JOURNAL   Saison 2

EMPATHIE vs SYMPATHIE

 

– Bonjour, j’ai des papiers à faire signer à ma mère, impôts et assurance, je peux la voir ?

  • Oui, on va vous équiper car il ne faut pas que vous lui ameniez des microbes.
  • Pas de problème ! Attendez… Oh mince ! J’ai oublié les papiers dans mon autre sac ! Je suis trop nulle !

Gros moment de solitude, hier après-midi.

Dimanche 31 mai 2020 – DECONFINEMENT J+21

Maman ne m’a pas reconnue, elle m’a prise pour un chirurgien avec ma blouse, mon masque et ma charlotte. Bref, elle ne se lave toujours pas, pas plus qu’elle ne change de linge, vu les deux pauvres culottes sales que je récupère, elle ne mange pas plus qu’avant, bref, elle est toujours aussi fatiguée et aussi déboussolée que lorsqu’elle est partie aux urgences il y a deux semaines.

Et cela devient de plus en dur pour moi de la voir comme ça. J’essaye de la convaincre qu’elle ira mieux bientôt et que le pire est derrière elle mais je m’aperçois qu’en fait, c’est moi que j‘essaye de convaincre. Alors, encore une fois, je ne fais pas de vieux os et je me sauve avec le mini sac de linge sale.

Je n’en reviens toujours pas pour ces papiers ! Avant de partir, je les ai bien glissés dans la poche arrière de la malle-cabine qui me sert de sac à mains mais en soulevant ce dernier, vu la trotte qui m’attendait, je l’ai troqué avec un petit sac à dos et bien sûr, j’ai oublié de reprendre ces satanés papiers.

J’étais perturbée. Sûrement. Depuis le matin quand j’ai reçu le texto de Nénette qui m’annonçait le décès de son beau-père. Connaissant l’affection qu’elle lui portait, cette nouvelle m’a frappée en plein cœur car je pouvais ressentir sa peine. A tel point que j’ai éclaté en sanglots. Et cette tristesse ne m’a pas quittée de la journée. Ma pauvre Nénette !

Du coup, je m’interroge : est-ce parce que le barrage a cédé dernièrement que je pleure désormais pour un oui ou pour un non ou est-ce mon don d’empathie qui s’amplifie ? On m’a dit dernièrement que j’avais certainement aussi le don de ‘sympathie’ car au-delà de ce que je ressens, je suis maintenant très affectée, comme si cela m’arrivait à moi… Avant, le malheur, la tristesse, la noirceur que je pouvais ressentir chez les gens ne m’atteignaient pas. En tout cas, pas comme ça.

C’est très étrange, dérangeant même et je me demande bien ce que je vais pouvoir faire de ce ‘don’ encore plus inutile que le premier.

14.30. J’ai enfin terminé le ménage sur Facebook. J’y ai passé la soirée d’hier soir et toute la matinée aujourd’hui. C’est pour moi que je l’ai fait car je me doute bien que les gens s’en foutent et ont autre chose à faire que de fouiller dans mon passé virtuel. Ainsi, j’ai quasiment effacé sept ans de photos et de vidéos qui ne voulaient plus rien dire.

J’ai désormais un profil narcissique comme tout le monde. Je me sens mieux, plus légère.

J’aurais peut-être dû opérer en plusieurs fois car cela m’aurait laissé le temps de faire autre chose, comme de commencer les cartons… Mais le Monk qui est en moi ne m’a pas lâchée d’une semelle et m’a littéralement vissée devant mon ordi pour terminer ce que j’avais commencé. Obsédée, incapable de passer à autre chose.

Et maintenant que la journée est bien entamée, une flemme énorme me tombe sur le paletot. Je regarde le pyjama que j’ai toujours sur le dos, les cartons encore pliés et les quelques babioles que j’ai commencé de rassembler, je tâte les muscles de mes jambes qui pâtissent encore de ma promenade à l’hôpital d’hier… Et je décrète que je serai mieux en croix devant la télé.

C’est calme, dehors. Pas comme hier. Avec la réouverture du parc, c’était la kermesse sous mes fenêtres : pique-niques dans l’herbe haute pas tondue, apéros sur les bancs, frisbees, foot, rodéos de mobylettes, voitures vitres ouvertes et musique à fond… Pauvres canards ! Fini le bon temps où vous aviez le parc pour vous tout seuls !

Mais j’y pense… la terrasse du restau en-dessous de chez moi va rouvrir bientôt ?! Et merde. Je n’y peux rien, ça finit de me saper le moral. Du coup, j’ai envie d’un bon gros bain moussant. Je crois que le dernier remonte à plus de quatre ans ! Et comme j’ai enlevé le siège de douche pivotant de ma mère qui mangeait toute la place dans la baignoire, je n’ai plus d’excuses.

Oui oui, demain, je ne fais que ça : les cartons.

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