. C’est très étrange.

MON FRERE

I’ve been thinking about my mother lately
The person that she made me
The person I’ve become
And I’ve been trying not to fill all of this empty
But, fuck, I’m still so empty


And I could use some love
And I’ve been trying to find a reason to get up
Been trying to find a reason for this stuff
In my bedroom and my closet
The baggage in my heart is still so dark


If I could break my DNA to pieces
Get rid of all my demons
If I could cleanse my soul
Then I could fill the world with all my problems
But, shit, that wouldn’t solve them


So, I’m left here alone…

Toto m’a appelée, il va mal. Alors, je vais mal moi aussi.

 

Samedi 10 octobre 2020

Clairement, le job était trop dur pour ma belle-sœur. Avec le décès de sa propre mère quelques mois plus tôt, j’aurais dû m’en douter. Du coup, je me sens bien nulle de lui avoir délégué lâchement ma responsabilité de grande sœur.

Toto s’est fait arrêter. Il a l’impression de devenir fou. Il a des pensées morbides, d’une noirceur qui le terrifie. Car jamais il n’a ressenti ça pour Maman. Il ne comprend pas, il s’en veut terriblement. Il s’ouvre à moi avec clarté et précision, ça me surprend, pour tout dire, je ne pensais pas qu’il avait en lui ce vocabulaire et la faculté de s’en servir.

–  Toto, je pense que le départ de Maman a fait ressurgir en toi ton abandon. Je sais, ça m’est arrivé. Mais comme toi tu as toujours nié cette partie de ton passé, elle t’éclate aujourd’hui en plein visage car plus personne ne peut répondre à tes questions.

–  C’est vrai. C’est Maman qui avait fait les démarches pour que je retrouve mes origines mais je n’ai jamais voulu. Peut-être que je lui en veux de ne pas m’avoir poussé plus fort ?

–  Je crois plutôt que tu fais un transfert avec ta mère biologique. Tu en veux à Maman d’être partie car elle t’a abandonné comme ta mère biologique.

Une conversation que je n’aurais jamais pensée possible.

Je me rends compte que lui aussi subit le contrecoup, quelque part ça me rassure parce que je commençais vraiment à croire que j’étais damnée avec mes cauchemars à répétition. Et l’on se rejoint en larmes sur le sentiment d’extrême abandon que l’on ressent. Cela ne nous a pas fait ça pour Papa il y a huit ans mais c’est parce qu’il y avait toujours Maman. Le départ de cette dernière nous laisse vraiment dans le dénuement le plus complet.

« Je n’ai plus que toi, ma sœur… »

Ça me bouleverse au plus profond de mes tripes. Lui et moi n’avons jamais été aussi proches, à croire que la douleur est le meilleur ciment qui soit. Il faudrait que je sois près de lui, que l’on ait un moment rien que pour nous deux, faire notre deuil ensemble. Même si j’ai peur que la digue que j’ai eu un mal de chien à construire ne cède et que je ne sois pas capable cette fois-ci de me relever.

Bref, je pensais que l’on aurait pu avoir ce moment, lui et moi, en allant sur la tombe pour mettre enfin la plaque avec la photo de Maman mais c’est au-dessus de ses forces, il ne peut pas y retourner, pas tout de suite en tout cas. Moi, j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose, qu’il y a un vide sur la tombe et ça m’empêche de faire la paix. Je sais que je dois y aller mais pas seule… Bradley a proposé de m’accompagner, c’est vrai, j’ai eu cette vision, je ne sais pas…

 

Les affaires de Maman ont commencé aussi à étouffer Toto. Alors, il m’a demandé s’il pouvait s’en débarrasser… Je lui demande un délai même si je comprends sa démarche. Mais je ne me sens pas prête. Les quelques trucs que j’ai gardées d’elle ont trouvé leur place chez moi, j’ai appris à vivre avec depuis qu’elle est partie à l’hôpital donc ils ne me font pas mal. J’ai gardé aussi tous ses papiers qu’il faudrait que je jette mais je ne m’y résous pas.

J’espère que Toto va pouvoir tenir encore un peu.

UNE SEMAINE HORS DU TEMPS

–  What if we started over from scratch, writing down on a white page?

–  I’ve never been that free in my life but yet I feel so lost! Believe me, I AM this white page. Hurry.

–  Should be back on Sunday. Hope to see you next week!

The next day, as I hadn’t replied, he came back at me with ”You don’t seem excited about it… “. True. Because he told me that like a hundred times before so no, I was not particularly enthusiastic. More of that, I was starting to feel that he was a shadow I should get rid of. A shadow that has been hovering over me all these years, keeping me hostage in a donjon, crippling me from the inside, smothering me, eventually killing me. So I tackled him and pushed him over the edge.

–  Do you still love me?

–  Yes

–  Deeply, madly?

–  Yes, yes, yes!

–  Deliriously, utterly?

–  I love you. And it makes me feel happy.

It was Sunday, September 27th 2020. And no word ever since. Disappeared once again.

 

Lundi 28 septembre 2020 – 17.12 # DENSIFICATION DE BORDEL

Je venais juste de finir d’écrire mon dernier post lorsque mon téléphone a sonné en affichant un numéro que je ne connaissais pas. Un peu machinalement, pensant que c’était peut-être un recruteur, j’ai répondu. J’ai reconnu la voix grave et chaude de Bradley presqu’instantanément. Sortie de nulle part, comme ça. Un bond gigantesque dans le passé en une fraction de seconde.

Nénette, après quelques hésitations, lui a bien donné mon numéro :

–  T’es sûre, Bichette ?

–  Oui, vas-y, donne-lui. Je sais que ça va amplifier mon bordel intérieur mais je ne suis plus à ça près. Et je ne crois pas aux coïncidences.

–  Lesquelles ?

–  Mes rêves en ce moment. Le fait que ce soit juste après ma séparation d’avec Bradley que j’ai rencontré Walter, lequel aujourd’hui m’apparaît comme une ombre dont il faut que je me débarrasse définitivement et qu’au même moment, Bradley souhaite me revoir.

La conversation aurait pu être crispée, normal, mais elle s’est engagée avec souplesse, naturellement. Presque comme si l’on ne s’était pas quittés. Quand il me l’a fait remarquer, j’ai eu un temps d’arrêt. Cette évidence, la première d’une longue série, m’a littéralement sidérée.

Mais bien ancrée dans ma chépattitude, qui plus est avec la tempête que je sentais poindre en moi au fur et à mesure de notre conversation, je n’ai pu lui donner une réponse claire quand il a demandé à me voir. Et automatiquement, j’ai sorti tous les pièges à loups et les mines anti-personnel que j’avais en magasin pour tenter de le dissuader :

« Tu n’as pas idée à quel point je suis fucked-up, à quel point ma compagnie en ce moment est tout sauf agréable ! 7 mois que je suis confinée avec moi-même, 7 mois de réclusion coupée du monde des vivants, je ne sais absolument plus comment me comporter avec un autre être humain et donc, il y a de forts risques que je fasse de la merde ! »

Mais avec force détermination et une infinie patience, il est parvenu à m’arracher un embryon de rendez-vous : demain à midi sur l’esplanade à côté de chez moi.

 

Mercredi 30 septembre 2020 – 18.03 # STRIKE DANS MON BOWLING

Bradley vient de repartir. On a passé 30 heures ensemble. Dont les 18 premières à parler, parler, parler. Ses larmes lorsqu’il m’a demandé de lui pardonner d’être parti il y a 20 ans. Il avait un besoin impérieux de s’excuser auprès de moi. Sur le moment, j’ai trouvé cela un peu exagéré, hors de propos, on va dire, je ne voyais pas pourquoi c’était si important pour lui. D’ailleurs, je me suis excusée, moi, pour celle que j’ai été lors de notre séparation. Voilà, la boucle aurait pu être bouclée mais…

Mais on a glissé. L’un comme l’autre, l’un vers l’autre. On savait parfaitement que c’était ouvrir une porte sur l’inconnu le plus total mais, aussi déstabilisant que cela ait pu nous sembler, on s’est laissés happer dans cette autre dimension comme deux papillons de nuit dans la lumière d’un néon.

Quand le jour est arrivé, l’aura surréaliste qui nous avait enveloppés la nuit aurait pu se désintégrer dans la lumière et céder le pas à la réalité crue du matin mais bien au contraire, elle s’est amplifiée et c’est là que j’ai eu une vision, plusieurs en fait, tandis que l’on partageait une tasse de café.

Nimbés d’une lumière fauve, chaude et vibrante, je nous ai vus en Normandie, enlacés dans cette petite chambre que j’aime tant dans le Bed & Breakfast de Miles et Joan, je nous ai vus en larmes devant la tombe de Maman puis à table chez Toto. C’était fort et sans équivoque pour moi : il y avait bien un lendemain à nous deux.

Je me suis dit alors que je me devais d’être honnête avec lui. J’ai donc voulu lui raconter Walter. Mais auparavant, j’ai tenu à savoir où il se situait par rapport aux dernières 24 heures que l’on venait de passer ensemble. S’il m’avait dit « Bon, cela m’a fait plaisir de te revoir, j’ai fait mon acte de contrition, ma boucle est bouclée, ciao » – ce que j’aurais pu parfaitement comprendre – bah cela n’aurait pas été la peine de lui dire quoique ce soit, en fait.

Mais il m’a dit ça : « Ça a toujours été toi. Je n’ai jamais cessé de t’aimer. Je ne sais pas grand-chose de ma vie en ce moment, comme toi, je suis en pleine remise en question mais je sais une chose : je te veux dans ma vie. J’irais même plus loin : le mariage, les enfants, la maison, le chien dans le jardin, ce n’est plus mon truc mais avec toi, si. »

C’était énorme. Je n’ai pas réalisé sur le moment, trop angoissée par ce que j’avais à lui dire, d’autant plus lourd après tout ça. Un peu mal aussi de l’avoir débusqué, poussé dans ses retranchements comme ça. Bref, après un long moment d’hésitation, je me suis lancée. Avec au bout un bien ennuyeux ‘chépa’.

  • Si demain Walter t’appelle pour te dire qu’il est en bas de chez toi, qu’il est prêt et que c’est parti pour vous deux, tu lui ouvres ? 
  • Ça fait presque 20 ans que je l’attends ! Il est peut-être temps pour moi d’accepter qu’il est trop tard ? Chépa………………………………

Il m’a remerciée de mon honnêteté et m’a dit de prendre tout mon temps. Mais à cet instant précis, au fond de moi, je savais déjà. C’est juste que ma tendance à me mouvoir émotionnellement, proche de celle d’un diplodocus en béquilles, ne me permet pas de faire se rejoindre mon intuition et ma volonté en claquant des doigts. Et comme je n’en suis qu’aux prémices de ce tsunami et que la lame de fond à venir me terrifie, bah c’est vraiment, pour le coup, la mer à boire.

 

L’appartement est sens dessus dessous. Mais le Monk qui est en moi ne semble pas en prendre ombrage. Tout juste si je n’ai pas envie de tout laisser tel quel pour m’en occuper plus tard, mais bon… Alors, après un brin de ménage, j’appelle Nénette. Je l’entends exulter au téléphone.

–  Vas-y, raconte !!!

–  Bah voilà. Rupture de ma vie de nonne-ermite.

–  Et alors, comment tu te sens ?

–  Chépa.

–  Oh tu fais chier avec ça ! Comment c’était ? Qu’est-ce que vous vous êtes dit ? Vous allez vous revoir ?

–  Euh… oui ?

Et pendant ce débrief téléphonique dans les règles de l’art, j’entends des bips de double-appel et de sms que je consulte dès que je raccroche. Bradley.

Je me roule en boule sur la banquette. Je décante. J’essaye du moins car le bruit dans ma tête est assourdissant. J’arrive néanmoins à extraire quelques mots à la volée : strike dans mon bowling, chépa, bordel de merde, re-chépa, évidence, encore…

Je dessoûle aussi. Beaucoup d’alcool. Pas au point d’accuser ce dernier d’être l’instigateur à l’unilatéral de cette plongée émotionnelle et charnelle mais assez pour m’avoir faite traverser cette dernière dans un état second, à mi-chemin entre désinvolture et gravité.

Et je finis par m’endormir après presque 48 heures sans sommeil.

 

Jeudi 1er octobre 2020 – 21.07 # FOUILLES ARCHEOLOGIQUES

Châteauneuf-du-Pape. Comment a-t-il su que c’était un de mes vins préférés ?! Encore un truc à mettre sur le compte des nombreuses ‘coïncidences’ que l’on a pu relever, lui et moi, depuis lundi. Tant et si bien que je vais chercher les photos au fin fond de mon placard. Et cela nous projette 23 ans en arrière…

Il a des souvenirs d’une clarté incroyable. Je sens son émotion grandir tandis qu’on feuillette les pages de cet album que je n’ai jamais eu le cœur de jeter. On rit aussi, on s’horrifie quand on voit nos têtes de l’époque, moi c’est plutôt lorsque je constate mon absence absolue de goût en matière de décoration intérieure il y a 23 ans… Du grand n’importe quoi, à mon sens !

Mais lui, peu importe le chamarrage outrancier de la couleur des murs, les rideaux qui ressemblent aux nappes de ma mère et mes pathétiques tentatives de copier-coller Côté Ouest, il ne voit que notre ‘chez nous’ et a ces mots :

« C’était petit, c’était baroque mais on s’y sentait bien, c’était chez nous, quoi. »

Et au fur et à mesure que ma tête dodeline de façon dubitative en réponse à ses multiples ‘Tu te souviens ?’, je me rends compte avec effarement que non, je ne me souviens pas. Je ne me souviens de rien, pratiquement. Je fais des efforts, je plisse le front, je retourne ma mémoire dans tous les sens mais c’est le vide sidéral. Même les photos n’évoquent rien en moi. Je ne parviens même pas à me souvenir de ce que je ressentais, qui et comment j’étais, mon état d’esprit…

C’est comme si j’avais effacé avec une gomme les trois ans de notre histoire pour n’en garder que les contours grossiers et purement factuels. Alors oui, mes abus répétés de barbituriques en tout genre peuvent expliquer cette perte de mémoire, mais en partie seulement. Il doit y avoir autre chose…

Et soudain, cela m’apparaît dans une fulgurance qui me laisse sans voix. Plus tard, Nénette me dira qu’en fait, j’ai souffert d’un réel choc post-traumatique et cela viendra boucler ma boucle à moi : j’ai entamé ma descente dans l’enfer des cachetons quand il m’a quittée il y a vingt ans.

Je me souviens avoir supplié mon médecin pour qu’il me donne de quoi anesthésier un éléphant. Je ne voulais plus rien ressentir, ni douleur, ni espoir, je voulais chasser ces cauchemars horrifiques qui m’assaillaient même les yeux ouverts, je voulais me retirer jusqu’aux falaises de mon inconscient et rester comme ça, au bord du précipice, dans l’insondable silence de la mort…

Cliniquement vivante, morte à l’intérieur, fonctionnelle par la force des choses, je suis devenue un zombie.

Pourquoi ? Parce que j’ai assimilé le départ de Bradley à mon abandon quand j’étais bébé. Il était censé m’aimer inconditionnellement et éternellement puisqu’on s’était mariés, tout comme une mère est censée aimer son enfant. J’ai donc vécu notre séparation comme un deuxième abandon, non, j’ai revécu mon abandon en pleine conscience. De plein fouet. D’où cette cassure psychotique, ce choc traumatique dont j’ai porté les cicatrices tout au long de ces années, bien dissimulées derrière les épaisses brumes de mon psyché sous sédation.

Donc, comme je ne me souviens pas de lui il y a 23 ans, c’est comme si j’avais rencontré quelqu’un de nouveau. Je le trouve beau. J’aime celui qu’il est devenu. Un papa-poule divorcé fier de ses deux grands garçons qu’il élève en garde alternée sans l’ombre d’un ressentiment envers leur mère. Un homme d’une sensibilité à fleur de peau qui porte sur le monde un regard d’enfant empreint de mélancolie. Un homme qui assume chacun de ses mots, chacune de ses pensées. Un homme qui marche sur des œufs avec moi avec, paradoxalement, une absolue confiance en lui-même.

Un homme de convictions, authentique et droit dans ses bottes. Un homme qui s’est construit à la seule force de ses poignets. Un anticonformiste aussi, décalé, un peu anarchique, un rebelle dans l’âme mais qui a su trouver son chemin entre révolte et conventions avec une touche de glamour. Un punk en veste Azarro. J’aime bien, ça me permet de l’être moi aussi, punk.

Un homme qui a souffert. Mais juste assez pour connaître le goût de l’amertume sans que celle-ci ne le consume entièrement. Un homme qui se sert de sa douleur pour se remettre en question. En l’occurrence, la fin récente d’une histoire dans laquelle il était parvenu à se projeter.

Même s’il est parti en vrille avec burn-out et dépression, il a, à l’inverse de moi, refusé la réclusion émotionnelle à perpétuité. Quelque chose l’a poussé vers la prise de conscience nécessaire pour entamer son voyage de l’expiation salvatrice, et ce quelque chose, selon ses dires, c’était moi. D’où ses passages devant le restaurant pour m’apercevoir.

D’un seul coup, cela me paraît familier… La vague impression d’un déjà-vu… Ce qu’il me confirme. Il y a 23 ans, il était déjà amoureux de moi avant même que je ne pose les yeux sur lui et passait de longues heures à me regarder, caché derrière un arbre de l’autre côté de la rue où je travaillais…

Alors, on se replonge dans tous ces moments de l’avant-nous, les prémices de notre histoire qui pour le coup, sont bien plus vivaces pour moi que les souvenirs de notre histoire en elle-même. On redevient l’espace d’un instant ces deux gamins qui jouent à chiche-pas chiche et qui esquissent en riant des pas de danse sur le quai en attendant leur métro sous le regard désabusé des passants…

J’avoue, c’est délicieux.

Une nostalgie qui nous amène naturellement à parler de nos projets d’aujourd’hui, si tant est qu’on en ait. Lui aspire fortement à une retraite au fin fond de la campagne car marre du bruit, des gens, de la pollution, pourquoi pas acheter un gîte rural dans un trou paumé… un peu comme moi, quoi. C’est étrange, cette synchronisation de nos horloges vitales…

Bref, moi je lui parle de la Normandie, du projet de revival du Normandy Beach, je lui dis que j’y vais demain d’ailleurs, puis je lui parle du pub qui est à vendre à Arromanches, ce qui a l’air d’éveiller son intérêt. Alors, naturellement, je lui demande :

–  Do you want to come?

–  Why not but you’re going to work, right?

–  I am but I can manage to have some free time. So if you want to take a look at this pub, that could be the opportunity, don’t you think?

–  I meet you there.

Peut-être que je m’accroche à la vision que j’ai eue hier, je ne sais pas. Mais j’aime bien l’idée.

 

Vendredi 2 octobre 2020 – 23.18 # DEBARQUEMENT

J’ai pris la route à midi avec un Guronsan, deux Nurofen et un double café debout-les-morts dans le ventre. Parce que dormi une poignée d’heures. Avec Bradley. Que je m’en vais rejoindre juste devant le pub car il vient d’arriver.

C’est drôle de se donner rendez-vous à 300 bornes. J’aime bien les retrouvailles.

On s’installe à une table dans ce petit pub dans lequel je me rappelle n’avoir mis les pieds à l’intérieur qu’une seule fois il y a 30 ans. La dernière fois avec Miles et Joan, on était en terrasse devant. Bref, on commence à envisager l’affaire, on a à peu près les mêmes idées, comme de rallonger le bar et de virer les grandes tables qui ne servent à rien dans un environnement aussi étriqué. L’ambiance est simple, assez conviviale malgré le manque flagrant de clientèle.

Puis, tout bascule à la fermeture vers 1.00 heure du matin. Quelque chose se déploie dans l’atmosphère et ma gorge se noue. Je suis prise d’un frisson, d’un haut-le-cœur et je n’ai qu’une envie, c’est de sortir en courant. Et tandis que l’on franchit la porte, j’entends comme une sorte de cri strident qui me fait sursauter. La main sur la clenche, je me retourne mais non, apparemment c’est dans ma tête.

On remonte sous la pluie jusqu’au Normandy Beach, je hâte le pas, j’essaye de mettre de la distance mais j’ai l’impression que quelque chose me suit. J’ai le souffle coupé, les mains qui tremblent et je ne parviens pas à enlever cette sensation visqueuse et nauséabonde qui me recouvre de la tête aux pieds.

Bradley s’aperçoit de mon malaise. Je tente de lui expliquer ce que je ressens, je me dis qu’il va me prendre pour une tarée mais il me dit :

« Moi aussi j’ai senti quelque chose de malsain. Il y a de très mauvaises ondes là-bas. »

Et plus on en parle, plus ce sentiment de répugnance abjecte se colle à moi, comme s’il voulait entrer en moi. Ça faisait longtemps que cela ne m’était pas arrivé, c’est tout simplement horrible comme sensation. Et soudain, je percute.

J’ai fait un rêve la nuit dernière, un cauchemar prophétique à ce que cela semble être, c’est d’ailleurs lui qui m’a réveillée en sursaut et empêcher de me rendormir. Dans mon rêve, il y avait cette femme aux traits évanescents, sans substance ni couleur, qui venait me parler à la fin d’un meeting citoyen à l’hôtel de ville d’un petit village. Je me souviens qu’il y avait un filet de pêche avec ses flotteurs en verre sur un des murs de la salle et un lustre vieillot avec des lampes à abat-jours au plafond.

Cette femme s’approche de moi donc et commence à me parler de choses et d’autres sur une voix sans tonalité, puis elle me touche le bras et là, j’ai la sensation qu’elle m’enfonce un couteau dans le ventre et je peux voir dans ses yeux qu’elle jubile. Il ne se passe rien en fait mais j’ai la conviction intime que c’est une tueuse en série. Alors je hurle et je m’enfuis.

La tenancière de ce pub est une femme. La dernière fois, j’avais senti la concernant comme quelque chose qui la rongeait de l’intérieur, je la voyais ‘crippled inside’… J’avais d’ailleurs demandé à Miles et Joan si elle était malade, un cancer ou autre mais pas à leur connaissance. J’avais senti aussi d’autres trucs ce jour-là avec ses clients, un d’ailleurs dont j’ai ressenti les penchants pédophiles à un mètre de distance et sa compagne qui, par peur de le perdre, s’épilait de partout pour contenter ses inclinations perverses !

Bref, beurk et re-beurk. Bon, je ne suis pas en train de dire que la patronne du pub d’Arromanches est une serial-killer mais clairement, il est hors de question que je reprenne son pub, voire même que j’y remette les pieds un jour. Et Bradley, pareil. Il y a trop de mauvais dans cet endroit. Mon rêve m’a prévenue. Donc, ça c’est fait.

Je finis par m’endormir tard dans la nuit, gavée de somnifères pour ne plus rien ressentir. So much for the romantic night, if ever there was supposed to be one…

 

Samedi 3 octobre 2020 # MA TEMPÊTE

Avec la lumière du jour et une nuit pas si moche au final avec six heures de sommeil d’affilée, le sentiment malsain avec lequel j’ai sombré hier soir a presque disparu. Presque. Je sens bien qu’il n’est pas complètement parti mais il fait trop beau dehors pour m’y attarder une minute de plus.

Ils avaient prévu un temps d’apocalypse ce week-end ici… La pluie de la nuit a dû laver le ciel qui est au grand bleu avec un soleil radieux. Du coup, j’ai une envie irrépressible d’aller marcher sur la plage, sur MA plage. J’y invite Bradley qui lui avait prévu de lézarder au fin fond du lit pendant que j’aurais travaillé sur le projet avec Miles et Joan et nous voilà partis, presque main dans la main.

Et assis sur un bout de rocher à Saint-Côme, on se met à converser. Moi, surtout. Je regarde la mer au loin, cette plage qui est si chère à mon cœur et ce que je pressentais fait jour en moi. Je ne peux pas venir vivre ici.

Car ce que je viens chercher sur cette plage, ce sont des fragments, des bouffées de bonheur qui me renvoie à une partie de mon enfance ultra-heureuse et dont je me gorge pour recharger mes batteries. Si je vis ici à temps plein, à supposer que j’y trouve une raison autre que celle de mes souvenirs, j’ai peur de perdre ce temple au fond de moi. Sans parler que les gens d’ici sont de vraies têtes de cochon, peu sociables et encore moins enclins à accueillir une étrangère parisienne comme moi les bras ouverts. Pas sûr que je puisse trouver une petite place pour moi ici…

Bref, je dois garder ces lieux comme une terre de pèlerinage et c’est tout. Y revenir aussi souvent que possible mais ne pas chercher à m’y installer. Harry avait raison. A force de procéder par élimination, je devrais me sentir soulagée de n’avoir plus qu’une option, celle de rester sur Paris, je ne sais pas.

C’est donc passablement déboussolée que je décide de rentrer, surtout que les nuages se font de plus en plus menaçants et qu’un vent glacial s’est levé. Frigorifiés, on s’en va prendre un thé bien chaud sur une terrasse abritée en ville. Et on parle encore. On parle chacun notre tour en disant ‘Je’ comme deux potes qui se retrouvent au bistrot. Ni l’un ni l’autre ne dit ‘Nous’. Et ça commence à me faire tiquer.

–  La similitude de nos situations personnelles nous a fait nous rejoindre et on est repartis toi et moi en marchant dans la même direction mais chacun sur son chemin, côte à côte, en parallèle. Et donc j’ai l’impression que nos chemins respectifs peuvent à tout moment diverger et ne plus jamais se croiser…

–  Je ne pense pas comme toi. Regarde, tout à l’heure sur la plage, pour contourner le ruisseau, tu as lâché mon bras pour emprunter le chemin qui te semblait le meilleur et moi j’ai continué sur ma lancée. A aucun moment, on ne s’est quittés des yeux et on a fini par se rejoindre un peu plus loin. Et ça, c’est fantastique.

Il a le chic pour faire mouche parfaitement. Au fur et à mesure de notre conversation, je découvre son extrême perspicacité, son habileté redoutable à mettre le doigt exactement sur le nœud du sujet. Il lit en moi comme dans un livre ouvert, il me devance en prononçant les mots exacts que je m’apprête à dire et devine ce que je ne dis pas. Plus aucun recoin en moi où me cacher.

Je ne suis pas habituée à tant de clairvoyance à mon sujet. Je suis complètement déstabilisée. Ça me chamboule tellement que j’en étouffe. Alors, je m’enfuis. Je le plante là sur cette terrasse et je file me réfugier au bout de la rue, derrière les pots de fleurs, le cœur en chamade et les tempes au bord de l’implosion.

Je reste là un bon moment. J’oscille entre aller le retrouver ou m’enfuir encore plus loin. Il a l’intelligence de ne pas me harceler par téléphone, il a compris qu’il me fallait un peu de temps et d’espace pour me regrouper. Je finis par le rejoindre, même si, à l’instar de celle qui se forme au-dessus de nos têtes, je sens la tempête en moi loin d’être éteinte.

Miles et Joan doivent être sortis, il n’y a pas leur voiture dans la cour. Dommage, j’aurais bien eu besoin d’une diversion. Donc, on se retrouve dans le silence de notre petite chambre aux murs de pierre avec un malaise bien palpable entre nous.

Face à ses suppliques pour me faire dire ce que j’ai sur le cœur, ça ne fait qu’ourdir au fond de moi, ça enfle et me ravage sans parvenir à franchir la barrière de mes lèvres. Ça bute juste derrière dans un chaos d’une violence indescriptible. Je fais les cents pas, j’entrouvre la bouche mais aucun son ne sort, lui se sent de plus en plus mal, j’imagine qu’il est désemparé. Ça devient tellement insoutenable que je finis par craquer, j’éclate en sanglots.

« Je suis tellement perdue depuis que ma mère est partie ! Je me sens abandonnée, vulnérable, j’ai l’impression que je pars en lambeaux ! Et te revoir a fait remonter à la surface des choses que je n’étais pas prête à affronter, je suis désarmée. »

Il me prend alors dans ses bras et on reste comme ça un long moment. C’est étrange pour moi comme situation, tellement habituée que je suis à pleurer seule sans épaule pour me réconforter. Etrange mais finalement agréable. Ainsi, je finis par me calmer. Je me reprends et je m’excuse pour avoir fait ma drama-queen.

« Tu ne t’excuses de rien ! Là, tu as été authentique, vraie. C’est tout ce que je te demandais. Ne rendosse pas ta carapace, s’il te plaît, pas tout de suite… »

Mais moi, je ne sais pas comment faire autrement et tandis que j’aperçois Joan dans la cour, je tente une sortie dans une pirouette théâtrale : « Allez, hop, apéro-time ! »

Il décline. Il se dit vidé, à cours d’énergie. J’ai mauvaise conscience mais apparemment, cela n’a rien à voir avec moi. C’est là que je me rends compte de l’ampleur de sa dépression, qu’elle est bien réelle avec des chutes vertigineuses d’énergie qui l’entraînent dans des abîmes d’abattement sans fond. Je connais.

Il s’est aménagé une grotte chez lui, dans sa tête aussi, une antre dans laquelle il s’est réfugié il y a un mois pour se plonger la plupart du temps dans des bouquins qu’il dévore frénétiquement comme s’il voulait littéralement se projeter dans la dimension des autres pour fuir la sienne.

Ça me fait l’effet d’une caverne-pc sécurité avec une centaine d’écrans comme autant de fenêtres sur l’extérieur dont il se nourrit, bien au chaud dans son nid, comme le nerd qu’il est devenu. C’est sa façon à lui de rester connecté au monde des vivants dont il a besoin, quelque part, pour garder un petit morceau d’humanité.

Ainsi, sortir de sa grotte il y a quatre jours pour me voir était une première, un exploit en soi, très significatif, donc. Réitérer jeudi soir aussi. Mais il a eu entretemps 24 heures pour se régénérer dans sa tanière. Et puis, ce week-end. Sans possibilité de repli. Je peux comprendre que ce soit compliqué à gérer pour lui. D’où mon impression qu’il peut souffler le feu et la glace dans la même heure, que parfois il est là sans être là et que son champ d’énergie peut passer du vert au rouge sans transition.

Moi, ma caverne est mobile, exclusivement dans ma tête. Une sorte de bunker à roulettes dans lequel je peux me trimballer à peu près partout sans avoir peur d’être à cours de plan de repli d’urgence. A l’inverse de lui, je me suis coupée volontairement de toute interaction humaine, je me suis placardée avec des planches sur mes fenêtres, quinze verrous sur ma porte triplement blindée, tout un lot de grenades et un XM42 en cas d’intrusion.

Je m’auto-suffis en cercle fermé, besoin de rien d’autre que ce que j’ai sous la main, même si j’avoue que parfois, je tourne un peu en rond. J’ai mis aussi une VMC parce qu’à force de ne pas aérer, bah des fois ça pue, surtout avec mon tas de purin dans un coin du salon dont il faudra bien un de ces quatre que je me débarrasse.

Bref, tout ça pour dire que la similitude de nos errements métaphysiques s’arrête là car nous avons développé chacun un mécanisme de protection très différent l’un de l’autre et bien intégrer cette donnée ne va pas être une mince affaire, ni pour l’un, ni pour l’autre.

Mais il faut bien essayer. Alors, je le laisse s’enfouir sous la couette pour rejoindre Miles et Joan dans la lounge-room. En me demandant toutefois si l’ampleur de la tâche est du genre à nous rebuter ou pas et si l’enjeu vaut tous les bleus et les bosses que l’on ne manquera pas de se faire.

 

Dimanche 4 octobre 2020 # A STEP BACK

Bradley vient de repartir. Le temps de la route, il doit récupérer ses enfants en fin d’après-midi car c’est sa semaine de garde. De chaleureux au-revoir avec Miles et Joan, ils ont voulu tous les trois se faire des hugs mais n’ont pas osé, de peur que l’autre refuse à cause du covid…

Ils se sont bien entendus. Bradley s’est pris lui aussi d’empathie pour eux et a adoré l’endroit. A-t-il pu imaginer à un moment donné reprendre ce Bed & Breakfast avec moi ? Peut-être mais après mon coming-out d’hier sur la plage, je pense qu’il a remballé son idée fissa. Et tout seul, c’est impossible, trop de travail. Mais je suis heureuse qu’il ait aimé ces vieilles pierres autant que moi. Je l’ai même ‘embauché’ pour de futurs travaux, ce qui n’a pas semblé l’effrayer…

Bref. Je vais profiter de ce grand après-midi pour enquiller sur le projet car on n’a pas eu le temps  – my fault – d’approfondir ce qu’on a abordé depuis vendredi. Je profite aussi de m’être réveillée ce matin en pleine forme avec des facultés mentales retrouvées. La tempête dehors, ma tempête intérieure sont passées toutes les deux. Je me sens soulagée, je ne ressens plus ce poids sur ma poitrine, je suis ragaillardie, presque légère. C’est assez rare pour que je le mentionne. Même si je n’ai aucune idée du pourquoi du comment.

On s’y met. Je sors mon dossier et je déroule mon business plan. Etude de marché, nouveaux tarifs, campagnes de pub, nouveaux outils dont un module de réservation intégré dans le site web, estimation du CA, tout le tralala, quoi. Mais au fur et à mesure que j’avance, je perçois une résistance qui se transforme assez vite en freinage des quatre fers…

Et tout ce qu’ils m’ont dit à mots couverts depuis vendredi vient soudainement me percuter en boomerang. D’un seul coup, je réalise que je suis partie bille en tête dans une croisade qui n’est pas la leur. Je me rends compte que je me suis lancée corps et âme dans la construction d’une véritable machine de guerre pour faire de leur petit business familial une cash-machine avec tout ce que cela implique en termes de charge de travail et de recherche d’accomplissement et que cela n’était pas ce qu’ils souhaitaient.

Même si j’ai bien intégré le fait qu’il fallait qu’ils se ménagent, d’où des jours de fermeture hebdomadaires pour le B&B et pousser pour louer en gîte sur deux semaines pour qu’ils puissent avoir, qui sait, des vacances, je n’ai pas compris qu’ils voulaient simplement survivre en attendant la retraite qui ne saurait tarder, au vu de leur état de santé.

Ils doivent de plus se préparer à un drame prochain avec le décès annoncé de la mère de Joan en Angleterre, drame qui, au-delà de l’immense chagrin qui va les submerger, implique aussi une perte de leurs racines et les rend apatrides car ils n’auront plus de raison d’y retourner. C’est une épreuve extrêmement douloureuse qui les attend, je peux comprendre qu’ils aient peur de manquer de ressources pour s’occuper d’un business flambant neuf.

Ils sont de plus coincés 20 ans en arrière avec une clientèle historique très particulière avec laquelle ils ont appris à composer. Ils sont conscients qu’il faut aller en chercher une autre mais ils ne connaissent rien de cette nouvelle clientèle que j’ai étudiée pour eux. Ils ne peuvent donc pas comprendre les arguments et les stratégies que je leur explique et en reviennent toujours à celle qu’ils connaissent comme le seul point de repère qui fasse sens à leurs yeux.

Tout changement est dur. Surtout après 20 ans de fonctionnement. Mais Joan a ses mots qui tout à coup font sens et me font envisager les choses sous un angle nouveau :

“We were doing just fine, always have since the beginning. Yes, the covid killed us but it killed all of us! So we are not broken, we don’t need to be fixed, we just need some help to get back on the tracks we’ve been on since almost 20 years.”

Je vais donc repenser tout ça en adoucissant la phase de transition, en allégeant les axes de développement, voire à ne leur proposer qu’un dépoussiérage et un petit relooking de leur business mais pas de changement en profondeur.

“I get this, don’t you worry. Let me get back to you soon with my new imput, think about it, sleep on it and we talk about it in a few, okay?”

Je me suis projetée entièrement dans ce projet, de toutes les fibres de mon être, certainement parce que j’avais besoin de remplir ma vie de sens à ce moment-là. J’ai pris le mors aux dents et donc, je n’ai pu prendre le recul nécessaire pour bien définir les objectifs. Now is the time to step back a little and to re-think it more accurately.

Je vais bien sûr continuer de les accompagner – un engagement est un engagement – et avec grand plaisir, je reviendrai par la suite dès que mon aide sera requise. D’une certaine façon, cela m’arrange, j’ai moins la pression pour faire matcher mon futur planning si un jour je retravaille avec celui du Normandy Beach s’il est complet 52 semaines dans l’année.

Et cela ne fait que confirmer ce que j’ai mis à jour hier sur la plage : je n’ai pas ma place ici, à l’année, tout du moins. Ces lieux, ces terres ne me veulent qu’en frappes chirurgicales, en pointillés. Ça, je sais faire et j’aime bien, finalement.

 

23.48. En pyj sous la couette, mon ordi sur les genoux, je regarde ma série du moment d’un œil distrait. Je repense en fait à ces derniers jours, à tous ces chamboulements qui sont venus me chahuter les uns après les autres. Si ma vie dernièrement n’était qu’une succession de jours qui se ressemblent dans la mornitude, elle est certainement aujourd’hui dans un tournant des plus trépidants.

Demain matin, je rentre à Paris. Je vais retrouver mon petit train-train. Je vais peut-être pouvoir décanter tout cela tranquillement. Sur cette pensée, je m’apprête à m’endormir lorsque mon téléphone sonne. Bradley.

 

Mardi 6 octobre 2020 # DECANTAGE

Voilà. Une semaine hors du temps. Suspendue entre rêve et réalité. Sept jours qui m’ont apparu une éternité ! J’ai l’impression de revenir d’un voyage très lointain avec au moins trois fuseaux horaires de décalage dans la tête. Aujourd’hui, je reprends petit à petit mes esprits et j’ai besoin de restituer ce que j’ai vécu comme on écrirait un long carnet de voyage après s’être reposé, au calme et la tête froide, en cherchant à être au plus près de chaque souvenir.

Besoin aussi de faire un état des lieux après la grenade que j’ai prise dans mon bunker.

« Bon, ça c’est foutu mais bon débarras… Ça, c’est un peu mort aussi mais je m’en servais encore, je sais pas si je vais pouvoir le réparer… Ça, ça a entièrement été vaporisé… etc. »

C’est bizarre, je me serais attendue à paniquer mais je m’aperçois que c’est exactement ce qu’il me fallait. Je suis donc plutôt sereine et pour la première fois depuis très longtemps, je regarde devant moi et je peux voir un jour nouveau se lever.

 

Je n’ai toujours pas de nouvelles de Walter. Peut-être a-t-il senti ce changement de paradigme en moi ?… Plus probablement, il s’est perdu encore une fois dans le labyrinthe de ses sentiments et ne sait pas comment revenir vers moi, sans la moindre idée de tout le chemin que moi j’ai parcouru dans l’intervalle de sa dernière ‘disparition’. Même si je ne sais absolument pas ce que je lui dirai lorsqu’il refera surface. J’imagine que cela sera en fonction de quand. D’où j’en suis justement dans l’éclosion de cette nouvelle ère en moi.

Et je me rends compte à quel point Bradley et Walter sont liés. J’ai rencontré Walter trois jours après la première audience – pour la St Valentin, quelle ironie – de mon divorce d’avec Bradley à une soirée où Bradley et moi avions été invités conjointement. Mais j’y suis allée seule, j’ai passé d’ailleurs une grande partie de la soirée à pleurer dans les toilettes. Je n’avais alors plus aucune ressource en moi pour me sortir de mon désarroi et j’ai prié tellement fort Monsieur Machin pour qu’il m’envoie de l’aide qu’il m’a entendue. La minute d’après, je rencontrais Walter.

Cette rencontre à elle seule a cautérisé en une fraction de seconde la plaie béante au fond de moi. Et c’est sur elle que j’ai construit ma relation avec Walter. Ou plutôt, le fantasme d’une relation. Car elle s’est cristallisée en moi comme un talisman sacré, une rune mystique, un tesseract de lumière aux pouvoirs magiques, elle est devenue ma pierre philosophale.

Elle devait donc signifier quelque chose… Mais elle n’était en fait qu’un pansement qui s’est transformé au fil du temps en entrave qui m’a réduite en esclavage, maintenue en otage pendant toutes ces années. Sitôt que j’ai commencé à réaliser, Bradley a frappé à ma porte. Ou serait-ce le contraire ?…

Malgré cela, je ne peux m’empêcher de repenser à ce que m’a avoué Walter lorsqu’on s’est eus au téléphone la dernière fois. Comme quoi il n’avait toujours pas digéré que je ‘rompe’ avec lui pour Kevin, au moment exact où lui était prêt à s’engager avec moi. Il m’a dit que cela avait été une des pires choses dans sa vie et qu’il avait eu tout le mal du monde à y survivre.

Vu que j’ai clairement regretté de choisir Kevin, vu qu’il semble prêt à nouveau pour ‘nous’, je me dis que je vais peut-être refaire aujourd’hui avec Bradley la même erreur qu’il y a 7 ans, que cela va être ‘fucking 2013 all over again’ et cela me fait peur. Maintenant, je me dis aussi que ça fait dix jours que je n’ai plus de nouvelles et que Bradley est là, lui.

Oui. D’ailleurs, les deux fois où ce dernier est apparu dans ma vie, c’était pour me ramasser à la petite cuillère. Il y a 23 ans, on s’est rencontrés alors que j’étais enceinte d’un garçon que j’aimais bien mais pas suffisamment pour construire une famille avec lui. J’étais broyée, torturée. Bradley était là. Il m’a accompagnée dans cette épreuve que je n’aurais pu surmonter seule, d’une certaine façon, il m’a sauvé la vie.

Aujourd’hui, même situation pour moi, même si pas les mêmes raisons, et Bradley est là encore une fois. Cela doit vouloir dire quelque chose, non ? Il est lui aussi à un moment significatif de sa vie où toutes ses plaques tectoniques sont en mouvement. Lui aussi a subi un choc récemment qui a fait remonter à la surface des blessures très anciennes qu’il n’avait pas soignées et dont il avait sous-estimé la portée, même des décennies plus tard.

On se serait revus il y a dix ans, un an, six mois, aucune reconnexion n’aurait été possible. On s’est revus à l’exact moment où il le fallait, où l’un comme l’autre était prêt. Et de façon tout-à-fait pragmatique, lui en arrêt-maladie et moi au chômage, on a tout le temps du monde pour apprendre à se connaître, à se reconnaître, le timing parfait, quoi.

Bref, la plupart des gens se rencontrent, l’un n’est pas prêt donc ils se séparent, s’ils ont de la chance ils se re-rencontrent plus tard mais là, c’est l’autre qui n’est pas prêt et re-séparation, et s’ils sont extrêmement chanceux, ils se retrouvent à nouveau et là, ça fonctionne.

On a donc une chance extraordinaire.

Même s’il m’a faite souffrir au-delà des mots jusqu’à pousser mon cerveau à l’occultation totale pour se protéger du game-over – mais ce dont on n’a pas conscience ne peut faire mal – même si nos chemins peuvent à tout moment diverger, même si l’avenir reste encore caché dans la brume, il est des évidences que je ne peux ignorer.

Nénette dit d’ailleurs que l’on a besoin l’un de l’autre pour se ‘réparer’… Funny, back few months ago, I was thinking that I needed a man who was not broken, who was a solid ground that I could rely on so that I can heal myself. Life sometimes flips a coin and shows you a path that you did not have a clue you were supposed to walk on…

Alors, pour la première fois, peut-être de ma vie, j’écoute mon intuition.

Bradley me bouscule, il me chahute, il n’y va pas de main morte à grand coups de tête dans mes fondations et j’aime ça. C’est tout ce dont j’avais besoin. Je me sens belle dans son regard, j’aime ce qu’il évoque en moi, il est tout ce que j’ai souhaité en l’écrivant quatre jours avant de le revoir :

« … Quelqu’un qui soit et un miroir, et un team-building à lui tout seul, capable de motiver toutes les ressources tapies au fond de moi… »

Jamais je n’aurais pu penser que c’était lui, mon chevalier sur sa licorne. Cela ne m’a même pas effleuré l’esprit. Comme quoi, la vie est pleine de surprises. Une évidence.

L’ERE DU CHEPA

« Pourquoi il n’y avait pas de musique à la cérémonie ? »

J’ai pensé que le silence était la meilleure option.

 

Lundi 28 septembre 2020

La vérité, c’est que j’aurais dû composer avec mon frère et son inextinguible envie des ultra-pathos « Roses Blanches » et je ne voulais pas imposer mon choix qui aurait été à coup sûr très mal compris : “Killing In The Name” de Rage Against The Machine…

Tout le bruit et la violence en moi à ce moment-là.

Je me souviens qu’en bonne dissidente, Maman aimait Thiéfaine le sulfureux, Lady Gaga pour son excentricité et Offspring pour leurs rifs aux tonalités orientales. C’était une des choses que j’aimais chez elle, sa modernité d’esprit. J’étais fière d’avoir une mère rock n’ roll. Mais bon, « La Fille du Coupeur de Joints », ça le fait moyen pour des obsèques.

J’aurais pu transiger car elle aimait aussi Sydney Bechet, Yves Montand, Brassens, Moustaki, Julio Iglesias, plus écoutables dans les circonstances, la « Lambada » car cela lui rappelait mon père et nos vacances chéries en Normandie mais pas sûr que le crématorium ait eu ça en magasin…

Bref, trop de choix tue le choix, d’où le silence.

 

Samedi, je suis retournée au cimetière et j’ai posé les premiers chrysanthèmes sur la tombe de Maman. C’était dur. Mais pas une larme. Je sais comment faire désormais pour tout contenir sans débordement. Pareil le soir à table chez Toto qui recevait sa belle-famille autour de la première raclette de l’année. Au fil de la conversation, ils se sont tous livrés à cœur ouvert de façon complètement inattendue, ma belle-sœur que je pensais de marbre, en tête. On a parlé de sa mère, de la mienne, les larmes ont coulé… Sauf moi. J’y ai assez droit la nuit donc je suis en rupture de stock la journée.

–  Comment tu fais pour tenir à pas dormir comme ça ?

–  Chépa.

–  Et si tu ne trouves toujours pas de boulot, que vas-tu faire ?

– Chépa.

–  Tu vas quitter Paris ?

–  Chépa.

Voilà. Je suis entrée de plain-pied dans l’ère du chépa. A propos de tout. En roue libre. En désœuvrement total. Heureusement que j’ai le projet du Normandy Beach, il n’y a que ça qui m’anime en ce moment. D’ailleurs, j’y retourne vendredi. J’aurais bien aimé encore une fois marcher sur la plage pour brainstormer avec les mouettes mais ils annoncent une météo d’antéchrist, alors…

C’est vrai qu’il fait froid. Je ne sais pas s’ils ont remis la chaudière en route, tiens, je vais faire un mail au concierge. Et je vais me rouler en boule sur la banquette avec mon plaid et ma bouillote car le grand ménage à la Monk hier a laissé sa carte de visite, j’ai mal absolument partout.

Je pensais que c’était une bonne idée de repartir au propre. Je regrette.

VERY BAD DREAMS

« Hello,

Merci d’avoir pris le temps d’échanger avec nous, et toutes mes excuses pour le délai de réponse!

Nous venons de faire une offre à un candidat, qui avait une grande expérience en environnement non structuré. Le poste d’Office Manager n’est donc plus à pourvoir.

Un grand merci pour l’intérêt que tu nous as porté, et peut-être à bientôt! »

 

Je ne serai donc pas ‘concierge’. J’avais pourtant bien insisté sur le fait que les ‘environnements non-structurés’ étaient justement ma spécialité, mais bon. Au moins, ils m’ont répondu. C’est le jeu, ma pôv’ Lucette.

 

Vendredi 25 septembre 2020

Je suis déçue. Mais surtout perplexe. Car cette fois-ci, j’étais motivée « tiger style » alors je me demande bien ce qu’il faut de plus. Je suppose que la période vraiment pourave pour les demandeurs d’emploi me décharge pour moitié au moins de mes responsabilités dans cet échec.

Bref. La boîte de Mimine a mis en stand-by ses recrutements, je peux clairement faire une croix sur les offres à l’étranger, quoique j’en ai reçu une cette semaine pour les Emirats Arabes mais je l’ai mise à la poubelle car ce n’est absolument pas mon truc, et bien sûr, pas de retour sur les autres postes pour lesquels j’ai postulé, à part parfois de laconiques « Merci, mais non, merci ».

Donc, retour à pieds joints dans mon marécage.

Les plaques tectoniques ont bien bougé mais c’était pour revenir à leur point de départ. Un faux tremblement de terre, beaucoup de barouf pour rien, quoi. Je ne peux même pas dire que cela m’a fait avancer dans ma tête car je suis autant perdue qu’il y a deux semaines.

J’imagine que mon actuelle détresse émotionnelle n’aide pas à y voir clair. C’est dur, je morfle vraiment. Je prends le contrecoup, le retour de flamme en pleine face. La journée, ça va car je m’occupe l’esprit. Mais quand je vais me coucher, la douleur vient me cueillir et une tornade de larmes s’empare de moi, un déluge qu’aucune de mes tentatives de raisonnement ne peut endiguer.

Je fais aussi d’horribles cauchemars dans lesquels je ne ressens que la violence, la douleur, le tourment, un concentré puant et visqueux de la lie de mon humanité, comme si mon don d’empathie du mal se retournait contre moi. Je me réveille en sueur, pétrie d’une angoisse abyssale. Les images ne s’effacent pas, j’allume la lumière, je vais boire un verre d’eau, je reprends un énième somnifère, je fume une cigarette, je remets la télé, je me rendors et rebelote deux heures après. Et ce, nuit après nuit depuis deux semaines.

Alors, pas de monstres, ni de visions d’horreur comme dans l’Enfer de Dante ni même de course contre la montre dans un labyrinthe sans fin mais je vois Maman sous tous ses aspects négatifs, je vois mon père aussi lorsqu’il était grabataire et délirait tel un dément, des fantômes du passé ressurgissent, des gens auxquels je n’ai pas repensé depuis une éternité qui viennent en procession lourds de reproches, chacun comme je l’ai connu sans l’exubérance que parfois les rêves confèrent, avec au contraire une redoutable précision et une authenticité désarmante.

Toute la vase remonte à la surface, des choses que je pensais avoir enterrées pour de bon, les scories de mon existence qui m’ont si longtemps handicapée d’un coup de rasoir au talon d’Achille et qui apparemment n’en ont pas terminé avec moi. Des choses que je n’ai jamais mises à jour, par honte, par peur, par souffrance, des choses indicibles qui hurlent pourtant au fond de moi pour sortir.

Ce n’est pas la première fois, mais j’avais réglé ça à l’époque à coup de barbituriques qui n’ont fait qu’enterrer plus profondément ce que je ne voulais pas affronter. Fallait bien que cela revienne un jour. Mais pourquoi est-ce le départ de ma mère qui déclenche au fond de moi cette lame de fond apocalyptique ? Etait-elle mon garde-fou ? Ma camisole ? Ou est-ce son message sous forme d’anathème pour que je puisse me libérer ? En aurais-je la force un jour ou serais-je à jamais une âme en peine ?…

 

10.00. Message de la CAF : j’ai droit désormais à la prime de solidarité. J’ai rien demandé, pourtant. Ainsi, avec le RSA, l’APL, la prime d’activité, le machin pour les plus de 26 ans et maintenant la prime de solidarité, me voilà biberonnée aux aides sociales. Pour une fois, je me dis qu’il fait bon d’être en France.

Le top, selon Nénette, serait que je trouve un petit job au black pour je profite de la life tranquillement. C’est sûr, je peux survivre comme ça financièrement pendant longtemps. Mais est-ce une vie pour moi ? Puis-je rester dans cet état larvaire assisté ad vitam aeternam ? Je n’en suis pas sûre.

Je ne sais plus rien, en fait. Pas même qui je suis aujourd’hui. Je me dis que j’ai peut-être besoin d’un regard neuf sur moi, pour que je puisse me recalibrer, me resituer, me redéfinir… Oui, une rencontre. Pas forcément romantique, ce n’est pas le propos. Quelqu’un qui soit et un miroir, et un team-building à lui tout seul, capable de motiver toutes les ressources tapies au fond de moi.

Oui, peut-être. Même si je lui souhaite bon courage.

 

13.00. En ces temps suspendus où le monde vit au rythme des annonces de l’OMS en attendant anxieusement de savoir s’il va se refermer à nouveau sur lui-même, un petit attentat terroriste n’était vraiment pas de trop… Oh ma petite Maman, tu es partie juste à temps, si je puis dire. Car aurais-tu supporté un nouveau confinement et ce nouvel acte odieux du même acabit que ceux qui t’ont révulsée il y a cinq ans ?

Le monde est malade, et pas que du covid.

LE CÂLIN DE L’ANGE

« C’est quoi, ce boulot d’Office Manager ? Tu vas être concierge ? »

La barre de rire, ô combien salvatrice, qui s’est emparé de notre petite assemblée. Merci, Harry. Toi seul pouvait réussir cet exploit de me faire descendre, même si momentanément, du nuage mélancolique sur lequel je me suis réfugiée depuis une semaine.

 

Samedi 19 septembre 2020

Chaque jour, j’ai ce réflexe « Tiens, je vais appeler Maman » suivi d’un vide puis d’une estocade en plein cœur. J’ai l’impression de vivre un mauvais rêve dont je peine à m’extirper. Toto, pareil. Chaque jour, il se dit « Tiens, je vais aller voir ma maman cet après-midi » il a l’impression qu’elle est toujours là, il parvient presque à sentir sa présence.

Les nombreuses photos chez lui y sont certainement pour quelque chose.

Moi, mardi, ça m’a littéralement crucifiée de douleur. C’est pour ça que chez moi, il n’y en a pas. A l’exception d’une seule que j’ai mise dans la bibliothèque et sur laquelle j’évite soigneusement de m’attarder.

Pauvre Toto. Je peux sentir son chagrin immense et pourtant, je suis incapable de lui apporter le moindre réconfort. Je n’ai même pas pu le prendre dans mes bras aux obsèques. Je sais cependant qu’il est bien entouré et je suis heureuse finalement du caractère de lionne de ma belle-sœur qui sait gérer. Je crois que, lâchement, je m’en suis remise à elle pour prendre soin de mon petit frère.

On s’appelle, pour savoir comment va l’autre. On se donne des nouvelles, le test covid de ma nièce est négatif, mon neveu a trouvé un job, moi j’ai mes dilemmes… Je ne croyais pas qu’on puisse devenir si proches lui et moi. Bref, il est tout mimi, il s’inquiète pour moi, à sa façon. Comme mardi soir avant de repartir, après le cinquième kilo de tomates du jardin que j’ai refusé, il s’est exclamé, quelque peu soucieux :

« Bah il faut bien que tu manges, quand même ! »

Lui pour qui le premier critère de qualité d’un restaurant est que ce soit copieux, lui que la perte d’appétit de Maman horrifiait, il a crû que je me laissais dépérir de chagrin et a exprimé son inquiétude en bourrant mon panier avec tous les légumes de son jardin. Comme si j’avais le temps et l’esprit à faire une ratatouille géante. Mais bon.

Oui, une semaine aujourd’hui qu’on a dit au-revoir à Maman. J’ai l’impression que ça fait une éternité. Depuis mardi, j’ai arrêté de pleurer. Je m’occupe l’esprit autant que je peux mais c’est souvent la nuit, lorsque je me réveille en sursaut d’un sommeil étrangement lourd, que c’est le plus dur.

Alors, malgré mon envie instinctive de retourner au fond de ma coquille, j’ai sonné l’alarme et déclenché le plan ORSEC « Sauvons Bichette » auquel mes amis ont répondu d’un seul corps. Déjà, Nénette hier midi avec Harry, son oncle magnétiseur et grand comique devant l’éternel que j’ai demandé à voir avant son grand départ à la Réunion pour ouvrir son cabinet de magnétiseur. Comme il a développé dernièrement son don de médium, j’avais peut-être besoin de ses lumières en cette période de grandes interrogations… Quand je lui ai tout déballé, il a dégainé son pendule doré et s’est mis à psalmodier :

« Hum… Alors, non, ce ne sera pas la Nouvelle-Zélande… Ni la Normandie… Je ne vois que Paris. »

Ça a fait sens et confirmé ce que je pressens au fond de moi depuis quelques jours. Tout le monde, Harry en tête de proue pourtant, a été enthousiaste à propos de la Nouvelle-Zélande, à part Toto que cela a affolé. Mais d’une, je ne me sens pas prête pour l’instant à me perdre au bout du monde, qui plus est si ce n’est pas le Montana, et de deux, comme ce recrutement avait un caractère urgent, je pense que c’est un peu mort aujourd’hui.

Quant à migrer en Normandie pour m’y faire une petite vie tranquille, sans être complètement reléguée aux oubliettes, je me dis que cette option est peut-être celle de la fuite de mes responsabilités, celle du voilage de face et d’une certaine façon, celle de l’abdication. En effet, les trois francs six sous du petit boulot que je trouverais sur place me permettrait de survivre mais ne me permettrait en aucun cas de rembourser ma dette, et ça, c’est une donnée que je ne peux ni ne veux effacer de mon tableau.

Cela m’a donc menée tout naturellement vers l’option de rester sur Paris. Avec un boulot et une paie qui s’entendent, je peux reprendre une vie décente, rembourser ma dette et passer mes week-ends à Arromanches pour continuer d’aider Miles et Joan. C’est le tout-en-un. C’est aussi l’option la plus rationnelle et celle qui pourra m’aider à me reconstruire.

Et cela commence par le boulot. Mon entretien téléphonique lundi s’est bien passé. Je n’ai pas bafouillé ni raconté de carabistouilles mais surtout, j’ai ressenti une réelle motivation pour ce poste d’Office Manager dans cette petite start-up devenue grande. J’ai d’ailleurs bien souligné le fait que c’était la première fois en six mois que j’avais un si bon feeling, tant sur la boîte que sur le poste proposé. Oui, c’est la seule fois que je me suis arrachée pour pondre une belle lettre de motivation, sincère et ciblée.

Bref, j’en ai parlé à Andrew qui s’est exclamé :

« Hé mais je les connais, ils sont venus faire une démo au boulot, ils sont bons ! Et j’ai une collègue qui est pote avec un des dirigeants, comme elle me doit un service, veux-tu que je lui demande d’appuyer ta candidature ? »

Du coup, hier soir j’ai revu le Scoobigang. Et la petite Abigail, la fille d’Andrew et de Mimine, qui a spontanément mis ses bras autour de moi en me couvrant de baisers. Le câlin de l’ange qui instantanément a tout apaisé en moi. Du haut de ses cinq ans, par ce simple geste d’une pureté cristalline, elle a posé sur mon cœur meurtri le pansement que n’a pu me donner Harry plus tôt dans la journée lorsqu’il a tenté, sur ma demande, d’extraire ma douleur. Bouleversant.

 

Une belle et forte journée. Remplie de sens et de coïncidences qui n’en sont pas, d’éclaircies dans la tempête, de lumière au bout du chemin… Une journée qui m’a réanimée. Même s’il reste encore des zones d’ombre bien mystérieuses. En effet, silence-radio de la part de Walter depuis une semaine. Je ne sais qu’en penser. Je n’ai pas encore analysé notre longue conversation. Comme c’est arrivé en plein chaos, je crois que j’ai tout mis de côté pour y repenser plus tard. Plus tard, c’est aujourd’hui mais c’est toujours aussi insondable.

Je ne souffre pas vraiment, je crois que j’ai tellement eu mal ces derniers jours que tout le reste me semble bien anodin, mais c’est là, dans l’ombre, lancinant.

Et puis, Nénette m’a confié que Bradley, mon premier mari, voudrait beaucoup me revoir. Elle l’a revu par hasard l’an dernier et est restée en contact depuis, il est même devenu un de ses patients ! Ils ont beaucoup papoté et reparlé du bon vieux temps – sacrément vieux car ça date de plus de vingt ans ! – et donc de moi… Elle m’a dit aussi qu’il lui avait avoué être passé souvent devant le restaurant rien que pour m’apercevoir… What the fuck ?!!

Bref. Du coup, elle a proposé un déjeuner chez elle la semaine prochaine. J’ai pas dit oui, j’ai pas dit non, je ne sais pas, je ne comprends rien. Je crois que j’ai un trop-plein d’informations à processer en même temps. Je déborde. Il faudrait que je me fie à mon intuition. Mais c’est un peu le bordel, de ce côté-là en ce moment, donc…

Enfin, la dernière zone d’ombres, et pas des moindres, c’est que la banque a réactivé, bien plus tôt que je ne l’aurais pensé, sa punaise de caution de 96 000 balles à lui devoir. Branle-bas de combat avec Kevin avec les avocats à saisir de notre dossier sans tarder. C’était prévu, c’est juste que cela me soûle d’entrer en mode combat dans cette période si particulière pour moi. Ça me fatigue rien que d’y penser.

Mais bon, quand faut y aller… Comme lundi lorsque j’ai lâché les chiens sur les pompes funèbres. J’ai mis en stand-by leur paiement auprès du fonds obsèques, j’ai appelé le crématorium, la gendarmerie, la mairie, le notaire, je leur ai vraiment fait la misère tout ça pour que l’EHPAD nous dise que la petite aide-soignante qui s’est occupée de Maman à son décès n’a pas su trop quoi faire et a fourré les bijoux de Maman dans un gant de toilette puis dans un sac en plastique tout au fond d’une des poches de son grand sac de voyage que l’on a bien récupéré.

Je me suis donc excusée, la mairie m’a bien confirmé la présence d’un agent de la police municipale à la pose des scellés, le crématorium m’a renvoyé le certificat corrigé et m’a éclairée sur la mise à la flamme à laquelle nous n’avons pas assisté : c’est quelque chose qu’ils ne font plus car cela a été jugé trop perturbant de voir par caméra le cercueil entrer dans la fournaise…

Je comprends tout-à-fait. C’était le moment que je redoutais le plus, en repensant comment cela s’était passé pour mon père. Limite, j’ai été soulagée qu’ils tirent le rideau et nous enjoignent à partir en fin de cérémonie. Mais cela aurait été bien qu’ils nous en informent au préalable.

Et dernières modalités chez le notaire mardi. Les comptes bancaires de Maman sont bloqués le temps de la succession, c’est-à-dire six mois environ. J’ai juste fait une requête pour planquer ma part d’héritage sur le compte de Toto ou à défaut, pour la faire consigner à la Caisse des Dépôts car il est hors de question que la banque mette ses pattes dessus. Il n’y a pas grand-chose, pourtant, mais ce pas grand-chose ne leur appartient pas.

Bref, toutes ces formalités administratives et ces chicaneries en tout genre m’emmerdent au plus haut point. Je déteste ça. Non pas parce que je ne sais pas comment les gérer mais parce que j’aimerais tellement être autre chose qu’un pit-bull en ce moment !

 

Je regarde la bague de Maman sur ma main gauche, un entrelacs de trois anneaux en argent. Une pacotille d’une valeur sans égal pour moi qui m’a été léguée comme le réceptacle d’un morceau de l’âme de Maman. Et cela me fait penser à ceux que le décès d’un proche frappe soudainement… Je les plains, vraiment.

Tout à faire en même temps, organiser les obsèques, la succession, trier les affaires, se résoudre à jeter, ne pas y parvenir, pleurer des heures devant un tas de photos que l’on ne peut s’empêcher de parcourir entièrement, garder religieusement des breloques sans valeur et des bibelots hideux simplement parce qu’on les relie à un souvenir précis de bonheur et d’insouciance, finir par vider la maison qui résonne alors de la mémoire du passé, se déchirer pour savoir si on la garde, si on la vend… Tout ça sous le choc, le cœur en lambeaux.

Pour nous, tout s’est fait par étapes depuis quatre ans et l’on savait depuis deux mois qu’elle pouvait partir à tout moment. Je sais même vivre sans elle depuis le 17 mai dernier où elle est partie aux urgences d’Ambroise Paré. Donc, autant dire que l’on était plus que préparé, toutes ou presque les considérations matérielles réglées, on voulait n’avoir la tête qu’à notre deuil.

Mais quand ça arrive, préparé ou pas, c’est quand même la panique, le désarroi, l’abîme sans fond et n’importe quelle formalité ou tracasserie n’ayant pas été circonvenue, si infime soit-elle, devient une épreuve insurmontable. Alors, j’imagine l’horreur que doivent éprouver ceux sur qui tout tombe sur la tête au même moment…

 

15.00. Coup de mou. Je voulais commencer le kick-off board du Normandy Beach, tout est prêt, y a plus qu’à mettre en forme dans un beau tableau excel. Je ferai ça demain. Et lundi, j’attends de pied ferme des nouvelles pour mon job de ‘concierge’.

Je m’en vais faire l’étoile de mer sur la banquette.

CONVERGENCE DES ASTRES

Tremblement de terre. Glissement des plaques tectoniques. Faille béante. Eruption. Destruction. Et moi,  je suis au beau milieu de cette apocalypse, hébétée, soufflée par la déflagration qui n’en finit pas de résonner.

 

Dimanche 13 septembre 2020

… Six paquets et demis de kleenex + les quatre boîtes de la maison funéraire…

… Des sanglots par vagues qui m’étouffent, qui me font convulser de la tête aux pieds…

… Un milliard de fleurs, tout autant d’hommages, dont celui de Sean depuis le Japon et la présence de Kevin tout en larmes…

… Ma voix qui déraille et mes mots qui s’étranglent de larmes au micro du funérarium…

… Des mains dans mon dos, des bras autour de mes épaules dont je ne saurais dire à qui ils appartiennent…

… Le réconfort d’avoir pris la bonne décision de voir Maman mardi dernier, au naturel…

Et l’horreur de constater qu’elle a été maquillée à la va-vite et qu’ils lui ont « tiré » la bouche dans un semblant de sourire à la Joker, sans compter l’absence des gendarmes pour les scellés du cercueil, ni le fait que l’on ne nous a pas donné la possibilité d’assister à la mise à la flamme, qu’ils ont fait une boulette sur sa date de naissance sur le certificat de crémation et qu’ils ont zappé la photo de Maman sur la plaque mortuaire. Bref, ça sent l’amateurisme à plein nez.

Mais le pire, c’est que dans ses effets personnels que l’on nous a remis, on n’a pas trouvé sa bague et sa montre alors que j’ai bien insisté mardi et qu’on m’a répondu « Bien sûr, je vais demander à ce qu’on vous les mette de côté ». Ce n’est pas pour leur valeur marchande, sa montre d’ailleurs était un cadeau la Redoute, mais pour leur valeur sentimentale, inestimable à mes yeux.

J’aimerais juste savoir si c’est là aussi la preuve de leur incompétence ou si c’est une arnaque en bande organisée au sein des Pompes Funèbres Générales. Déjà, pas de gendarmerie, pas de preuve de mise à la flamme, alors quoi, ils ont jeté le corps de Maman dans une fosse, ont présenté un cercueil vide et fait semblant de l’incinérer ?!! Quand on voit le prix de ces prestations et le coût d’une boîte en bois, on peut comprendre l’envie d’arnaque.

Et mardi dernier, j’aurais dû faire quoi, fouiller son corps à la chambre funéraire et récupérer ses bijoux moi-même ? Cela m’a bien effleuré l’esprit mais je n’avais pas trop la tête à ça et si ça se trouve, ils l’avaient déjà dépouillée. Et quelque part, je doute que ce soit le personnel de l’EHPAD que je considère bien plus que ces pseudos croque-morts aux mains tatouées et au regard fuyant…

Sur le moment, on n’a pas réagi. Je pense qu’on était, Toto et moi, complètement anesthésiés par la douleur. Ce n’est que plus tard en se retrouvant tous autour d’un verre de cidre chez Toto qu’on a commencé à débusquer le lièvre, notamment à cause de l’erreur sur le certificat de crémation.

Bref. Demain, ils vont m’entendre. Et s’il faut porter plainte, on le fera. Même si tout ce cirque me fatigue d’avance. On n’a pas assez à penser en ce moment, il faut se rajouter une bonne couche de soucis et pas des moindres. J‘aimerais juste pouvoir faire mon deuil tranquillement. 

Bon, il n’y a pas eu que des choses négatives. On a pu revoir la famille par exemple, famille qui s’est réduite à peau de chagrin depuis quelques temps déjà, donc c’était Tata, Tonton et nos trois cousins. On a même pu faire une parenthèse le midi à table et passé au final un bon moment tous ensemble.

Je suis rentrée tard dans la nuit, après la collation du soir chez Toto et sa bruyante belle-famille, les mêmes ostrogoths au verbe haut et au lever de coude en rafale que pour les funérailles de la mère de ma belle-sœur fin juillet. Là, ils étaient un peu sur la retenue tout de même et le repas d’obsèques ne s’est pas transformé, pas trop, du moins, en happy-hour.

Au début, c’était bien, ça m’a changé les idées. J’ai même pu rire des pitreries du copain de la sœur de ma belle-sœur. Puis, ça m’a soulée. Il était prévu que je dorme sur place mais j’ai préféré rentrer. Je crois que j’avais besoin de silence. De sommeil, aussi.

Alors, en filant sur l’autoroute dans la nuit, j’ai fait mes derniers adieux à Maman.

 

15.30. Mes yeux me font mal, j’ai la voix éraillée, le nez irrité à force de me moucher et toujours un poids sur la poitrine qui comprime chacune de mes respirations mais je me sens étrangement apaisée. Comme si cette nuit sur la route en rentrant, j’avais réussi à extirper la douleur de mes entrailles en hurlant tout mon soûl.

Je ne sais pas si cet état de grâce est permanent ou si je vais replonger bientôt dans les affres de mon chagrin. J’envisage l’avenir dans un jet de pierre famélique, je vois demain lundi, après-demain mais ensuite, c’est le blanc.

Tant de choses sont arrivées en une semaine ! Maman, oui, mais pas seulement : une perspective de job à Paris, un vrai comme ça fait six mois et trois Go de mails envoyés que je l’attends, une autre mais en Nouvelle-Zélande, le grand saut, quoi, cette envie de petite vie tranquille en province, en Normandie en l’occurrence, qui est toujours là et qui s’est renforcée il y a trois jours car le pub d’Arromanches est à reprendre, la résurgence remplie d’espoirs de Walter qui ajoute à mon dilemme…

Comme une convergence des astres qui bouchonnent maintenant pour s’aligner.

J’ai toujours crevé d’envie de partir loin à l’étranger et j’ai toujours refusé pour rester auprès de ma mère, surtout quand mon père est parti. Aujourd’hui, je devrais me sentir libre de décamper au bout du monde si je le souhaite… C’est bizarre, comme sensation, je suis libérée de mes entraves mais je ne sais pas où aller. Rien ne me retient ici… Ou peut-être que si… Tout m’attend ailleurs… Tout est à faire ici… Je ne sais plus, je suis perdue.

Bref. Je vais essayer de me laisser du temps. Car ce sont des choix de vie trop importants pour les faire à la légère. Et je n’ai plus la force de me tromper encore une fois. Alors, j’ai encore quelques trucs pour les deux prochains jours, après, bah on verra.

Donc, demain première heure, je souffle dans les bronches des PFG. A 16.00 j’ai un entretien téléphonique pour le job d’Office Manager à Paris. Mardi matin, je remets au propre les notes prises sur place pour le projet de revival du Normandy Beach que je dois envoyer à Miles et Karen avant leur voyage en UK, mardi après-midi je vais voir le notaire avec les papiers pour la succession et je repasse au cimetière pour arroser les fleurs sur la tombe de Maman.

Cela me fait bizarre de me dire qu’à partir de mercredi, ma vie est une parfaite inconnue.

MA MERE, MA FORCE, MA FAIBLESSE

« Le code de l’entrée principale est 2015. Le salon sera sur votre droite et s’appelle La Forêt des Bertranges. Appuyez sur le 0 pour déverrouiller et quand cela clignote vert, vous pouvez entrer. Prenez tout votre temps et ré-appuyez sur le 0 en partant pour re-verrouiller la porte. »

 

Mardi 8 septembre 2020

Hier matin, quand j’ai vu le numéro de Toto s’afficher, j’ai su. Elle est partie dans son sommeil comme elle l’a toujours souhaité. Tout comme j’ai su samedi dernier lorsque je suis allée la voir à l’EHPAD que c’était la fin. A peine consciente, toute recroquevillée sous son drap, j’ai senti son âme glisser tout doucement tandis que je lui tenais la main. J’ai voulu me jeter dans ses bras mais je n’ai pas pu, je me suis enfuie en courant, des larmes plein les yeux.

Malgré cela, l’annonce de son décès hier m’a littéralement sonnée. J’ai erré un long moment dans l’appartement, complètement désorientée comme un poulet sans tête. Puis, je me suis reprise, j’ai passé quelques coups de fil, fait mon baluchon et j’ai pris la route.

Pas une larme sur le trajet qui s’est fait sans musique dans le seul ronronnement de ma voiture. Dans ma tête, c’était l’alternance entre le vide sidéral et un flot de pensées erratiques. J’ai conduit comme un robot et je suis arrivée chez Toto qui venait de rentrer du boulot. Ma belle-sœur aussi.

Comme à leur habitude, ils masquaient leur émotion en s’activant comme si de rien n’était. Ils avaient bien les yeux rougis et reniflaient encore mais leur besoin impératif de se contenir à tout prix était le plus fort. Je leur ai emboîté le pas presque naturellement.

Il n’y a que le soir, seule sur la terrasse pour ma dernière cigarette sous une belle nuit étrangement étoilée, que le barrage en moi a rompu. Je me suis effondrée.

Ça m’a fait du bien, en fait. Même si je n’ai pas beaucoup dormi, je me suis levée ce matin un peu plus légère et prête à affronter cette nouvelle journée de démarches en tout genre, à commencer par les pompes funèbres pour finaliser les obsèques qui se dérouleront samedi prochain.

Je demande si je peux voir Maman à la chambre funéraire où elle a été amenée hier soir. On me répond que ce n’est pas une bonne idée, qu’il vaut mieux la voir toute pomponnée à la mise en bière pour garder une bonne image d’elle. Mais je me souviens de mon horreur à voir Papa maquillé comme une voiture volée, figé comme une statue de cire et… Non, je dois la voir avant. Car après, ce sera plus elle. J’ai besoin de lui faire mes adieux à ma façon, comme je voulais le faire samedi dernier.

Toto fait une grimace indescriptible. Il est très mal à l’aise. Devant son regard horrifié, je précise que cette démarche est très personnelle et que je comprends que lui, ne le souhaite pas. Alors, on me dit qu’on me rappellera dans la journée, ce sera peut-être possible en fin d’après-midi.

Bref. En sortant,  j’appelle le notaire, la banque, on va faire faire un devis au restaurant-traiteur pour le repas après les obsèques, on appelle tout le monde pour savoir combien on sera, qui couchera sur place, tout ça, et on repasse à l’EHPAD pour récupérer les affaires de Maman.

Autant aux pompes funèbres je suis restée de marbre, c’est le cas de le dire, autant devant le tas d’affaires dans le salon de Toto, je ne peux empêcher mes larmes de revenir. C’est tellement dur que je fourre tout dans de grands cartons que l’on monte au grenier, je n’ai pas le cœur de trier et encore moins de jeter quoique ce soit. J’attrape juste une photo ou deux et le dernier chemisier qu’elle ait porté.

Et l’on m’appelle enfin pour me dire que je peux venir voir Maman à partir de 18.00 ce soir jusqu’à demain matin 9.00.

 

18.35. Je viens de me garer devant la maison funéraire. Tonton m’appelle car il ne trouve pas l’adresse de la maison funéraire justement sur Google Maps. Il s’affole car il veut être sûr d’être à l’heure samedi matin. Alors, je le rassure en lui disant que s’il sait où est le cimetière, il trouvera facilement car c’est juste en face.

Je tape 2015 sur le digicode et je pousse la lourde porte vitrée. On est dans l’ambiance dès qu’on entre : le silence est absolu, la décoration est sobre et raffinée et des boîtes de Kleenex ont été disposées tous les 50 cm.

Je trouve facilement le salon La Forêt des Bertranges, j’hésite un instant puis j’ouvre la porte. Je me retrouve dans une petite pièce aux mêmes tonalités parme et bois que le hall d’entrée, c’est très joli, on se croirait presque dans un institut de beauté. Une antichambre sur la gauche séparée par de grands panneaux japonais de couleur ivoire. Et je la trouve là dans sa petite chemise de nuit à fleurs, paisiblement étendue sous un voile de lin et de dentelle…

Dieu qu’elle est belle ! Son teint est éclatant, ses rides ont comme disparu, elle a l’air parfaitement détendu, la tête légèrement penchée sur le côté, on dirait qu’elle dort… J’appréhendais de voir les stigmates de la mort déjà installés mais là, c’est tout le contraire, elle est presque radieuse !

Cela me submerge. Je ne pensais pas qu’on pouvait ressentir autant de joie et de douleur en même temps. Alors, dans un mélange de larmes et de rires, je la prends dans mes bras.

« Je suis là, Maman, je suis venue dès que j’ai pu. Comme tu es belle ! Je voulais te dire au revoir et te dire à quel point tu vas me manquer. Je t’aime tellement ! »

Même le froid de sa peau ne me rebute pas. Je lui caresse la joue, je la recoiffe, je me blottis contre elle, je scrute son visage de toutes mes forces, j’attends qu’elle ouvre les yeux… Je voudrais rester là pour toujours.

 

Et tandis que je remonte sur Paris tard dans la soirée, les mots de l’éloge que je ferai samedi s’écrivent tout seuls dans ma tête :

« Perdre sa mère, pour tout un chacun sur cette terre, c’est une peine indescriptible. Nous, nous pleurons aujourd’hui le départ de la nôtre dans une douleur incommensurable.

Car elle était non seulement celle qui nous a élevés, celle qui nous a aimés du plus fort qu’elle ait pu mais elle était aussi celle qui nous a sauvés lorsqu’on n’était que des oisillons tombés du nid dont personne ne voulait.

Nous ne sommes pas sortis de son ventre et pourtant, elle était sans l’ombre d’un doute notre mère, notre foyer, notre univers tout comme nous étions sa couvée, sa tribu, la chair de sa chair.

Rebelle, anticonformiste, chiante on peut le dire, une tête de mule au caractère bien trempé – ce qui posait d’ailleurs souvent des problèmes avec moi, sa copie conforme de ce côté-là – mais elle était aussi altruiste et généreuse, ouverte d’esprit, gaie, positive et aimante, toujours à s’inquiéter des autres avant elle-même, toujours à penser que demain sera meilleur, toujours à donner d’elle-même encore et encore sans que tarisse sa compassion immense pour nous tous, pour tous ceux qui ont croisé sa route.

Nous sommes forts d’elle, nous sommes fiers d’avoir partagé sa vie.

Maman, nous t’accompagnons aujourd’hui pour ton dernier voyage avec toute la lumière que tu nous as donnée. Je veux que tu te souviennes à quel point tu as été aimée, à quel point tu as compté pour nous tous. Je veux que tu saches que même si notre cœur est rempli de toi à craquer, tu nous manqueras éternellement. Repose en paix. Nous sommes avec toi.

Quant à moi, lorsque le manque sera trop cruel, je viendrai te retrouver au bout de cette route à la sortie ‘Narcy’ après les deux ronds-points, dans cette petite maison où j’ai été la plus heureuse du monde. J’ouvrirai la porte et tu seras là à m’attendre en souriant.

Je ne sais pas encore si je vais réussir à te survivre car tu as laissé en moi un trou béant dans lequel j’ai peur de me perdre à jamais. Mais je te promets que je vais faire de mon mieux. Pour toi.

Je t’aime, Maman. »

 

Mercredi 9 septembre 2020

Tout juste quand je viens de décider de migrer en Normandie pour de bon, maintenant que Maman n’est plus là, je reçois ce mail :

« Hello,

Merci pour ton intérêt et ta candidature à l’annonce de « Office Manager ».
J’aime beaucoup ton profil et aimerais en savoir un peu plus sur toi.

Serais-tu dispo pour un premier call dans les prochains jours ? Tu peux compter environ 30minutes, et je t’appellerai sur ton portable. Je te laisse me donner quelques créneaux et j’adapterai mon agenda.

Merci beaucoup
Bien à toi. »

 

Comme quoi, c’est toujours qu’on ne s’y attend pas que les choses changent. Comme l’appel de Walter ce midi. Pour me présenter ses condoléances. On a discuté un peu. Je lui envoie le lien de mon blog.

Demain, je vais voir Miles et Joan pour avancer sur notre projet. D’une parce que the show must go on, de deux parce que de rester seule à tourner en rond avec mon chagrin ne me dit pas du tout. J’ai plus que jamais besoin de me changer les idées.

Je rentrerai vendredi soir et samedi matin je repars pour les obsèques. Avec un peu de chance, je devrais être pas mal occupée les jours prochains. En fait, je fais tout pour éviter de me retrouver face à moi-même à fondre en larmes à tout bout de champ. Comme ce matin lorsque j’ai transformé le compte Facebook de Maman en mémorial.

Ou lorsque j’ai envoyé le certificat de décès à l’APA. Ou lorsque je reçois les condoléances qui n’arrêtent pas de pleuvoir depuis deux jours. Ou lorsque je dois sélectionner les plus belles photos d’elle pour les afficher à la cérémonie.

“…Keep your head held high, ride like the wind
Never look behind, life isn’t fair
That’s what you said, so I try not to care…”

 

Finalement, Toto a changé d’avis et est allé voir Maman au funérarium très tôt ce matin. Et il ne regrette pas.

COLLECTION

Les petits cochons en céramique, les PV, les aventures d’un soir… Moi, je collectionne les mauvaises nouvelles en une seule journée. Mais bien malgré moi.

 

Vendredi 4 septembre 2020

Cela a commencé avec l’appel de l’infirmière de l’EHPAD pour m’informer qu’elle avait appelé le SAMU car Maman aurait fait un malaise et serait limite comateuse. Je me suis donc préparée à l’inévitable. Mais l’hôpital n’a pas voulu la garder car les patients en soins palliatifs ne sont pas de leur ressort. Ils l’ont reboostée et renvoyée à l’EHPAD au bout de quelques heures. Tant mieux, pourrait-on dire. Sauf qu’elle est de nouveau confinée pour dix jours.

D’une certaine façon, j’ai hâte que cela se termine. Car cela fait plus de deux mois maintenant que je vis en apnée, depuis qu’on m’a dit « Préparez-vous, c’est pour bientôt » et ce n’est vraiment pas évident à supporter à long terme. Bref.

La seconde mauvaise nouvelle est venue de Kevin : il n’a plus de job, ses abrutis de patrons ont mis fin à sa période d’essai. Je n’ai pas plus de détails mais bon, je suis bien ennuyée pour lui. J’étais sincèrement contente qu’il s’en sorte, qu’il se fasse une nouvelle vie et tout ça. C’est moche, quoi.

Surtout dans la période actuelle. Je suis bien placée pour le savoir. D’ailleurs, la troisième mauvaise nouvelle est que le projet d’épicerie dans le village de Toto ne se fera pas car le propriétaire n’y croit plus trop. Cela aurait été de toute façon un job d’appoint car il n’y aurait pas eu de quoi se sortir un salaire décent. Toujours est-il qu’il est enclin néanmoins à me rencontrer, j’irai pour la forme mais bon, j’ai fait une croix  dessus.

Une croix aussi sur un éventuel poste lambda d’assistante administrative à Nanterre : le Pôle Emploi a beaucoup aimé mon CV et l’a transmis lundi à un potentiel employeur qui, selon eux, allait sans aucun doute m’appeler pour un entretien. Bah on est vendredi et je n’ai pas été appelée.

Et dans la série défection, lundi également j’ai eu des news de Walter qui a bien repris le boulot après sa quatorzaine. Quelques velléités d’un déjeuner avec moi bientôt… A nouveau, on est vendredi et silence radio.

Mais le pompon sur la cerise, c’est que je refais une crise aigüe de fibromyalgie. Je l’ai sentie venir insidieusement cette semaine et ce matin, j’en ai eu la confirmation. Je suis extrêmement fatiguée, j’ai mal de la tête aux pieds, je ne supporte plus la lumière et je ne pense qu’à me rouler en boule au fin fond de mon lit. J’ai été tranquille depuis deux mois, j’ai même pensé que j’étais guérie, quelle incorrigible naïve que je suis ! Bref, c’est comme ça, ça va passer.

Enfin, la chose à ne pas faire lors d’une journée aussi merdique, c’est de remonter sur la balance… Rien de tel pour me faire tacler sournoisement et me faire mettre à terre une fois pour toutes. Ça et de constater que toutes mes chaussettes ont des trous et que je ne peux plus décemment les amener à Maman pour qu’elle les raccommode.

 

Voilà. Une bien longue liste de trucs pourris à encaisser en une seule journée. Mais si je suis K.O. physiquement, je ne le suis pas moralement. Enfin, pas trop. C’est bizarre, je suis même assez pimpante dans ma tête et je parviens encore à me pousser aux fesses comme une grande : demain, je vais voir Maman, lundi je déjeune avec Nénette et mardi je retourne voir Miles et Joan à Arromanches car le projet a bien avancé mais il faut commencer à prendre certaines décisions.

Et plus j’y pense, plus l’idée de partir de Paris fait jour en moi et donc, pourquoi pas la Normandie ? J’ai même regardé les offres d’emploi dans le secteur. Bah ils cherchent un « Responsable du Rayon Liquides » chez Leclerc à Bayeux… Comme ça, je serais à côté de chez Miles et Karen pour continuer de les aider…

C’est un changement de vie radical. Gagner le SMIC dans un supermarché dans une petite bourgade de province et louer un mobil-home en bord de mer. Je ne sais pas. Ça fait son chemin dans ma tête. Mais pas pour tout de suite tout de suite, cependant. Pas tant que Maman est là. Car je ne veux pas mettre 500 km entre elle et moi pour l’instant.