JOURNAL   Saison 3

HIKIKOMORI

Quand j’ai ouvert les yeux ce matin, je n’ai eu envie que de les refermer. J’ai bien eu un avertissement dimanche mais je n’y ai pas prêté attention. Mais là, je suis au pied du mur. Au fond de mon lit, plus exactement : je fais une crise fibromyalgique aigüe.

 

Mercredi 17 juin 2020 – DECONFINEMENT J+38

C’est comme si on avait coupé le courant. Plus de jus. Des douleurs intenses dans tout le corps et une migraine à décorner un cerf. Donc là, c’est le méga-roulage en boule, volets baissés et téléphone sur silencieux. J’écoute néanmoins un peu la radio que j’ai mise en fond, ils parlent notamment de ça :

« … Kezako « Hikikomori »? Ce terme, qui signifie « se retrancher » en japonais, est utilisé pour désigner un « mal contemporain », un « trouble de conduite » qui frappe les adolescents comme les jeunes adultes. Que font-ils pour susciter une telle appellation ? Ils se retirent, ils se cloîtrent, le plus souvent dans leur chambre, pendant plusieurs mois ou plusieurs années, et n’en sortent pas, ou si peu. Dans cet espace solitaire, ils s’exilent sur Internet, jouent à des jeux vidéo, rompent leurs liens avec les autres, avec l’école, avec le monde du travail. Pour faire quoi ? Pour ne rien faire. 

Un phénomène déconcertant de « néantisation existentielle » manifestant un désintérêt total pour le monde réel, ayant émergé dans les années 90 au Japon, touchant près d’un adolescent sur cent et prenant aujourd’hui une nouvelle dimension avec le vieillissement de ces centaines de milliers de reclus. Ainsi, dans une étude parue en 2016, plus d’un tiers des personnes « hikikomori » interrogées disaient s’être mises en retrait de la société depuis plus de sept ans, contre 16,9 % en 2009… »

‘Néantisation existentielle’… ça me parle. Serais-je une hikikomori moi aussi ? Ou suis-je en passe de le devenir ? Ils disent que ce n’est pas une maladie en soi mais plutôt ce qui informe de l’existence d’une maladie, justement, comme la schizophrénie ou la dépression…

On en revient toujours à ça. Et je refuse toujours de me traiter chimiquement. Tant pis, je vais devoir me soigner à ma façon, le temps que je puisse voir un psy. Et l’une de mes méthodes, c’est la perspective par le pire. Je me force à regarder un truc horrible, un film en général, qui me fait voir ensuite ma propre vie comme un paradis.

Et comme mon lecteur dvd a bien voulu ressusciter, je mets le film parfait pour cette thérapie hors normes : ‘The Schindler’s List’. C’est également le film qui m’a le plus marquée de toute ma vie. Au cinéma où j’étais allée le voir avec Maman justement, je me souviens qu’à la fin, il y avait eu un grand silence pendant de longues minutes, puis nous nous étions tous levés et mis à applaudir là aussi pendant un long moment.

Là, je n’applaudis pas mais je pleure sans discontinuer. Dire que je me sens mieux après serait mentir. Je me sens moins pire, on va dire. Si une lueur d’humanité est possible dans une horreur pareille, je veux croire que moi aussi, je saurai trouver un brin de lumière dans la noirceur de mon tourment.

close

Etre averti des prochaines publications

1 avis sur “HIKIKOMORI

  1. Ri

    Un des meilleurs films de l’histoire du cinéma. Et « hikikomori » n’est pas nécessairement négatif : ça veut dire se retirer de toute interaction sociale. Il y a de nombreuses raisons de le faire…

Les commentaires sont clos.