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LE PAPILLON

 

Le banc juste en bas de chez moi sous mes fenêtres a disparu. Il a été remplacé par deux chaises urbaines et je me demande bien pourquoi. Limiter le squattage ?

Mardi 23 juin 2020 – DECONFINEMENT J+44

Avec le déconfinement presque total, l’activité dans la rue s’est amplifiée. Le bruit aussi, donc. Et avec le retour du temps estival, la terrasse du restaurant en bas est pleine à craquer, surtout le soir. C’est comme ça, il faut faire avec. Je me dis que cela fait un bruit de fond, une présence dans le silence mortifère de mes pensées du moment.

Ma crise aura duré cinq bons jours dont trois passés entièrement au lit, bardée de douleurs et vidée de toute substance de vie. Je vais mieux aujourd’hui, j’ai ressuscité et presque retrouvé mon dynamisme légendaire. J’ai surtout raccroché les wagons.

Je sens à nouveau au fond de moi l’envie d’en découdre. Et j’ai pris la décision de ne plus laisser mes douleurs m’handicaper. Que je fasse ou pas, j’ai mal alors autant faire. J’ai même renforcé mon programme de gym car avec ces dernières semaines d’inactivité, tout le bénéfice que j’avais tiré de mes longues heures de sport durant le confinement, bah est parti en fumée. J’envisage même de me remettre à la boxe. A voir le club d’à-côté s’entraîner dans le parc m’a redonné envie.

Je ne pleure presque plus. Il faut que je sois prête à affronter ce qui m’attend bientôt. Et le point sur l’état de ma mère que me fait la médecin de l’hôpital ne fait que confirmer qu’il faut se hâter. Alors, je me mets à fouiller ma paperasse pour retrouver le plan obsèques qui prévoit bien la couverture des frais mais pas les modalités des dernières volontés de Maman qui s’en remet à moi.

Mon père n’avait absolument rien prévu pour lui et à chaque fois que j’avais essayé d’aborder le sujet, il m’avait envoyée balader. Je me souviens donc de la panique quand il est parti, ma mère à l’ouest et moi devant aller choisir en urgence le cercueil et préparer les obsèques…

Je ne veux pas du même boxon pour Maman, je pense qu’on aura déjà assez à faire avec notre chagrin. Je préfère tout border avant alors j’appelle les organismes puis Toto pour qu’on s’organise. Ainsi, samedi prochain, nous irons lui et moi aux pompes funèbres pour signer le contrat et… choisir le cercueil.

Nous choisissons de prévoir la mise en bière et l’incinération dans la petite ville où elle sera inhumée dans le caveau où sont déjà mon papa et mes grands-parents. Demain, lorsque j’irai voir Maman à l’hôpital, il faudra que je donne les coordonnées des pompes funèbres au docteur.

Je fais tout ça sans verser une larme. En fait, je me retiens. Je vais faire face. Je dois. Au moins pour mon frère qui est dépassé. Je sens bien qu’il est dans le déni et qu’il préfère s’en remettre à moi, sa grande sœur. Une dernière fois. Après, je revendiquerai mon droit à la dérive.

 

18.00. Toujours pas de réponse du cabinet d’architectes. Je trouve cela un peu long mais je ne les relance pas car cela ne sert à rien. Et peut-être que c’est mieux de ne pas avoir de job en ce moment. Avec le décès de Maman qui se profile, je pense que je n’aurai certainement pas la tête à autre chose.

J’aimerais être un papillon. Voletant de fleur en fleur sans le moindre souci. Bon, il paraît qu’ils préfèrent les charognes en décomposition, comme je suis végétarienne, bah je suis une abeille.

TOUT ça POUR ça

– Bonjour, je suis le docteur qui suit votre maman. J’ai bien eu votre message et malheureusement, votre maman ne peut toujours pas sortir de sa chambre, les visites sont limitées à deux personnes à la fois et les mineurs ne sont pas autorisés.

Bah on fera avec. Toto n’a pas revu sa mère depuis bientôt quatre mois. Il le faut.

 

Jeudi 18 juin 2020 – DECONFINEMENT J+39

Je vais bien ce matin. Pas guillerette ni sautillante mais globalement beaucoup mieux qu’hier où je suis restée au lit toute la journée. Je reprends pied. Et je profite d’avoir le docteur au téléphone pour m’enquérir de la suite.

– Sa déficience immunitaire est toujours critique, pas d’amélioration depuis une semaine.

– Mais s’il n’y en a toujours pas d’ici la fin du mois et qu’on vous signe une décharge, elle pourra sortir ?

– Je ne suis pas sûre que l’EHPAD puisse la prendre en charge dans son état actuel.

Du coup, j’appelle l’EHPAD et je parle avec la cadre-infirmière qui suit le dossier de ma mère. Elle m’apprend notamment que l’hôpital a carrément annulé notre demande de transfert. Comment ça ?!

– Votre maman est en fin de vie, vous savez ?

– Parce que c’est une question de jours, maintenant ?!

– Ce qui est sûr, c’est que nous ne pouvons pas assurer ici un maintien en isolement total. Si de plus elle fait une infection et a besoin de soins spécifiques, nous ne sommes pas un hôpital.

– Mais s’il n’y a plus rien à faire, pouvez-vous quand même l’accueillir ?

– Il faut voir avec l’hôpital et s’ils sont okay, il faut qu’ils nous renvoient un dossier à jour.

Ils se refilent la patate chaude. Je ne sais plus quoi penser. Je ne sais plus quoi faire. La laisser recluse à l’hôpital à se laisser mourir à petit feu ? Signer une décharge de sortie ‘contre avis médical’ ? Mais pour aller où, si l’EHPAD ne la prend pas ?

Toto et Tonton me mettent la pression pour que je la fasse sortir dès que possible. Je suis d’accord avec eux et comme je ne peux m’enlever de la tête l’image de ma mère qui meurt toute seule dans une chambre d’hôpital, je n’ai pas le choix : si l’EHPAD n’en veut pas, elle reviendra à la maison avec moi.

Tout ça pour ça.

20.00. Après une bonne partie de la journée passée à pleurer comme une madeleine, je parviens à retrouver un semblant de sérénité. J’organise mes idées car c’est un sacré chambard dans ma tête. Je prête notamment enfin attention à la petite lumière rouge qui s’est mise à clignoter lorsque je me suis dit que je reprendrai Maman à la maison.

Outre l’aspect matériel et logistique comme de rapatrier ses affaires, de tout refaire à l’envers et de mettre en place une cohorte d’aides de vie à domicile, suis-je vraiment prête à plonger dans cet enfer suprême qu’est la fin de vie ?

Pourrai-je tenir la main de ma mère à ses derniers instants ? Cela ne finira-t-il pas de me détruire ? Pourquoi ai-je besoin de me faire mal à ce point ? Qu’ai-je à exorciser ? Mon propre abandon ?…

HIKIKOMORI

Quand j’ai ouvert les yeux ce matin, je n’ai eu envie que de les refermer. J’ai bien eu un avertissement dimanche mais je n’y ai pas prêté attention. Mais là, je suis au pied du mur. Au fond de mon lit, plus exactement : je fais une crise fibromyalgique aigüe.

 

Mercredi 17 juin 2020 – DECONFINEMENT J+38

C’est comme si on avait coupé le courant. Plus de jus. Des douleurs intenses dans tout le corps et une migraine à décorner un cerf. Donc là, c’est le méga-roulage en boule, volets baissés et téléphone sur silencieux. J’écoute néanmoins un peu la radio que j’ai mise en fond, ils parlent notamment de ça :

« … Kezako « Hikikomori »? Ce terme, qui signifie « se retrancher » en japonais, est utilisé pour désigner un « mal contemporain », un « trouble de conduite » qui frappe les adolescents comme les jeunes adultes. Que font-ils pour susciter une telle appellation ? Ils se retirent, ils se cloîtrent, le plus souvent dans leur chambre, pendant plusieurs mois ou plusieurs années, et n’en sortent pas, ou si peu. Dans cet espace solitaire, ils s’exilent sur Internet, jouent à des jeux vidéo, rompent leurs liens avec les autres, avec l’école, avec le monde du travail. Pour faire quoi ? Pour ne rien faire. 

Un phénomène déconcertant de « néantisation existentielle » manifestant un désintérêt total pour le monde réel, ayant émergé dans les années 90 au Japon, touchant près d’un adolescent sur cent et prenant aujourd’hui une nouvelle dimension avec le vieillissement de ces centaines de milliers de reclus. Ainsi, dans une étude parue en 2016, plus d’un tiers des personnes « hikikomori » interrogées disaient s’être mises en retrait de la société depuis plus de sept ans, contre 16,9 % en 2009… »

‘Néantisation existentielle’… ça me parle. Serais-je une hikikomori moi aussi ? Ou suis-je en passe de le devenir ? Ils disent que ce n’est pas une maladie en soi mais plutôt ce qui informe de l’existence d’une maladie, justement, comme la schizophrénie ou la dépression…

On en revient toujours à ça. Et je refuse toujours de me traiter chimiquement. Tant pis, je vais devoir me soigner à ma façon, le temps que je puisse voir un psy. Et l’une de mes méthodes, c’est la perspective par le pire. Je me force à regarder un truc horrible, un film en général, qui me fait voir ensuite ma propre vie comme un paradis.

Et comme mon lecteur dvd a bien voulu ressusciter, je mets le film parfait pour cette thérapie hors normes : ‘The Schindler’s List’. C’est également le film qui m’a le plus marquée de toute ma vie. Au cinéma où j’étais allée le voir avec Maman justement, je me souviens qu’à la fin, il y avait eu un grand silence pendant de longues minutes, puis nous nous étions tous levés et mis à applaudir là aussi pendant un long moment.

Là, je n’applaudis pas mais je pleure sans discontinuer. Dire que je me sens mieux après serait mentir. Je me sens moins pire, on va dire. Si une lueur d’humanité est possible dans une horreur pareille, je veux croire que moi aussi, je saurai trouver un brin de lumière dans la noirceur de mon tourment.

MASQUE ET LUNETTES NOIRES

– Je me permets ce mail pour prendre des nouvelles : avez-vous pu finaliser le recrutement?

– Pas encore malheureusement, nous sommes toujours en phase de réflexion, nous reviendrons vers vous dès que possible.

 

C’est ça, les petites PME, chaque embauche est cruciale et ne se décide pas à la légère. Je vais donc patienter. De toute façon, je n’ai pas de retour de mes autres pistes.

Mardi 16 juin 2020 – DECONFINEMENT J+37

Je décide d’aller voir Maman à l’hôpital Sainte Périne dans le 16ème. En marchant vers le métro, je m’aperçois que j’aime bien porter un masque et des lunettes noires. Ça me confère l’anonymat dont j’ai besoin en ce moment lorsque je dois m’aventurer à l’extérieur. Et puis c’est pratique, ça éponge les larmes.

Maman ne va pas si mal que ça. Juste marre d’être enfermée.

– Oh mais je suis sortie dans le couloir une fois la nuit ! Je me suis cramponnée à tout ce que j’ai pu mais je ne suis pas allée bien loin.

– Bah oui, ils t’ont chopée et ils t’ont enguirlandée.

– De toute façon, je ne suis bien que lorsque je suis allongée.

C‘est réconfortant, je suppose, de constater qu’elle n’a pas changé : contestataire et contradictoire jusqu’au bout. Bref, j’aimerais trouver la force de rester plus longtemps mais je ne peux pas. Jusque-là, j’ai pu contenir mes larmes et j’ai fait semblant d’être positive. Mais c’est plus fort que moi, je m’enfuis lorsqu’elle me dit : « Je crois que je ne sortirai jamais d’ici. Qu’en penses-tu ? »

Alors, je pars faire le point avec sa docteur mais cette dernière est en repos après toute une nuit de garde et les autres soignants ne peuvent pas me renseigner car soit en grève, soit partis à la manifestation nationale aux Invalides. Pas le bon jour, quoi.

En rentrant, j’appelle Toto qui me dit vouloir venir la voir samedi prochain avec sa femme et ses deux enfants. Au cas où. Je lui dis que ce n’est pas certain à cause de son isolement mais que j’en parlerai au médecin. Ce serait bien quand même, qu’elle puisse sortir de sa chambre et prendre l’air. Surtout qu’il y a un joli jardin intérieur dans laquelle on pourrait la balader en chaise roulante…

Alors oui, ses globules blancs sont toujours aux abonnés absents et oui il faut éviter à tout prix une quelconque contamination mais si elle ne meurt pas d’une infection, elle mourra de mélancolie à force d’être recluse comme ça. Et si on lui met trois masques l’un sur l’autre ?…

RECHERCHE COURAGE DESESPEREMENT

Bullage intégral hier. Même pas écouté le discours du président mais apparemment la France est libérée délivrée, c’est la fête. Pas pour tout le monde.

 Lundi 15 juin 2020 – DECONFINEMENT J+36

On a décidé avec Toto et Tonton de ne rien dire à Maman. Déjà parce que ce n’est pas sûr qu’elle comprenne, ensuite parce que cela ne servira à rien. Autant continuer de la regonfler comme on peut pour qu’elle puisse sortir de cet hôpital. Parce que même s’il lui reste peu de temps, elle sera toujours mieux à l’EHPAD.

Je n’en ai parlé à personne. Pas même à Nénette lorsqu’elle m’a appelée vendredi. Comme elle venait tout juste de se remettre du décès de son beau-père, je n’ai pas voulu lui saper son moral tout neuf.

Depuis, je ne fais qu’osciller entre détresse et espoir. Je suis au fond d’un puits recouvert d’une chape de plomb, seule avec une bougie et mon chagrin. J’essaye de débusquer en moi un filament de courage, un soupçon de ressource mais à part ces mots que je couche ici, je ne trouve rien.

Je savais bien qu’elle ne serait pas éternelle mais j’avais pensé à quelques années, pas à quelques mois. Et ce qui me fait mal par-dessus tout, c’est de penser qu’elle sera seule dans cette chambre d’hôpital lorsqu’elle partira. Je redoute chaque appel et j’ai une pointe au cœur lorsque je vois le numéro de l’hôpital qui s’affiche.

Je me dis que je devrais profiter de ces derniers instants pour être auprès d’elle et penser au bon vieux temps. Mais c’est justement ce qui me fait un mal de chien. Sans compter qu’elle est en isolement total et que les visites se font au compte-goutte. Rien que de lui parler au téléphone est une épreuve. Car très ironiquement, ses troubles cognitifs ont pris le large et elle a retrouvé sa présence d’esprit. C’est presque ma maman à nouveau.

Je me retiens de fondre en larmes à tout bout de champ, j’essaye de reprendre espoir. J’essaye d’envisager ma vie quand elle sera partie. De trouver une raison qui me fera continuer. Car j’ai toujours dit que je partirai juste après elle.

Si je reste, j’ai peur à mon tour de n’être plus qu’un légume et d’avoir besoin qu’on me tire sans cesse vers le haut. J’ai peur de devenir un boulet pour mes proches, pour la société. De n’être plus qu’une bonne grosse boule de chagrin inconsolable.

ECHEC et MAT

 

« Nous avons trouvé des cellules malignes dans le sang de votre mère… »

C’est dingue comment une petite phrase, deux mots, peuvent faire s’écrouler quelqu’un en cinq secondes.

Vendredi 12 juin 2020 – DECONFINEMENT J+33

Aujourd’hui, Maman aurait dû entrer à l’EHPAD. J’aurais dû aller la chercher à l’hôpital ce matin. C’est plus que retardé, désormais.

Hier, quand la médecin m’a appris la nouvelle, j’ai senti le sol se dérober sous moi. Ce que j’avais pressenti s’est confirmé et bon dieu que j’aurais préféré avoir tort !

– La chimio, la radiothérapie, c’est envisageable ?

– Non, ça ne servirait à rien et cela l’affaiblirait encore plus.

– Il n’y a donc plus rien à faire ?

– Le taux des cellules est de 12% dans le sang, ce qui veut dire qu’il y en a au moins le double dans la moelle osseuse. C’est malheureusement la myélodysplasie qui s’aggrave et qui reste à ce jour incurable. Quoique l’on fasse, les cellules malignes vont continuer de se multiplier jusqu’à…

– Combien de temps ?

– Difficile à dire mais peu.

– C’est-à-dire ?

– Il peut y avoir un effet-plateau, on l’espère, auquel cas on pourra envisager le transfert en EHPAD et…

– COMBIEN DE TEMPS LUI RESTE-T-IL, DOCTEUR ?

– Quelques mois… Il faut vous préparer.

Ce n’est pas parce qu’on est préparé que cela fait moins mal. Je me demande combien de temps encore je vais tenir debout. Je me demande si je veux être près d’elle lorsqu’elle partira. Et je me demande si j’ai la volonté de lui survivre.

YANG²

– So let’s switch in English. How many other interviews did you have besides this one?

– Well… two?

Pas très fière de ce mensonge mais ils m’ont prise au dépourvu et c’est sorti comme ça. Donc, j’ai dû broder un peu et dieu sait si je suis une piètre couturière. Vu qu’ils notaient tout scrupuleusement sur leur cahier, ils vont peut-être vérifier. Bah tant pis, c’est fait.

Mercredi 10 juin 2020 – DECONFINEMENT J+31

Je ressors de ce premier entretien avec un sentiment mitigé. Pas tant sur le poste proposé que sur ma performance, pas très brillante selon moi. Mon propos n’était pas pertinent d’un bout à l’autre et manquait certainement de cohérence. J’ai aussi pas mal bafouillé et j’ai oublié de poser les questions essentielles.

Ils avaient l’air cependant intéressés par mon profil. Premièrement, parce que je sais ce qu’est le petit patronat et comment gérer un business et deuxièmement, parce qu’il y a une partie essentielle de représentation que la direction d’un restaurant m’a enseignée à n’en pas douter, selon eux.

Je me suis abstenue de leur dire que c’était justement ces deux raisons qui m’ont faite envisager un autre chemin professionnel. Gérer des salariés et porter des Louboutin, la peste et le choléra pour moi.

Bref, je marche vers le métro en ressassant tout ça dans ma tête. Je me retrouve sur le boulevard Richard-Lenoir et d’un seul coup, une grande bouffée d’angoisse me saisit. Là, je réalise où je suis. Le Bataclan n’est qu’à quelques encablures et ce boulevard montré en boucle sur BFMTV le 13 novembre 2015 se met à prendre vie en moi dans un mélange de poudre, de poussière et de sang.

Ce que je ressens est visqueux, étouffant. Je ne m’y attendais pas. Je hâte alors le pas, je me dépêche de mettre de la distance. Merde, si jamais je suis embauchée ici, j’espère que je n’aurais pas droit à cet affreux revival à chaque fois que je traverserai ce boulevard.

Je m’engouffre prestement dans le métro qui, au passage, est loin d’être l’horreur que certains m’ont décrite, c’est même pas mal du tout avec le respect de la distanciation, le port du masque par tout le monde et sans bousculades.

Quelques minutes plus tard, je me retrouve à Trinité Estienne d’Orves. Je connais bien ce quartier pour l’avoir fréquenté à raison d’une fois par semaine pendant six mois lorsque je venais faire signer mes chèques à l’administrateur judiciaire pendant le redressement du restaurant.

Bref, la brasserie qui fait l’angle dans laquelle j’ai donné rendez-vous à Andrew est fermée. C’est moche. Mais l’autre un peu plus loin est bien ouverte et a colonisé pratiquement tout le trottoir avec ses tables bistrot sur près de cent mètres. Et c’est quasiment plein.

Comme je suis heureuse de revoir Andrew ! Mon Yang ! Non pas que je sois son Yin mais parce que je suis, moi aussi, un Yang. C’est parti d’un bouquin ‘La diététique du Yin et du Yang’ que l’on a lu tous ensemble, le Scoobigang et moi il y a quelques années. Il décrit les cinq typologies d’énergie universelle et les tempéraments associés. Andrew et moi, nous nous sommes reconnus instantanément dans le Yang.

Le Yang

Le tempérament et le comportement sont de type ACTIF, PEU EMOTIF, EXTRAVERTI. Les correspondances énergétiques sont celles de l’organe du FOIE et de l’élément naturel BOIS.

Caractères physiques : bonne musculature, souvent athlétique, visage et yeux expressifs, langue sèche, mains osseuses et fermes.

Qualités possibles : enthousiasme, goût de l’effort et de la réussite, combativité, volontarisme, fiabilité, fermeté, entreprenant, imaginatif, brillant, actif, idéaliste, généreux, sportif.

Défauts éventuels : nervosité, inquiétude, entêtement, colère.

Alors oui, le Yang est masculin. Le heavy-metal et mes jurons fleuris lorsque je suis au volant qui ne font clairement pas de moi l’ambassadrice idéale du Yin, m’avaient déjà mise la puce à l’oreille. Et à vrai dire, mis à part mon tour de poitrine, il n’y a pas grand-chose de féminin chez moi. Monsieur Machin a dû se gourer au départ.

Bref, cela a évolué depuis. Je pense que dernièrement, j’ai dilué dans mon Yang un peu de Yin, voire même d’Hyper-Yin. Les défauts notamment, comme l’indécision, le bouillonnement intérieur, l’hypersensibilité, la vulnérabilité… Le bon côté des choses, c’est que je suis peut-être plus équilibrée ? Moins Monstroplante, quoi.

Donc, c’est avec une joie non-dissimulée que l’on se retrouve, Andrew et moi, et en bons dissidents, on se claque même la bise. Et installés sur notre mini-table au bord du trottoir, on se met alors à papoter à bâtons rompus. On débriefe bien sûr sur mon entretien où je lui fais part de mes doutes sur le volet représentation du poste.

– Calembredaines et billevesées ! Tu es classe !

– Peut-être mais je ne suis pas tendance !

– Bah c’est l’occasion de renouveler ta garde-robe et d’aller chez le coiffeur.

Pas ultra-convaincue, car j’aime ma coupe de cheveux apocalyptique et mes boots de pseudo motarde mais je finis par en rire et l’on passe à notre sujet préféré, celui de refaire le monde devant une pinte de blanche et trois pop-corn. Enfin, Perrier-menthe pour moi.

Et ce monde post-confinement est riche en réflexions, en interrogations, en non-sens et absurdités en tout genre, à commencer par cette terrasse où l’on est entassé sans masque à se postillonner dessus à qui mieux mieux. Surtout moi qui rit maintenant à gorge déployée aux réparties facétieuses d’Andrew.

Il a crû, par exemple, et c’est pour cela qu’il m’a boudée, que l’invitation à mon blog venait d’une certaine Anastasia, nubile ukrainienne professionnelle du montrage de seins sur internet. J’ai bien failli en cracher mon glaçon et je l’ai assuré de mon souhait de garder mon 90B bien au chaud.

Il n’a pas changé, toujours aussi fou. Ah si, il s’est mis au sport avec un coach sur internet et il mange sainement. Fini les chips et le saucisson ! Du coup, il est beau comme un camion. Ça va peut-être me motiver pour arrêter les chips une fois pour toutes…

Puis, de façon assez inattendue mais non moins bienvenue, on se fait le quart d’heure ‘on arrête de dire des conneries’ et l’on aborde les sujets sensibles, comme celui de ma mère et bien entendu, celui de leur couple, Mimine et lui.

Et ce qu’il m’apprend me remplit de joie. Ils ont réussi à dépasser leurs problèmes et sont même repartis comme en quarante ! Il m’avoue que le confinement a révélé un mal-être chez lui qui a bien failli le faire imploser en balayant tout sur son passage mais qu’il est parvenu à gérer la situation en formalisant très simplement son malaise auprès de Mimine. Et à deux, ils ont pu retrouver un nouveau souffle.

C’est bien ce qu’il m’avait semblé lorsque je les avais eus tous les deux au téléphone ces derniers temps. Autant dire que je suis littéralement ravie que mon intuition ait été la bonne. Une bonne crise de la quarantaine vaincue par knock-out sans aucun dommage collatéral. Bravo.

20.00. Dans le métro pour rentrer chez moi, je fais le point sur cet après-midi rempli de premières fois : premier métro, premier entretien, premier pot en terrasse, première revoyure d’ami… Le tout globalement très positif. Je me sens ragaillardie.

Et pour la première fois là aussi, j’ai l’impression de reprendre un peu de cette vie que j’appelle de mes vœux depuis longtemps maintenant. Une vie simple faite de petites banalités pour apaiser les meurtrissures de la précédente.

SPACE MOUNTAIN

« Bonjour, votre maman n’a plus de fièvre et va un peu mieux cliniquement alors nous pensons la transférer demain dans une maison de convalescence dans le 16ème qui est spécialisée dans les pathologies lourdes des personnes âgées. »

Décidément, elle aura fait tous les hôpitaux du coin. Je remballe les deux kilos de cerises que je comptais amener aux infirmières et me mets sérieusement à songer au clafoutis. Sans gluten.

Lundi 8 juin 2020 – DECONFINEMENT J+29

« Bonjour, Je peux vous proposer mercredi à 17h, qu’en pensez-vous? »

Que du bien, Madame, que du bien ! Du coup, j’appelle Andrew dont le bureau n’est pas très loin de mon lieu de rendez-vous pour lui proposer de prendre un pot en terrasse une fois sortie de mon entretien. Comme il me perçoit un peu fébrile, il me dit d’y aller à la cool mais pimpante et dynamique comme je sais l’être. C’est vrai, cela ne sert à rien de psychoter 48 heures à l’avance.

Je décide donc de me changer les idées en faisant un saut chez Ikea pour remplacer mes boîtes dépenaillées par des nouvelles plus sobres. Un lundi 13.30 : le parking est plein comme en week-end, j’hallucine !

Et tandis que j’approche de l’entrée avec mon sac bleu au liséré jaune, j’aperçois une file d’attente qui me laisse perplexe. Moi qui pensais juste faire une incursion chirurgicale, me voilà en train de reconsidérer la chose. Pff tant pis j’attends, un aller-retour pour rien, ça me soûle encore plus.

Donc, je me place sagement dans le tortillon de la file d’attente et je regarde comment ça s’organise. En fait, il y a trois files : celle où je suis pour le magasin, une pour le retrait des trucs lourds et une autre pour les retours et échanges. Au bout de chacune d’elles, deux cerbères avec oreillette et talkie qui font rentrer les gens par lot de dix pour ma file ou au compte-gouttes pour les deux autres, non sans avoir échangé auparavant quelques ordres brefs et incompréhensibles avec des collègues invisibles :

– Vas-y, je peux en caler encore deux pour le RZ-986.

– Y en a six déjà en stand-by.

– Bah envoie sur le FT-475.

– D’accord.

Et tandis que j’avance hardiment au rythme des moulinets de bras du cerbère n°1, je ne peux m’empêcher de penser, goguenarde, que j’embarque pour le Space Mountain ! Si j’osais, je lui demanderais s’ils prennent une photo également lors de la descente vers le libre-service…

Dans le hall d’accueil, pareil, zéro possibilité de batifoler. La nana devant moi, bien que masquée, dédaigne soigneusement le distributeur de gel hydro-alcoolique et hop coup de sifflet :

« Madame s’il vous plaît, le gel, merci ! »

Ils rigolent pas, les Suédois. Tout ça pour six TJENA 32X50X32 et une FEJKA.

16.00. Le remplacement de mes boîtes fait, je contemple ma chambre. Même la cave à vins se fond dans le décor. C’est incongru, je le conçois mais je n’avais pas le choix car plus de place dans le salon avec l’arrivée de la grande table.

Bref, je suis assez contente de l’ensemble. Mais à quel coût ? Car si j’en crois la douleur qui irradie dans mes épaules, mes coudes et mes mains, c’est comme si j’avais manipulé tout le magasin. Bon, ma séance de ménage d’hier n’y est certainement pas étrangère. Surtout qu’en plus, j’ai fait la maline avec une petite boum improvisée où j’ai dansé et chanté sur des trucs parfaitement débiles entre deux lessivages de murs. Sur le coup, ça m’a fait du bien.

Je m’interroge. Ma fibromyalgie arriverait-elle à un autre stade ? Le stade ‘pas de bras, pas de chocolat’ ? Parce que désormais, je ne peux quasiment plus me servir de mon bras gauche et les douleurs sont présentes 24/7, même les dimanches et jours fériés.

Et la gym que j’avais délaissée la semaine dernière pour cause d’emploi du temps surchargé, me confirme à la première tentative d’abdo-fessier, que j’ai hélas bien franchi le cap de non-retour. Je me sens un peu désemparée, surtout que le paracétamol, c’est de la roupie de sansonnet, que j’ai déjà fini l’ibuprofène de ma belle-sœur et que la pharmacie refuse de m’en vendre parce qu’il y a des risques avec le corona gnagnagna…

Bref, tout me pousse à me remettre à boire et à fumer des joints, quoi. La panacée.

ARMAGEDDON

 

Dimanche 7 juin 2020 – DECONFINEMENT J+28

Branle-bas de combat depuis l’aube. Gavée d’ibuprofène, j’ai sorti mon arsenal de ménage Armageddon et j’ai lessivé à grande eau les murs, les portes, les chambranles, le sol, le plafond et fait les grilles d’aération à la brosse à dents. Y a juste les carreaux que je n’ai pas lavés car c’est au-dessus des forces de mes biceps en mousse.

Ça sent bon le propre. Enfin, la Javel. J’ai perdu 10.000 calories, je suis exténuée mais contente de moi. Une belle feuille blanche pour repartir et pouvoir tourner la précédente toute crabouillée.

Aujourd’hui, c’est la Fête des Mères. La mienne, c’est sa fête depuis un bout de temps déjà, mais sans les fleurs ni le collier de pâtes. On l’a appelée hier Toto et moi, elle a crû encore une fois que l’on venait la délivrer de sa prison…

Son état est stationnaire, c’est-à-dire au trente-sixième dessous. J’espère tellement qu’elle puisse aller à l’EHPAD qui sera son dernier havre de paix. Quelque part, je m’en veux de lui avoir fait subir tout ce chambard depuis quatre ans.

Bref, je ne vais pas refaire l’histoire mais le ‘si j’avais su’ est vraiment quelque chose qui me hante ces derniers temps. Et mon super-don d’empathie, qu’est-ce qu’il en dit ? Je lui ai bien mis une muselière concernant ma mère mais il parvient quand même à me parler. Je ne veux pas l’entendre, dans le déni j’imagine, alors je me bouche les oreilles et je fais l’autruche.

Et mes prières à Monsieur Machin ne m’ont apporté aucun réconfort. D’une, parce qu’elles n’ont pas été exaucées et de deux, parce que je sais qu’elles ne sont qu’une béquille vermoulue que l’on sort du grenier lorsqu’on a épuisé toute notre rationalité. Mes rapports avec Monsieur Machin ont toujours été conflictuels. Mais là, je suis bien partie pour le bouder jusqu’à la fin de mes jours.

Memories consume
Like opening the wound
It’s picking me apart again
You all assume
I’m safe here in my room
Unless I try to start again

I don’t want to be the one
The battles always choose
‘Cause inside I realize
That I’m the one confused

I don’t know what’s worth fighting for
Or why I have to scream
I don’t know why I instigate
And say what I don’t mean
I don’t know how I got this way
I know it’s not alright
So I’m breaking the habit
I’m breaking the habit
Tonight…

…TO BE CONTINUED ON SEASON 3…

ÇA RESONNE

« Coucou, on prend la route ! »

Texto de ma belle-sœur à 8.05. Qui me réveille car j’ai oublié de mettre mon alarme hier soir.

Samedi 6 juin 2020 – DECONFINEMENT J+27

J’ai un mal de cheveux ! Je ne comprends pas, j’ai pourtant bu raisonnablement hier soir… Bref, pas le temps de m’apitoyer sur mon sort, j’avale un saladier de café et me voilà à pied d’œuvre en train de préparer les meubles et les cartons pour le déménagement.

Le peu que je manipule me fait savoir de suite que je vais de nouveau devoir faire banquette. Mes muscles, qui plus est avec l’alcool d’hier soir, sont à l’agonie. J’annonce la mauvaise nouvelle à Toto et à ma belle-sœur quand ils arrivent, ce qui n’entame en rien leur entrain. Tant mieux, car je suis en mode larve, aujourd’hui.

Et comme ils ont cueilli tout leur cerisier, ils m’ont ramené cinq kilos de cerises dans une énorme cagette que j’ai du mal à rentrer dans le frigo. J’adore les cerises mais comment je vais faire pour m’enfiler la cagette sans être malade ? Je pourrais peut-être les vendre au coin de la rue ?…

12.30. Le camion est chargé, Toto et sa femme ont bien bossé. On déjeune sur la grande table débarrassée maintenant des cartons de ma mère. Cette grande table de ferme, démesurée pour la taille de mon salon, est bien plus vieille que moi. J’y tiens comme une folle.

Chez mes parents depuis toujours, je l’ai rapatriée au restaurant lorsque j’ai déménagé ma mère il y a quatre ans. Et elle trône dans mon salon depuis le 24 février. Tout s’organise autour d’elle, à vrai dire. Quitte à louvoyer. Peu m’importe, elle m’a quasiment vue naître et elle m’accompagnera jusqu’au bout.

15.00. Toto et sa femme sont repartis et je me retrouve seule dans l’appartement qui semble bien vide. Il paraît plus grand, aussi. Limite, ça résonne…

Faudrait faire le ménage, un gros. Car outre le fait que cela fait un mois que je n’ai rien fait d’autre qu’un rapide coup d’aspi, en déplaçant les meubles, bah y a des grosses traces noires sur les murs et des moutons accrochés au plafond. Pas très Monk, ces derniers temps.

Mais une grosse fatigue vient s’abattre sur moi. Ma gueule de bois renchérit et me voilà en boule sur la banquette. Tant pis, je ferai ça demain. D’autant plus si lundi ils me confirment mon entretien et si je suis embauchée dans la foulée, j’ai intérêt à être à jour dans le ménage parce qu’après, je n’aurai plus le temps.