JOURNAL   Saison 3

EQUINOXE

 

Premier coup de semonce de la canicule. J’arrive cependant à garder un semblant de fraîcheur dans l’appartement et j’ai encore mes chaussettes, donc ça va. Je déteste avoir froid aux pieds.

Ils annoncent un été torride. Pire que l’an dernier. Quand je repense aux 32 degrés au thermomètre du salon volets et fenêtres fermés, j’en transpire déjà. Même si je supporte bien la chaleur, héritage génétique, je ne l’aime pas pour autant. Et de façon paradoxale, je n’aime pas la clim non plus. Rien de tel pour choper la mort. Et en ce moment, il vaut mieux éviter d’éternuer en public car on peut se faire lyncher.

Vendredi 26 juin 2020 – DECONFINEMENT J+47

Je consulte toujours les offres d’emploi, qui sont les mêmes pour la plupart. Par habitude, j’imagine. Je reçois quelques réponses du style ‘Merci mais non’… Bref, il faudrait certainement que j’explore d’autres canaux de recherche, Indeed par exemple, mais du peu que j’ai pu en voir, cela ne me correspond pas vraiment. Ça tutoie à tout-va, le descriptif des postes est tout sauf concis, tout est dans la ‘win attitude’, donc plutôt pour les 20-30 ans, quoi.

La reprise de l’activité économique reste fluette et les embauches très éparses, la priorité étant donnée aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail avec des aides massives de l’état et des contrats d’alternance à gogo. Je suis d’accord mais qu’en est-il des mi-figue mi-raisin comme moi qui de plus, touchent zéro euros de chômage ?

Et à écouter les experts à la radio qui font état de l’ampleur terrifiante de cette récession sans précédent, cela annihile mes derniers espoirs. Les redressements judiciaires, les liquidations, les plans de sauvegarde, tout ça fait froid dans le dos. On parle de deux ans pour éventuellement s’en remettre. Mais on fait quoi pendant ce temps-là ?…

Bref, je repense à mon interview où j’ai vraiment dû merder. Quand même, ils auraient pu se donner la peine de me dire qu’ils ne donneraient pas suite. Pas très correct, je trouve. Donc voilà, je n’ai pas d’autres pistes. Peut-être que je devrais regarder de plus près ces missions de traduction dont m’ont parlé mes amis américains Zane et Lewis ? Même si c’est à la pige, ce serait toujours mieux que rien.

Zane et Lewis, une amitié hors du commun depuis 14 ans. On ne se voit pas souvent mais notre lien est indéfectible. Ils me manquent, j’ai hâte de les revoir. Dans ma boîte à bidules, j’ai gardé les petits pots de graines à planter de leur mariage. C’est un de mes plus beaux souvenirs. Moi et Sean à l’époque, on avait fait le voyage sur quatre jours, cela avait même laissé le douanier pantois à l’aéroport avec notre ‘purpose of the trip’

11.00. J’appelle Maman, elle a l’air d’aller bien aujourd’hui. Hier aussi, apparemment, lucide et bien ancrée dans la réalité. Elle s’est d’ailleurs plainte à son frère venu la voir que je ne restais pas longtemps lors de mes visites. Je prétexte à chaque fois qu’il vaut mieux avoir des contacts brefs pour éviter de la contaminer mais la vérité, que je ne peux lui avouer, est que c’est trop dur pour moi.

En effet, je supporte de moins en moins la marche en crabe des médecins, leur ton feutré et leur regard compatissant. Je sais que ce n’est pas facile, même lorsqu’on est professionnel, d’annoncer aux enfants la mort imminente de leur mère, ça doit se faire avec tact et compassion. C’est le cas. C’est juste moi qui n’y arrive plus.

Elle a dit aussi à son frère qu’elle n’avait que des bons souvenirs lorsqu’elle était chez moi, ‘comme un coq en pâte’ selon elle. C’est bizarre, elle ne se souvient pas de la tortionnaire que j’avais l’impression d’être avec elle, elle ne se souvient pas que je lui criais dessus à tout bout de champ. Ou elle choisit de ne pas se souvenir. Tant mieux pour elle. C’est juste que moi, ça ne fait que gonfler à bloc ma mauvaise conscience.

Oui, elle ne pouvait plus rester chez moi, oui je ne pouvais plus m’en occuper, physiquement et psychologiquement et oui j’avais hâte mais jamais je n’ai souhaité cet aller simple pour le mouroir d’un hôpital. Et ma décision raisonnée de ne pas la reprendre chez moi rajoute une couche à ma culpabilité.

Et donc tout ça fait que j’ai de plus en plus de mal à la voir, à lui parler. Parfois, j’ai hâte que cela se termine. Je repense à mon père qui voulait que je l’aide à partir. Maman n’est pas aussi atteinte que lui et ne souffre pas mais est-ce encore une vie pour elle, allongée toute la journée sans pouvoir sortir ? Dois-je faire tout mon possible pour prolonger sa vie ? Dois-je me battre pour son transfert à l’EHPAD et la mise en place des soins palliatifs ? Dois-je m’acharner égoïstement pour ne garder que l’ombre d’une mère ? Coûte que coûte, même à son encontre ?

Dois-je demander à nouveau l’aide d’Harry ?

close

Etre averti des prochaines publications