JOURNAL   Saison 2

DESILLUSION

Mardi 12 mai 2020 – DECONFINEMENT J+2

La charrue, les bœufs et la peau de l’ours. Je l’ai su dès que je suis allée la réveiller ce matin.

  • Je n’ai plus de forces, je vais mourir !

Nausées devant ses tartines et demi-gamelle à faire deux pas, vacillante comme la flamme d’une bougie. C’est même pire car ses caprices sont revenus en force.

  • Bah t’as pas fait ta toilette ?
  • Nan.
  • Et tu n’as pas changé de culotte ? Je t’en ai mis une propre là bien en vue.
  • Pas envie.

Puis, au déjeuner :

  • C’est dégueulasse, comment tu peux me servir ça ?!
  • Je te mettrais du foie gras que cela serait la même chose. Tu veux quoi ?
  • Des concombres.
  • Bah y en a pas. Tu te crois au restau ?!
  • M’en fous, j’ai pas faim de toute façon !
  • Tu as conscience qu’à ne pas manger, tu vas te retrouver à l’hôpital ?
  • La bouffe y sera peut-être meilleure.
  • Bien sûr, j’aurais tout entendu.

L’arrêt de ses médocs a permis de désembrumer un peu son esprit mais l’effet revers est qu’elle est plus défiante et capricieuse que jamais. Je me contiens comme je peux mais je suis surtout très déçue.

  • Tu ne te souviens pas d’hier ?
  • Nan.
  • Tu étais bien et tu as fait trois repas sans renâcler.
  • Ça m’étonnerait.

Il m’avait prévenue, Harry, les vieux ne tiennent pas l’énergie longtemps. Mais 24 heures, c’est vraiment très court ! Bref, me voilà bien déconfite. Et de la regarder sommeiller à demi-morte dans son fauteuil la bouche ouverte, je décide d’appeler la gériatre de l’hôpital pour voir si elle peut la prendre en pension quelques temps, histoire de la remonter avec des perf de cocaïne ou je ne sais quoi. Elle va me rappeler.

On m’a conseillée de me souvenir des bons moments pour contrebalancer le négatif. Le fait est que je n’en ai pas. A part celui d’hier.

18.00. Je crois qu’après le bras gauche, je viens de me flinguer le genou droit. Plus spécifiquement, je crois que ma fibromyalgie en a marre de la Wii. J’ai l’air fine dans mon salon avec mes abattis en vrac. J’espère que ça va passer.

Je range donc la Wii en claudiquant et m’en vais buller en croix devant la télé. Et même pas une seule chips dans tout l’appart pour me réconforter. Décidément, y a des jours, comme ça… Le problème, c’est que je les cumule, en ce moment. Petit moral.

21.00. Je ne peux, bien sûr, m’empêcher de repenser à mon tirage de cartes d’il y a deux jours. Car il y a plusieurs interprétations, je n’ai peut-être vu que celle qui m’arrangeait… Je ressors donc ces trois cartes.

Moi : Le Sexe > Passion ou servitude, grandeur et misère de la condition humaine.

Lui : L’Aventure > Chemins de traverse, compromission, histoire hasardeuse.

Nous : La Fin > Séparation. Il n’y a rien de définitif en termes spirituels.

C’est peut-être en fait la fin de notre misérabilité ? La fin de la servitude et de l’histoire hasardeuse ? Surtout qu’avant ce tirage pyramidal, j’ai fait un one-shot, c’est-à-dire une question/ une carte. Donc à la question « Vais-je voir Walter bientôt ? » j’ai tiré ça :

Le Karma > Sensibilité, équilibre, dispositions pour le bonheur. Invitation à prendre en compte les leçons du passé.

Je ne sais plus où j’en suis. Entre mon intuition, les tarots, son silence… Je me dis que je vais me forcer à l’appeler, ou le relancer par texto, ou lui envoyer cette fameuse lettre d’adieu, ou le lien de ce blog… Honnêtement, je ne sais pas quoi faire. Donc, je ne fais rien. Comme à mon habitude.

Quelle gourde !

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