JOURNAL   Saison 10

LE COQ

« Ça sert à rien d’avoir des muscles si t’as pas de cerveau ! »

Une brève de trottoir attrapée ce matin sur le chemin du bureau. Qui me renvoie à Apollon qui a refait surface hier par un texto bien trop matinal pour un dimanche…

 

Lundi 12 avril 2021 # SEMI-CONFINEMENT NATIONAL  J+12

C’est même cela qui m’a tirée de mon demi-sommeil après avoir fermé les yeux à 7.00 du mat. en conclusion de cette longue nuit avec Mimine. Oh, Apollon… bah t’étais passé où ? En textotant dans mon lit, je pouvais entendre Mimine pleurer dans le salon. J’ai voulu aller la voir mais je me suis dit qu’elle avait peut-être besoin d’être seule. Bref, je me suis rendormie pour une paire d’heures.

Pas autant d’alcool que je l’aurais supposé hier soir, pas d’oblitération en tout cas. Au contraire. Malgré la fatigue qui s’est faite sentir à un moment donné, Mimine a eu le regard fixe toute la nuit et moi je suis restée droite comme un i à son écoute.

Mon dieu qu’elle souffre ! Et je ne peux rien faire pour l’en soulager, à part lui prêter mon oreille attentive. J’ai vécu ça, moi aussi, il y a 20 ans avec mon divorce d’avec Bradley. J’avais même retranscrit le cauchemar que je vivais alors :

… Tu sais, quand les murs t’écorchent le front à tel point que tu as l’impression qu’ils vont te rentrer dans la tête. Tu regardes autour de toi, tout est vide. En fait, les objets de d’habitude ont perdu leur aspect singulier, ils sont posés là, en suspens dans ce vide immobile, bêtes comme des objets sans âme autre que celle de leur utilité.

Et puis, ce bruit incessant dans la tête. Même la musique à fond, tu le perçois encore, comme un brouhaha piqué de longs hurlements. Les questions, toujours les mêmes. Pourquoi ?! Pourquoi ?! Pourquoi ?! Tu ne penses qu’à ça, tu ne peux que penser à ça. Tu te forces pourtant à penser à autre chose mais il n’y a rien à faire, c’est une vague qui revient te submerger inlassablement.

Et le sommeil… C’est bizarre, comment ça fonctionne : en d’autres circonstances, tu serais déjà écrasé de fatigue, vu l’heure, mais là, tes yeux restent invariablement grand ouverts dans le noir, et ça tourne, ça tourne, ça tourne comme une toupie et tu finis par avoir la nausée.

Les larmes ne se chahutent même plus, elles s’épanchent longuement sur ton visage sans prendre le temps d’être refoulées. Une force inconnue te grignote de l’intérieur. C’est elle qui te tient en éveil comme un jour de pleine forme. A tel point que lorsque le réveil sonne, tu sautes hors du lit, soulagé de ne plus avoir à continuer cette nuit sans sommeil. Tu regardes alors ton visage dans le miroir. Bouffi, délavé, tu ne vois plus de tes yeux que deux traces rougeâtres à la fixité quasi insoutenable.

Tu as beau prendre de grandes inspirations et chasser de la main toutes les pensées qui t’assaillent, celles-ci ne te lâchent pas et envahissent chacun de tes gestes, chaque intonation de ta voix.

Et les larmes reviennent, plus lourdes encore, elles se pressent dans ta gorge. Tu t’emploies à les retenir de ton mieux car tu as peur qu’en lâchant la bride, ton chagrin n’explose en te défigurant une fois pour toutes…

Et au tout petit matin, Mimine m’a demandé :

–  Andrew peut-il nous rejoindre pour bruncher ?

–  Bien sûr, je suis toujours heureuse de voir mon Yang ! Mais toi, ça va aller ? Pourquoi souhaites-tu qu’il vienne ?

–  Il me manque, j’ai besoin de le voir…

–  D’accord. Mais je te préviens, je ne fais pas l’arbitre !

Mais sitôt Yang arrivé, j’ai compris que ce brunch ne serait pas décontracté et convivial comme il aurait dû l’être. Mimine s’est carapatée dans la salle de bains où Yang est parti la chercher pour passer à table. Et là, ce fût le drame.

Les cris, les sanglots. Ceux de Mimine. Et malgré la porte fermée, la tension était palpable du salon où seule à table, dépitée mais surtout malheureuse pour eux, j’ai attaqué mon brunch. C’est là qu’Apollon m’a appelée.

Je lui raconté succinctement la situation dans laquelle je me trouvais qui expliquait mes chuchotements, l’appel n’a donc pas duré très longtemps. Mais… Mais… Pff… Comment dire ? Bah on a pu échanger un peu et c’était ma foi très agréable.

Et à la question fatale, la spontanéité de ma réponse m’a faite glousser comme une dinde intérieurement :

–  Ça te dit qu’on se voit ?

–  Oh oui !

Même pas trois secondes de réflexion, c’est sorti comme ça. Les vapeurs éthyliques de la veille ne se seraient-elles pas complètement dissipées ?… Bref, lorsque j’ai débriefé Yang revenu enfin dans le salon, l’excuse aux lèvres et Mimine sur les talons, il s’est écrié ‘Mazeltov !’ et s’est attelé à me cuisiner en bonne et due forme, ce qui a eu pour effet de faire redoubler mes gloussements.

Mon petit Yangounet qui a pris son rôle de BFF tellement à cœur, même dans la situation dramatique et ubuesque dans laquelle il s’est retrouvé noyé jusqu’au cou… Il a même eu la force et la futilité de feindre une jalousie de coquelet lorsque je lui ai donné la fiche signalétique de l’oiseau Apollon :

–  Maître-nageur et prof de taïchi, plaquettes de chocolat, musicien accompli, beau comme un soleil…

–  Euh moi aussi je fais du sport et j’apprends la guitare quand je veux ! Finalement, je suis moins pour que tu le voies parce que tu vas nous comparer…

–  Mé non. Et toi aussi tu es beau comme une Rolls mais je ne t’envisage pas comme ça !

Le regard glacial de Mimine, mortifiée jusqu’aux os et ses mots comme un couperet :

–  Tu es prête à trahir Bradley ? Parce que c’est ça, non ?

–  On parle juste de se voir, tu sais…

–  D’accord. Du moment que tu en assumes les conséquences.

–  J’assume de vivre l’instant sans préjuger d’une suite quelconque. Avec Bradley comme avec un autre.

Et ce coquelet de Yang qui renchérit :

–  Mais dis donc, je croyais qu’intellectuellement, il ne te remuait pas la petite cuillère, l’Apollon ?

 –  Bah pour en être sûre, il faut qu’on se voie. Appelle ça une enquête-terrain !

 –  Pff il est trop parfait ! C’est sûr, y a un vice caché…

 –  You’re talkin’ to me ?! Avec le don que j’ai, tu ne crois pas que je saurai de suite de quoi il en retourne ?

 –  C’est vrai. Allez je me tais.

Le brunch s’est terminé dans une relative quiétude et Yang et Mimine s’en sont retournés. J’ai eu mal rien que de penser au retour dans leur huis clos mortifère. Je les plains vraiment. Déjà il y a un an, je préférais l’enfer que je vivais avec ma mère au leur. Horrible.

 

Un brin de ménage, deux lessives étendues, mes affaires du lendemain préparées – inauguration de ma flambante-neuve lunch-box incluse – et je me suis enfin posée. Trop fatiguée après cette quasi nuit blanche pour réfléchir en profondeur, je suis néanmoins parvenue à m’interroger sur ce match au sommet ‘Bradley vs Apollon’.

Que Mimine le passe au travers de sa moulinette des plus tranchantes en ce moment, c’est une chose, mais n’aurait-elle pas raison quelque part ? Pourquoi ne ressens-je aucune culpabilité ? Pourquoi me moque-je des éventuelles ‘conséquences’ de mes actes ?

Ce soir, je vois Bradley. Il vient me chercher à la sortie du boulot sur ma demande ce matin. Je suis super heureuse de le voir et aucune dualité ne vient effleurer ma conscience. Je ne dois pas être normale.

Et aucune hésitation hier soir à envoyer un texto à Apollon pour un date jeudi soir.

J’entends déjà Nénette ronchonner.

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