JOURNAL   Saison 10

QUAND PÂQUES M’EST CONTE

« Ta lettre de rupture, pourquoi ne pas me l’avoir donnée quand je suis arrivé ?! Je serais reparti de suite ! »

Bradley samedi soir, quelque part entre ma deuxième et troisième bière.

 

Lundi 5 avril 2021 # SEMI-CONFINEMENT NATIONAL  J+5

Quand il est arrivé samedi, bien plus tôt que je ne l’attendais – une première – j’ai senti immédiatement que la soirée allait être compliquée. Pour moi. Ayant en tête de lui donner ma fameuse lettre au moment le plus opportun, c’est-à-dire lorsque j’aurais eu suffisamment d’alcool dans le cornet pour accuser les conséquences avec un battement de cils, son attitude avec moi a bien failli remettre tout en question.

En effet, il est arrivé adorable comme tout et dieu qu’il était beau dans ses fringues militaires !

–  Je croyais que tu passais chez toi d’abord ?

–  J’ai juste fait un saut, j’avais hâte de te voir !

Et moi aussi, j’ai été adorable. Naturelle, rieuse, bisouilleuse et franchement heureuse de nos retrouvailles. Bref, quelques dentelles arrachées et une première partie de jambes en l’air façon ‘retour du guerrier’ plus tard, on s’est mis à l’apéro.

On a discuté de tout. De ses trois semaines de colo, de mon nouveau job… Des échanges faciles, simples et sans grumeaux, amicalement chaleureux. Ça mérite d’être mentionné car cela n’a pratiquement jamais été le cas entre nous. Je lui ai parlé de mes nombreux happy-hour avec Yang et là, il a tiqué.

–  Dois-je m’inquiéter ?

–  De quoi ?

–  Vous avez l’air si proches tous les deux, vous allez finir ensemble, non ?

–  Mé non ! On est des BFF et oui on s’aime mais pas comme ça !

–  D’accord, je te crois.

Je ne m’attendais pas à cette pointe de jalousie de sa part. Apparemment, lui non plus. Une nouveauté qui nous a quelque peu déstabilisé tous les deux. Enfin, moi, surtout. Compterais-je dans sa vie désormais, suffisamment pour qu’il ait peur de me perdre ?

Cela s’est confirmé lorsqu’au détour de notre conversation au sujet de sa maison dont il signe le compromis dans quelques semaines, il s’est mis à dire ‘nous’ en me prenant dans ses bras. Et il m’a avoué avoir fait son coming-out à propos de moi. D’ailleurs, il a reçu un texto d’un de ses meilleurs amis qui lui souhaitait, pour faire poli, une ‘bonne soirée’

Durant ce break, je pensais avoir été la seule à avoir fait le point sur notre relation mais force est de constater que lui aussi. Et il a avancé.

Bref, tout ceci m’a mise dans un pétrin indescriptible avec ma lettre coincée dans mon soutien-gorge. Je lui donne ? Je ne lui donne pas ? Je me suis dit qu’il fallait qu’il lise mes mots sinon il ne saurait jamais ce qu’il y avait en moi. Alors, je me suis décidée. Advienne que pourra.

Sa réaction en prenant l’enveloppe m’a fendu le cœur.

« C’est quoi ? Une déclaration d’amour ? Oh la la, je ne vais pas savoir où me mettre ! »

Il s’est alors mis à lire silencieusement, un sourire aux lèvres qui a rapidement disparu au fil de sa lecture. Moi, un brin anxieuse, je guettais en finissant ma bière à grandes lampées, le moindre signe sur son visage qui aurait pu trahir son urgence à décamper. Mais il est resté stoïque, a replié ma lettre et s’est tourné vers moi, la voix plus grave que jamais :

–  Je n’avais aucune idée, je n’ai rien vu venir ! Mais cela ne pouvait pas plus mal tomber.

–  Je t’avais dit que je réfléchirai pendant ton absence.

–  C’est plus que de la réflexion, c’est de la trahison ! Moi, je suis parti heureux en sachant que ma nana m’attendait alors qu’elle en a profité pour s’inscrire sur un site de rencontres et se taper deux mecs !!!

–  Ne commence pas avec tes raccourcis à deux balles, s’il te plaît. Déjà, ta ‘nana’, ta poupée gonflable, tu veux dire, docile et décérébrée ? C’est comme ça que je me sentais avec toi et crois-moi, ce n’était pas flatteur. C’est d’ailleurs ça qui m’a poussée à m’inscrire sur Meetic, alors d’une certaine façon, c’est de ta faute. D’autre part, as-tu bien lu mes mots ? Il ne s’est absolument rien passé avec ces mecs ! Je suis en train de me justifier à propos de l’arbre qui cache la forêt !

J’ai cru un instant que cela allait monter en graine. Mais les quelques pointes dans les aigus se sont vite émoussées d’elles-mêmes, les siennes comme les miennes. J’ai même tenté un rapprochement, le sentant blessé, mais il m’a gentiment éconduite, tout à son propos étonnamment posé et mature.

–  Je crois que j’ai du mal à verbaliser mes sentiments. Je pars du principe que les actes sont plus importants que les mots, j’ai peut-être tort mais je pensais que tu savais, que je te le prouvais, que je n’avais pas besoin de te dire ces mots.

–  Parfois si, on a besoin d’entendre l’autre dire ce qu’il ressent. Parce qu’on peut se perdre dans le silence.

J’ai alors vu dans ses yeux une lumière que je n’avais jamais vue chez lui, un mélange de joie et de sérénité qui, malgré mon taux d’alcoolémie qui commençait légèrement à faire vaciller non seulement mes genoux mais aussi mon esprit, m’a atteinte en plein cœur en faisant voler en éclats mon anxiété quant à l’issue de cette soirée.

Du coup, deuxième séance Fifty Shades Of Grey avec ses mots à la fin « Alors, tu te sens suffisamment désirable et désirée, maintenant ? » … Et toute la nuit dans les bras l’un de l’autre, façon queues d’hippocampes emmêlées.

Le lendemain, hier donc, on est allés se promener et revoir les lieux de notre premier rendez-vous, il y a plus de six mois. Et naturellement, on s’est pris la main comme des collégiens. Je sais, c’est cucul la praline mais je le souligne parce que c’était la première fois.

Il est reparti hier soir rejoindre ses enfants, non pas en coup de vent comme d’habitude mais en traînant les pieds, après une énième séance de colé-serré. On a même gazouillé, lui et moi, en se donnant des petits noms du style ‘baby’ et ‘honey’… Oui, là encore, c’est d’une niaiserie affligeante mais notre spontanéité est tellement insolite qu’elle mérite d’être notifiée.

Et ce matin, il est passé à l’improviste, entre deux courses. Un moment en toute simplicité bien agréable. Je l’ai taquiné en lui disant qu’à partir de demain, les choses allaient changer car il ne pourrait plus passer en journée me voir car je serais au boulot ah ah ah… Du coup, on en est venus à planifier la semaine prochaine. Le choc.

–  Mais bien sûr, ma belle, que le dîner sera prêt quand tu rentreras !

–  Chouette ! Ce qui est bien aussi, c’est que tu pourras être la tête dans ton ordi con comme un balai toute la journée, je n’aurai plus à le subir !

–  Ouais, en parlant de ça, j’en ai marre de passer mes journées et mes nuits à traiter les trucs de l’armée. Désormais, je ne vais m’y astreindre que le matin. J’ai envie d’avoir une vie, moi aussi et la terre ne va pas s’écrouler si je ne réponds pas à la minute à un mail pro… Tu vois, je grandis moi aussi… 

Mon cri d’exultation l’a fait sursauter. Puis rire avec moi.

 

Je suis bien. Je ne me suis pas désinscrite de Meetic pour autant. Je garde un œil ouvert, comme ça. Pour ce qui est de Bradley, je me méfie, en fait. Chat échaudé… J’attends de voir dans la durée. Il sait désormais que je veux le Graal, le mec qui m’attire autant qu’il me stimule spirituellement. Et si ce n’est pas lui, ce sera un autre.

Bon, pas Murray du coup. La cour qu’il me faisait était tellement discrète qu’elle s’en est évaporée.

On verra. L’important, c’est que je suis raccord avec moi-même. Et le tournant imprévu qu’a pris mon histoire avec Bradley, à l’instant T, bah je reconnais, ça me rend heureuse.

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