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GERMAINE

« Hé les filles, on se fait un pot de départ en commun ? »

Je crois que j’ai fait des émules… Cameron en tête, puis Maggie et Yolande… Ces deux dernières à cause de Germaine, notre 2ème ennemie après Shannon avec laquelle elle s’entend très bien d’ailleurs, qui est teubée, bouchée à l’émeri et qui s’avère maintenant être aussi vicieuse que perfide.

 

Vendredi 28 octobre 2022

J’ai de la peine pour Maggie qui subit cette situation délétère dans son service depuis pratiquement le jour de l’arrivée des Vamps, Germaine et Yolande, il y a presqu’un an. Je les avais captées de suite « Mais c’est quoi, ces branquignoles ?! »

Surtout Germaine. Son foin à la place des cheveux orange pétard, son trait d’eye-liner vert sapin sous les yeux limite sur la joue, ses bas-résilles fluos, ses Docks jaunes et ses jupes trop courtes, un style qui, à mon sens, n’a pas lieu d’exister au bureau quand on a 57 balais et que l’on est soit disant Responsable Qualité.

C’est surtout son côté déphasé, lunaire, aux fraises qui m’a faite me dire « Tiens, on embauche des handicapées mentales, maintenant ? »… On a le droit d’être décalé, c’est drôle et rafraîchissant, mais là, c’est à se demander de quelle planète elle vient.

Quant à Yolande, elle est aussi un peu à côté de la plaque mais elle est surtout nian-nian et j’ai beaucoup de mal avec ça. Et son parfum me lève le cœur. Bref, comme j’avais très peu voire pas du tout d’interactions avec elles deux, ça me passait au-dessus des oreilles, en fait.

Mais aujourd’hui, la Germaine qui n’en fout pas une rame, qui comprend que dalle, qui joue les chefaillons insupportables et surtout, qui va baver sur les autres dans le bureau de Shannon au moins 3 fois par jour, bah on en a plus que marre.

Elle se révèle de plus être une vicelarde de première qui est en train de tout faire pour faire virer Yolande et la douce et jolie Maggie et ça, ça me fout en boule. On ne touche pas à mes cops. Comme elle a en plus écorché mon nom dans un de ces mails débiles, je lui garde décidément un gros chien de ma chienne.

 

14.32 Allez, je rentre chez moi pour attendre le technicien de Free qui va installer ma nouvelle box et je repasserai au bureau, une fois terminé, pour fermer après tout le monde. Shannon et son père partant en week-end et Bob étant en voyage d’affaires, je suis la seule à avoir la clé donc je suis de corvée. Et lundi, ce sera la même.

Bref. Que ça fait du bien de rentrer chez soi et de n’y trouver… personne ! Shushu était debout ce matin à 7.00 à fourgonner, à faire sa gamelle – j’ai eu peur à un moment donné qu’elle sorte la poêle et l’autocuiseur – à être dans mes pattes tandis que j’essayais de me préparer pour partir au boulot, et hop, elle a enfourché son vélo. CHOUETTE.

Bon, à moi de préparer mes affaires pour mon week-end. Ça fait une paye que je ne suis pas retournée dans le Nord. Une lubie de Toto. Un go-fast pour moi.

RENEGADES OF FUNK

« Ça y est, j’ai trouvé un circuit-vélo pour le Pont de la Toussaint. Je partirai vendredi et je reviendrai le jeudi d’après. Comme ça, tu as l’appart de dispo pour la venue de ton frère. Ça te va ? »

MAIS OUI !!!! Bon, comment lui dire qu’elle n’a rien compris ? Et si je ne disais rien ?…

 

Mardi 25 octobre 2022

Shushu est en vacances. Je m’en suis rappelée hier soir en la trouvant à la maison. Et merde. Je ne peux même plus être peinarde quelques heures chez moi le soir ! Et ça essaye d’engager la conversation, et ça me pousse dans la cuisine qui est devenu son royaume désormais. Pfff.

  • Sinon, t’as des nouvelles pour tes papiers ?
  • Non… Je prendrai une décision en novembre. Tu sais si ça craint à l’immigration de Roissy fin janvier ? (j’ai une tête de douanière ?!?) Parce que je ne voudrais pas être expulsée de France (oh bah non, ce serait con) Oh la la je vais stresser pendant tout le mois que je serai à Taïwan ! (pas moi)

Si je comprends bien, elle n’est pas partie avant fin février, au mieux. Moi qui ai proposé la coloc à Sarah-Jane qui se retrouve SDF en fin d’année… Pas le temps de me perdre dans mes pensées, Shushu reprend de plus belle :

« C’est important pour les Taïwanais de pouvoir rentrer au moins une fois dans l’année parce que la nourriture est trop bonne, on en a marre de mal manger en France… Moi ça fait 4 ans, je n’en peux plus, je vais devenir folle ! » (mais rentre chez toi et restes-y ! Et garde ta bouffe et ta lessive qui schlinguent !)

Et elle enchaîne – c’est un festival.

  • Nous, les Asiatiques, on boit beaucoup d’eau chaude. Y a un dicton à Taïwan – Boire de l’eau chaude fait sortir le mauvais sang chez les femmes – Toi, tu bois de l’eau chaude ?
  • Seulement si on me force.
  • Mais tu aimes les tisanes ?
  • J’ai acheté des tisanes bio citron-gingembre, tu voudras goûter ?
  • Mais ce serait bon pour toi…

Mais fous-moi la paix avec ton eau chaude !!! Et arrête de me regarder en biais, je sais, je mange de la salade et des pizzas, je bois du rouge et de la bière trappiste et je t’em*** !!!

Elle a dû sentir qu’elle me soûlait, elle est repartie dans sa chambre avec sa tisane qui sentait les pieds. Pour revenir cinq minutes après :

  • Vendredi, tu veux que je range ma chambre et que j’enlève mes draps ?
  • Nan, je m’en occuperai.
  • Sinon, tu vas cuisiner beaucoup pour ton frère et sa famille ?
  • Euh oui…
  • Tu vas leur préparer quoi ?
  • Chépa encore…

Comment lui dire ? Il y a trois semaines, lors de notre grande “discussion” en mode remise des pendules à l’heure, je lui avais demandé si elle pouvait, je sais pas, aller faire un tour au moins ce vendredi 28 octobre et mardi 1er novembre car j’avais besoin de la chambre pour loger Toto, ma belle-sœur et ma nièce qui faisaient une halte à Paris pour notre virée tous ensemble en Belgique pour la Toussaint.

Ouais, Leonidas pour Toto et tabac en seaux pour Bibi. Mais Shannon m’a refusé mon lundi 31, Toto ne montera pas vendredi soir mais passera me prendre samedi matin et je redescendrai en train dimanche soir. Et Toto a décidé de rester la semaine en Belgique et ne repassera pas à Paris le 1er novembre. Donc, plus besoin que Shushu libère les lieux…

Mais l’idée d’avoir mon vendredi soir, dimanche soir, lundi soir et mardi tout entier TOUTE SEULE PEINARDE CHEZ MOI a provoqué en moi une bouffée de joie incommensurable qui l’a emporté, sans scrupule aucun, sur ma mauvaise conscience. Bon, en même temps, elle a l’air de kiffer, son tour en vélo…

 

10.32 Je me fends d’un petit mail à toute la boîte (sauf le upper-management) :

Bonjour à tous,

Certains d’entre vous sont peut-être déjà au courant, après un peu plus d’an et demi parmi vous, il est temps pour moi de voguer vers de nouveaux horizons.

Une belle aventure qui se terminera donc le vendredi 2 décembre.

Remplaçant(e), passation, pot de départ sont bien entendu des sujets en cours dont je vous tiendrai informés.

Une chose est sûre : vous me manquerez.

Profitons alors de ce mois encore ensemble! 😊

Signé Bichette 

 

Eh oui, dimanche soir dans mes mails perso, il y avait un courrier officiel de Shannon :

Chère Madame,

Par la présente, nous accusons réception de votre lettre de démission et acceptons de vous libérer de vos engagements le 2 décembre 2022. Nous vous prions d’agréer, Madame, nos salutations distinguées.

Signé Shannon et Papa (Boss n°1)

La première chose que je me suis dite, c’est que le soit disant entretien mardi pour mon remplacement avait capoté. Ils vont faire comme à leur habitude, ils vont s’y prendre au dernier moment, il y aura donc une passation minimaliste dans l’urgence et ils imposeront à mes collègues la suite de la formation de la nouvelle recrue… Du n’importe quoi.

Bref. Même si j’ai de la peine pour mes collègues, moi, ce n’est plus mon problème. J’en profite même pour ajouter 1 CP le 23 novembre pour aller voir Zane à Alicante. Shannon a mis 10 secondes pour le valider car… ça sera toujours un jour de CP en moins à me payer.

Même si je ne réalise pas encore, je me détache petit à petit. Je suis plus légère, malgré les grands challenges qui m’attendent. Tout s’enclenche parfaitement : dém acceptée, nouveau contrat signé, un mois à finir mon taf proprement et à profiter encore de mes collègues…

D’ailleurs, en retour de mon mail sobrement intitulé Bye, j’ai eu quelques pépites qui m’ont fait chaud au cœur :

Hello Bichette,

Tu vas me manquer !! et ce n’est pas fini nos super apéros/soirées de folie hehe 😃

Signé Maggie

*************************

Rooooooh

#déception
#tempsquivapasservite

Signé Brice

*************************

😌.. je suis, à la fois heureux pour toi parce que sûr que tu trouveras une très belle équipe et triste parce que on perd une collaboratrice précieuse, sympathique, efficace et surtout toujours de bonne humeur !

Bravo pour le courage de la décision du changement !

Signé Barnabé

********************

« Mais c’est quoi, ce mail ?!?!! Tu ne peux pas partir, pas toi ! Comment on va faire ?!? »

(Bichette-Andrea, la mère-maquerelle, que j’ai renommée Cunégonde, au téléphone)

 

Ce après quoi, j’ai envoyé un mail perso cette fois-ci à ma petite bande :

Pot de départ de Bibi (officieux) : SAVE THE DATE !!!

Chers tous,

Jeudi 1er décembre : vous serez tous là pour fêter mon départ, n’est-ce pas? 

Où? Bon, pas chez moi parce que ma coloc va me tuer, probablement au QG, je réfléchis et je vous dis.

On en profitera pour se faire un Secret Santa avec une soirée de remise des kdos début janvier 2023? – je vais devoir passer le flambeau de l’organisation des soirées ^^

Et d’ici là, bien sûr quelques pots à la sauvage selon les dispo de chacun ! Tchüss!!!!

Bref, c’est pas demain la veille que je vais mettre mon foie à la diète. Qu’elle me bassine pas, l’autre, avec ses pisse-mémères !

 

20.00 Yang m’appelle. Pour que je le débriefe sur mon week-end, surtout sur la partie Bradley… C’est vrai que je lui ai envoyé quelques mots inquiétants que je n’ai pu que réitérer :

« Je n’ai pas les mots pour dire ce que j’ai vécu. Je suis condamnée, foutue. Définitivement bonne pour les ordres. »

A l’heure où j’écris ces lignes, je ne parviens toujours pas à verbaliser mon vendredi soir dernier. J’ai l’impression de traverser un autre trauma comme celui de cet été, avec un blanchiment de mes pensées et de mes mots. Peut-être besoin d’infuser ce qui s’est passé, sans l’assurance d’une quelconque restitution cohérente par la suite.

A ma décharge, ma vie en ce moment est un joyeux tumulte, j’avoue ne pas avoir la ressource pour tout suivre ad hoc donc je fais ce que je fais le mieux : vivre l’instant T. Et ça me va.

… No matter how hard you try, you can’t stop me now…

QU’EST-CE QUI VA LE PLUS VOUS MANQUER ?

« Tu fais chier, je ne veux pas que tu partes ! Je suis heureuse pour toi mais je suis triste aussi. Tu es notre rayon de soleil, c’est toi qui as fédéré notre petite bande, sans toi, voilà longtemps qu’on se serait tiré une balle ! »

Les larmes de Cameron lundi dernier.

 

Vendredi 21 octobre 2022

Touchante, ma Cameron. Mamie, comme je la surnomme aussi, vu qu’on a le même âge. Je l’ai prise dans mes bras, on se serait cru en fin de colo hahaha – ce qui est un peu le cas, d’ailleurs. Elle va me manquer. Même si elle parle trop. Une pipelette de classe internationale, je me demande parfois comment elle fait pour produire autant de salive…

Mais c’est une collègue hors pair. C’est elle qui m’a « formée » quand je suis arrivée, avec une patience rare, toujours agréable et souriante. Au fil du temps, elle est devenue plus qu’une collègue, presque une confidente. On se confie nos petits et grands secrets, on se conseille, on s’épaule, on s’appelle après le taf pour bitcher à qui mieux mieux sur celui ou celle qui nous a pourri la journée…

On blablate aussi comme des quinquas. Enfin, surtout elle. Comme elle n’a pas le verbe châtié, on est dans le concret, dans le brut de pomme tout de suite. Ce qui donne lieu à de franches rigolades, entre les coups de blush des plus chastes et la surenchère des plus déchaînés…

« Bichette, fais voir si t’as mis un push-up pour ton date de ce soir. T’as pensé à faire ton maillot ? Et ne mets pas une culotte de mémé ! » Et Brian, mort de rire « Mais Bichette n’est pas une fille facile ! » et Tic et Tac en se bouchant les oreilles « ON N’ENTEND RIEN LALALALAAAA !!!!! »

 Bref. Elle va me manquer. Je garderai le contact, pour sûr. Ne serait-ce que pour son beau brun aux yeux mordorés que je compte bien revoir…

Elle me l’a prêté le temps d’un week-end en juin et j’en suis tombée raide dingue ! Une crème, cette perfection faite chien. Quand elle veut, elle me le re-prête. Je suis Stanamoureuse hahaha !!!

 

Alors, comment ai-je fait pour supporter ce job aussi ingrat cette longue année et demie ? Bah grâce à ma petite bande, à n’en pas douter. Au bureau mais aussi en dehors puisque l’on se réunit autour d’un verre à chaque occasion, ou sans, juste pour le plaisir de pouvoir se parler sans le timer du déjeuner, et librement sans les éventuelles oreilles indiscrètes du upper-management.

Une famille. Un clan. Copains comme cochons. Ça paraît exagéré mais en fait, pas tellement. On se connaît tous désormais très bien, on est solidaires les uns des autres, unis dans la résistance à l’oppression de Shannon, la Mégère pas apprivoisable.

Je ferai plus tard un medley de ses mails savoureux de bêtise qui démontrent son incompétence absolue en tant que dirigeante. Mais c’est la fille à papa, donc… Pour l’heure, un dessin vaut tous les mots, merci à De La Vega, le responsable ADV arrivé au printemps dernier qui n’a pas mis longtemps pour devenir un pilier de notre bande de fêtards dissidents :

Ah la la, ils vont tous me manquer. D’ailleurs, lors de mon interview pour mon nouveau job, on m’a posé cette question à laquelle j’ai répondu illico, comme un cri du cœur :

  • Qu’est-ce qui va vous manquer de votre ancien boulot ?
  • Sans hésitation : mes collègues, ma petite famille, quoi !
  • C’est important pour vous, la culture d’entreprise ?
  • Pas primordial mais oui. Et dans mon cas, je n’aurais pas survécu sans eux.
  • Vous allez être servie, chez nous.

A en juger par la boule à facettes au plafond de leur gigantesque cuisine-lieu de vie, je crois bien que oui. Mais saurai-je me recréer un nouveau noyau essentiel d’irréductibles ?…

 

10.06. N’ayant toujours pas eu de retour formel à ma lettre de dém, je me fends d’un petit mail :

« Bonjour,

Suite à notre entretien mercredi, vous deviez me faire un retour par écrit au plus tôt.

Un simple mail suffit, j’en ai besoin pour avancer et comme je sais que semaine prochaine vous ne serez pas dispo, ce serait bien aujourd’hui ?

Merci par avance,

Bien à vous.

Signé Bichette »

Lundi matin, Shannon n’ayant pas l’air de vouloir se pointer, je suis allée voir Bob dans son bureau, les deux exemplaires de ma lettre de démission à la main. Je n’ai pas tortillé « Bah je vais vous quitter… » La tête de Bob, il s’est littéralement décomposé !

Puis il m’a dit être très content pour moi, le fait est qu’il avait l’air sincère. « Bon, je ne peux pas signer ta décharge car c’est adressé à Shannon mais je vais l’appeler et lui demander de passer dans l’après-midi, ça te va ? »

17.50 Toujours pas de Shannon alors j’ai dropé ma lettre en AR à la conciergerie de la poste près de chez moi. Que Boss n°1 a reçue mercredi matin. Il m’a dit lui aussi être très heureux pour moi et « Si l’on peut faire quoique ce soit pour vous, n’hésitez pas ! » Je ne m’y attendais pas, à celle-là.

Comme quoi, j’avais tort de psychoter à me dire qu’ils allaient ergoter sans fin sur mes 3 mois de préavis. Ils sont peut-être contents de se débarrasser de moi… car un poids mort qui se détache de lui-même, on dit Ouf, pas Merde

Et Boss n°1 de conclure « Je vais consulter Bob et Shannon et vous fais un retour par écrit dans la journée. » Au vu du planning tendu de l’un, de l’absence de l’autre, j’ai bien compris que je pouvais attendre. D’où ma relance ce matin.

Là-dessus, Shannon m’appelle.

« Je vous ferai un retour mardi, si vous le voulez bien. Je dois voir quelqu’un en entretien pour votre remplacement, qui est à priori dispo de suite. Si on peut vous libérer le 17 novembre… »

Ils n’ont décidément rien compris ! Bref, changement de braquet. Si je suis libérable le 17, je me prends 10 jours OFF, je vais voir Zane à Alicante pour Thanksgiving comme prévu et le 28 je commence mon nouveau job. Pas mal, finalement.

16.20 Allez hop, je décolle. Je prends la route pour un week-end chez Toto. Mais en faisant un crochet par… chez Bradley.

Il m’a appelée hier soir. M’a dit qu’il souhaitait me revoir. Bien surprise, ai-je été. Il y a un peu plus d’un an, deux jours en fait après avoir arrêté d’écrire ce blog, on s’était quittés sur ces mots, lui :

  • J’ai plein de sentiments pour toi mais tu ne me manques pas. Je n’ai pas la ressource en moi pour notre histoire à l’heure actuelle. Je vais me concentrer sur ma vie avec ma maison, les travaux tout ça. Mais je veux que l’on se donne des nouvelles, on peut être amis, toi et moi, non ?
  • Bah non. On ne l’a jamais été. Rappelle-moi quand et si tu as besoin de moi dans ta vie, mais c’est tout. Je serai dispo ou pas, on verra. Sur ce, je te souhaite plein de bonnes choses, ciao !

Est-ce le moment ? Est-ce SON moment ? Je ne sais pas. J’ai toutefois bien senti à sa voix, à son ton, qu’il avait changé. Il m’a semblé plus léger, plus serein…

Il m’a appelée en avril dernier pour prendre de mes nouvelles, me donner des siennes, notamment qu’il avait arrêté l’armée, qu’il avait repris un boulot de Directeur Commercial dans une petite société dans un patelin près de chez lui, le patelin même où j’ai grandi et où se trouve le cimetière de Maman, quelle coïncidence… Il m’a dit aussi avoir rencontré quelqu’un, que cela se passait bien, bref, que tout allait bien pour lui.

D’où ma double surprise quand il m’a dit hier soir qu’il voulait me revoir, qu’il était « prêt ».

  • Pourquoi tu ne passerais pas me voir la prochaine fois que tu descends voir ton frère ?
  • Bah j’y vais ce week-end.
  • Ça tombe bien, je suis dispo, je n’ai pas les enfants… Tu descends quand ?
  • J’avais pensé samedi matin car pas envie de me taper les bouchons des départs en vacances.
  • Allez, si, viens demain soir, tu arrives à l’heure que tu veux ! Tu dors à la maison, j’ai plein de chambres d’amis, et samedi matin tu peux remonter chez ton frère, qu’en dis-tu ?
  • J’en dis que je vais y réfléchir, je te dis ça demain matin.

C’est bizarre, la vie. Avant-hier, pour reprendre mon blog et lui donner une suite logique, j’ai relu tout ce que j’avais écrit, notamment à son propos – et qu’est-ce que j’ai pu tartiner sur le sujet à l’époque ! – bref, je me suis dit « Wow ça fait trop bizarre de replonger comme ça dans notre histoire, qu’est-ce que je suis contente d’en être sortie ! »

Je me suis alors auto-sondée. Oui, j’étais heureuse de l’entendre. Avais-je envie de le revoir ?

J’ai bien entendu appelé Nénette qui s’est bien marrée et qui m’a posé à peu près les mêmes questions. Bah oui, j’ai envie de le revoir. Sans supputer de quoique ce soit.

Yang s’est montré plus dubitatif ce midi quand j’ai déjeuné avec lui. « Nan, tu ne vas pas te dévoyer et perdre ton intégrité ?!? » Je peux comprendre sa réaction. C’est lui il y a un an qui m’a ramassée à la petite cuillère au sortir de cette histoire qui m’avait bien étrillée.

Mais bon, qu’est-ce que je risque ?

Ma vie avance, tourbillonne, mue, louvoie, rebondit. J’ai la baraqua en ce moment, je n’ai plus peur de rien.

LA DEM

Si je n’étais pas végétarienne et si j’avais réellement gagné au loto, je me serais bien déguisée en poulet moi aussi pour filer ma dem.

Lundi 17 octobre 2022

 

Objet : Démission
REMISE EN MAIN-PROPRE CONTRE DECHARGE (2 ex.)Madame,

Par la présente, je vous informe de ma décision de démissionner de mes fonctions d’Assistante Administrative exercées depuis le 1er avril 2021 au sein de l’entreprise.

J’ai bien noté que les termes de mon contrat de travail prévoient un préavis de 3 mois. Cependant, je sollicite la possibilité de réduire la durée de ce préavis à ce qui semble être plus normé pour mon statut non-cadre et mon ancienneté de moins de 2 ans, c’est-à-dire un préavis d’1 mois, soit jusqu’au 17 novembre 2022.

Toutefois, dans le but de mener à terme différents dossiers en cours, je pourrais, à votre demande, consentir à prolonger ce préavis jusqu’au 2 décembre 2022.Je vous saurais gré de me confirmer votre accord sur ces termes et vous prie de croire, Madame, en l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Le 17 octobre 2022

Signé Bichette

 

UN AN QUE JE VEUX PARTIR !!!

Un an que j’envoie des CV à tout-va. Un an que les mails horripilants de stupidité de Shannon me sortent par les yeux. Un an que le « management » passéiste de Boss n°1, la tatillonnerie autistique de Bob et l’inintérêt total de mon poste me défrisent à l’unilatéral.

Ai postulé à six jobs en particulier, ai répondu à quinze interviews, six fois j’ai donné tout ce que j’avais, six fois je me suis projetée en 3D en y croyant de toutes mes forces. Tout ça pour qu’on me dise que soit je ne suis pas assez IT, soit pas assez expérimentée en conduction de travaux, soit pas trilingue… quand on me daignait me faire un feed-back.

J’ai commencé à sombrer dans la loositude, à me dire que je ne valais plus rien, que je n’étais qualifiée au final que pour être la bonniche de Shannon. Le pompon a été en janvier dernier, lors de ma performance review avec la Sainte Trinité.

J’avais préparé le truc, redéfini mon poste avec hausse de responsabilités et bien sûr hausse de salaire. On était alors en pleine bourre, des heures sup à la pelle et une performance bien au-delà de ce à quoi j’étais cantonnée.

« Nous avons été très choqués par vos objectifs, on vous a mal conseillée ou bien ? Ça ne fait même pas un an que vous êtes chez nous, vous demandez beaucoup, je trouve. Déjà, on vous a permise de vous refaire la cerise après votre échec entrepreneurial, il va falloir patienter avant d’atteindre le niveau que vous visez. »

Jamais de ma vie on ne m’avait parlé comme ça. J’ai été blessée d’une force ! Il s’en est fallu de très peu pour que je ne quitte pas le bureau en claquant la porte. Bref, j’ai rongé mon frein et relancé de plus belle ma recherche de job.

Ils m’ont alors mise au placard pendant 4 mois ! Là, pour le coup, j’étais payée à ne rien faire. Ce qui m’a permise au moins de préparer tranquillement mon voyage dans le Montana en mai. Tout ça pour me demander en juin de reprendre les dossiers que je gérais avant, quand l’empotée d’assistante commerciale qu’ils avaient embauchée pour me « remplacer » n’a pas fait l’affaire.

Et puis une, deux, trois, quatre opportunités, dont deux dans un domaine qui m’a enchantée : les actions pour le climat. Apporter ma pierre à l’édifice, si petite soit-elle, quelle fierté ! Une boîte en particulier, pour laquelle j’ai passé 3 entretiens en live, je m’y projetais tellement que j’avais déjà préparé ma lettre de démission en AR…

Belle déception, au bout du compte.

J’étais complètement down. Au bout du bout. Jusqu’à début août. Un poste d’Office Manager dans la boîte d’une copine de Béa du bureau, à laquelle j’avais confié mes velléités de départ. J’ai postulé sur la pointe des pieds et au retour de vacances, j’ai décroché un entretien, un call avec la Talent Acquisition Manager à Manchester…

J’ai eu alors un regain d’énergie et j’ai travaillé cet entretien en amont comme je crois ne jamais l’avoir fait auparavant. J’ai passé en revue tous les couacs sur lesquels je m’étais, à mon sens, échouée lamentablement, comme « Quels sont vos points faibles ? Qu’est-ce que vous aimez moins faire ? Décrivez votre expérience la plus représentative en tant qu’Office Manager ? »

Miles, Joan, Sarah-Jane, Yang m’ont tous conseillée la même chose : être un chouilla moins honnête quitte à enrober les faits et trouver des tournures de phrases qui noient le poisson et transforment le négatif en positif… Faire de la politique, quoi. Tout ce que je déteste.

Mais bon, aux grands maux les grands remèdes. Et ça a marché.

Chat échaudé craint l’eau, jusqu’à il y a encore une semaine, je n’y croyais pas. Je ne voulais pas y croire. Pour ne pas être déçue encore une fois.

La morale pourrait se résumer à Bobards & Scepticisme, tout ce que je ne suis pas, comme quoi, je me suis vraiment dépassée sur ce coup-là !

 

Alors, si tout va bien, le 5 décembre prochain, je commence mon nouveau super waouh job d’Executive Assistant & Office Manager.

LA COLOC

« Non mais allô !! T’as des cheveux et t’as pas de shampooing ?!! »

Effarée je suis, comme Nabila, par le minimalisme des cosmétiques de Shushu. Un savon et c’est tout.

Dimanche 9 octobre 2022

 

Ça fait un mois pile que Shushu a élu domicile chez moi. Encombrante. Nonobstant son unique savon. Pas tant par sa présence, on se croise à peine, mais par son irrépressible besoin de cuisiner à toute heure du jour et de la nuit. Comme je dors dans le salon avec la cuisine attenante, les odeurs de choucroute et de tofu fumé à minuit, je commence à en avoir ras le pompon.

Un peu sans-gêne aussi, à envahir sans vergogne et mon espace et mes placards, en enfouissant mes affaires sous les siennes. Elle a même débranché ma cave réfrigérée pour éventuellement y stocker quelques cartons…
Je lui avais pourtant bien dit que cela allait être un peu exigu mais elle m’a assuré qu’elle allait s’adapter à mon espace, quitte à laisser quelques cartons chez des amis. J’ai bien vu, le jour où je suis venue la déménager avec ma voiture, que c’était du pipeau.

C’est une artiste, elle a besoin, je cite, d’un maximum d’espace pour être en phase avec son Moi créatif, pour « respirer » et trouver l’inspiration devant son piano. Ou sa trompette. Ainsi, je me suis très vite retrouvée avec une colonne de cartons grignotant chaque jour mon espace, jusqu’à ce que je me vautre dessus, un matin où je n’étais pas bien réveillée.
Là, j’ai pris le taureau par les cornes, je lui ai fait une démonstration de Tetris, c’était rangé dans SON espace en moins d’une heure. Et j’ai rebranché ma cave à vins et mis un post-it dessus « Ceci n’est pas un box Shurgard ». Non mais.

Comment suis-je arrivée à cette brillante idée de prendre une coloc ? Bah par hasard. Disons que l’opportunité s’est présentée et en considérant d’une, la récurrence de mon découvert bancaire, et de deux, le récent fiasco de mon dernier « ménage » avec un autre être humain, je me suis dit pourquoi pas. Mais sans conviction aucune.
Bon, ça porte un nom, de faire quelque chose à contrecœur pour de l’argent hahaha mais j’ai préféré le voir comme une sorte de thérapie, pour me forcer à sortir de mon grottisme autistique, à la limite de l’asociabilité. D’une pierre, deux coups, quoi.

Bref, ça remonte à fin mai, lorsque, pour permettre d’énièmes travaux sur les évacuations par lasalle de bains de mon appartement, j’ai dû filer mes clefs à quelqu’un car je n’étais pas là ce jour là. Ce quelqu’un, c’était Shushu, ma voisine, que je connaissais vaguement au sortir de mails échangés justement sur le sujet des canalisations bouchées et des horreurs de débordements de toilettes qu’elle subissait également.

Et sur le palier, on en est venues à papoter. C’est là qu’elle m’a dit que son propriétaire reprenait l’appart et qu’elle devait avoir vidé les lieux début juillet, qu’elle allait galérer à trouver autre chose dans son budget riquiqui et qu’elle aurait souhaité ne pas changer d’adresse pour le renouvellement de son titre de séjour qu’elle attendait avec ferveur…

Et oui, Shushu n’est pas une sans-papier mais presque. Ça fait bien douze ans qu’elle est en France, au début en tant qu’étudiante au Conservatoire de Paris et depuis trois ans, en tant que salariée mais à temps partiel et en vacations longues…

Ce changement de statut Etudiant/Salarié est déjà, en soi, une tannée à gérer, bien souvent en se voyant octroyer récépissé sur récépissé, obligeant à vivre dans la précarité par tranche successive de trois mois. Alors, en plus, si l’on n’est pas travailleur essentiel à temps plein et en CDI…

Ah ça claque, comme intitulé de job « Professeur de piano & Chef d’orchestre » mais c’est nul pour les papelards !

Ajouté à cela, la pandémie qui a littéralement gelé tous les rouages de l’administration et voilà une Shushu au récépissé plus qu’expiré qui n’a pas pu rentrer dans sa famille à Taïwan depuis quatre ans ! Dans les faits, elle peut sortir de France mais elle n’est pas sûre de pouvoir y rentrer…

Est-ce cela qui m’a touchée ? Pourtant, elle n’a pas été particulièrement larmoyante et mon empathie rasant les pâquerettes ces temps-ci… Je ne sais pas trop, en fait, toujours est-il que j’y ai réfléchi et quelques jours plus tard, je lui ai envoyé un mail. J’aurais mieux fait de me casser trois jambes.

Bref, elle est venue visiter début juin, cet été elle était logée, c’était donc à prévoir pour septembre. Elle m’a dit vouloir se donner le temps de la réflexion, de voir autre chose et qu’elle reviendrait vers moi fin août.

Je me suis dit « Si tu me préviens le 29 août pour le 1er septembre, ça va être tendu », aussi, je l’ai relancée le 1er août tout en priant à m’en faire saigner les paumes qu’elle ait trouvé entretemps à se loger. J’ai même tenté de me désister :

« … pour être tout-à-fait franche, je ne suis pas sûre finalement d’être prête pour la coloc, je ne sais pas… As-tu quand même une piste pour un appart? Maintenant, je me suis proposée donc si tu n’as rien d’autre, on pourra voir… »

C’était tout vu. Ainsi, le dimanche 11 septembre 2022, après 4 allers-retours à sa résidence d’été chez des compatriotes compatissants – mais famille nombreuse donc logement impossible sur le long terme – ma Clio bourrée jusqu’au plafond de ses affaires, Shushu s’est installée dans ma chambre et j’ai migré mon lit dans le salon.

La première chose qu’elle a faite, c’est de fabriquer sa propre lessive avec des paillettes de savon sans savon qu’elle a trimballées dans un sac en papier percé dans tout l’appart… « Tu vois, c’est facile, je laisse reposer le mélange 24h, ensuite je délaye, je laisse encore 24h et après je remplis mon bidon. Ça va me faire longtemps, au moins 10 lavages, c’est très économique et écologique ! »

Mouais. 48h pour faire de la lessive… Et la prochaine fois, c’est toi qui passe la balayette.

Le plus beau dans tout ça, c’est qu’au final, ça donne un liquide caca d’oie qui schlingue, un comble pour un détergent censé sentir le propre ! Je m’en suis rendue compte le jour de sa première lessive. Comme elle devait sortir et moi pas, je lui ai proposé d’étendre son linge une fois la machine terminée. Lorsque j’ai ouvert le hublot, j’ai cru à une mauvaise blague : ça puait la punaise écrasée ! Sérieux, j’ai même regardé dans le tambour si justement il n’y avait pas une punaise qui avait mal fini…

Non, non, c’était normal. Shushu n’aime pas les odeurs artificielles ni chimiques, elle préfère les trucs naturels roulés sous les aisselles… Elle va même jusqu’à débrancher mes diffuseurs de parfum car cela l’incommode… On n’a décidément pas la même définition des odeurs dégueu.

Autant dire qu’elle m’a fait un sketch à propos du Calgon, moi :
– Oui, une tablette d’anti-calcaire à chaque lavage.
– Euh ça laisse un parfum sur le linge ? Si oui, je n’en veux pas.
– Bah t’as pas le choix, pas envie de flinguer mon lave-linge.

Devant ma mine déterminée, elle a tenté de m’attendrir « En fait, je crois que je suis allergique aux produits industriels, ça me fait de l’eczéma. »… Bien. Moi je suis allergique à l’huile essentielle de punaise écrasée. Donc, chacune sa lessive et les vaches seront bien gardées. Mais avec Calgon.

Bon, passons sa facette bobo-bohème qui porte des sarouels et qui sent le purin bio. Elle a aussi un petit côté je-sais-tout et je-veux-avoir-le-dernier mot assez désagréable. Surtout qu’elle a souvent tort.

Le coup des plantes en plastique dans la douche, impayable :
– Je croyais que c’était de vraies plantes, je me suis dit que c’était malin comme ça elles étaient
arrosées à chaque douche…
– Non, c’est pour la déco, je ne peux pas mettre de vraies plantes, y a pas de lumière.
– Je suis sûre qu’il existe des plantes qui n’ont pas besoin de lumière.
– Bah non, ça s’appelle la photosynthèse. L’unique but de toute plante sur terre.
– Quand même, je vais me renseigner.

C’est ça. Et renseigne-toi aussi sur les plantes qui aiment être arrosées au gel douche.

Et ses contradictions nombrilistes ! Elle a deux lampadaires halogènes, qu’elle préfère à mes
lampes aux ampoules basse énergie, moi :
– Tu sais que ça consomme sa race en électricité, ces trucs-là ?
– Ah bon ? Mais j’aime avoir beaucoup de lumière quand je joue.
– J’ai vu, t’as déjà viré les rideaux transparents ! Bref, j’dis ça, comme tu me parais écolo… Et pis, faudrait pas que la facture d’électricité s’emballe de trop, si tu vois ce que je veux dire.

C’est comme son vélo électrique pliable, qui en soi, est une invention du tonnerre, si ce n’est que l’électricité nécessaire à son rechargement pourrait faire clignoter la Tour Eiffel non-stop pendant trois bonnes nuits.
Et je n’ai même pas entamé le débat sur les « minerais de sang » de son smartphone et de sa tablette ! Ou de la vaisselle qu’elle fait à la main alors qu’il y a un lave-vaisselle bien plus économe en eau, ou des bains qu’elle aime bien prendre pour se détendre – le volume d’eau pour remplir la baignoire pourrait suffire à un village entier au Sahel – est-ce que j’ai fait un coucou suisse, hein ?!

C’est sûr, on a tous des contradictions à ce sujet, moi la première certainement, mais au moins j’assume et surtout, je ne fais pas mon Ayatollah du zéro plastique et du bio à tout crin ! Quand les instructions de recyclage ne sont pas claires sur un emballage, je ne vais pas faire mouliner un web server pendant une heure pour savoir dans quelle poubelle je dois jeter : je jette dans la poubelle principale, point-barre.

Et elle est aussi un chouilla j’me-la-pète avec son art contemporain, ses citations de compositeurs allemands obscurs, ses voyages à dos de yak en Mongolie, son ignorance absolue de la pop culture – connait pas Michael Jackson, non mais WTF !!! – et sa fameuse Nuit Blanche…

Tu veux voir les vidéos que j’ai faites ? (euh non mais si tu insistes) et donc : des mecs assis en rond qui tapent sur une cymbale et qui attendent dix minutes, l’air constipé, que le son s’égrène, une heure de Allumé/Eteint/Allumé/Eteint à l’Hôtel de Ville (j’faisais la même quand j’avais 7 ans avec le plafonnier de la deuche de mon père et personne ne s’extasiait pour autant), le reste j’ai zappé en prétextant une irrépressible envie d’uriner… Ça me soûle d’une force, ces branlages de
cerveau, un désintérêt total, à la limite de l’aversion, je dois dire.

Egalement très prompte au jugement à l’emporte-pièce, avec des réflexions à la con, comme :
1. T’as prévu quoi aujourd’hui ? Il fait beau, tu devrais sortir… Ah, tu vas encore glander…
2. Les boîtes plastiques, c’est pas bon pour la santé, tu ingères des particules de plastique…
3. Pourquoi tu mets les fruits et légumes dans le frigo ?
4. Le petit-déjeuner est le repas le plus important, c’est pas bien de ne pas manger.
5. Pourquoi tu ne prends pas le train lorsque tu vas en Normandie ? Le train, c’est moins polluant
que la voiture. Elle était bien contente de la trouver, Titine, pour son déménagement.
6. Pourquoi tu ne fais pas de vélo ? Il faut te motiver, c’est tout !
7. Le soir, tu es fatiguée, mais à quoi faire ? A rester assise devant l’ordi toute la journée ?…
Ce à quoi j’ai très souvent envie de répondre fibromyalgie. Et surtout j’t’emmerdite aigüe.

Lui ai pourtant bien expliqué mais elle ne comprend rien, à ma maladie, à mes allergies, et non, les lentilles qui ont cuit avec la saucisse, je ne peux pas en manger !!! Et pis merde alors, si je suis adepte du grottisme, en quoi c’est son problème ?!!

Bref, pour résumer, Shushu est une bobo-bio au verbe haut et à la conscience à deux vitesses. Dans sa bulle à œillères, bornée parfois jusqu’à l’arrogance. Mais passé ce constat, j’aime en fait assez le personnage qui est fantasque et atypique, et quel parcours ! Quelle passion chevillée à l’âme ! Chapeau. Et puis, ça me fait du bien de me confronter à la différence, c’est somme toute rafraîchissant. Et drôle.

Bon, ce que me fait moins rire en revanche, c’est quand elle cuisine en grandes pompes en rentrant le soir. Pas à 19-20 heures comme tout le monde, mais vers 23 heures, quand je suis sur le point de me coucher…

Eh oui, elle travaille l’aprem et le soir, souvent à Pétaouchnok S/Eure donc le temps de rentrer en combi train-vélo électrique… Un rythme qui semble lui aller. Elle reconnaît elle-même être un oiseau de nuit qui peut se coucher à 3-4 heures du mat pour se lever à 11 heures. Bien, j’ai envie de dire, chacun est comme il est et fait bien comme il veut.

Mais quand on vit en coloc, on se doit de respecter le rythme de l’autre, surtout s’il est à l’opposé du sien. Donc, si tu rentres à 23h30 et que ta coloc est déjà au lit, tu ne lances pas une potée au chou qui va embaumer tout l’appart et ta coloc, végétarienne de surcroît, tu te fais un truc rapide et inodore, comme une salade de tomates ou un jambon-beurre. En tout cas, tu y vas mollo avec l’ail et le Nuoc Mam fermenté dans l’autocuiseur.

« Je vais faire des oignons frits ce soir, c’est super bon, tu en voudras ? »
J’en ai pleuré. Intérieurement. Je venais en plus d’étendre mon linge qui sentait bon le propre, le vrai… Deux heures les fenêtres grandes ouvertes pour évacuer l’odeur. Et encore. Même le Fébrèze n’a rien pu y faire. Cette fois-là, je me suis endormie et réveillée la tête dans l’oignon, au sens propre du terme.

Gentille elle est, elle tient absolument à me faire à manger, peut-être qu’elle se dit que je serais moins regardante sur les odeurs de bouffe si j’en mange ? Mais moi à 23 heures, je suis en mode sommeil donc ses trucs qui sentent l’aïoli de renard, ça me lève le cœur à cette heure-là.

Elle ne parvient pas à comprendre que lorsque je rentre le soir, je n’ai la plupart du temps pas envie de cuisiner. Pour moi toute seule, je ne vois pas l’intérêt. J’ai de plus souvent bien mangé le midi, donc j’ai tendance à grignoter vite fait. Pour elle, c’est une hérésie : « Tu n’as pas envie de bien manger ? » – si, mais pas au milieu de la nuit. Surtout du chou rouge fermenté au hareng séché.

No cooking in the room ! Je comprends désormais pourquoi certains hôtels aux US refusent les clients chinois, à moins de leur interdire de cuisiner comme au bled. Faudrait que ces derniers apprennent les vertus pacificatrices du bon vieux club-sandwich, mais j’ai l’impression qu’ils s’en battent la race.

Ouais, chinois, taïwanais, c’est kif-kif. Je deviens raciste, moi. Au niveau bouffe, en tout cas. Les kiffeurs d’oignons, allez les frire chez vous bouhouhou !!!

Enfin bon, tout ça pour dire que j’ai relativisé, j’ai été patiente, compréhensive, d’une philosophie à toute épreuve. Je ne me jette pas de fleurs, vraiment, je me suis dit que c’était à moi de faire des compromis, que c’était un excellent exercice pour développer mes « social skills » et que c’était à n’en pas douter, de l’or massif pour mon blog.

Jusqu’à lundi dernier.

Je rentre du boulot, limite le nuage de fumée et cette odeur de graillon !!! Elle avait bien sûr débranché mon diffuseur désodorisant, j’étais furax. J’ai passé la soirée en doudoune les fenêtres grandes ouvertes et elle rentre au moment où je les referme pour aller me coucher. La voilà qui sort toute la batterie de cuisine et qui se met à cuisiner à grands renforts d’ail et de je-ne-veuxpas-savoir quoi qui pue plus fort que le poireau…

J’ai pris un double cacheton pour m’assommer sinon c’était elle que j’assommais.

Le lendemain soir, je rentre, rebelote. Pire : ça puait l’oignon dans la cuisine d’une force, c’était dans la poubelle dans laquelle j’avais mis un sac tout neuf le matin en partant. Là, je me suis dit : faut qu’on cause ! Pour une fois, c’est bien tombé, elle n’est pas rentrée tard. Moi :
– Te serait-il possible de bien aérer quand tu cuisines le midi parce que quand je rentre, c’est encore très fort, tes odeurs de bouffe…
– Ah mais c’est le cas ! C’est la première chose que je fais quand je me lève, à cause de l’odeur de cigarette.
– C’est surtout après, pas avant que tu cuisines, style une bonne heure, tu vois…
– Ça alors ! Les odeurs de nourriture te gênent et pas le tabac ?!!

Sautage à la gorge, je ne l’avais pas vue venir, celle-là. C’est vrai qu’elle s’en plaint depuis le premier jour. Me proposant même de lessiver les murs… Je l’avais envoyée paître gentiment et depuis, je me contorsionne pour fumer non plus en bord de fenêtre mais le torse dans le vide pour éviter que la fumée ne rentre.

Il doit y en avoir quand même un peu… Pourtant, on ne m’a jamais dit que ça sentait le tabac chez moi, dieu sait si j’aère, que je Fébrèze tout ce que je peux, bref, elle doit avoir le nez ultra-sensible. Et donc since day 1, elle dispose des ramequins de marc de café un peu partout dans l’appart pour désodoriser. Ce qui n’est pas très efficace, à mon sens, mais bon. Ah oui, Shushu mout son café (bio et éthique, of course) chaque soir, clamant que c’est bien meilleur que le café tout fait. Mais fous la paix à mes dosettes Senseo, bon sang !!! Toujours un truc à redire.

Bref. Lui ayant lâché un « Bah ouais » après sa pique sur les odeurs de tabac, j’ai contre-attaqué :
– Autre chose : les trucs qui puent comme les oignons, peux-tu les envelopper dans des petits sacs en plastique et ensuite tu mets dans la grande poubelle ? Parce que ça empeste et comme je ne sors pas la poubelle tous les jours…
– Je ne suis pas trop pour multiplier les petits sacs plastiques, ça finit dans la mer et moi je mange plein de fruits de mer donc je mange du plastique !
– Euh… ça part au brûlage…
– C’est du plastique quand même. Franchement, à quoi ça sert d’avoir une poubelle si on ne peut rien jeter dedans ?!!

Ah okay, tu la joues comme ça. Elle a dù capter que j’allais lui tomber sur le poil, elle a rétropédalé :
On pourrait acheter une plus petite poubelle ?
– Et donc plein de petits sacs…
– C’est vrai. Et si on faisait du compost ?
– WHAT ?!?!!
– Je vais me renseigner sur les composts de ville.
– Tu le mettras dans ta chambre, ton compost.
– Sinon, on peut utiliser le ventilateur pour repousser les odeurs ?
– Jusqu’où, jusqu’à mon lit ?!! Merci bien.
– Ou alors, on peut mettre un rideau pour séparer la cuisine du salon ?
– Bah non, ce serait comme de pisser dans un violon.
– Pisser dans quoi ?
– Laisse tomber.
Du compost dans un appart parisien SANS balcon. J’hallucine. Pourquoi pas chier dans une litière à chat, pendant qu’on y est, et se laver au gros sel pour économiser l’eau ?!!…

Et elle est revenue à la charge :
– Mon père m’a suggéré d’acheter un purificateur d’air, ça marcherait pour les odeurs de nourriture comme pour la cigarette, qu’en penses-tu ?
– Ça plus l’humidificateur car l’air est trop sec ici selon toi, ça fait beaucoup de machines et d’électricité pour des trucs non-essentiels, je trouve.

J’ai tenté le compromis.
– Comme tu as le temps le midi, peut-être que tu peux te préparer un plat pour le soir que tu n’auras plus qu’à réchauffer au micro-ondes ? Ça fera déjà moins d’odeurs.
– Les ondes, c’est pas bon pour la santé…
– Et la pollution de Paris, c’est bon ?!?
– Bah je choisis de ne pas en rajouter.

J’ai alors contenu au maximum la moutarde qui m’était montée au nez et coupé court.
« Bon, on ne va pas s’en sortir, on va faire comme ça : tu aères un max le midi après que tu aies cuisiné, tu laisses mon désodorisant branché et le soir quand tu rentres tard, tu évites de faire des trucs qui sentent fort, d’accord ? »

Elle a alors grommelé un semblant de « okay » et est partie dans sa chambre.

J’en ai pas dormi de la nuit. J’avais mauvaise conscience, c’est moi qui lui ai proposé cette coloc voire je l’ai relancée, je me suis trouvée intolérante, mégère, minable de ne pas être capable de cohabiter avec un autre être humain…

Dans le même temps, j’ai repensé au bonheur suprême de rentrer chez soi et de retrouver tout exactement comme on l’a laissé, bonheur de prendre une douche la porte grande ouverte, bonheur de ne pas me vautrer sur un vélo stocké dans l’entrée, bonheur de recevoir mes amis comme je l’entends, bonheur de faire ou pas ce que je veux quand je le veux sans réflexion désagréable dans les dents, bonheur SURTOUT de vivre dans un appartement exempt d’odeurs d’oignon et de
punaise écrasée.

J’ai soupesé ça toute la nuit. Et au petit matin, j’ai pris ma décision : fini, la coloc. En tout cas, avec Shushu. Bref, j’en ai parlé à mes potes de boulot, hilares comme à leur habitude, mais à l’avis tranché. Batman et Günther, notamment : « Mais fous-la dehors ! Ouste, du balai les romanos !! »

Et Jordan : « C’est une psychopathe ! Moi, je n’aurais même pas accepté le quart de ce qu’elle t’a fait ! Si tu as besoin d’aide pour la dégager, tu nous fais signe. » Nan, je ne vais pas la virer du jour au lendemain, je ne suis pas comme ça. Peut-être attendre qu’elle ait ses papiers…

J’en ai parlé à Yang bien entendu, lequel a peut-être été plus nuancé – comme Yang aime bien Shushu qu’il a aidée à déménager, v’là l’impartialité hahaha ! – mais la finalité est restée la même.

Bon, je me suis demandée Quand est-ce que je lui dis ? puis Comment je lui dis ?… Et là, j’ai trouvé la meilleure excuse du monde : le week-end qui arrivait était justement la fin du mois d’essai que j’avais fort judicieusement fixé au préalable. Ça me laissait donc un peu de temps pour trouver les bons mots et ne pas y aller en mode déballage tout en étant claire et ferme… Pas facile, comme exercice.

Bref. Hier midi, Shushu était en train de prendre son sacro-saint petit-déj, moi j’étais debout depuis des lustres à ruminer, j’ai ouvert la bouche mais aucun son n’en est sorti. Les mots que j’avais répétés dans ma tête une centaine de fois, étaient : « Bon, toi et moi, je pense que ça va pas le faire. Je te laisse le temps de te retourner mais il faut que tu cherches une autre coloc dès à présent. »
J’ai alors tourné dans l’appart comme un poulet sans tête, me traitant d’idiote, puis n’y tenant
plus, je me suis affalée à table devant elle, l’air faussement dégagé :
– Ah tu sais, ça fait un mois pile aujourd’hui que tu es ici…
– C’est vrai.
– Qu’en penses-tu ? (mouarf, quelle couarde je fais !)
– Bah je crois que ça va pas le faire. Le tabac me gêne beaucoup. Et je te dérange quand je rentre le soir avec ma cuisine, le bruit, les lumières…

Autant dire que j’ai exulté. Intérieurement. Mais VIVE LA CLOPE, bordel de merde hahaha !!! J’ai enchaîné :
– Et quand prévois-tu de partir ?
– Bah si tu peux encore supporter la situation, je pensais attendre déjà d’avoir mon récépissé car changer d’adresse en cours de procédure risque de tout remettre en question, je dirais d’ici le tout début de l’année prochaine si ça te va.
– Bien sûr. Oui, on fait ça, on attend déjà le récépissé et après on voit.

Mais ce ouf de soulagement en moi ! Oui, je vais supporter, je sais que l’échéance est proche donc ça va aller.
Et là, on s’est mises à papoter, on est tombées d’accord que ce n’était la faute de personne (voui voui voui) car mon appartement n’est vraiment pas adapté à la coloc, en tout cas à long terme. Surtout avec des habitudes de vie aussi différentes.

Et aussi le fait que, comme on ne s’est pas mises en coloc dès le début – c’est elle qui est venue dans mon appart dans lequel je lui ai fait un espace – comme j’y ai les affaires de 11 ans de vie et que je ne peux pas tout virer pour elle, bah c’est dur pour elle de se sentir chez elle car ce n’est pas vraiment le cas.

Bon, je me suis quand même demandé ce que cela aurait été si elle avait vraiment fait comme chez elle, parce que déjà…

Bref. On a ensuite évoqué les nouveaux secteurs de recherche envisageables pour elle… Ça s’est corsé. Car il lui faut les transports à côté, des espaces verts – voire une forêt (donc pas Paris intramuros), des pistes cyclables, des magasins bio, des musées et bien sûr, pour pas cher.

Le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière. Ce qu’elle a chez moi (à part mes fesses, hein). Stéphane Plaza serait là qu’il dirait qu’il faut savoir faire des concessions dans la vie, qu’on ne peut pas tout avoir.

Se rapprocher de Pétaouchnok S/Eure, quitte à aller en grande banlieue ? Impossible car c’est trop paumé pour elle, il n’y a rien, pas de culture, d’art, etc. J’ai commencé à pâlir en réalisant qu’elle n’allait peut-être pas décoller de chez moi de sitôt, avec des critères de recherche aussi difficiles à rassembler pour un si petit budget…

Et la voilà en train de sortir des cartons sa porcelaine et ses trucs déco qu’elle n’avait pas sortis jusque-là… Euh je ne comprends pas, t’es censée repartir dans pas longtemps, ça sert à rien de déballer tout ça, non ?

Allez, je vais aller mettre une tonne de cierges devant la préfecture pour qu’ils lui délivrent son récépissé fissa.

La morale de mon histoire ? S’ouvrir aux autres, leur faire une place sur ma planète, dans mon appart, dans ma vie, quelle thérapie à la con !

LE BOUT DU CHEMIN

Vendredi 24 septembre 2021 # 557 jours après

J’ai hurlé tout ce que j’avais à hurler. J’ai pleuré des hectolitres. Bu tout autant.

J’ai plongé la tête la première en enfer. Arpenté ce dernier en long, en large, pour m’en imprégner jusqu’à la moëlle dans un désespoir sans fond. Et j’en suis ressortie.

557 jours après mes premiers pas sur ce chemin de croix, je regarde en arrière et je constate la distance parcourue, si grande que je ne vois même plus mon point de départ. Je regarde devant et je me dis qu’il reste encore tellement à marcher.

Mais il est temps de faire une pause.

Infuser tout ce qu’il m’est arrivé, tout ce que j’ai découvert. Repartir neuve et forte. Forte de qui je suis, ombres et lumières mêlées, de ce que j’assume aujourd’hui sans coup de poignard dans le cœur, de ce dont mes rêves se remplissent nuit après nuit, de ce qui gonfle mon âme comme un ballon d’hélium en la faisant s’élever vers des cieux resplendissants sans que ce dieu sans nom y ait quelque chose à redire.

Quoiqu’il arrive, je suis fière d’avoir tenu la promesse que j’ai faite à ma mère de lui survivre, de vivre, d’être moi.

Envie de me concentrer sur mon bouquin. De faire abstraction de la réalité et de m’ébrouer avec délice dans la fiction. Je reviendrai certainement pour le récit de nouvelles aventures – et maintenant je ressemble à Bilbo The Hobbit – mais pour l’heure, j’éteins la radio.

Je vais peut-être en attendant passer la plume à quelques guests, comme une sorte de spin-off, ce qui, ma foi, m’enchante. Les mots sont faits pour être dits. Peu importe par qui.

Bichette signing off.

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THE END

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PUNK A CHIEN ou CHIEN A PUNK ?

« Les garçons, je vous présente la nouvelle femme de notre vie : elle s’appelle Jude, 4 mois, et elle est super gentille ! »

Bradley au téléphone avec ses enfants jeudi soir. Et moi qui me suis dit, sarcastique, que je n’avais pas eu les mêmes honneurs de présentation. Puis moi qui très vite ai flippé pour mon parquet, mes chaussons, ma banquette, ma voiture…

Lundi 6 septembre 2021 # IM’PASSE SANITAIRE J+47

« Je suis désolé de t’imposer ça, je sais que cela ne doit pas être facile pour toi… Mais j’en avais trop envie ! »

Un peu tard pour les excuses, non ? Bref, t’as de la chance que j’aime tout ce qui a des papattes, une truffe et une queue. Même le Monk en moi l’a mise en sourdine ! Je déplore tout de même un coin de banc rogné, une tong chiquée, de la bave sur la porte-miroir du four, deux gros pipis sur le tapis de l’entrée, un Raymond sauvé in extremis, trois vomis dans la Clio, des poils auburn jusque dans le frigo et une pointe de jalousie de ma part lorsque Bradley s’adresse à elle mieux qu’à moi !

Bref, il est gaga et moi aussi. Je me suis faite avoir de plein gré. Comme avec son maître finalement. Sauf qu’elle est plus mimi que ce dernier. Bon, adieu la propreté clinique de l’appart-témoin mais tant pis, cette boule d’amour me fait fondre. Pas au point d’en prendre une à moi, ou peut-être parce que si justement, je ne vais pas faire subir à une bête le calvaire de rester seule toute la journée dans un appart exigu sans balcon.

Au début, Bradley disait Papa et Bichette pour nous désigner à Jude, aujourd’hui il dit Papa et Maman… C’est mortellement cucul mais le connaissant, cela a une véritable signification pour lui. On a même fait samedi une journée dixit Bradley ‘en famille’ : on est allés à Fécamp pour faire découvrir la mer à Jude… Un vrai petit couple à chienchien sur la croisette !

Qui l’eut cru ?!

Mardi 7 septembre 2021 # 1 AN APRES

J’aurais pu passer la nuit entière à pleurer toutes les larmes de mon corps si ma double dose de somnifère n’avait pas fait le job scrupuleusement et si la douceur inattendue de Bradley face à mes larmes ne m’avait quelque peu apaisée.

1 an date à date.

J’ai l’impression qu’elle est toujours là, je l’entends me dire « Ma Bichette », m’attendant à la voir dans l’encadrure de la porte. Elle me manque terriblement. Peut-être même plus aujourd’hui où je revis cette journée du 7 septembre 2020 lorsque Toto m’a appelée pour me donner, des sanglots plein la voix, la terrible nouvelle.

A vrai dire, ça fait presqu’une semaine que je redoute la journée d’aujourd’hui, avec comme un compte à rebours dans les entrailles de mon âme. Là, je suis au bureau, blindée jusqu’au museau de taf, ce qui me permet de ne pas trop penser. Mais dès que l’on me demande si je vais bien, je me mords les lèvres pour ne pas fondre en larmes.

Bref. Le week-end prochain, je vais au cimetière avec Toto. J’ai l’impression que les vannes de pleurs sont loin d’être fermées. Je suis contente de ne pas m’être sevrée de la paroxétine trop vite.

MAYDAY ! MAYDAY !

« Laisse-toi un peu de temps, un sevrage n’est jamais immédiat… »

L’excellent conseil de Yang hier midi au sortir de notre entrevue ‘BFF emergency’ faisant suite à ma requête désespérée du matin. Je n’étais vraiment pas encline, sur le moment, à suivre ce dernier tellement j’étais dans le mal. Mais Bradley hier soir m’ayant, à sa façon c’est-à-dire en mode instructeur-commando, fait la même recommandation (ou injonction ?), cela a fini par faire son chemin dans ma tête.

 

Mercredi 1er septembre 2021 # IM’PASSE SANITAIRE J+42

Depuis samedi dernier, je ne prends plus que 10 mg de paroxétine, soit la moitié de ce que je prends depuis novembre dernier. En effet, ma doctoresse m’a vivement incitée vendredi à commencer mon sevrage de ce qui ne saurait être une béquille à vie.

Pourquoi j’ai commencé, au fait ? Ah oui, mon TPB qui m’a explosé en plein museau, clôturant ainsi de façon magistrale si je puis dire, la période jonchée d’enfers dans laquelle je me suis noyée. Mes quatre ans de prison, le chômage, la maladie de ma mère puis son décès, je suis arrivée en bout de course avec seulement deux options : le flingue ou la bouée.

J’ai choisi la bouée. Sous forme de cachets. Je savais parfaitement que cela ne traiterait pas le fond mais cela m’aura au moins permise d’éviter l’autre option. La thérapie, bah j’ai botté en touche car pas de budget-psy avec mon maigre RSA de l’époque. Donc, pour imager, j’ai couardement caché ma poussière sous le tapis. Mais…

La paroxétine a eu un effet-miracle sur moi alors que demander de plus ? La douleur qui me grignotait de l’intérieur a disparu et je suis parvenue à me retrouver après toutes ces épreuves qui, sans victimisation de ma part, en auraient laissé plus d’un sur le carreau.

Cette molécule a parfaitement fait le job en calmant le loup en moi. Je ne suis pas devenue pour autant détachée, indifférente en mode zombie, au contraire, je trouve que j’ai retrouvé une belle patate à ce moment-là, non c’est simplement que les choses – négatives – n’ont plus eu prise sur moi, ancrant solidement et durablement mon for intérieur dans une douce quiétude.

Qu’est-ce que j’étais bien ! Plus de vacarme dans ma tête, plus d’ouragans, plus d’angoisses insondables ni de nœuds inextricables, plus de gangrène des mots et des pensées, plus d’envies d’annihilation… Au contraire, je me suis sentie vivre et revivre, en conscience pleine et claire de tout mon être, j’étais enfin bien, enfin moi.

Jusqu’à il y a deux jours.

Ça s’est abattu sur moi comme une nuée de sauterelles affamées, me bouffant littéralement sur pied en l’espace de quelques heures. Je n’ai pas compris tout de suite, j’ai mis ça sur le dos de Bradley et de notre troisième prise de gueule depuis son retour, et je me suis dit que cela passerait comme toutes les fois précédentes.

Mais non, c’est monté en puissance. Quand je suis arrivée au boulot, Cameron et Bedelia se sont tout de suite inquiétées de ma mine de traviole. Là, ça a commencé à me mettre la puce à l’oreille. Et c’est en en parlant avec Yang hier midi que j’ai tilté. Et hier soir en l’expliquant à Bradley.

–  Tu comprends pourquoi c’est compliqué pour moi de me projeter avec toi ? J’aimerais savoir dans quoi je m’embarque car je n’ai pas le temps de perdre mon temps.

–  Je ne sais pas moi-même. Le TPB est une maladie incurable, dont je peux éventuellement atténuer les symptômes avec un combi médocs-thérapie mais sois sûr que j’en souffrirai toute ma vie. Ainsi, je peux comprendre tes réticences à t’engager avec une malade mentale, y a tes enfants, tout ça, donc je ne te jetterai pas la pierre si tu renonces.

–  Tu sais que j’étais à deux doigts ce matin de te rendre tes clefs et de me barrer ?

–  Qu’est-ce qui t’a retenu ?

–  CONNASSE, PARCE QUE JE T’AIME, BORDEL DE MERDE !!!!!

Et de conclure quelques instants plus tard sur un ton suave depuis bien longtemps oublié : « On va s’en sortir. Tous les deux. »

Alors ce matin, devant mon pilulier, j’ai coupé la poire en deux : 13mg de paroxétine. Ce qui veut dire une pente de sevrage moins abrupte. Et une accalmie, toute relative mais néanmoins bienfaisante, en moi.

LE RETOUR DE DARTH B.

« Je peux faire une lessive ? »

Texto de Bradley hier à 17.26, soit sitôt rentré de ses vacances dans le Sud. Petit rire désabusé de ma part. Le même lorsqu’avant-hier il m’a demandé si je pouvais garder ses enfants ce soir parce qu’il a une soirée… On est dans l’absurde ou bien ?!!

 

Jeudi 26 août 2021 # IM’PASSE SANITAIRE J+36

Je me suis bien reposée le week-end dernier. Je me suis ‘réparée’ en quelque sorte. J’ai fait un grand ménage à la Monk dimanche, un peu de home-staging pour le renouveau et hop j’étais flambante neuve pour ma reprise lundi matin.

J’ai retrouvé Cameron et Bedelia, mon ordi et ses quinze milliards de mails à traiter si Cameron n’avait pas déjà fait un pré-tri. J’ai bien mis trois jours pour m’en sortir et là, je goûte de nouveau aux joies, relatives, de la dilettante.

Bon, Shannon est aux abonnés absents même si elle ‘télétravaille’ de mauvais gré si j’en juge par la tonalité revêche de ses mails. Et toujours autant à côté de la plaque. Je crois qu’elle n’habite pas la même planète. J’imagine qu’elle revient au bureau lundi prochain, l’ambiance est déjà délétère, je crains le pire.

Bon, j’attends la fiche de paie d’août. Si elle ne fait mention d’aucune prime, j’irai voir Boss n°1 car j’ai compris la leçon : mieux vaut s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints. Alors, ce n’est pas tant de l’argent que je souhaite mais quelques jours de compensation à poser quand je veux. Et là, en l’occurrence, je sais quand les poser : le vendredi 17 septembre déjà.

Pour faire un grand week-end : je pars avec Bedelia au Normandy Beach. Bedelia que je n’ai même pas eu besoin de convertir aux délices de la pêche aux coques car déjà adepte ! On a décidé ça autour d’un Sex On The Beach en terrasse avant-hier. Faut que j’appelle Joan, qu’on se fasse un vrai week-end de meufs !

Et ça aussi, j’ai décidé de le garder dans mon jardin secret. Ce qui a mis le feu aux poudres hier soir avec Bradley. J’ai coupé court aux ergotages habituels qui commençaient à monter en graine en lui sortant pratiquement mot pour mot le petit speech que j’avais prévu et d’enchaîner sur « Non, ça aussi, je le garde pour moi. » en réponse à son « Tu pars en week-end ? Où et avec qui ? »

Que n’avais-je pas fait là !

–  Tu me mitonnes, tu ne dis pas la vérité, rien n’est simple avec toi !

–  Est-ce que ça t’intéresse vraiment de savoir ?

–  Ça fait sept fois que je te dis oui ! Tu cherches constamment à être rassurée, toujours en demande et…

–  Arrête de me faire passer pour la midinette que je ne suis pas ! J’ai juste décidé de faire ma life sans compte à te rendre. Maintenant, si cela te blesse et te fait te sentir délaissé, je veux bien reconsidérer l’affaire. Mais si c’est juste de l’orgueil de mâle, bah va te faire voir !

–  Bon, écoute, ça ne fonctionne pas nous deux, on ne se comprend pas, on n’est plus dans le partage… 

Je ne pourrais dire si cela m’a fait un pincement au cœur ou si j’étais soulagée. Les deux, je crois. Bref, je n’ai pas renchéri, je me suis resservi du rosé, j’ai fumé une cigarette, pensive… Puis, j’ai foncé dans le tas : « Parfois, je te déteste tellement que ça me donne des envies de meurtre ! Bon, en même temps je t’aime… MAIS TU ME SOÛLES GRAVE !!! »

J’ai vu alors son regard s’illuminer, comme un gosse le matin de Noël. J’avoue, cela m’a déstabilisée. Du coup, je ne savais pas trop à quoi m’attendre… Et soudain, il s’est mis à hurler : « MOI AUSSI TU M’EMMERDES !!! MAIS JE T’AIME AUSSI !!! TU VOIS, C’EST ÇA, L’AMOUR !!! »

Là-dessus, il m’a attrapé le visage et m’a embrassée fougueusement ! Bah merde alors… L’art de cacher la poussière sous le tapis. Ça me va.

 

15.38 Changement (est-ce surprenant ?) dans le planning de Bradley : son Dodge n’est toujours pas réparé donc il ne peut pas retourner dans sa maison dans la prairie comme prévu dimanche soir après avoir déposé ses enfants chez son ex-femme. Et comme il n’a pas envie de, je cite, remettre des kilomètres en plus dans la tronche de ma Clio, bah il est ‘bloqué’ à Paris jusqu’à mi-septembre…

Autant dire qu’il est furax. Et moi, j’ai le cul entre deux, contente et ennuyée à la fois. Ses changements de plan intempestifs bouleversent les miens, encore une fois, mais chat échaudé craint l’eau : je vais maintenir le cap. Le mien.

Bon, tiens, je vais aller voir Malcolm pour qu’il me refasse une sérologie, histoire de voir si je recrache bien des IgM…

LA CROISIERE M’AMUSE

« Bon je crois que ce sera mon dernier message car j’en ai marre de te courir après deux fois par jour. Je ne sais pas combien de temps tu vas bouder, je ne comprends pas pourquoi tu boudes déjà, mais j’en ai marre de parler à ton répondeur. Moi, je te donne de mes nouvelles : on va probablement rentrer plus tôt que prévu, soit le 23, le 24 ou le 25 août, je voulais te prévenir. Donc, tu as mon numéro, prends soin de toi, ciao ! »

Bah si tu sais pas… nous voilà dans une autre impasse.

 

Vendredi 20 août 2021 # IM’PASSE SANITAIRE J+30

Je suis rentrée hier dans la journée. Pas allée chez Toto finalement, ce qui arrangeait ce dernier en plein dans ses travaux de terrassement. Je voulais rester au Normandy Beach. Et si je n’avais eu la voiture à rendre aujourd’hui, j’y serais restée jusqu’à dimanche.

J’ai passé une semaine, même si trop courte, FANTASTIQUE ! J’ai fait tout ce que j’aime, heureuse de toute mon âme. J’ai totalement déconnecté. De Paris, du taf, de Bradley.

La journée sur la plage, les pieds dans l’eau à ramasser des coques en chantant à tue-tête, à parler avec plein de gens qui venaient me demander ce que je pêchais et comment je comptais le cuisiner, à jouer avec Hiko, un loup ! qui s’est avéré être un excellent dénicheur de coques à creuser comme un fou dans le sable, à regarder la mer changer de couleur sous les nuages, prenant cette teinte de jade qui m’émerveille tant…

   

Et le soir avec Miles, Joan et Sarah-Jane que j’ai co-voiturée en venant ici, apéro à la Leffe Rituel et au Pimm’s en décortiquant les vingt kilos de coques que j’avais ramenées pour en faire des pickles, en riant et en bavassant jusqu’à point d’heure en full english please ! Pas un soir je ne me suis couchée droite mais peu importe, personne n’était là pour me faire la morale.

Mercredi, Miles and Sarah-Jane sont partis pour les 24H du Mans. C’est là que j’ai décidé de rester un peu plus longtemps, notamment pour aider Joan restée à s’occuper de quelques guests aventureux. Le soir venu, elle a toqué à ma porte :

–  Would you care to have a little walk with me and see where it shall lead us?

–  Hell yeah I’m in!

Je n’aurais jamais imaginé que cette petite balade improvisée m’aurait menée à cette soirée extraordinaire qui fût l’illustration parfaite de ce que je suis, de ce qui me fait vibrer au plus profond… L’épiphanie de ma vie. Un moment sacré, hors du temps, de la magie à l’état pur.

Voici l’histoire.

Ainsi, nous voilà parties, Joan et moi, downtown Arromanches. Rien à signaler, si ce n’est les quelques brindezingues qui avancent dans l’eau en grelotant. On a beau être au mois d’août, la température extérieure n’excède pas les 15°, alors dans l’eau… Trust me, I know.

Non, décidément pas tentées par une baignade crépusculaire, nous préférons nous diriger vers le pub. Oui, le même pub où je suis allée avec Bradley il y a presque un an. Là où j’ai eu de mauvaises vibrations. Bon, comme quoi, je ne suis pas rancunière.

–  Hey Joan, let’s have a pint!

–  But we still have some Pimm’s to drink up back home!

–  Sure, after dinner. Now it’s apero-time!

On s’installe en terrasse et on commence à papoter comme deux vieilles pies de pub. J’adore vraiment Joan. On s’entend très bien, on parle de tout, elle picole autant que moi, bref, une chouette ladies’ night se profile.

A la table d’à-côté s’installent alors trois grands gaillards. Des motards, à en juger par leur équipement. Des Français, à les entendre s’adresser au tôlier : « Connaissez-vous un endroit pas cher pour passer la nuit ? On a apporté nos duvets pour dormir sur la plage au cas où mais bon… »

Je prête l’oreille… Pratiquement tous les établissements d’Arromanches y passent sauf le Normandy Beach ! Remontée comme un coucou, je me penche vers Joan :

–  These three guys are looking for a place to sleep tonight and this dimwit of a bartender said nothing about you! Do you want to take them in? How much for the big room?

–  Yes! Make it 115 euros.

Je m’exécute. Je suis accueillie comme le messie. Ils ont l’air ravis et acceptent bien volontiers. On se met alors à discuter avec eux en finissant nos bières avant de check-in au Normandy Beach.

Il s’agit de Jerry, Rudy et Keith de Pont-Audemer dans l’Eure. Trois amis musiciens à leurs heures qui sont partis ce matin en moto pour rallier d’ici le week-end le Mont Saint-Michel en passant par les petites routes car l’un est en Vespa… Une sorte de road-trip de potes. Leur brin de folie m’enchante. Si je m’écoutais, je partirais bien avec eux…

Ensuite, une fois les gars installés au Normandy Beach, on prend tous une bière dans la cour. Jerry, le plus extraverti des trois, mène grande conversation avec Joan : « Tu vois, on s’est dit on part comme ça, on mangera et on dormira comme on peut, l’important c’est le voyage en lui-même et les rencontres que l’on fait. Et paf, on s’est rencontrés ! C’est fou ! »

Je vois que tout en parlant avec Joan, il signe à l’intention de Rudy lequel effectivement est malentendant bien qu’appareillé. Chouette, je vais peut-être pouvoir améliorer mon signe qui se limite aujourd’hui à l’alphabet, et encore.

Mais indéniablement, je me sens plus attirée par Keith, le plus réservé des trois. Très grand, les cheveux châtains en bataille, tatoué, percé, les yeux clairs d’une immense douceur un peu mélancolique… Tout ce que j’aime.

Il est aussi guitariste et lead-vocal dans son groupe, alors on se met naturellement lui et moi à parler musique. Une jolie connexion s’instaure, c’est fluide, énergétique, je vibre, quoi. Mais j’ai faim. J’attrape Joan et l’on va toutes les deux manger un burger veggie à côté en promettant de rejoindre les garçons plus tard au pub.

On pouffe toutes les deux à table. On se dit que la vie est pleine de surprises. Et que c’est chouette. Puis nous voilà de retour au pub d’où s’échappent des sons d’accordéon. Les garçons sont bien là, attablés devant des restes de planches mixtes sur lesquels louche Hrolf, le chien errant du coin.

La bière qui coule dans les gosiers sans discontinuer depuis deux heures maintenant a fait son boulot de désinhibitrice et tout le monde parle avec tout le monde sur cette minuscule terrasse. Moi la première, je m’en vais dire, goguenarde, au chanteur-accordéoniste sorti tirer sur sa e-clope que celle-ci sent la framboise et que cela doit être réservé aux filles. Au lieu de m’envoyer paître, il part dans un grand éclat de rire et rejoint notre petite troupe. Il s’appelle Gibson et vient de Belgique écumer les pubs de France avec son accordéon.

Et Jerry qui me sort tout-de-go que je suis belle en langage des signes. Je lui réponds ce que je crois être ‘merci’ mais il s’avère que je lui dis ‘je t’aime’, ce qui fait se tordre de rire Rudy, puis toute la tablée.

L’ambiance est excellente. Tout est parfait. Simple, bon enfant, joyeux. Les conversations sont endiablées, même si elles commencent à souffrir quelque peu de l’alcool. Vers 23.00, le tôlier nous fait rentrer à cause des voisins et l’on s’entasse comme on peut à une table dans cette petite salle déjà bien remplie.

Et tout s’enchaîne. Très vite et très intensément. Gibson se met au piano et fait office de juke-box-karaoké pendant une petite heure. Après que tout le monde ait chanté les Beatles à tue-tête, Jerry prend la relève en nous faisant un blues à sa sauce. Et enfin, Keith attrape une guitare qui traînait là et se met à jouer et à chanter d’une voix légèrement rocailleuse et douce à la fois.

Je fonds.

L’alcool coule désormais à flots, en pintes, en shots de je-ne-sais-pas-quoi-liqueur de pistache, de tequila, de vodka… Je suis soûle. Mais pas trop. Juste bien. Je flotte doucement sur mon ivresse en profitant de chaque instant de cette fabuleuse soirée.

Je sais qu’il en faudrait peu pour me faire basculer, l’avantage de bien se connaître avec les années, mais le veuille-je vraiment ? Ai-je envie de me donner en spectacle complètement bourrée devant des inconnus ? Si je me pose la question, c’est que c’est non. Comme une laisse autour de mon cou que je raccourcis quelque peu par moi-même. Je vais rester digne.

Je sais aussi qu’il en faudrait peu pour que Keith et moi nous nous rapprochions… J’en ai très envie mais quelque chose me retient. Je ne pourrais dire ce que c’est. Il est majeur, je suis majeure et tout ce qui se passe à Vegas reste à Vegas, non ?

Je me force à penser à autre chose. J’aurais bien besoin d’une cigarette dehors au calme. Mais je suis tombée à court. Je me concentre alors sur ma pinte que je finis d’un trait et j’écoute la musique que crachent les enceintes du bar.

Oui, décidément, les rires et les chants qui ont empli ce soir ce pub aussi grand que mon salon, ont redonné à ce dernier toutes ses lettres de noblesse et le souvenir que j’en avais un an plus tôt a disparu. Un an presque… avec Bradley… on venait tout juste de se revoir après 20 ans et il m’a rejointe dans ce pub…

Bon sang mais c’est ça, c’est Bradley, c’est de penser à lui qui est venu me parasiter ! Ça alors, je ne m’y attendais pas. Oups… Alors, je l’appelle. Mais plutôt que de lui parler, je pointe mon téléphone vers les enceintes puis je raccroche. Ça ne loupe pas, je reçois un texto qui dit qu’il me rappelle dans trois minutes.

Je sors du pub. Je me dis que je peux aller en attendant chercher des clopes dans ma chambre et faire pipi par la même occasion. Je m’apprête à repartir lorsque Bradley m’appelle.

–  Alors, aucune news depuis une semaine, tu ne me réponds pas, je peux savoir pourquoi ?

–  Bah je suis partie en croisière…

–  Comment ça ? Je croyais que tu étais au Normandy Beach…

–  Ça m’a prise sur un coup de tête. J’ai vomi au moins quinze fois depuis que je suis sur ce bateau mais c’est pas grave, c’est chouette quand même. J’ai même pêché un marlin !

–  C’est dans les eaux chaudes, ça…

–  Parce que tu crois qu’on est restés à quai ?!!

–  Bref, tu rentres quand ?

–  D’ailleurs, je ne vais pas rester très longtemps au téléphone car je retourne à la fiesta sur le pont supérieur. Y a un groupe de musique, c’est super cool ! Et je vais faire un crochet par le bar.

–  On se rappelle demain lorsque tu auras dessoulé. Bonne fin de croisière, prends soin de toi, à demain.

Sur ce, je fais effectivement un crochet par le bar, mais celui de Joan qui elle est rentrée depuis une heure déjà. J’attrape la bouteille de Pimm’s et me dis que la dilution à la limonade est superflue. Je m’enfile le verre en trois grandes rasades et dans le noir dans la cour, mes jambes se dérobent et la tête me tourne enfin.

Je décide alors de prendre la direction de mon lit sur lequel je m’effondre tel quel, non sans avoir eu juste avant une dernière pensée « Mais pourquoi diable lui ai-je dit que j’étais en croisière ?!? »

Le lendemain au petit-déjeuner, Jerry, Rudy et Keith étaient presque frais comme des gardons, prêts à enfourcher leurs motos pour reprendre la route. Moi, moins. Une punaise de gueule-de-bois. Mais je l’ai bien cherché.

Bref, on s’est échangé quelques banalités mais même pas nos numéros de téléphone. J’ai fait la photo-défi de Jerry, à savoir une fille différente à califourchon sur sa Vespa chaque jour, puis ils s’en sont allés.

Quelle soirée ! De l’imprévu, de l’improviste, des rencontres, de la musique, des rires, de la bière… Tout ce qui me rend heureuse ! Et que ça fait du bien de rencontrer des gens assez fous pour faire un road-trip en Vespa sous le crachin normand ! Que ça fait du bien d’être heureuse, tout court. Cela ne pouvait pas mieux clore mes vacances. Le bouquet final.

 

Quant au fait d’avoir dit à Bradley que j’étais partie en croisière, aujourd’hui, je ne sais toujours pas pourquoi. En fait, je me dis que c’était tout comme. J’ai embarqué et suis partie voguer loin de la terre pour quelques jours. J’ai pêché, j’ai bu, j’ai rencontré plein de gens, j’ai chanté, j’ai ri…

Une parenthèse incroyablement bénéfique. Comme une croisière. Le mal de mer en moins.

C’est sûr qu’il va falloir qu’on en reparle. Mais à la réflexion, je n’en ai pas envie. On s’est eus au téléphone hier donc et ce midi, j’ai botté en touche en lui demandant ce que lui avait fait pendant ses vacances et bien entendu, il ne s’est pas fait prier pour me raconter par le menu.

Il rentre bien mardi ou mercredi. Je sais qu’il va remettre le couvert alors je lui prépare le speech suivant : « Je n’avais pas envie de te parler car on se serait écharpés et ça m’aurait gâché mes vacances. La raison, si tu ne la connais pas, c’est dommage mais ce n’est pas à moi de te la dire. Ainsi, j’ai décidé de partir une semaine loin de tout, loin de toi, de déconnecter complètement et de voir au retour. Je tiens à garder cette semaine comme mon jardin secret, je n’ai pas envie de t’en parler. Et puis voilà, je suis revenue. »

Tout ce que je sais, c’est que j’ai passé des vacances fabuleuses. Lundi, je reprends le boulot, et je vais avoir grand besoin de ces beaux souvenirs pour survivre à ça.