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VERY BAD DREAMS

« Hello,

Merci d’avoir pris le temps d’échanger avec nous, et toutes mes excuses pour le délai de réponse!

Nous venons de faire une offre à un candidat, qui avait une grande expérience en environnement non structuré. Le poste d’Office Manager n’est donc plus à pourvoir.

Un grand merci pour l’intérêt que tu nous as porté, et peut-être à bientôt! »

 

Je ne serai donc pas ‘concierge’. J’avais pourtant bien insisté sur le fait que les ‘environnements non-structurés’ étaient justement ma spécialité, mais bon. Au moins, ils m’ont répondu. C’est le jeu, ma pôv’ Lucette.

 

Vendredi 25 septembre 2020

Je suis déçue. Mais surtout perplexe. Car cette fois-ci, j’étais motivée « tiger style » alors je me demande bien ce qu’il faut de plus. Je suppose que la période vraiment pourave pour les demandeurs d’emploi me décharge pour moitié au moins de mes responsabilités dans cet échec.

Bref. La boîte de Mimine a mis en stand-by ses recrutements, je peux clairement faire une croix sur les offres à l’étranger, quoique j’en ai reçu une cette semaine pour les Emirats Arabes mais je l’ai mise à la poubelle car ce n’est absolument pas mon truc, et bien sûr, pas de retour sur les autres postes pour lesquels j’ai postulé, à part parfois de laconiques « Merci, mais non, merci ».

Donc, retour à pieds joints dans mon marécage.

Les plaques tectoniques ont bien bougé mais c’était pour revenir à leur point de départ. Un faux tremblement de terre, beaucoup de barouf pour rien, quoi. Je ne peux même pas dire que cela m’a fait avancer dans ma tête car je suis autant perdue qu’il y a deux semaines.

J’imagine que mon actuelle détresse émotionnelle n’aide pas à y voir clair. C’est dur, je morfle vraiment. Je prends le contrecoup, le retour de flamme en pleine face. La journée, ça va car je m’occupe l’esprit. Mais quand je vais me coucher, la douleur vient me cueillir et une tornade de larmes s’empare de moi, un déluge qu’aucune de mes tentatives de raisonnement ne peut endiguer.

Je fais aussi d’horribles cauchemars dans lesquels je ne ressens que la violence, la douleur, le tourment, un concentré puant et visqueux de la lie de mon humanité, comme si mon don d’empathie du mal se retournait contre moi. Je me réveille en sueur, pétrie d’une angoisse abyssale. Les images ne s’effacent pas, j’allume la lumière, je vais boire un verre d’eau, je reprends un énième somnifère, je fume une cigarette, je remets la télé, je me rendors et rebelote deux heures après. Et ce, nuit après nuit depuis deux semaines.

Alors, pas de monstres, ni de visions d’horreur comme dans l’Enfer de Dante ni même de course contre la montre dans un labyrinthe sans fin mais je vois Maman sous tous ses aspects négatifs, je vois mon père aussi lorsqu’il était grabataire et délirait tel un dément, des fantômes du passé ressurgissent, des gens auxquels je n’ai pas repensé depuis une éternité qui viennent en procession lourds de reproches, chacun comme je l’ai connu sans l’exubérance que parfois les rêves confèrent, avec au contraire une redoutable précision et une authenticité désarmante.

Toute la vase remonte à la surface, des choses que je pensais avoir enterrées pour de bon, les scories de mon existence qui m’ont si longtemps handicapée d’un coup de rasoir au talon d’Achille et qui apparemment n’en ont pas terminé avec moi. Des choses que je n’ai jamais mises à jour, par honte, par peur, par souffrance, des choses indicibles qui hurlent pourtant au fond de moi pour sortir.

Ce n’est pas la première fois, mais j’avais réglé ça à l’époque à coup de barbituriques qui n’ont fait qu’enterrer plus profondément ce que je ne voulais pas affronter. Fallait bien que cela revienne un jour. Mais pourquoi est-ce le départ de ma mère qui déclenche au fond de moi cette lame de fond apocalyptique ? Etait-elle mon garde-fou ? Ma camisole ? Ou est-ce son message sous forme d’anathème pour que je puisse me libérer ? En aurais-je la force un jour ou serais-je à jamais une âme en peine ?…

 

10.00. Message de la CAF : j’ai droit désormais à la prime de solidarité. J’ai rien demandé, pourtant. Ainsi, avec le RSA, l’APL, la prime d’activité, le machin pour les plus de 26 ans et maintenant la prime de solidarité, me voilà biberonnée aux aides sociales. Pour une fois, je me dis qu’il fait bon d’être en France.

Le top, selon Nénette, serait que je trouve un petit job au black pour je profite de la life tranquillement. C’est sûr, je peux survivre comme ça financièrement pendant longtemps. Mais est-ce une vie pour moi ? Puis-je rester dans cet état larvaire assisté ad vitam aeternam ? Je n’en suis pas sûre.

Je ne sais plus rien, en fait. Pas même qui je suis aujourd’hui. Je me dis que j’ai peut-être besoin d’un regard neuf sur moi, pour que je puisse me recalibrer, me resituer, me redéfinir… Oui, une rencontre. Pas forcément romantique, ce n’est pas le propos. Quelqu’un qui soit et un miroir, et un team-building à lui tout seul, capable de motiver toutes les ressources tapies au fond de moi.

Oui, peut-être. Même si je lui souhaite bon courage.

 

13.00. En ces temps suspendus où le monde vit au rythme des annonces de l’OMS en attendant anxieusement de savoir s’il va se refermer à nouveau sur lui-même, un petit attentat terroriste n’était vraiment pas de trop… Oh ma petite Maman, tu es partie juste à temps, si je puis dire. Car aurais-tu supporté un nouveau confinement et ce nouvel acte odieux du même acabit que ceux qui t’ont révulsée il y a cinq ans ?

Le monde est malade, et pas que du covid.

LE CÂLIN DE L’ANGE

« C’est quoi, ce boulot d’Office Manager ? Tu vas être concierge ? »

La barre de rire, ô combien salvatrice, qui s’est emparé de notre petite assemblée. Merci, Harry. Toi seul pouvait réussir cet exploit de me faire descendre, même si momentanément, du nuage mélancolique sur lequel je me suis réfugiée depuis une semaine.

 

Samedi 19 septembre 2020

Chaque jour, j’ai ce réflexe « Tiens, je vais appeler Maman » suivi d’un vide puis d’une estocade en plein cœur. J’ai l’impression de vivre un mauvais rêve dont je peine à m’extirper. Toto, pareil. Chaque jour, il se dit « Tiens, je vais aller voir ma maman cet après-midi » il a l’impression qu’elle est toujours là, il parvient presque à sentir sa présence.

Les nombreuses photos chez lui y sont certainement pour quelque chose.

Moi, mardi, ça m’a littéralement crucifiée de douleur. C’est pour ça que chez moi, il n’y en a pas. A l’exception d’une seule que j’ai mise dans la bibliothèque et sur laquelle j’évite soigneusement de m’attarder.

Pauvre Toto. Je peux sentir son chagrin immense et pourtant, je suis incapable de lui apporter le moindre réconfort. Je n’ai même pas pu le prendre dans mes bras aux obsèques. Je sais cependant qu’il est bien entouré et je suis heureuse finalement du caractère de lionne de ma belle-sœur qui sait gérer. Je crois que, lâchement, je m’en suis remise à elle pour prendre soin de mon petit frère.

On s’appelle, pour savoir comment va l’autre. On se donne des nouvelles, le test covid de ma nièce est négatif, mon neveu a trouvé un job, moi j’ai mes dilemmes… Je ne croyais pas qu’on puisse devenir si proches lui et moi. Bref, il est tout mimi, il s’inquiète pour moi, à sa façon. Comme mardi soir avant de repartir, après le cinquième kilo de tomates du jardin que j’ai refusé, il s’est exclamé, quelque peu soucieux :

« Bah il faut bien que tu manges, quand même ! »

Lui pour qui le premier critère de qualité d’un restaurant est que ce soit copieux, lui que la perte d’appétit de Maman horrifiait, il a crû que je me laissais dépérir de chagrin et a exprimé son inquiétude en bourrant mon panier avec tous les légumes de son jardin. Comme si j’avais le temps et l’esprit à faire une ratatouille géante. Mais bon.

Oui, une semaine aujourd’hui qu’on a dit au-revoir à Maman. J’ai l’impression que ça fait une éternité. Depuis mardi, j’ai arrêté de pleurer. Je m’occupe l’esprit autant que je peux mais c’est souvent la nuit, lorsque je me réveille en sursaut d’un sommeil étrangement lourd, que c’est le plus dur.

Alors, malgré mon envie instinctive de retourner au fond de ma coquille, j’ai sonné l’alarme et déclenché le plan ORSEC « Sauvons Bichette » auquel mes amis ont répondu d’un seul corps. Déjà, Nénette hier midi avec Harry, son oncle magnétiseur et grand comique devant l’éternel que j’ai demandé à voir avant son grand départ à la Réunion pour ouvrir son cabinet de magnétiseur. Comme il a développé dernièrement son don de médium, j’avais peut-être besoin de ses lumières en cette période de grandes interrogations… Quand je lui ai tout déballé, il a dégainé son pendule doré et s’est mis à psalmodier :

« Hum… Alors, non, ce ne sera pas la Nouvelle-Zélande… Ni la Normandie… Je ne vois que Paris. »

Ça a fait sens et confirmé ce que je pressens au fond de moi depuis quelques jours. Tout le monde, Harry en tête de proue pourtant, a été enthousiaste à propos de la Nouvelle-Zélande, à part Toto que cela a affolé. Mais d’une, je ne me sens pas prête pour l’instant à me perdre au bout du monde, qui plus est si ce n’est pas le Montana, et de deux, comme ce recrutement avait un caractère urgent, je pense que c’est un peu mort aujourd’hui.

Quant à migrer en Normandie pour m’y faire une petite vie tranquille, sans être complètement reléguée aux oubliettes, je me dis que cette option est peut-être celle de la fuite de mes responsabilités, celle du voilage de face et d’une certaine façon, celle de l’abdication. En effet, les trois francs six sous du petit boulot que je trouverais sur place me permettrait de survivre mais ne me permettrait en aucun cas de rembourser ma dette, et ça, c’est une donnée que je ne peux ni ne veux effacer de mon tableau.

Cela m’a donc menée tout naturellement vers l’option de rester sur Paris. Avec un boulot et une paie qui s’entendent, je peux reprendre une vie décente, rembourser ma dette et passer mes week-ends à Arromanches pour continuer d’aider Miles et Joan. C’est le tout-en-un. C’est aussi l’option la plus rationnelle et celle qui pourra m’aider à me reconstruire.

Et cela commence par le boulot. Mon entretien téléphonique lundi s’est bien passé. Je n’ai pas bafouillé ni raconté de carabistouilles mais surtout, j’ai ressenti une réelle motivation pour ce poste d’Office Manager dans cette petite start-up devenue grande. J’ai d’ailleurs bien souligné le fait que c’était la première fois en six mois que j’avais un si bon feeling, tant sur la boîte que sur le poste proposé. Oui, c’est la seule fois que je me suis arrachée pour pondre une belle lettre de motivation, sincère et ciblée.

Bref, j’en ai parlé à Andrew qui s’est exclamé :

« Hé mais je les connais, ils sont venus faire une démo au boulot, ils sont bons ! Et j’ai une collègue qui est pote avec un des dirigeants, comme elle me doit un service, veux-tu que je lui demande d’appuyer ta candidature ? »

Du coup, hier soir j’ai revu le Scoobigang. Et la petite Abigail, la fille d’Andrew et de Mimine, qui a spontanément mis ses bras autour de moi en me couvrant de baisers. Le câlin de l’ange qui instantanément a tout apaisé en moi. Du haut de ses cinq ans, par ce simple geste d’une pureté cristalline, elle a posé sur mon cœur meurtri le pansement que n’a pu me donner Harry plus tôt dans la journée lorsqu’il a tenté, sur ma demande, d’extraire ma douleur. Bouleversant.

 

Une belle et forte journée. Remplie de sens et de coïncidences qui n’en sont pas, d’éclaircies dans la tempête, de lumière au bout du chemin… Une journée qui m’a réanimée. Même s’il reste encore des zones d’ombre bien mystérieuses. En effet, silence-radio de la part de Walter depuis une semaine. Je ne sais qu’en penser. Je n’ai pas encore analysé notre longue conversation. Comme c’est arrivé en plein chaos, je crois que j’ai tout mis de côté pour y repenser plus tard. Plus tard, c’est aujourd’hui mais c’est toujours aussi insondable.

Je ne souffre pas vraiment, je crois que j’ai tellement eu mal ces derniers jours que tout le reste me semble bien anodin, mais c’est là, dans l’ombre, lancinant.

Et puis, Nénette m’a confié que Bradley, mon premier mari, voudrait beaucoup me revoir. Elle l’a revu par hasard l’an dernier et est restée en contact depuis, il est même devenu un de ses patients ! Ils ont beaucoup papoté et reparlé du bon vieux temps – sacrément vieux car ça date de plus de vingt ans ! – et donc de moi… Elle m’a dit aussi qu’il lui avait avoué être passé souvent devant le restaurant rien que pour m’apercevoir… What the fuck ?!!

Bref. Du coup, elle a proposé un déjeuner chez elle la semaine prochaine. J’ai pas dit oui, j’ai pas dit non, je ne sais pas, je ne comprends rien. Je crois que j’ai un trop-plein d’informations à processer en même temps. Je déborde. Il faudrait que je me fie à mon intuition. Mais c’est un peu le bordel, de ce côté-là en ce moment, donc…

Enfin, la dernière zone d’ombres, et pas des moindres, c’est que la banque a réactivé, bien plus tôt que je ne l’aurais pensé, sa punaise de caution de 96 000 balles à lui devoir. Branle-bas de combat avec Kevin avec les avocats à saisir de notre dossier sans tarder. C’était prévu, c’est juste que cela me soûle d’entrer en mode combat dans cette période si particulière pour moi. Ça me fatigue rien que d’y penser.

Mais bon, quand faut y aller… Comme lundi lorsque j’ai lâché les chiens sur les pompes funèbres. J’ai mis en stand-by leur paiement auprès du fonds obsèques, j’ai appelé le crématorium, la gendarmerie, la mairie, le notaire, je leur ai vraiment fait la misère tout ça pour que l’EHPAD nous dise que la petite aide-soignante qui s’est occupée de Maman à son décès n’a pas su trop quoi faire et a fourré les bijoux de Maman dans un gant de toilette puis dans un sac en plastique tout au fond d’une des poches de son grand sac de voyage que l’on a bien récupéré.

Je me suis donc excusée, la mairie m’a bien confirmé la présence d’un agent de la police municipale à la pose des scellés, le crématorium m’a renvoyé le certificat corrigé et m’a éclairée sur la mise à la flamme à laquelle nous n’avons pas assisté : c’est quelque chose qu’ils ne font plus car cela a été jugé trop perturbant de voir par caméra le cercueil entrer dans la fournaise…

Je comprends tout-à-fait. C’était le moment que je redoutais le plus, en repensant comment cela s’était passé pour mon père. Limite, j’ai été soulagée qu’ils tirent le rideau et nous enjoignent à partir en fin de cérémonie. Mais cela aurait été bien qu’ils nous en informent au préalable.

Et dernières modalités chez le notaire mardi. Les comptes bancaires de Maman sont bloqués le temps de la succession, c’est-à-dire six mois environ. J’ai juste fait une requête pour planquer ma part d’héritage sur le compte de Toto ou à défaut, pour la faire consigner à la Caisse des Dépôts car il est hors de question que la banque mette ses pattes dessus. Il n’y a pas grand-chose, pourtant, mais ce pas grand-chose ne leur appartient pas.

Bref, toutes ces formalités administratives et ces chicaneries en tout genre m’emmerdent au plus haut point. Je déteste ça. Non pas parce que je ne sais pas comment les gérer mais parce que j’aimerais tellement être autre chose qu’un pit-bull en ce moment !

 

Je regarde la bague de Maman sur ma main gauche, un entrelacs de trois anneaux en argent. Une pacotille d’une valeur sans égal pour moi qui m’a été léguée comme le réceptacle d’un morceau de l’âme de Maman. Et cela me fait penser à ceux que le décès d’un proche frappe soudainement… Je les plains, vraiment.

Tout à faire en même temps, organiser les obsèques, la succession, trier les affaires, se résoudre à jeter, ne pas y parvenir, pleurer des heures devant un tas de photos que l’on ne peut s’empêcher de parcourir entièrement, garder religieusement des breloques sans valeur et des bibelots hideux simplement parce qu’on les relie à un souvenir précis de bonheur et d’insouciance, finir par vider la maison qui résonne alors de la mémoire du passé, se déchirer pour savoir si on la garde, si on la vend… Tout ça sous le choc, le cœur en lambeaux.

Pour nous, tout s’est fait par étapes depuis quatre ans et l’on savait depuis deux mois qu’elle pouvait partir à tout moment. Je sais même vivre sans elle depuis le 17 mai dernier où elle est partie aux urgences d’Ambroise Paré. Donc, autant dire que l’on était plus que préparé, toutes ou presque les considérations matérielles réglées, on voulait n’avoir la tête qu’à notre deuil.

Mais quand ça arrive, préparé ou pas, c’est quand même la panique, le désarroi, l’abîme sans fond et n’importe quelle formalité ou tracasserie n’ayant pas été circonvenue, si infime soit-elle, devient une épreuve insurmontable. Alors, j’imagine l’horreur que doivent éprouver ceux sur qui tout tombe sur la tête au même moment…

 

15.00. Coup de mou. Je voulais commencer le kick-off board du Normandy Beach, tout est prêt, y a plus qu’à mettre en forme dans un beau tableau excel. Je ferai ça demain. Et lundi, j’attends de pied ferme des nouvelles pour mon job de ‘concierge’.

Je m’en vais faire l’étoile de mer sur la banquette.

CONVERGENCE DES ASTRES

Tremblement de terre. Glissement des plaques tectoniques. Faille béante. Eruption. Destruction. Et moi,  je suis au beau milieu de cette apocalypse, hébétée, soufflée par la déflagration qui n’en finit pas de résonner.

 

Dimanche 13 septembre 2020

… Six paquets et demis de kleenex + les quatre boîtes de la maison funéraire…

… Des sanglots par vagues qui m’étouffent, qui me font convulser de la tête aux pieds…

… Un milliard de fleurs, tout autant d’hommages, dont celui de Sean depuis le Japon et la présence de Kevin tout en larmes…

… Ma voix qui déraille et mes mots qui s’étranglent de larmes au micro du funérarium…

… Des mains dans mon dos, des bras autour de mes épaules dont je ne saurais dire à qui ils appartiennent…

… Le réconfort d’avoir pris la bonne décision de voir Maman mardi dernier, au naturel…

Et l’horreur de constater qu’elle a été maquillée à la va-vite et qu’ils lui ont « tiré » la bouche dans un semblant de sourire à la Joker, sans compter l’absence des gendarmes pour les scellés du cercueil, ni le fait que l’on ne nous a pas donné la possibilité d’assister à la mise à la flamme, qu’ils ont fait une boulette sur sa date de naissance sur le certificat de crémation et qu’ils ont zappé la photo de Maman sur la plaque mortuaire. Bref, ça sent l’amateurisme à plein nez.

Mais le pire, c’est que dans ses effets personnels que l’on nous a remis, on n’a pas trouvé sa bague et sa montre alors que j’ai bien insisté mardi et qu’on m’a répondu « Bien sûr, je vais demander à ce qu’on vous les mette de côté ». Ce n’est pas pour leur valeur marchande, sa montre d’ailleurs était un cadeau la Redoute, mais pour leur valeur sentimentale, inestimable à mes yeux.

J’aimerais juste savoir si c’est là aussi la preuve de leur incompétence ou si c’est une arnaque en bande organisée au sein des Pompes Funèbres Générales. Déjà, pas de gendarmerie, pas de preuve de mise à la flamme, alors quoi, ils ont jeté le corps de Maman dans une fosse, ont présenté un cercueil vide et fait semblant de l’incinérer ?!! Quand on voit le prix de ces prestations et le coût d’une boîte en bois, on peut comprendre l’envie d’arnaque.

Et mardi dernier, j’aurais dû faire quoi, fouiller son corps à la chambre funéraire et récupérer ses bijoux moi-même ? Cela m’a bien effleuré l’esprit mais je n’avais pas trop la tête à ça et si ça se trouve, ils l’avaient déjà dépouillée. Et quelque part, je doute que ce soit le personnel de l’EHPAD que je considère bien plus que ces pseudos croque-morts aux mains tatouées et au regard fuyant…

Sur le moment, on n’a pas réagi. Je pense qu’on était, Toto et moi, complètement anesthésiés par la douleur. Ce n’est que plus tard en se retrouvant tous autour d’un verre de cidre chez Toto qu’on a commencé à débusquer le lièvre, notamment à cause de l’erreur sur le certificat de crémation.

Bref. Demain, ils vont m’entendre. Et s’il faut porter plainte, on le fera. Même si tout ce cirque me fatigue d’avance. On n’a pas assez à penser en ce moment, il faut se rajouter une bonne couche de soucis et pas des moindres. J‘aimerais juste pouvoir faire mon deuil tranquillement. 

Bon, il n’y a pas eu que des choses négatives. On a pu revoir la famille par exemple, famille qui s’est réduite à peau de chagrin depuis quelques temps déjà, donc c’était Tata, Tonton et nos trois cousins. On a même pu faire une parenthèse le midi à table et passé au final un bon moment tous ensemble.

Je suis rentrée tard dans la nuit, après la collation du soir chez Toto et sa bruyante belle-famille, les mêmes ostrogoths au verbe haut et au lever de coude en rafale que pour les funérailles de la mère de ma belle-sœur fin juillet. Là, ils étaient un peu sur la retenue tout de même et le repas d’obsèques ne s’est pas transformé, pas trop, du moins, en happy-hour.

Au début, c’était bien, ça m’a changé les idées. J’ai même pu rire des pitreries du copain de la sœur de ma belle-sœur. Puis, ça m’a soulée. Il était prévu que je dorme sur place mais j’ai préféré rentrer. Je crois que j’avais besoin de silence. De sommeil, aussi.

Alors, en filant sur l’autoroute dans la nuit, j’ai fait mes derniers adieux à Maman.

 

15.30. Mes yeux me font mal, j’ai la voix éraillée, le nez irrité à force de me moucher et toujours un poids sur la poitrine qui comprime chacune de mes respirations mais je me sens étrangement apaisée. Comme si cette nuit sur la route en rentrant, j’avais réussi à extirper la douleur de mes entrailles en hurlant tout mon soûl.

Je ne sais pas si cet état de grâce est permanent ou si je vais replonger bientôt dans les affres de mon chagrin. J’envisage l’avenir dans un jet de pierre famélique, je vois demain lundi, après-demain mais ensuite, c’est le blanc.

Tant de choses sont arrivées en une semaine ! Maman, oui, mais pas seulement : une perspective de job à Paris, un vrai comme ça fait six mois et trois Go de mails envoyés que je l’attends, une autre mais en Nouvelle-Zélande, le grand saut, quoi, cette envie de petite vie tranquille en province, en Normandie en l’occurrence, qui est toujours là et qui s’est renforcée il y a trois jours car le pub d’Arromanches est à reprendre, la résurgence remplie d’espoirs de Walter qui ajoute à mon dilemme…

Comme une convergence des astres qui bouchonnent maintenant pour s’aligner.

J’ai toujours crevé d’envie de partir loin à l’étranger et j’ai toujours refusé pour rester auprès de ma mère, surtout quand mon père est parti. Aujourd’hui, je devrais me sentir libre de décamper au bout du monde si je le souhaite… C’est bizarre, comme sensation, je suis libérée de mes entraves mais je ne sais pas où aller. Rien ne me retient ici… Ou peut-être que si… Tout m’attend ailleurs… Tout est à faire ici… Je ne sais plus, je suis perdue.

Bref. Je vais essayer de me laisser du temps. Car ce sont des choix de vie trop importants pour les faire à la légère. Et je n’ai plus la force de me tromper encore une fois. Alors, j’ai encore quelques trucs pour les deux prochains jours, après, bah on verra.

Donc, demain première heure, je souffle dans les bronches des PFG. A 16.00 j’ai un entretien téléphonique pour le job d’Office Manager à Paris. Mardi matin, je remets au propre les notes prises sur place pour le projet de revival du Normandy Beach que je dois envoyer à Miles et Karen avant leur voyage en UK, mardi après-midi je vais voir le notaire avec les papiers pour la succession et je repasse au cimetière pour arroser les fleurs sur la tombe de Maman.

Cela me fait bizarre de me dire qu’à partir de mercredi, ma vie est une parfaite inconnue.

MA MERE, MA FORCE, MA FAIBLESSE

« Le code de l’entrée principale est 2015. Le salon sera sur votre droite et s’appelle La Forêt des Bertranges. Appuyez sur le 0 pour déverrouiller et quand cela clignote vert, vous pouvez entrer. Prenez tout votre temps et ré-appuyez sur le 0 en partant pour re-verrouiller la porte. »

 

Mardi 8 septembre 2020

Hier matin, quand j’ai vu le numéro de Toto s’afficher, j’ai su. Elle est partie dans son sommeil comme elle l’a toujours souhaité. Tout comme j’ai su samedi dernier lorsque je suis allée la voir à l’EHPAD que c’était la fin. A peine consciente, toute recroquevillée sous son drap, j’ai senti son âme glisser tout doucement tandis que je lui tenais la main. J’ai voulu me jeter dans ses bras mais je n’ai pas pu, je me suis enfuie en courant, des larmes plein les yeux.

Malgré cela, l’annonce de son décès hier m’a littéralement sonnée. J’ai erré un long moment dans l’appartement, complètement désorientée comme un poulet sans tête. Puis, je me suis reprise, j’ai passé quelques coups de fil, fait mon baluchon et j’ai pris la route.

Pas une larme sur le trajet qui s’est fait sans musique dans le seul ronronnement de ma voiture. Dans ma tête, c’était l’alternance entre le vide sidéral et un flot de pensées erratiques. J’ai conduit comme un robot et je suis arrivée chez Toto qui venait de rentrer du boulot. Ma belle-sœur aussi.

Comme à leur habitude, ils masquaient leur émotion en s’activant comme si de rien n’était. Ils avaient bien les yeux rougis et reniflaient encore mais leur besoin impératif de se contenir à tout prix était le plus fort. Je leur ai emboîté le pas presque naturellement.

Il n’y a que le soir, seule sur la terrasse pour ma dernière cigarette sous une belle nuit étrangement étoilée, que le barrage en moi a rompu. Je me suis effondrée.

Ça m’a fait du bien, en fait. Même si je n’ai pas beaucoup dormi, je me suis levée ce matin un peu plus légère et prête à affronter cette nouvelle journée de démarches en tout genre, à commencer par les pompes funèbres pour finaliser les obsèques qui se dérouleront samedi prochain.

Je demande si je peux voir Maman à la chambre funéraire où elle a été amenée hier soir. On me répond que ce n’est pas une bonne idée, qu’il vaut mieux la voir toute pomponnée à la mise en bière pour garder une bonne image d’elle. Mais je me souviens de mon horreur à voir Papa maquillé comme une voiture volée, figé comme une statue de cire et… Non, je dois la voir avant. Car après, ce sera plus elle. J’ai besoin de lui faire mes adieux à ma façon, comme je voulais le faire samedi dernier.

Toto fait une grimace indescriptible. Il est très mal à l’aise. Devant son regard horrifié, je précise que cette démarche est très personnelle et que je comprends que lui, ne le souhaite pas. Alors, on me dit qu’on me rappellera dans la journée, ce sera peut-être possible en fin d’après-midi.

Bref. En sortant,  j’appelle le notaire, la banque, on va faire faire un devis au restaurant-traiteur pour le repas après les obsèques, on appelle tout le monde pour savoir combien on sera, qui couchera sur place, tout ça, et on repasse à l’EHPAD pour récupérer les affaires de Maman.

Autant aux pompes funèbres je suis restée de marbre, c’est le cas de le dire, autant devant le tas d’affaires dans le salon de Toto, je ne peux empêcher mes larmes de revenir. C’est tellement dur que je fourre tout dans de grands cartons que l’on monte au grenier, je n’ai pas le cœur de trier et encore moins de jeter quoique ce soit. J’attrape juste une photo ou deux et le dernier chemisier qu’elle ait porté.

Et l’on m’appelle enfin pour me dire que je peux venir voir Maman à partir de 18.00 ce soir jusqu’à demain matin 9.00.

 

18.35. Je viens de me garer devant la maison funéraire. Tonton m’appelle car il ne trouve pas l’adresse de la maison funéraire justement sur Google Maps. Il s’affole car il veut être sûr d’être à l’heure samedi matin. Alors, je le rassure en lui disant que s’il sait où est le cimetière, il trouvera facilement car c’est juste en face.

Je tape 2015 sur le digicode et je pousse la lourde porte vitrée. On est dans l’ambiance dès qu’on entre : le silence est absolu, la décoration est sobre et raffinée et des boîtes de Kleenex ont été disposées tous les 50 cm.

Je trouve facilement le salon La Forêt des Bertranges, j’hésite un instant puis j’ouvre la porte. Je me retrouve dans une petite pièce aux mêmes tonalités parme et bois que le hall d’entrée, c’est très joli, on se croirait presque dans un institut de beauté. Une antichambre sur la gauche séparée par de grands panneaux japonais de couleur ivoire. Et je la trouve là dans sa petite chemise de nuit à fleurs, paisiblement étendue sous un voile de lin et de dentelle…

Dieu qu’elle est belle ! Son teint est éclatant, ses rides ont comme disparu, elle a l’air parfaitement détendu, la tête légèrement penchée sur le côté, on dirait qu’elle dort… J’appréhendais de voir les stigmates de la mort déjà installés mais là, c’est tout le contraire, elle est presque radieuse !

Cela me submerge. Je ne pensais pas qu’on pouvait ressentir autant de joie et de douleur en même temps. Alors, dans un mélange de larmes et de rires, je la prends dans mes bras.

« Je suis là, Maman, je suis venue dès que j’ai pu. Comme tu es belle ! Je voulais te dire au revoir et te dire à quel point tu vas me manquer. Je t’aime tellement ! »

Même le froid de sa peau ne me rebute pas. Je lui caresse la joue, je la recoiffe, je me blottis contre elle, je scrute son visage de toutes mes forces, j’attends qu’elle ouvre les yeux… Je voudrais rester là pour toujours.

 

Et tandis que je remonte sur Paris tard dans la soirée, les mots de l’éloge que je ferai samedi s’écrivent tout seuls dans ma tête :

« Perdre sa mère, pour tout un chacun sur cette terre, c’est une peine indescriptible. Nous, nous pleurons aujourd’hui le départ de la nôtre dans une douleur incommensurable.

Car elle était non seulement celle qui nous a élevés, celle qui nous a aimés du plus fort qu’elle ait pu mais elle était aussi celle qui nous a sauvés lorsqu’on n’était que des oisillons tombés du nid dont personne ne voulait.

Nous ne sommes pas sortis de son ventre et pourtant, elle était sans l’ombre d’un doute notre mère, notre foyer, notre univers tout comme nous étions sa couvée, sa tribu, la chair de sa chair.

Rebelle, anticonformiste, chiante on peut le dire, une tête de mule au caractère bien trempé – ce qui posait d’ailleurs souvent des problèmes avec moi, sa copie conforme de ce côté-là – mais elle était aussi altruiste et généreuse, ouverte d’esprit, gaie, positive et aimante, toujours à s’inquiéter des autres avant elle-même, toujours à penser que demain sera meilleur, toujours à donner d’elle-même encore et encore sans que tarisse sa compassion immense pour nous tous, pour tous ceux qui ont croisé sa route.

Nous sommes forts d’elle, nous sommes fiers d’avoir partagé sa vie.

Maman, nous t’accompagnons aujourd’hui pour ton dernier voyage avec toute la lumière que tu nous as donnée. Je veux que tu te souviennes à quel point tu as été aimée, à quel point tu as compté pour nous tous. Je veux que tu saches que même si notre cœur est rempli de toi à craquer, tu nous manqueras éternellement. Repose en paix. Nous sommes avec toi.

Quant à moi, lorsque le manque sera trop cruel, je viendrai te retrouver au bout de cette route à la sortie ‘Narcy’ après les deux ronds-points, dans cette petite maison où j’ai été la plus heureuse du monde. J’ouvrirai la porte et tu seras là à m’attendre en souriant.

Je ne sais pas encore si je vais réussir à te survivre car tu as laissé en moi un trou béant dans lequel j’ai peur de me perdre à jamais. Mais je te promets que je vais faire de mon mieux. Pour toi.

Je t’aime, Maman. »

 

Mercredi 9 septembre 2020

Tout juste quand je viens de décider de migrer en Normandie pour de bon, maintenant que Maman n’est plus là, je reçois ce mail :

« Hello,

Merci pour ton intérêt et ta candidature à l’annonce de « Office Manager ».
J’aime beaucoup ton profil et aimerais en savoir un peu plus sur toi.

Serais-tu dispo pour un premier call dans les prochains jours ? Tu peux compter environ 30minutes, et je t’appellerai sur ton portable. Je te laisse me donner quelques créneaux et j’adapterai mon agenda.

Merci beaucoup
Bien à toi. »

 

Comme quoi, c’est toujours qu’on ne s’y attend pas que les choses changent. Comme l’appel de Walter ce midi. Pour me présenter ses condoléances. On a discuté un peu. Je lui envoie le lien de mon blog.

Demain, je vais voir Miles et Joan pour avancer sur notre projet. D’une parce que the show must go on, de deux parce que de rester seule à tourner en rond avec mon chagrin ne me dit pas du tout. J’ai plus que jamais besoin de me changer les idées.

Je rentrerai vendredi soir et samedi matin je repars pour les obsèques. Avec un peu de chance, je devrais être pas mal occupée les jours prochains. En fait, je fais tout pour éviter de me retrouver face à moi-même à fondre en larmes à tout bout de champ. Comme ce matin lorsque j’ai transformé le compte Facebook de Maman en mémorial.

Ou lorsque j’ai envoyé le certificat de décès à l’APA. Ou lorsque je reçois les condoléances qui n’arrêtent pas de pleuvoir depuis deux jours. Ou lorsque je dois sélectionner les plus belles photos d’elle pour les afficher à la cérémonie.

“…Keep your head held high, ride like the wind
Never look behind, life isn’t fair
That’s what you said, so I try not to care…”

 

Finalement, Toto a changé d’avis et est allé voir Maman au funérarium très tôt ce matin. Et il ne regrette pas.

COLLECTION

Les petits cochons en céramique, les PV, les aventures d’un soir… Moi, je collectionne les mauvaises nouvelles en une seule journée. Mais bien malgré moi.

 

Vendredi 4 septembre 2020

Cela a commencé avec l’appel de l’infirmière de l’EHPAD pour m’informer qu’elle avait appelé le SAMU car Maman aurait fait un malaise et serait limite comateuse. Je me suis donc préparée à l’inévitable. Mais l’hôpital n’a pas voulu la garder car les patients en soins palliatifs ne sont pas de leur ressort. Ils l’ont reboostée et renvoyée à l’EHPAD au bout de quelques heures. Tant mieux, pourrait-on dire. Sauf qu’elle est de nouveau confinée pour dix jours.

D’une certaine façon, j’ai hâte que cela se termine. Car cela fait plus de deux mois maintenant que je vis en apnée, depuis qu’on m’a dit « Préparez-vous, c’est pour bientôt » et ce n’est vraiment pas évident à supporter à long terme. Bref.

La seconde mauvaise nouvelle est venue de Kevin : il n’a plus de job, ses abrutis de patrons ont mis fin à sa période d’essai. Je n’ai pas plus de détails mais bon, je suis bien ennuyée pour lui. J’étais sincèrement contente qu’il s’en sorte, qu’il se fasse une nouvelle vie et tout ça. C’est moche, quoi.

Surtout dans la période actuelle. Je suis bien placée pour le savoir. D’ailleurs, la troisième mauvaise nouvelle est que le projet d’épicerie dans le village de Toto ne se fera pas car le propriétaire n’y croit plus trop. Cela aurait été de toute façon un job d’appoint car il n’y aurait pas eu de quoi se sortir un salaire décent. Toujours est-il qu’il est enclin néanmoins à me rencontrer, j’irai pour la forme mais bon, j’ai fait une croix  dessus.

Une croix aussi sur un éventuel poste lambda d’assistante administrative à Nanterre : le Pôle Emploi a beaucoup aimé mon CV et l’a transmis lundi à un potentiel employeur qui, selon eux, allait sans aucun doute m’appeler pour un entretien. Bah on est vendredi et je n’ai pas été appelée.

Et dans la série défection, lundi également j’ai eu des news de Walter qui a bien repris le boulot après sa quatorzaine. Quelques velléités d’un déjeuner avec moi bientôt… A nouveau, on est vendredi et silence radio.

Mais le pompon sur la cerise, c’est que je refais une crise aigüe de fibromyalgie. Je l’ai sentie venir insidieusement cette semaine et ce matin, j’en ai eu la confirmation. Je suis extrêmement fatiguée, j’ai mal de la tête aux pieds, je ne supporte plus la lumière et je ne pense qu’à me rouler en boule au fin fond de mon lit. J’ai été tranquille depuis deux mois, j’ai même pensé que j’étais guérie, quelle incorrigible naïve que je suis ! Bref, c’est comme ça, ça va passer.

Enfin, la chose à ne pas faire lors d’une journée aussi merdique, c’est de remonter sur la balance… Rien de tel pour me faire tacler sournoisement et me faire mettre à terre une fois pour toutes. Ça et de constater que toutes mes chaussettes ont des trous et que je ne peux plus décemment les amener à Maman pour qu’elle les raccommode.

 

Voilà. Une bien longue liste de trucs pourris à encaisser en une seule journée. Mais si je suis K.O. physiquement, je ne le suis pas moralement. Enfin, pas trop. C’est bizarre, je suis même assez pimpante dans ma tête et je parviens encore à me pousser aux fesses comme une grande : demain, je vais voir Maman, lundi je déjeune avec Nénette et mardi je retourne voir Miles et Joan à Arromanches car le projet a bien avancé mais il faut commencer à prendre certaines décisions.

Et plus j’y pense, plus l’idée de partir de Paris fait jour en moi et donc, pourquoi pas la Normandie ? J’ai même regardé les offres d’emploi dans le secteur. Bah ils cherchent un « Responsable du Rayon Liquides » chez Leclerc à Bayeux… Comme ça, je serais à côté de chez Miles et Karen pour continuer de les aider…

C’est un changement de vie radical. Gagner le SMIC dans un supermarché dans une petite bourgade de province et louer un mobil-home en bord de mer. Je ne sais pas. Ça fait son chemin dans ma tête. Mais pas pour tout de suite tout de suite, cependant. Pas tant que Maman est là. Car je ne veux pas mettre 500 km entre elle et moi pour l’instant.

L’OEIL DE SAURON

« C’est bientôt la rentrée des classes ! Vous aurez bien sûr pensé à reprendre le rythme de coucher les enfants plus tôt car on veut éviter les réveils grincheux et le traînage de pieds dans la salle de bains le jour J ! »

Tout ce qui fait une bonne rentrée des classes, quoi.

 

Mardi 1er septembre 2020

Ah ces sacrés experts, ils s’en donnent à cœur joie depuis quelques jours avec leurs conseils pour parents débiles ! Bien sûr que le cartable n’est pas prêt, bien sûr qu’on va faire une boum jusqu’à 2h du mat la veille, bien sûr qu’on va les mettre devant la télé au petit-déj une demi-heure avant de partir à l’école…

Moi, je ne suis pas concernée mais ça m’agace quand même. Et ce qui finit de me faire perdre le reste de la zénitude acquise lors de ma petite escapade en Normandie – qu’est-ce que j’étais bien sur ma plage ! –  ce sont les nouvelles mesures anti-covid pondues par le gouvernement concernant les restaurateurs : ces derniers doivent désormais faire remplir à leurs clients dès leur arrivée un petit questionnaire avec identité et numéro de téléphone et… leur prendre la température !

« Premièrement, ce n’est pas à nous de faire ça. Deuxièmement, c’est encore notre trésorerie qui va en pâtir : après les écrans pvc, les gels, les masques, les visières, maintenant les thermomètres ! Enfin et surtout, cela va faire fuir la clientèle pour de bon ! Alors, je préfère fermer mon établissement, je perdrais moins d’argent ! »

Il a raison, ce Monsieur. On finit par être excédé par toutes ces absurdités. Je suis bien contente, finalement, d’avoir échappé à tout cela. S’ils n’avaient pas mis trois mois pour imposer le port du masque PARTOUT, on n’en serait peut-être pas là.

 

Oui, pas de doute, c’est la rentrée. Je l’ai constaté samedi dernier en ouvrant mes fenêtres : les monstres sont bien tous revenus dans le parc, en pleine forme ! Leurs cordes vocales aussi…

Donc exit la tranquillité du mois d’août.

Même la finale de la Ligue des Champions sur la terrasse en dessous il y a dix jours n’a pas (trop) perturbé la quiétude de mes oreilles… Comme ils supportaient le PSG, bah ils ont arrêté de beugler très vite. Il y avait même un silence mortuaire à 23.00. Ça m’a presque fait de la peine.

Mais qui dit rentrée des classes dit rentrée des bureaux, je ne me fais aucune illusion, ça va se remettre à brailler dans pas longtemps en dessous avec les happy-hours qui ne vont pas manquer de refleurir… Bon, j’arrête mes jérémiades de vieille radasse, il faut que je sois solidaire de tous les business qui s’en sortent. Allez-y, cassez-moi les oreilles, c’est signe de bonne santé !

A ce propos, j’ai discuté longuement hier avec Sarah Jane venue récupérer son vélo que j’ai ramené de chez ses parents Miles et Joan. Comme on a les mêmes idées et le même enthousiasme pour faire revivre le Normandy Beach, autant dire que la conversation a été enjouée.

Ça m’a fait de plus extrêmement plaisir de la revoir après toutes ces années. La fillette que j’ai connue, ce petit écureuil timide, est devenue une bien belle jeune femme souriante et lumineuse. C’est une tronche aussi : elle parle quatre langues, elle a fait Sciences Po et elle travaille en ce moment pour the English Embassy à Paris. Malgré son jeune âge, elle en impose, respect !

Bref, de partager les mêmes idées a confirmé que j’étais sur la bonne voie. Concernant le Normandy Beach bien sûr mais plus largement aussi dans ce projet de reconversion comme Consultante en renouveau d’entreprises…

Du coup, je zappe les nombreuses offres d’emploi que je continue de recevoir, celles-là même que je consultais avidement il y a encore une semaine. Elles me paraissent insipides, dénuées d’intérêt, complètement aux antipodes de ce qui m’anime en ce moment. J’ai un peu mauvaise conscience mais en même temps, elles ne m’ont rien apporté à ce jour alors je me dis que je ne passe pas à côté de grand-chose.

Toute mon attention est retenue par ce projet. Comme l’œil de Sauron sur Frodo et son anneau.

J’ai mis mon cousin Bruce dans la boucle, mon expert web et médias et j’ai commencé à tracer l’architecture de mon plan de bataille. Il y a tant à faire mais j’adore ça ! Plus trop le temps maintenant pour autre chose, comme le fitness… Bah ça tombe bien, la wii-fit est en fin de vie.

Bref, ça fait du bien de se lever avec un but. Ça fait du bien d’être débordée. Ça fait du bien de se sentir utile.

 

14.30. J’appelle Maman. Pas de réponse. Je m’y attendais. L’infirmière ne m’en dit pas plus qu’avant-hier lorsque je suis venue sur place avec Toto et la smala. Elle ne mange pratiquement plus sauf contrainte et forcée, et encore, seulement quelques bouchées sinon elle vomit, quand elle arrive à répondre au téléphone et qu’elle ne porte pas le combiné à son oreille sourde, elle raccroche au bout de trente secondes parce qu’elle se dit fatiguée, elle ne regarde plus la télé, elle ne s’intéresse à rien, elle se laisse mourir, quoi.

J’ai bien vu dimanche. Désormais, plus aucune conversation n’est possible avec elle. Elle n’est plus présente et aucune stimulation que ce soit ne peut la faire sortir de sa torpeur. Cliniquement, elle va relativement bien mais toutes ces fonctions cognitives sont aujourd’hui réduites à néant. Elle le dit à l’envi, d’ailleurs :

« Laissez-moi partir, je ne veux plus continuer. »

Je la comprends. A sa place, je voudrais la même chose. C’est du maintien de vie, de l’acharnement thérapeutique. Mais pour qui, au juste, pour elle ou pour nous ? Si j’en avais la force, je la ferais partir d’un coup d’oreiller. Ce n’est pas tant de risquer la prison qui me retient mais le besoin viscéral de grappiller encore quelques fragments d’elle avant la rupture de stock.

Donc, j’y retourne samedi.

 

Il fait froid depuis quelques temps. Une transition Sahara/Alaska un peu abrupte qui moi, à l’inverse de la plupart de mes congénères, m’a ravie. J’ai ainsi ressorti avec une joie non-dissimulée ma couette, mon pyjama pilou et mon plaid écossais pour glander sur la banquette, fin prête pour les grands frimas. Mais comme ils annoncent un redoux, je sens que je n’ai pas fini de ronchonner.

NORMANDY BEACH

Un ruisseau, deux ruisseaux, hop, no problemo. Mais le troisième, plus dodu que les précédents, ne se laisse pas enjamber aussi facilement. Je tente un triple axel double piqué pour épargner mes chaussures mais je rate l’atterrissage et manque de me vautrer lamentablement. Passablement vexée, je remballe ma fierté, mes pieds mouillés et m’en vais rejoindre les mouettes un peu plus loin sur un banc de sable sec.

Un chien regarde ce même ruisseau d’un œil dubitatif. Comme c’est une espèce de gros saucisson sur pattes très courtes totalement inefficaces pour pagayer, je comprends son hésitation. Mais c’est drôle.

Jeudi 27 août 2020

Réveil un peu douloureux ce matin dans la petite chambre avec mansarde du Bed & Breakfast de mes amis Miles et Joan. La muffée que j’ai prise hier soir y est fortement pour quelque chose. On a pourtant commencé très english-tea-time lorsque je suis arrivée en début d’après-midi mais on est vite montés d’un cran.

La tête de Miles lorsque je lui ai dit que je ne buvais plus de bière à cause du gluten… La tête de Joan aussi lorsque je lui ai dit que j’étais désormais une total-veggie-gluten-intolerant ! Devant son air passablement affolé, j’ai tenté de la rassurer mais elle a quand même tenu à faire un saut à la supérette du coin pour acheter six œufs et deux salades, au cas où…

« You have to eat something, right ? »

Miles, quant à lui, s’est vite ressaisi et s’est mis à déboucher quelques bouteilles de vin, dont un Saint-Peray que l’on a bu d’une traite en jacassant comme des pies. En grande partie au sujet de leur business qui est au plus mal. Je ne peux que constater : à part moi, y a personne. Bref, c’est la loose comme ça depuis le début de l’année et ça risque de durer.

Avec quelques poignées de nuitées et les aides de l’état auxquelles ils pensaient ne pas avoir droit, ils peuvent survivre encore un an. Après… Je leur ai demandé s’ils avaient un plan B. Ils se résoudront peut-être, la mort dans l’âme, à rejoindre R B n B afin de s’assurer un minimum de revenus. Comment cela ne doit pas être évident d’être forcé de se rallier à l’ennemi ! Manger dans la main de celui qui a tué le business à petit feu bien avant le Covid, je comprends qu’ils en aient lourd sur la patate rien que de l’envisager.

La désertification de ce lieu que j’ai toujours connu fourmillant de monde me fait mal au cœur. Une fois, la cour était tellement remplie de motos et il y avait tellement de bikers agglutinés autour de la grande table de ferme dehors, jonchée de bouteilles de bière, qu’on avait peine à circuler.

Moi, le trip moto et mécaniques en tout genre n’a jamais vraiment été mon dada mais l’ambiance, la convivialité, la passion partagée ont toujours su gagner mon cœur de parfaite néophyte. Alors, même si je faisais un peu semblant je l’avoue, moi aussi je me suis souvent extasiée devant les écrous flambant neufs. La bière aidait beaucoup, il faut bien le dire.

Ça, la bière gratos a toujours été très importante pour Miles. Je me souviens qu’il entassait des douzaines de bouteilles dans une poubelle géante avec des glaçons et invitait ses guests à se servir sans aucune façon, ce dont on ne se privait pas. En général, c’était plié en deux heures.

Et plus tard dans la soirée, on veillait autour de la cheminée et tout le monde se parlait, un verre de calvados à la main. A l’époque, j’étais moins bilingue que je ne le suis aujourd’hui et j’avais du mal avec l’accent so british de certains donc cela donnait lieu à pas mal d’interprétations approximatives de ma part et au final, à de franches rigolades.

Tiens, d’ailleurs, je ne sais pas si c’est l’alcool hier soir ou si c’est moi qui suis rouillée mais je parle anglais en ce moment comme une vache espagnole, selon la fameuse expression qui n’a aucun sens, à mon humble avis. Bref, dès que je veux aligner trois mots, je dois les répéter dans ma tête avant, ce qui n’empêche pas que je les sorte dans le désordre avec une grammaire fantaisiste et un accent mi-bengali, mi-bourguignon qui me colle une honte de lycéenne sous-douée en plein oral d’anglais…

On a papoté comme ça pendant près de deux heures puis Miles a consulté la pendule et s’est exclamé : « 19.00 ! Apéro-time ! Let’s go downtown ! » 

Il est conseiller municipal, autant dire qu’il connaît tout le monde et ce qui ressemblait de prime abord à un petit tour en ville est vite devenu une procession présidentielle avec serrage de louches (virtuel) et grandes tapes dans le dos : « Salut, ça va ? On s’appelle, on se fait un truc bientôt ? Et toi, comment vas-tu ? Ouais, je sais, on en a parlé lors du dernier comité, on se redit ça plus tard, okay ? »

Moi, j’ai suivi comme j’ai pu, déjà chancelante car rien d’autre que du vin dans l’estomac et nous sommes arrivés au pub, pit-stop incontournable dans cette tournée des grands ducs. J’ai bien senti le traquenard mais bon… Résultat : on est repartis deux heures après, ivre morte pour ma part, quasi incapable de marcher droit. On est rentrés, on a enfin mangé un truc puis on a fini le vin jusqu’à point d’heure. D’où la ruche dans mon crâne ce matin. Mais aucun regret. Une belle soirée qui m’a faite beaucoup de bien.

Deux nurofen et un saladier de café plus tard, j’attrape mon sac-à-dos et je file vers la plage. J’ai consulté les horaires de marée et la météo qui annonce de la pluie vers 16.00 : cela me laisse amplement le temps de faire une grande balade les cheveux au vent. Car de marcher en me vidant la tête, c’est un peu le but de ma venue.

Et je ne pouvais pas rêver mieux : le ciel est d’un bleu éclatant, le soleil hardi et le vent pas trop autoritaire… J’ai presque peine à croire que je suis en Normandie, mauvais esprit mis à part. Déjà hier, lorsque je suis arrivée pour faire mon pèlerinage, c’est-à-dire droper ma voiture en haut de Saint-Côme et rejoindre Arromanches en passant par la plage, j’ai bénéficié d’un temps idéal qui ne pouvait qu’augurer d’une belle journée aujourd’hui.

Trop belle, peut-être… J’ai bien pensé au coupe-vent à capuche mais pas au chapeau de soleil. Ce dernier ne tarde donc pas à me rappeler qu’il n’est pas l’ami de ma peau ultra-sensible… Je vais me choper un coup de soleil en Normandie, faut le faire ! Et d’un seul côté, en plus, vu que je marche tout droit vers l’est.

Bref, je parviens tout de même à faire roue-libre dans ma tête. Je regarde la mer au loin dans son habit de jade lumineux, les quelques baigneurs que je trouve bien téméraires, les chars à voile qui virevoltent dans une chorégraphie connue d’eux seuls, les gratteurs de sable qui remplissent frénétiquement leur seau de coques, les chiens qui se roulent dans le varech au grand dam de leurs maîtres qui les houspillent sans ménagement, les tracteurs qui charrient leurs immenses casiers d’huîtres, les mouettes alanguies au soleil qui s’éparpillent en grappes dès que j’approche…

La vie d’une petite plage normande par un jour de grand beau.

Ce qui risque de changer dans peu de temps… Je regarde à l’ouest les nuages s’amonceler doucement mais sûrement, alors je décide de faire une pause après deux bonnes heures de marche. Je rebrousserai chemin ensuite et avec un peu de chance, je serai de retour avant l’ondée annoncée.

Ainsi, seule au monde sur mon bout de rocher, je grignote mes chips et j’écris. Le silence est complet, tout s’est tu, les mouettes, les tracteurs… Serait-ce le calme avant la tempête ou juste la pause-déjeuner ?

Je repense à ma dernière venue dans le coin il y a un an avec Maman. Un mois avant qu’elle n’aille à l’hôpital. On avait fermé le restaurant quatre jours au 15 août, d’où cette petite escapade bienvenue dans le stress tumultueux de ma vie d’alors. Maman était déjà bien fatiguée mais encore relativement vaillante. Elle m’avait même accompagnée pour mon pèlerinage Saint-Côme/Arromanches par la plage !

Tant de choses ont changé depuis. Une année de chamboulement total, de séismes en tout genre, de remises en question sans épilogues. Une année à laquelle j’ai bien cru que je n’allais pas survivre. Mais quand je viens ici, cela remet mes pendules à l’heure et recharge mes batteries raplapla. Et dieu sait si j’en avais besoin !

Je ne sais pas pour autant ce que je vais faire de ma vie, ce que je vais devenir mais ce temps d’arrêt à laisser reposer les sédiments de la mare boueuse qu’est ma vie en ce moment, est fondamental pour y voir plus clair.

Bref. Je suis bien. Je pourrais rester là une éternité. Mais le gros nuage au-dessus de moi coupe court à mes rêveries avec ces quelques gouttes qui me font prestement déguerpir. 14.00, deux heures en avance sur ce qu’ils avaient annoncé, damned !

Donc, me voilà en train de pester mes beaux diables tandis que j’allonge le pas car les gouttes se resserrent. J’enfile ma capuche fissa en priant que cela se clairseme car mon port d’arrivée est bien loin sur l’horizon.

En fait, je prends une de ces chablées sur le nez ! Une pluie battante, bien lourde, en quelques minutes, je suis trempée jusqu’au soutien-gorge. L’avantage, mouillée pour mouillée, c’est que j’y vais gaiement dans les ruisseaux !

Je reviens donc dégoulinante chez Miles et Joan qui se moquent gentiment de ma mine piteuse mais qui finissent par avoir pitié en me proposant un thé bien chaud pour me réchauffer. Ah ça, c’est la Normandie comme je la connais ! La prochaine fois, j’amène le ciré et les cuissardes de pêche !

Vendredi 28 août 2020

16 ans que j’aime le Normandy Beach. Découvert un peu par hasard alors qu’il venait tout juste d’ouvrir. J’ai toujours préféré les chambres d’hôtes aux hôtels classiques, c’est plus convivial, et là, j’ai été plus que ravie, instantanément conquise. A l’époque, ils avaient trois chambres de refaites en haut de la grange et attaquaient la rénovation d’une quatrième. La cinquième, celle où je suis, a été refaite bien plus tard. C’est ma préférée, avec ses murs aux pierres d’époque et son petit air de cottage. Au rez de jardin, attenante au corps principal de la ferme, avec ma voiture garée juste devant, j’ai l’impression d’être dans un motel.

J’étais là d’ailleurs, le jour où ils ont dégagé les moellons de cet ancien grenier à grains. J’étais attablée au petit-déjeuner devant mon porridge assaisonné de whisky lorsque j’ai vu passer Miles avec une tasse de café et un grand verre de calva dans les mains. Devant mon œil interrogateur, il s’est exclamé : « C’est pour l’arpète, le jeune qui m’aide aux travaux, sinon, il avance pas ! »

Un grand moment. Comme tous ceux que j’ai passé ici.

J’avais prévu de repartir juste après le petit-déjeuner. Mais on recommence à papoter à propos de leur business et cela se transforme naturellement en un véritable brainstorming sur le sujet ‘The after-Covid big revival’. Du coup, je reste à déjeuner.

Cela m’apparaît soudain très clairement : mon business à moi est mort et il n’y a plus rien que je puisse faire mais si je peux aider à faire revivre le Normandy Beach, c’est ce que je vais m’attacher à faire dès aujourd’hui.

Je me sens presque investie d’une mission. Un milliard d’idées et de grands plans jaillissent dans mon esprit, tout s’imbrique alors très logiquement dans un dynamisme que je n’avais pas ressenti depuis très longtemps. Et comme c’est communicatif, Miles en est tout requinqué et c’est avec un large sourire qu’il me nomme alors sa ‘Business Revival Consultant’ HAHAHA !!!

Et même dans la voiture sur la route du retour que je ne vois pas passer donc, je cogite. C’est peut-être ma voie ? Je vais faire ça bénévolement bien sûr pour Miles et Joan et si cela marche, je peux me lancer par la suite ? En tout cas, c’est le premier truc qui m’emballe à ce point depuis un sacré bail. Je ressens une énergie, un enthousiasme débordant et au-delà de ça, je suis sûre de moi car j’ai l’intime conviction de savoir ce que je fais.

Comme une évidence. “THE NORMANDY BEACH : THE PLACE TO B n’ B”

And to be reborn, as I just have.

www.normandybeach.co.uk

FLOP FLOP

« J’en ai assez, je ne mange plus pour mourir plus vite. Dis, ma chérie, tu récupéreras ma bague quand je serai partie, hein ? »

Hier à l’EHPAD, assise au bord de son lit au matelas autogonflant, j’ai eu un mal fou à retenir mes larmes. Et l’infirmière n’a pu que confirmer son état mental déplorable.

 

Mardi 25 août 2020

Hier donc, Toto et moi lui avons amené ses dernières affaires, c’est-à-dire trois cartons de linge, ses cadres-photo et une étagère pour les mettre dessus. Le reste de ses meubles est resté chez Toto car cela n’a plus d’importance pour elle, comme tout le reste d’ailleurs.

Pourtant, lorsque je suis venue jeudi dernier la voir, elle n’allait pas trop mal. A part qu’elle commence à vraiment perdre la mémoire, parfois, elle reconnaît à peine les gens, comme son petit-fils… Moi, avec ma tête, elle arrive à me remettre sans difficultés mais ce n’est pas facile, j’imagine, pour ceux qu’elle fixe d’un regard amorphe sans pouvoir dire leur prénom…

Elle commence aussi à avoir des hallucinations et des délires récurrents. Elle a des bleus sur les bras causés par les multiples prises de sang et son hémophilie mais pour elle, c’est le résultat d’une ‘agression’ par de jeunes voyous qui auraient pénétré dans sa chambre tandis qu’elle était en train de retirer de l’espèce au distributeur… Ça me rappelle quand mon père a commencé à perdre la boule et qu’il voyait la nuit ‘l’amant’ de Maman monter dans la chambre de cette dernière. Il se mettait alors à hurler et à la traiter de tous les noms, moi pareil car il me pensait complice…

Bref. Jeudi, cela a choqué Tonton avec lequel on a fait un co-voiturage depuis Paris. Il a encore une pêche remarquable pour ses 81 ans qu’il ne fait pas du tout. Mais en sortant de l’EHPAD, je l’ai vu accuser le coup et l’immense chagrin qu’il devait ressentir est alors venu déposer sa créance d’ombres sur son visage…

Du coup, j’ai eu de la peine aussi pour lui et j’ai soudainement réalisé son âge. Comme je n’ai plus aucun tabou sur le sujet, je lui ai demandé ce qu’il avait prévu pour ses obsèques à lui. Il m’a répondu « Rien » et qu’il s’en foutait royalement. J’ai acquiescé mais lui ai glissé cependant que c’était important pour ceux qui restaient parce que lorsque cela arrive, on a tellement autre chose à penser qu’à deviner des dernières volontés qui n’ont pas été établies. Un petit plan obsèques est vraiment un confort d’esprit pour tout le monde.

Donc, je lui ai recommandé de laisser au moins un écrit disant qu’il s’en remettait complètement à Tata, ce qui a semblé faire sens. Puis, il m’a faite rire lorsqu’il m’a dit qu’il hésitait pour la crémation car il ne trouvait pas cela écologique, avec toute la dépense d’énergie et les rejets dans l’atmosphère… Ha ha ha, sacré Tonton, militant jusqu’au bout !

 

J’ai fait les changements d’adresse de Maman. Pragmatiquement, pas de souci, moralement… J’avoue que j’ai eu du mal à m’y faire. Comme de voir ses dernières affaires dans le sas de décontamination de l’EHPAD. La boucle est bouclée, c’est un chapitre qui se clôt pour moi mais je n’en ressens aucun soulagement. Ça me fait même un mal de chien.

Je repense à Mimine qui me disait en avril que je devais profiter de ces derniers instants avec ma mère, que même si à l’époque je ne la supportais plus et attendais son placement en EHPAD avec impatience, j’allais le regretter. Je crois bien qu’elle avait raison et que ce sont ces regrets qui me bouffent de l’intérieur.

A l’époque, je n’étais que colère et parfaitement incapable de repenser aux bons moments avec elle. Je ne faisais que de lui crier dessus, excédée, alors que ce n’était pas de sa faute. Elle était en fin de vie et je l’ai maltraitée. Je m’en veux tellement !

Aujourd’hui, ce qui me vient à l’esprit, ce sont justement tous ces moments de bonheur que j’ai partagés avec elle, tous les bons souvenirs, tout ce dont j’aurais dû profiter quand il était encore temps. Je regrette à un point !

Je me sens minable au plus profond de moi. A tel point que je ne sais pas si j’aurais un jour le courage de lui demander pardon. Punaise que c’est dur ! Si c’est ma punition, me voilà bien punie.

 

Sinon, samedi j’ai bien revu les enfants de Kevin comme c’était prévu. Ça m’a fait plaisir et peine en même temps. Plaisir de les revoir bien grandis, égal à eux-mêmes et de constater qu’ils ne m’ont pas rayée de leur cœur. Mais peine de ne pouvoir les serrer dans mes bras et une immense nostalgie de repenser au temps où je m’occupais d’eux comme une deuxième maman.

Ils m’ont manqué, ils me manquent encore aujourd’hui d’une certaine façon. Car j’ai toujours été naturellement maternelle, une vraie louve, malgré ou à cause du fait que je n’ai pas d’enfants à moi, je ne sais pas trop. Là, je me suis réfrénée, je suis restée bien à ma place d’ex-belle-mère et cela m’a renvoyée au marécage d’ex-tout dans lequel je patauge allègrement en ce moment : ex-belle-mère donc, ex tout court, ex-fille aussi, ex-patronne, ex-en pleine forme, je ne suis plus ce que j’ai été mais je ne sais pas pour autant ce que je serai demain…

Apparemment, pas responsable d’épicerie bio-éthique. On ne m’a appelée. Encore une ornière. Donc, me revoilà sur la route de la recherche d’emploi. Mais plus ça va, plus j’ai l’impression qu’elle ne me mènera nulle part. Bref, ça commence à me peser lourdement sur le moral, en plus de tout le reste.

Et hier, dans le village rural où habite Toto, j’ai vu un panneau pour une petite épicerie à créer, une initiative pour dynamiser le village comme il en existe beaucoup en France. On a pris quelques renseignements, le propriétaire est en vacances mais Toto le connaît bien et ira lui parler à son retour.

Il y a apparemment un gros potentiel dans ce village où l’on ne trouve qu’une boîte aux lettres, un café d’arcandiers et un distributeur de pain. C’est, de plus, un axe très fréquenté par les routiers. En faisant une rapide étude de marché avec Toto et ma belle-sœur qui seraient ravis d’avoir un truc de dépannage à proximité sans avoir à prendre la voiture, il s’avère qu’il faudrait faire aussi la livraison des courses à domicile pour les vieux dans la campagne profonde, un point wifi avec peut-être un petit espace salon de thé, vendre des bonbonnes de gaz car, je cite, c’est chiant de se trouver à court le dimanche en début de barbecue familial, le charbon de bois donc aussi, les glaçons, le pastis, le PQ, les Tampax, les cacahuètes, les piles et une tirette à bonbons selon ma nièce.

Pourquoi pas. Partir de Paris commence à devenir une idée de moins en moins saugrenue et quitte à partir, autant rallier la campagne profonde et son calme absolu. Avec le moins de voisins possible. D’ailleurs, lors de mes dernières pérégrinations dans le coin, je suis tombée par hasard sur la maison de mes rêves…

Au détour d’une route étroite à peine goudronnée avec de l’herbe au milieu, nichée au beau milieu d’un bois de noisetiers, j’ai découvert une petite maison biscornue flanquée d’un jardin à l’anglaise qui m’a immédiatement charmée. Un potager, deux poules grassouillettes, un minuscule ruisseau en contrebas et pas une maison alentour. Le nom du bled est écrit sur un bout de bois au début de la route, je trouve d’ailleurs cela un peu étrange de nommer un bled pour une seule maison mais ça me va bien.

Oui, j’avoue, me reclure au fin fond du trou du monde dans cette petite oasis n’est pas pour me déplaire. Alors, c’est vrai, certaines choses me manqueraient certainement, comme d’avoir toutes les commodités à portée de pied, les magasins ouverts jusqu’à 21 heures, la diversité des restaurants… Mais est-ce bien essentiel à mon bonheur aujourd’hui ?

Donc, changer radicalement de vie est peut-être la clé de mon renouveau. Je ne sais pas. Je serai, de plus, près de Toto et de Maman, un rassemblement familial, en quelque sorte. Et un retour aux sources. Je pourrais le voir aussi comme une régression, moi qui me suis sauvée à tire-d’aile de ce trou pourri dès que j’en ai eu l’occasion, mais ma vie dissidente m’ayant bien étrillée, j’ai peut-être besoin de ça maintenant pour me reconstruire.

Quant à ce projet d’épicerie, c’est tentant, même avec la palanquée d’horaires à rallonge qui vont avec ce type de commerce de proximité. Ce qui m’inquiète, en revanche, c’est le corps de ce projet : est-ce une gérance ou ai-je un patron ? Je préfèrerais la deuxième option car cela veut dire que j’aurais une paie et parce que de repiquer sur le patronat ne me dit pas du tout.

Car, si cela ne marche pas, si j’en ai marre et que je veux partir, en cas de gérance, il faudra trouver repreneur, tatati tatata… Bref, c’est un projet auquel je risque de me retrouver encore pieds et poings liés, l’expérience du restaurant m’a tellement traumatisée que je ne suis pas sûre de vouloir refaire la même de mon escient.

D’ailleurs, le mail ce matin du liquidateur judiciaire ne fait que me conforter dans mon aversion. Pour faire court, les 60.000 balles pour le rachat du fonds couvrant tout juste les dettes privilégiées, il ne restera rien pour la banque qui se rappellera alors à notre bon souvenir en activant les cautions solidaires en fin de balance des comptes passif-actif, on va dire en janvier prochain. Techniquement, je suis encore la Présidente de ma S.A.S. qui n’est toujours pas liquidée et je trouve hilarant d’absurdité qu’on vienne réclamer 96.000 balles à une ex-dirigeante qui touche le RSA.

Pareil pour Kevin. Même si lui a retrouvé un emploi, lui réclamer une telle somme est intolérable quand on sait tout ce que lui et moi avons perdu dans cette affaire. C’est pour cela que lorsqu’ils activeront les cautions, on les contestera avec force avocats. Si l’on doit rembourser une dette, ce sera notre dette d’honneur et aucune autre.

En parlant de Kevin, il s’est fait carotté par ses nouveaux patrons, des branquignoles apparemment qui font semblant de ne rien connaître au droit du travail, du coup, il touche bien moins que ce qu’ils lui avaient ‘promis’ pour un job qui s’avère être du caca en barre. Mais il ne peut pas se permettre de démissionner, vu la conjoncture, un job alimentaire est toujours mieux que pas de job. J’en sais quelque chose.

Bref, ça m’amène à penser que je devais être, moi, un ovni, l’exception qui a fait mentir la règle des patrons foireux car une de mes priorités alors a toujours été de payer mon personnel à sa juste valeur en temps et en heure, même dans la bérézina.

Je ne comprenais pas, en genèse de projet, lorsque certains me disaient « T’es obligée de magouiller, tu ne peux pas t’en sortir sinon. Et mets un maximum de cash dans ta poche pendant que tu le peux car lorsque tu n’auras plus rien, personne ne t’aidera. »

Je trouvais cela bien amer et j’ai voulu démontrer qu’en étant réglo d’un bout à l’autre, on pouvait quand même réussir. Qu’est-ce que j’ai pu être naïve ! Et ça me fait peine de me dire que si j’avais fait plein de black, si j’avais magouillé, sous-payé, pas déclaré, détourné, peut-être qu’aujourd’hui, le restaurant serait encore debout.

Être un patron accompli, c’est ne pas être idéaliste.

 

Bref. Je suis à nouveau sapée et j’ai grand besoin de m’aérer les idées. Alors demain, je vais revoir ma Normandie.

DENOUAGE de PELOTE ?

–  Tu es sur Paris ?

–  Oui. Mais dans quelques temps, je te répondrai peut-être non.

–  Tu m’invites à dîner ?

Walter hier. Branle-bas de combat. Qu’est-ce que je vais faire à manger ? Qu’est-ce que je vais porter ? Qu’est-ce que je vais lui dire ? Bref, j’y ai cru jusqu’à 21.26. Enfin, cru… j’ai simplement espéré qu’il n’annule pas encore une fois. Mais cas de Covid à son bureau et quatorzaine pour lui.

C’est le karma, qu’il dit. Je ne peux qu’agréer.

 

Mardi 18 août 2020

Je ne suis pas triste, ni même surprise, je m’y attendais en quelque sorte. Je suis juste déçue que cet ouragan qui a ouvert la porte de ma grotte n’ait été en fait qu’un simple coup de vent qui s’est carapaté en refermant derrière lui. Pas complètement, toutefois…

Car s’est engouffrée avec lui l’opportunité d’un job : responsable de boutique, une épicerie qui revend direct du producteur en circuit court. C’est un ancien collègue de mon temps dans les télécom qui a relayé une annonce sur Facebook. Lui aussi s’est reconverti après avoir bien galéré comme moi pour retrouver un job.

Alors, ce n’est le job de mes rêves mais cela a l’avantage de porter des valeurs que je partage entièrement. Ils ont déjà deux boutiques dans Paris qui fonctionnent tellement bien qu’ils souhaitent en ouvrir une troisième dans le XIème, d’où le recrutement. 35 heures, ambiance sympa, c’est payé des cacahuètes mais ce sera toujours mieux que le RSA que l’on m’a dernièrement accordé. Et surtout, cela me remet le pied à l’étrier.

Car je le sens, l’énergie en moi est revenue. Je me sens mieux. La canicule est repartie, la chape de plomb qui m’enchâssait aussi. C’est vraiment ça, je respire mieux, au sens propre comme au figuré. Et j’ai remis mes sacro-saintes chaussettes !

Bref, j’ai même un planning avec des projets, même si minimes, qui me poussent de l’avant. Ainsi, jeudi je retourne voir Maman, je récupère les papiers d’admission pour faire son changement d’adresse et je prépare ses derniers cartons toujours stockés chez Toto qui est reparti lui en vacances en Normandie jusqu’à samedi. Et lundi prochain, on lui amène à l’EHPAD.

J’ai résilié sa SIM car elle ne sait plus comment se servir de son portable et je lui ai fait mettre une ligne téléphonique directe à laquelle elle parvient tant bien que mal à répondre. Je viens de l’avoir, elle n’allait pas trop mal ce matin et moi, cela me suffit pour que je sois contente. Rien que d’entendre sa voix, ça me fait du bien.

Samedi, je vois Kevin à la Gare de Lyon pour accueillir ses enfants qui viennent enfin le voir pour les vacances. Comme j’ai émis le souhait de les voir un peu moi aussi et que j’ai des papiers pour les impôts à lui faire signer, ce sera l’occasion. Ce n’est pas parce que l’on est séparés, Kevin et moi, que je ne dois plus jamais les voir. Ils ont partagé ma vie pendant près de sept ans et je les ai aimés comme si c’était les miens.

Et puis, la semaine prochaine, probablement mercredi et jeudi, j’irai enfin en Normandie voir mes amis Miles et Joan, ceux avec le Bed & Breakfast que je voulais venir voir en tout début de confinement. Miles est passé à la télé la semaine dernière pour témoigner de sa saison désastreuse : 20 nuitées au total pour cette année et la nouvelle interdiction aux Britanniques de venir en France sonne le glas pour de bon. Ils vont se retrouver sur le carreau comme moi, quelle tristesse ! C’est pour cela que je tiens à les voir.

Enfin, si bien sûr je ne suis pas embauchée d’ici là. J’attends des news au plus tard demain matin pour un éventuel entretien. Allez, allez, j’y crois !

VOS GUEULES, LES MOUETTES !

Silence de plomb dans la rue depuis une dizaine de jours. Le restaurant en dessous est fermé pour les vacances et d’une façon générale, le quartier s’est désertifié. Quel délice, cette tranquillité ! On se croirait revenu au temps du confinement. A la seule différence qu’aujourd’hui, on n’entend pas un seul chant de piaf. Je crois bien que la canicule les a grillés sur pattes.

 

Vendredi 14 août 2020

Je me délecte de l’air frais qui s’engouffre par les fenêtres grandes ouvertes. La météo annonce pour les jours prochains de la pluie mais surtout des températures en baisse drastique. Je ne sais pas si je dois me réjouir de ressortir mon pyjama et mes chaussettes mais je dois reconnaître que le bon cul gelé d’animal à sang froid que je suis a hâte de retrouver la chaleur de son pilou.

Paradoxal. Je suis frileuse mais je déteste la chaleur que je ne maîtrise pas. Et de repenser à ces derniers jours à mariner à 32° dans le noir et à suer par tous les pores de la peau en restant parfaitement immobile, le ventilo si près de moi que si j’avais eu des poils, il m’aurait épilée en un rien de temps, bah j’en étouffe encore. Moi qui me pensais dénuée de glandes sudoripares, j’ai dû me rendre à l’évidence : je suis un mammifère comme les autres.

 

L’hôpital d’Auxerre a rapatrié Maman sur l’EHPAD hier après-midi. Son épisode aigu a été maîtrisé, suffisamment en tout cas pour qu’elle sorte. Je me prépare à prendre la route et aller la voir avec Toto. Je ne l’ai pas vue depuis deux semaines. Depuis le jour où je l’ai amenée avec son baluchon, comme on dépose son chat incontinent à la SPA.

Bref, ça me fait bizarre de m’habiller et de mettre autre chose que des tongs à mes pieds. Une semaine que je n’ai pas mis le nez dehors, tout juste un saut de trois minutes pour descendre la poubelle. Je m’auto-confine par choix. De toute façon, l’ambiance Sahara dehors n’invitait pas à la promenade.

Sur la route, j’ai le malheur de mettre la radio. L’obligation du port du masque mais dans certaines rues seulement, l’agression d’une infirmière dans un bus alors qu’elle faisait remarquer justement cette obligation à de jeunes merdeux, ce qu’ils appellent l’ensauvagement de la société…

Je le dis et le redis : vous n’arriverez à rien avec votre politique à tâtons, il faut du martial, maintenant. Imposez ce masque PARTOUT sans aucune exception, point-barre ! Et passez l’amende à 1 000 balles avec la prison en cas de récidive, ça fera réfléchir les « Laissez-moi respirer » et les « Je ne suis pas malade donc pas contaminant »

Créez des emplois avec des milices dédiées au contrôle du port du masque, filez-leur des tasers aussi, pour éviter qu’ils se fassent tabasser à faire leur boulot. Ça donnera certainement une ambiance dans la rue de fin du monde mais c’est bien cela qui arrivera si l’on ne fait rien de concret pour enrayer ce virus.

Virus qui, cela dit en passant, devait disparaître avec la chaleur de l’été… On voit bien qu’on ne sait toujours rien sur lui mais son imprévisibilité, au lieu de vous pousser à prendre enfin des mesures radicales et non plus des pseudos principes de précaution, vous font errer dans un champ de doutes et d’hésitations.

Oh, la navigation à vue, c’est terminé !!! Regardez ailleurs comment ça se passe et copiez-collez. L’Italie, notamment : le masque est obligatoire partout en dehors de chez soi et ils n’ont que 300 contaminations par jour, en France, on en est à 2 700 !!!

 

Derrière mon volant, autant dire que je bouillonne. Et cela enchaîne sur ce que j’affectionne par-dessus tout en ce moment : les conseils d’experts. Leur nouveau truc, aujourd’hui, c’est le… frigo. « …Avec la canicule, on ouvre dix fois plus le frigo qu’en temps normal. A chaque ouverture, vous faites entrer de la chaleur dans votre frigo qui doit alors pédaler à fond pour refaire du froid. Cela l’abîme prématurément donc préservez-le en ne l’ouvrant que si nécessaire… »

Bah oui, la clim et le ventilo propagateurs du Covid, ça n’a pas marché. C’était tellement nul d’ailleurs que vous vous êtes publiquement rétractés. Donc, fallait bien trouver autre chose pour que l’on continue de croire que l’on a besoin de vous pour savoir marcher.

Et ce qui fait déborder ma coupe déjà bien pleine, c’est l’annonce que l’Espagne va interdire de fumer dans la rue ainsi que sur les terrasses de café et que la France pense à faire de même : « Il est entendu que tous les fumeurs toussent et donc peuvent plus que les autres projeter le virus. De plus, la fumée de cigarette, très complexe, pourrait bien elle aussi véhiculer le Covid, donc par principe de précaution… »

Ah bon. Y a cinq mois, c’est tout juste si on n’incitait pas à fumer pour se protéger du virus. Vous ne savez rien sur rien, bande de baltringues ! Et c’est encore plus terrifiant de constater que cette course à la débilité, cette inscience affligeante est internationale.

That’s it. Ras le pompon, j’éteins la radio.

 

15.00. Maman est vautrée sur son lit, les yeux hagards, une perf de chlorure de sodium dans le ventre. Elle peine à me reconnaître. La conversation est plus que difficile. On pourrait croire qu’elle est devenue complètement sourde mais je me rends compte qu’en fait, ce sont mes paroles qui ne vont pas jusqu’à son cerveau. Elle me regarde d’un œil absent et en guise de réponse, quelques onomatopées parviennent à sortir de sa bouche.

Je me retiens de fondre en larmes. Qu’est-ce que c’est dur, de la voir comme ça ! Ce n’est pas une surprise mais ce n’est pas plus facile pour autant. Alors, je respire un grand coup dans mon masque et tandis que je lui dis au revoir, elle a comme un sursaut de vivacité et me lance :

–  Avant que tu n’arrives, je planifiais d’aller me promener. Tu veux bien venir avec moi ?

–  On ne peut pas, Maman, tu es re-confinée pour quelques jours.

–  Pourquoi ça ?

–  Parce que tu reviens de l’hôpital. Mais ne t’inquiète pas, je reviens la semaine prochaine, Tonton aussi peut-être et là on pourra te sortir un peu dans le jardin.

–  On pourra aller au restaurant ? Et visiter la campagne ?…

 

23.00. De retour dans mon appartement, je me rends compte que mes fenêtres laissées ouvertes ont à peine réussi à tiédir l’air ambiant. Je jette un œil au thermomètre… 29,5°. Pff ça va prendre au moins un mois avant d’évacuer toute cette chaleur. C’est pas demain la veille que je vais retrouver ma couette chérie.

Et tandis que je fais la crêpe sur mon lit, un coup à l’envers, un coup à l’endroit en attendant que mon somnifère fasse son job, je repense à Maman. Ça me titille encore de la reprendre chez moi. De la savoir là-bas complètement perdue, désorientée, sans personne à ses côtés, ça me fait mal.

Je sais qu’on a pris la bonne décision en la plaçant à l’EHPAD mais c’est plus fort que moi, je me sens minable. Elle vit ses derniers instants et je ne peux pas lui tenir la main.