JOURNAL   Saison 5

MA MERE, MA FORCE, MA FAIBLESSE

« Le code de l’entrée principale est 2015. Le salon sera sur votre droite et s’appelle La Forêt des Bertranges. Appuyez sur le 0 pour déverrouiller et quand cela clignote vert, vous pouvez entrer. Prenez tout votre temps et ré-appuyez sur le 0 en partant pour re-verrouiller la porte. »

 

Mardi 8 septembre 2020

Hier matin, quand j’ai vu le numéro de Toto s’afficher, j’ai su. Elle est partie dans son sommeil comme elle l’a toujours souhaité. Tout comme j’ai su samedi dernier lorsque je suis allée la voir à l’EHPAD que c’était la fin. A peine consciente, toute recroquevillée sous son drap, j’ai senti son âme glisser tout doucement tandis que je lui tenais la main. J’ai voulu me jeter dans ses bras mais je n’ai pas pu, je me suis enfuie en courant, des larmes plein les yeux.

Malgré cela, l’annonce de son décès hier m’a littéralement sonnée. J’ai erré un long moment dans l’appartement, complètement désorientée comme un poulet sans tête. Puis, je me suis reprise, j’ai passé quelques coups de fil, fait mon baluchon et j’ai pris la route.

Pas une larme sur le trajet qui s’est fait sans musique dans le seul ronronnement de ma voiture. Dans ma tête, c’était l’alternance entre le vide sidéral et un flot de pensées erratiques. J’ai conduit comme un robot et je suis arrivée chez Toto qui venait de rentrer du boulot. Ma belle-sœur aussi.

Comme à leur habitude, ils masquaient leur émotion en s’activant comme si de rien n’était. Ils avaient bien les yeux rougis et reniflaient encore mais leur besoin impératif de se contenir à tout prix était le plus fort. Je leur ai emboîté le pas presque naturellement.

Il n’y a que le soir, seule sur la terrasse pour ma dernière cigarette sous une belle nuit étrangement étoilée, que le barrage en moi a rompu. Je me suis effondrée.

Ça m’a fait du bien, en fait. Même si je n’ai pas beaucoup dormi, je me suis levée ce matin un peu plus légère et prête à affronter cette nouvelle journée de démarches en tout genre, à commencer par les pompes funèbres pour finaliser les obsèques qui se dérouleront samedi prochain.

Je demande si je peux voir Maman à la chambre funéraire où elle a été amenée hier soir. On me répond que ce n’est pas une bonne idée, qu’il vaut mieux la voir toute pomponnée à la mise en bière pour garder une bonne image d’elle. Mais je me souviens de mon horreur à voir Papa maquillé comme une voiture volée, figé comme une statue de cire et… Non, je dois la voir avant. Car après, ce sera plus elle. J’ai besoin de lui faire mes adieux à ma façon, comme je voulais le faire samedi dernier.

Toto fait une grimace indescriptible. Il est très mal à l’aise. Devant son regard horrifié, je précise que cette démarche est très personnelle et que je comprends que lui, ne le souhaite pas. Alors, on me dit qu’on me rappellera dans la journée, ce sera peut-être possible en fin d’après-midi.

Bref. En sortant,  j’appelle le notaire, la banque, on va faire faire un devis au restaurant-traiteur pour le repas après les obsèques, on appelle tout le monde pour savoir combien on sera, qui couchera sur place, tout ça, et on repasse à l’EHPAD pour récupérer les affaires de Maman.

Autant aux pompes funèbres je suis restée de marbre, c’est le cas de le dire, autant devant le tas d’affaires dans le salon de Toto, je ne peux empêcher mes larmes de revenir. C’est tellement dur que je fourre tout dans de grands cartons que l’on monte au grenier, je n’ai pas le cœur de trier et encore moins de jeter quoique ce soit. J’attrape juste une photo ou deux et le dernier chemisier qu’elle ait porté.

Et l’on m’appelle enfin pour me dire que je peux venir voir Maman à partir de 18.00 ce soir jusqu’à demain matin 9.00.

 

18.35. Je viens de me garer devant la maison funéraire. Tonton m’appelle car il ne trouve pas l’adresse de la maison funéraire justement sur Google Maps. Il s’affole car il veut être sûr d’être à l’heure samedi matin. Alors, je le rassure en lui disant que s’il sait où est le cimetière, il trouvera facilement car c’est juste en face.

Je tape 2015 sur le digicode et je pousse la lourde porte vitrée. On est dans l’ambiance dès qu’on entre : le silence est absolu, la décoration est sobre et raffinée et des boîtes de Kleenex ont été disposées tous les 50 cm.

Je trouve facilement le salon La Forêt des Bertranges, j’hésite un instant puis j’ouvre la porte. Je me retrouve dans une petite pièce aux mêmes tonalités parme et bois que le hall d’entrée, c’est très joli, on se croirait presque dans un institut de beauté. Une antichambre sur la gauche séparée par de grands panneaux japonais de couleur ivoire. Et je la trouve là dans sa petite chemise de nuit à fleurs, paisiblement étendue sous un voile de lin et de dentelle…

Dieu qu’elle est belle ! Son teint est éclatant, ses rides ont comme disparu, elle a l’air parfaitement détendu, la tête légèrement penchée sur le côté, on dirait qu’elle dort… J’appréhendais de voir les stigmates de la mort déjà installés mais là, c’est tout le contraire, elle est presque radieuse !

Cela me submerge. Je ne pensais pas qu’on pouvait ressentir autant de joie et de douleur en même temps. Alors, dans un mélange de larmes et de rires, je la prends dans mes bras.

« Je suis là, Maman, je suis venue dès que j’ai pu. Comme tu es belle ! Je voulais te dire au revoir et te dire à quel point tu vas me manquer. Je t’aime tellement ! »

Même le froid de sa peau ne me rebute pas. Je lui caresse la joue, je la recoiffe, je me blottis contre elle, je scrute son visage de toutes mes forces, j’attends qu’elle ouvre les yeux… Je voudrais rester là pour toujours.

 

Et tandis que je remonte sur Paris tard dans la soirée, les mots de l’éloge que je ferai samedi s’écrivent tout seuls dans ma tête :

« Perdre sa mère, pour tout un chacun sur cette terre, c’est une peine indescriptible. Nous, nous pleurons aujourd’hui le départ de la nôtre dans une douleur incommensurable.

Car elle était non seulement celle qui nous a élevés, celle qui nous a aimés du plus fort qu’elle ait pu mais elle était aussi celle qui nous a sauvés lorsqu’on n’était que des oisillons tombés du nid dont personne ne voulait.

Nous ne sommes pas sortis de son ventre et pourtant, elle était sans l’ombre d’un doute notre mère, notre foyer, notre univers tout comme nous étions sa couvée, sa tribu, la chair de sa chair.

Rebelle, anticonformiste, chiante on peut le dire, une tête de mule au caractère bien trempé – ce qui posait d’ailleurs souvent des problèmes avec moi, sa copie conforme de ce côté-là – mais elle était aussi altruiste et généreuse, ouverte d’esprit, gaie, positive et aimante, toujours à s’inquiéter des autres avant elle-même, toujours à penser que demain sera meilleur, toujours à donner d’elle-même encore et encore sans que tarisse sa compassion immense pour nous tous, pour tous ceux qui ont croisé sa route.

Nous sommes forts d’elle, nous sommes fiers d’avoir partagé sa vie.

Maman, nous t’accompagnons aujourd’hui pour ton dernier voyage avec toute la lumière que tu nous as donnée. Je veux que tu te souviennes à quel point tu as été aimée, à quel point tu as compté pour nous tous. Je veux que tu saches que même si notre cœur est rempli de toi à craquer, tu nous manqueras éternellement. Repose en paix. Nous sommes avec toi.

Quant à moi, lorsque le manque sera trop cruel, je viendrai te retrouver au bout de cette route à la sortie ‘Narcy’ après les deux ronds-points, dans cette petite maison où j’ai été la plus heureuse du monde. J’ouvrirai la porte et tu seras là à m’attendre en souriant.

Je ne sais pas encore si je vais réussir à te survivre car tu as laissé en moi un trou béant dans lequel j’ai peur de me perdre à jamais. Mais je te promets que je vais faire de mon mieux. Pour toi.

Je t’aime, Maman. »

 

Mercredi 9 septembre 2020

Tout juste quand je viens de décider de migrer en Normandie pour de bon, maintenant que Maman n’est plus là, je reçois ce mail :

« Hello,

Merci pour ton intérêt et ta candidature à l’annonce de « Office Manager ».
J’aime beaucoup ton profil et aimerais en savoir un peu plus sur toi.

Serais-tu dispo pour un premier call dans les prochains jours ? Tu peux compter environ 30minutes, et je t’appellerai sur ton portable. Je te laisse me donner quelques créneaux et j’adapterai mon agenda.

Merci beaucoup
Bien à toi. »

 

Comme quoi, c’est toujours qu’on ne s’y attend pas que les choses changent. Comme l’appel de Walter ce midi. Pour me présenter ses condoléances. On a discuté un peu. Je lui envoie le lien de mon blog.

Demain, je vais voir Miles et Joan pour avancer sur notre projet. D’une parce que the show must go on, de deux parce que de rester seule à tourner en rond avec mon chagrin ne me dit pas du tout. J’ai plus que jamais besoin de me changer les idées.

Je rentrerai vendredi soir et samedi matin je repars pour les obsèques. Avec un peu de chance, je devrais être pas mal occupée les jours prochains. En fait, je fais tout pour éviter de me retrouver face à moi-même à fondre en larmes à tout bout de champ. Comme ce matin lorsque j’ai transformé le compte Facebook de Maman en mémorial.

Ou lorsque j’ai envoyé le certificat de décès à l’APA. Ou lorsque je reçois les condoléances qui n’arrêtent pas de pleuvoir depuis deux jours. Ou lorsque je dois sélectionner les plus belles photos d’elle pour les afficher à la cérémonie.

“…Keep your head held high, ride like the wind
Never look behind, life isn’t fair
That’s what you said, so I try not to care…”

 

Finalement, Toto a changé d’avis et est allé voir Maman au funérarium très tôt ce matin. Et il ne regrette pas.

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