JOURNAL   Saison 3

SPACE MOUNTAIN

« Bonjour, votre maman n’a plus de fièvre et va un peu mieux cliniquement alors nous pensons la transférer demain dans une maison de convalescence dans le 16ème qui est spécialisée dans les pathologies lourdes des personnes âgées. »

Décidément, elle aura fait tous les hôpitaux du coin. Je remballe les deux kilos de cerises que je comptais amener aux infirmières et me mets sérieusement à songer au clafoutis. Sans gluten.

Lundi 8 juin 2020 – DECONFINEMENT J+29

« Bonjour, Je peux vous proposer mercredi à 17h, qu’en pensez-vous? »

Que du bien, Madame, que du bien ! Du coup, j’appelle Andrew dont le bureau n’est pas très loin de mon lieu de rendez-vous pour lui proposer de prendre un pot en terrasse une fois sortie de mon entretien. Comme il me perçoit un peu fébrile, il me dit d’y aller à la cool mais pimpante et dynamique comme je sais l’être. C’est vrai, cela ne sert à rien de psychoter 48 heures à l’avance.

Je décide donc de me changer les idées en faisant un saut chez Ikea pour remplacer mes boîtes dépenaillées par des nouvelles plus sobres. Un lundi 13.30 : le parking est plein comme en week-end, j’hallucine !

Et tandis que j’approche de l’entrée avec mon sac bleu au liséré jaune, j’aperçois une file d’attente qui me laisse perplexe. Moi qui pensais juste faire une incursion chirurgicale, me voilà en train de reconsidérer la chose. Pff tant pis j’attends, un aller-retour pour rien, ça me soûle encore plus.

Donc, je me place sagement dans le tortillon de la file d’attente et je regarde comment ça s’organise. En fait, il y a trois files : celle où je suis pour le magasin, une pour le retrait des trucs lourds et une autre pour les retours et échanges. Au bout de chacune d’elles, deux cerbères avec oreillette et talkie qui font rentrer les gens par lot de dix pour ma file ou au compte-gouttes pour les deux autres, non sans avoir échangé auparavant quelques ordres brefs et incompréhensibles avec des collègues invisibles :

– Vas-y, je peux en caler encore deux pour le RZ-986.

– Y en a six déjà en stand-by.

– Bah envoie sur le FT-475.

– D’accord.

Et tandis que j’avance hardiment au rythme des moulinets de bras du cerbère n°1, je ne peux m’empêcher de penser, goguenarde, que j’embarque pour le Space Mountain ! Si j’osais, je lui demanderais s’ils prennent une photo également lors de la descente vers le libre-service…

Dans le hall d’accueil, pareil, zéro possibilité de batifoler. La nana devant moi, bien que masquée, dédaigne soigneusement le distributeur de gel hydro-alcoolique et hop coup de sifflet :

« Madame s’il vous plaît, le gel, merci ! »

Ils rigolent pas, les Suédois. Tout ça pour six TJENA 32X50X32 et une FEJKA.

16.00. Le remplacement de mes boîtes fait, je contemple ma chambre. Même la cave à vins se fond dans le décor. C’est incongru, je le conçois mais je n’avais pas le choix car plus de place dans le salon avec l’arrivée de la grande table.

Bref, je suis assez contente de l’ensemble. Mais à quel coût ? Car si j’en crois la douleur qui irradie dans mes épaules, mes coudes et mes mains, c’est comme si j’avais manipulé tout le magasin. Bon, ma séance de ménage d’hier n’y est certainement pas étrangère. Surtout qu’en plus, j’ai fait la maline avec une petite boum improvisée où j’ai dansé et chanté sur des trucs parfaitement débiles entre deux lessivages de murs. Sur le coup, ça m’a fait du bien.

Je m’interroge. Ma fibromyalgie arriverait-elle à un autre stade ? Le stade ‘pas de bras, pas de chocolat’ ? Parce que désormais, je ne peux quasiment plus me servir de mon bras gauche et les douleurs sont présentes 24/7, même les dimanches et jours fériés.

Et la gym que j’avais délaissée la semaine dernière pour cause d’emploi du temps surchargé, me confirme à la première tentative d’abdo-fessier, que j’ai hélas bien franchi le cap de non-retour. Je me sens un peu désemparée, surtout que le paracétamol, c’est de la roupie de sansonnet, que j’ai déjà fini l’ibuprofène de ma belle-sœur et que la pharmacie refuse de m’en vendre parce qu’il y a des risques avec le corona gnagnagna…

Bref, tout me pousse à me remettre à boire et à fumer des joints, quoi. La panacée.

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