JOURNAL   Saison 5

CONVERGENCE DES ASTRES

Tremblement de terre. Glissement des plaques tectoniques. Faille béante. Eruption. Destruction. Et moi,  je suis au beau milieu de cette apocalypse, hébétée, soufflée par la déflagration qui n’en finit pas de résonner.

 

Dimanche 13 septembre 2020

… Six paquets et demis de kleenex + les quatre boîtes de la maison funéraire…

… Des sanglots par vagues qui m’étouffent, qui me font convulser de la tête aux pieds…

… Un milliard de fleurs, tout autant d’hommages, dont celui de Sean depuis le Japon et la présence de Kevin tout en larmes…

… Ma voix qui déraille et mes mots qui s’étranglent de larmes au micro du funérarium…

… Des mains dans mon dos, des bras autour de mes épaules dont je ne saurais dire à qui ils appartiennent…

… Le réconfort d’avoir pris la bonne décision de voir Maman mardi dernier, au naturel…

Et l’horreur de constater qu’elle a été maquillée à la va-vite et qu’ils lui ont « tiré » la bouche dans un semblant de sourire à la Joker, sans compter l’absence des gendarmes pour les scellés du cercueil, ni le fait que l’on ne nous a pas donné la possibilité d’assister à la mise à la flamme, qu’ils ont fait une boulette sur sa date de naissance sur le certificat de crémation et qu’ils ont zappé la photo de Maman sur la plaque mortuaire. Bref, ça sent l’amateurisme à plein nez.

Mais le pire, c’est que dans ses effets personnels que l’on nous a remis, on n’a pas trouvé sa bague et sa montre alors que j’ai bien insisté mardi et qu’on m’a répondu « Bien sûr, je vais demander à ce qu’on vous les mette de côté ». Ce n’est pas pour leur valeur marchande, sa montre d’ailleurs était un cadeau la Redoute, mais pour leur valeur sentimentale, inestimable à mes yeux.

J’aimerais juste savoir si c’est là aussi la preuve de leur incompétence ou si c’est une arnaque en bande organisée au sein des Pompes Funèbres Générales. Déjà, pas de gendarmerie, pas de preuve de mise à la flamme, alors quoi, ils ont jeté le corps de Maman dans une fosse, ont présenté un cercueil vide et fait semblant de l’incinérer ?!! Quand on voit le prix de ces prestations et le coût d’une boîte en bois, on peut comprendre l’envie d’arnaque.

Et mardi dernier, j’aurais dû faire quoi, fouiller son corps à la chambre funéraire et récupérer ses bijoux moi-même ? Cela m’a bien effleuré l’esprit mais je n’avais pas trop la tête à ça et si ça se trouve, ils l’avaient déjà dépouillée. Et quelque part, je doute que ce soit le personnel de l’EHPAD que je considère bien plus que ces pseudos croque-morts aux mains tatouées et au regard fuyant…

Sur le moment, on n’a pas réagi. Je pense qu’on était, Toto et moi, complètement anesthésiés par la douleur. Ce n’est que plus tard en se retrouvant tous autour d’un verre de cidre chez Toto qu’on a commencé à débusquer le lièvre, notamment à cause de l’erreur sur le certificat de crémation.

Bref. Demain, ils vont m’entendre. Et s’il faut porter plainte, on le fera. Même si tout ce cirque me fatigue d’avance. On n’a pas assez à penser en ce moment, il faut se rajouter une bonne couche de soucis et pas des moindres. J‘aimerais juste pouvoir faire mon deuil tranquillement. 

Bon, il n’y a pas eu que des choses négatives. On a pu revoir la famille par exemple, famille qui s’est réduite à peau de chagrin depuis quelques temps déjà, donc c’était Tata, Tonton et nos trois cousins. On a même pu faire une parenthèse le midi à table et passé au final un bon moment tous ensemble.

Je suis rentrée tard dans la nuit, après la collation du soir chez Toto et sa bruyante belle-famille, les mêmes ostrogoths au verbe haut et au lever de coude en rafale que pour les funérailles de la mère de ma belle-sœur fin juillet. Là, ils étaient un peu sur la retenue tout de même et le repas d’obsèques ne s’est pas transformé, pas trop, du moins, en happy-hour.

Au début, c’était bien, ça m’a changé les idées. J’ai même pu rire des pitreries du copain de la sœur de ma belle-sœur. Puis, ça m’a soulée. Il était prévu que je dorme sur place mais j’ai préféré rentrer. Je crois que j’avais besoin de silence. De sommeil, aussi.

Alors, en filant sur l’autoroute dans la nuit, j’ai fait mes derniers adieux à Maman.

 

15.30. Mes yeux me font mal, j’ai la voix éraillée, le nez irrité à force de me moucher et toujours un poids sur la poitrine qui comprime chacune de mes respirations mais je me sens étrangement apaisée. Comme si cette nuit sur la route en rentrant, j’avais réussi à extirper la douleur de mes entrailles en hurlant tout mon soûl.

Je ne sais pas si cet état de grâce est permanent ou si je vais replonger bientôt dans les affres de mon chagrin. J’envisage l’avenir dans un jet de pierre famélique, je vois demain lundi, après-demain mais ensuite, c’est le blanc.

Tant de choses sont arrivées en une semaine ! Maman, oui, mais pas seulement : une perspective de job à Paris, un vrai comme ça fait six mois et trois Go de mails envoyés que je l’attends, une autre mais en Nouvelle-Zélande, le grand saut, quoi, cette envie de petite vie tranquille en province, en Normandie en l’occurrence, qui est toujours là et qui s’est renforcée il y a trois jours car le pub d’Arromanches est à reprendre, la résurgence remplie d’espoirs de Walter qui ajoute à mon dilemme…

Comme une convergence des astres qui bouchonnent maintenant pour s’aligner.

J’ai toujours crevé d’envie de partir loin à l’étranger et j’ai toujours refusé pour rester auprès de ma mère, surtout quand mon père est parti. Aujourd’hui, je devrais me sentir libre de décamper au bout du monde si je le souhaite… C’est bizarre, comme sensation, je suis libérée de mes entraves mais je ne sais pas où aller. Rien ne me retient ici… Ou peut-être que si… Tout m’attend ailleurs… Tout est à faire ici… Je ne sais plus, je suis perdue.

Bref. Je vais essayer de me laisser du temps. Car ce sont des choix de vie trop importants pour les faire à la légère. Et je n’ai plus la force de me tromper encore une fois. Alors, j’ai encore quelques trucs pour les deux prochains jours, après, bah on verra.

Donc, demain première heure, je souffle dans les bronches des PFG. A 16.00 j’ai un entretien téléphonique pour le job d’Office Manager à Paris. Mardi matin, je remets au propre les notes prises sur place pour le projet de revival du Normandy Beach que je dois envoyer à Miles et Karen avant leur voyage en UK, mardi après-midi je vais voir le notaire avec les papiers pour la succession et je repasse au cimetière pour arroser les fleurs sur la tombe de Maman.

Cela me fait bizarre de me dire qu’à partir de mercredi, ma vie est une parfaite inconnue.

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1 avis sur “CONVERGENCE DES ASTRES

  1. Ri

    Pour la bague et la montre je pense que c’est une erreur, il est difficile de penser que c’est un vol…
    Si c’est la Nouvelle Zélande, bienvenue dans cette partie du monde ! J’ai un ami proche d’Auckland si on peut aider ,se sera avec plaisir ✨

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