JOURNAL   Saison 11

PIC-VERT DANS MON CRÂNE*

« Je vous informe que Mademoiselle Pouêt Pouêt ne reviendra pas. Comme vous nous l’avez demandé à plusieurs reprises, votre poste va s’étoffer très bientôt. »

Shannon il y a 10 minutes. Bon, fini, la bulle. Quoique vendredi et ce matin, j’étais plutôt en mode busy-bee. J’attends donc de voir ce que cela donnera quand je serai une abeille surbookée sous cocaïne.

Mardi 25 mai 2021 # DECONFINEMENT EN DEMI-JAUGE  J+7

Dimanche, un pique-nique de salon sur fond de salsa-merengue haut en couleurs, c’est le moins que l’on puisse dire. Yang et Mimine en couple comme au bon vieux temps, Abigaïl aussi délicieuse que les bonbons qu’elle n’a pas manqué de me réclamer, Timothy tout en jambes à me faire virevolter sur de la salsa ultra-caliente – faut que je me remette au sport, j’ai plus de souffle – et la venue-surprise de Bradley avec ses garçons pour les fraises melba de la fin de repas.

Attablés tous alors en vrac dans les rires, la boustifaille partagée à la pointe du couteau, un grand moment de convivialité a fleuri spontanément. Je me rends compte à quel point j’aime ces grandes tablées où la bonne chère se partage sans chichis dans la bonne humeur.

J’aime être dans la cuisine à pied d’œuvre en pyjama les cheveux en pétard dès 8.00 du mat, j’aime me pomponner une fois tout préparé et accueillir mes invités en diva de brunch, j’aime le bazar indescriptible sur la table en fin de repas que l’on pousse sur le côté pour installer un jeu de société…

J’aime être l’hôtesse aux petits soins, celle qui reçoit, celle qui anime, celle qui, sur son frigo, aimante avec émerveillement le cinquième dessin au Bic censé représenter une licorne-libellule, celle qui se retrouve seule ensuite avec une montagne de vaisselle qu’elle se met à faire sans rechigner, un air béat de contentement et certainement l’air de Girls Just Wanna Have Fun encore vissé dans le crâne…

Une vraie pub pour les lave-vaisselles Bosch.

Oui, j’adore recevoir. C’était d’ailleurs ma seule raison pour monter ce restaurant. Ça me manque, qui plus est après plus d’un an de crise sanitaire où tout rassemblement était, sinon banni, ascétique et aseptisé.

J’adore, même si c’est crevant. Je m’en remets à peine, là.

Et Bradley a été très agréable dimanche. A l’aise, la conversation facile avec tous les hôtes présents. Très ‘je marque mon territoire’ cependant, à faire le café et les œufs brouillés comme le maître de maison qu’il n’était pas, ce qui a bien fait rire Yang.

Agréable oui, sauf quand il s’est caché de ses enfants pour m’embrasser. Tu crois qu’ils sont aveugles, sourds et débiles ? Bref, ça m’a soulée trois secondes puis je m’en suis battu l’œil. Laisse-moi dans ton placard tant que ça te chante mais ne viens pas te plaindre que je ne me projette pas avec toi.

Également, pas très agréable lorsqu’ils sont restés, lui et ses garçons, à manger des burgers et à jouer au Kem’s avec une hôtesse de maison un peu fanée. Il était en bisbille avec l’un de ses fils qu’il trouve beaucoup trop insolent et a donc passé son temps à le houspiller. V’là l’atmosphère légère et rieuse…

En fait, j’ai l’impression que tout est une épreuve avec lui, avec des règles bien établies, les siennes bien sûr, auxquelles il ne faut pas déroger d’un iota sous peine de passer sur la roue des supplices pour avoir commis un crime de lèse-majesté.

La moindre chose comme une conversation anodine se transforme en joute verbale puis en pugilat pour avoir osé lui couper la parole, ne serait-ce que par un timide ‘mais…’. Ou comme un Pouilleux Massacreur qui devient un brief de camp d’instructions pour délinquants juvéniles.

On peut tous avoir des moments à cran où l’on balance sans motif des missiles sur la tronche du moindre interlocuteur, ça arrive. Mais quand c’est H24, je pense que l’on peut dire que l’on est exécrable par nature, non ? Et ça, ça commence à me courir sur le haricot.

Moi qui fais de chaque occasion une célébration, qui veux donner un air de fête à chaque évènement, tout insignifiant et infime soit-il, c’est dur de composer avec quelqu’un qui fait de l’aboiement son langage quotidien.

C’est un tueur de joie, un annihilateur d’arc-en-ciel, un briseur de bulles de savon.

Mercredi 26 mai 2021 # DECONFINEMENT EN DEMI-JAUGE  J+8

Hier, après nos invectives téléphoniques et ma furieuse envie de lui claquer le beignet, Bradley est venu me chercher à la sortie du boulot. Je m’étais préparée à un deuxième round les poings hauts et le répondant gonflé à bloc mais encore une fois, il m’a prise de court en étant l’homme parfait, mon prince charmant.

Et comme j’ai la rancune d’un poisson rouge, j’étais aux anges. Même si je lève le doigt pour parler, maintenant…. Bref, happy-hour à la terrasse d’en bas, petit dîner préparé à l’avance, investissement de ses ‘quartiers’ pour de bon, et ces mots tendrement susurrés :

« Je viens d’officialiser pour nous auprès de mes enfants, de mon père et de ma sœur. »

La soirée aurait pu être romantique jusqu’au bout mais elle a en fait pris une tournure des plus inattendues, ce dont je me suis réjouie comme une môme qui voit débarquer Mickey à son anniv.

Une des army buddies de Bradley était justement en train de boire un verre à la terrasse d’en bas, en repérage d’un bar pour l’apéro-mili de samedi.

–  Hé mais je suis juste au-dessus ! Chérie, ça le fait pas si je l’invite à monter, si ?

–  Ça ne me pose aucun problème ! Juste, je suis en pyj.

–  Quand même, c’est une soirée romantique à la base…

–  Vas-y, invite-la et moi je vois si Yang veut venir lui aussi pour noyer son chagrin de n’avoir pas su réparer son vélo…

Et tout ce petit monde-là a bu, pogoté et fait des pompes sur les quintaux jusqu’à… bah je ne me souviens plus. Mais d’envoyer bouler mon réveil ce matin m’a indiqué que je ne devais avoir qu’une poignée d’heures de sommeil dans le coco. Et la gueule de bois sévère qui m’est tombée sur le paletot m’a confirmé qu’il faut décidément que j’arrête de picoler… en semaine.

Car à 8.48 ce matin, Shannon m’est tombée sur le poil direct à mon arrivée. Elle a commencé à me parler chinois avec l’ordi récupéré de Mademoiselle Pouêt Pouêt dans les mains, du coup : « Laissez tout sur mon bureau, je vais m’en débrouiller. » (d’abord, je vais cuver un peu et récupérer quelques neurones)

J’essaye de me rappeler de ces 24 heures passées, surtout des 12 dernières. Peine perdue. Je sais que c’était intense, haut en émotions mais je vais attendre de faire une bonne nuit de sommeil avant d’infuser tout ça.

Un coup d’œil dans le miroir des toilettes au boulot : vive le Perfecteur de Teint de Guerlain à 31 balles les 15ml.

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