JOURNAL   Saison 6

MISSION ACCOMPLIE

« Besoin de transmettre ce bouquin comme une bougie sur la route de quelqu’un qui s’était perdu… L’idée que la vie est pleine de surprises, qu’en deux ans, voire même en un, tout peut changer, c’est le meilleur booster d’énergie qui soit ! Un livre absolu, donc. Et qu’est-ce qu’on rit ! Merci, Harry. »

Une évidence là aussi. Bradley l’a lu d’une traite en se marrant toutes les trois minutes. Et déclame aujourd’hui à l’envi des répliques du style « Comme dirait Tonton Harry… » qui font désormais partie de lui. Une petite goutte de lumière supplémentaire bien efficace.

 

Dimanche 1er novembre 2020 # RECONFINEMENT J+3

Pas facile de retranscrire des émotions, des ressentis en rétroactif… Peut-être faudrait-il que je travaille à la frappe chirurgicale, à l’instant T sinon j’ai bien peur de finir schizo… Bref, allez, j’essaye. Donc, me voici en retransmission quasi-live. Disons que c’est plus frais que si j’avais attendu l’infusion des choses comme je l’ai fait jusqu’alors.

Ainsi, Bradley vient de partir. Chercher ses enfants sur l’ordre implacable de son ex-femme qui l’a mis devant ses incontournables responsabilités. Il a voulu jouer la carte de son devoir de militaire de réserve car il savait très bien qu’elle n’aurait cure de l’aider dans sa dépression en le déchargeant des enfants pour quelques temps. Mais elle a été inflexible là aussi.

Mais ce n’est pas plus mal. Car même si elle avait accepté, cela aurait été reculer pour mieux sauter, il aurait bien fallu régler le problème tôt ou tard. Bah là, c’est tôt. Je savais que ça le contrariait depuis lundi même s’il éludait plus ou moins brutalement dès que j’abordais le sujet et ce matin, j’ai su à la première prise de constante qu’il allait devoir prendre une décision.

On a parlé un long moment. On a abordé des sujets pragmatiques comme les divergences sur l’éducation des enfants que son ex-femme et lui ont pu et ont toujours, comme des options possibles pour faire en sorte qu’il continue d’assurer sa part de garde alternée sans être dans son appartement, des implications de ces options et quelque part, de la seule solution qu’il lui restait.

Il s’est rendu compte qu’il était piégé. Et que pour l’instant, il ne pouvait faire autrement que de subir cette situation avec tout ce que cela induit.

« Sache que je ne veux pas que la proposition que je t’ai faite soit un deuxième piège. Et je suis navrée du poids que cela ajoute à ton barda. Mais c’est peut-être un mal nécessaire ?… »

Il s’est mis à faire les cents pas dans le salon. Je pouvais sentir son énergie tressauter comme la flamme vacillante d’une bougie. Je n’ai pas pu le laisser se débattre plus longtemps avec si peu d’armes. J’ai alors rassemblé la lumière en moi, je l’ai concentrée puis je l’ai projetée sur lui en visant le plexus et le front avec ces mots dans ma tête comme un mantra : « Aie confiance en toi »

J’ai pris soin de ne pas plonger en lui, le but n’était pas cette fois d’aller installer des spots au cœur de l’obscurité mais de lui prêter la lumière du soleil pour tout éclairer. Il a paru désarçonné.

–  Et alors ?

–  Bah c’est comme un gâteau, il faut que ça cuise.

Et je suis partie vaquer à mes occupations sans plus me préoccuper de lui. Il a eu un moment de battement puis il s’est assis sur la banquette pendant un long moment, étrangement calme. J’ai même pensé qu’il piquait une sieste. Mais il a ‘ré-émergé’ trente minutes plus tard pour me dire qu’il n’était pas parti très loin et qu’il allait prendre une douche.

On s’est croisés à la sortie de la salle de bains, je l’ai frôlé par inadvertance et j’ai senti le changement qui s’opérait en lui. Et quelques minutes plus tard :

–  Je vais partir. Je vais chercher mes enfants et je rentre chez moi. Qu’en penses-tu ?

–  Ce n’est pas le temps pour moi de penser. C’est le temps des craintes.

–  C’est-à-dire ?

–  Je crains de ne pas pouvoir te rattraper si tu retombes dans ton gouffre. Je crains qu’il ne finisse par te broyer une fois pour toutes.

On a pris un moment côte à côte, le temps d’une cigarette à la fenêtre. Il s’est ouvert comme il ne l’avait jamais fait auparavant.

« Ça y est, je vois clair maintenant. Je ne sais pas ce que tu m’as fait mais c’est vrai, il fallait que ça infuse. Comme tu l’as dit, je connais aujourd’hui mes légitimités. Je sais qui je suis. Je suis un fils. Je suis un père. Je suis un ami. Je suis un soldat. Je ne sais pas trop encore qui je suis auprès de mon ex mais c’est de plus en plus clair. Au moins, j’ai accepté la rupture.

Et je n’ai pas peur de revenir dans mon appartement, je n’ai pas peur de retomber dans le cocon de la dépression, je me sens plus fort et j’ai confiance en moi. Je ne sais toujours pas ce que je vais faire dans quelques temps mais je sais que je vais partir de Paris. Quelque chose me dit que cette maison dont je rêve, ce havre de paix se présentera à moi de lui-même. L’idéal serait de… »

Je l’ai écouté, je l’ai regardé, il avait un air serein sur le visage et une petite flamme dans le regard que je ne lui connaissais pas. Et tandis qu’il a continué à explorer à voix haute tous les recoins de sa pensée, je n’ai pu m’empêcher de me dire « J’ai réussi, je suis trop forte. Il n’a plus besoin de moi, maintenant, ma mission est terminée. »

En un temps record, en plus. Je n’avais pas d’agenda précis mais je pensais que cela aurait pris plus de temps quand même. J’avoue que cela m’a fait une petite pointe de douleur à laquelle je ne m’attendais pas. Mais elle n’a pas duré, autre chose s’est déployé en moi et a fait revenir un large sourire sur mes lèvres : la lumière est revenue m’investir de part et d’autres.

–  … Tu avais raison, de m’exiler dans un endroit neutre pour me poser m’a fait le plus grand bien. Je n’ai peut-être pas toutes mes réponses mais j’ai avancé de ouf, je n’ai vraiment pas envie de partir mais je sais que je dois des explications à mes enfants et…

–  Je peux te donner ma première facture d’honoraires ? ai-je fait en riant pour désamorcer la solennité du moment.

–  Tu devrais penser à l’humilité, peut-être que les gens ont besoin de se dire qu’ils s’en sont sortis eux-mêmes et qu’ils ne doivent rien à personne… a-t-il répliqué, un peu cinglant.

–  Tu ne m’es redevable de rien du tout. C’est toi qui a fait le chemin. Moi, j’ai juste mis les spots sur le bas-côté pour ne pas que tu tombes. Rappelle-toi du tirage de cartes que j’ai fait pour nous deux : moi La Muse, toi Le Travail Sur Soi et nous deux La Loi autrement dit Le Contrat. C’était écrit.

Ouais, j’ai bien le droit d’avoir les chevilles qui enflent un peu. Une euphorie bien méritée, j’ai envie de dire. Même si étrange, quelque part, car elle soulève tellement d’autres questions !

Bref. Il est donc parti en coup de vent sur un mystérieux « Je reviens vite » et moi je suis allée finir de m’occuper des choux de Bruxelles que j’avais commencés à éplucher. J’ai essayé, tout du moins…

A la seconde où j’ai refermé la porte sur lui, j’ai ressenti, je n’ai pas d’autres mots, comme une chasse d’eau dans tout mon corps et j’ai été obligée de m’asseoir un instant. J’ai ‘dégonflé’ d’un seul coup, à tel point que la bague de Maman a glissé de mon doigt. Et autre fait notoire : ma boule au ventre a disparu.

Ce poids, comme une véritable boule de bowling, me pesait sur l’estomac depuis deux semaines. Je ne lui en ai pas parlé, je ne voulais pas en rajouter et à vrai dire, je ne savais pas trop moi-même ce que c’était. Jusqu’à ce qu’elle disparaisse, là.

Je sais que j’ai achevé ma mission. Avec les honneurs. Je n’ai donc plus rien à lui donner. Je suis sincèrement heureuse pour lui et je continuerai de l’encourager dans cette voie mais je ne vois rien d’autre au-delà de ça.

Il s’est révélé à lui-même. C’était le but. Je lui ai tout donné, il a tout pris. C’était le deal. J’ai su bien avant lui qu’il n’y aurait pas de redite de nous deux mais quelque part, je me suis laissée porter parce que c’était bon, tout simplement. C’était le risque. Maintenant, il n’y a pas de place dans son futur pour moi et je ne le revendique pas. C’est le constat.

Un sentiment hybride d’immense satisfaction et d’amertume. Mais je n’ai pas perdu ma lumière. Je crois que c’est le plus important.

 

Je profite de me retrouver seule pour revenir dans mon jardin, un peu délaissé ces derniers temps, je dois bien l’avouer. Je suis partie à des années-lumière mais je ne me sens pas tant dépaysée que ça. La preuve que ce n’était pas une fuite en avant mais un voyage qui ne me fait pas haïr ma friche en rentrant.

Ainsi, Toto ne va pas mieux. Sa petite semaine de vacances n’aura été qu’une maigre parenthèse dans le profond chagrin dans lequel j’ai peur qu’il s’ancre irrémédiablement. Il est en train de couler en entraînant ma belle-sœur vers le fond avec lui. Mais il a quand même réagi avec antidépresseurs et psy. J’espère que cela va vraiment l’aider.

J’ai presque mauvaise conscience. Moi, j’ai trouvé la paix et avancé à pas de géant mais j’ai l’impression d’avoir oublié mon petit frère loin derrière. Alors, je lui ai demandé s’il souhaitait que je vienne le voir ce dernier week-end de ‘tolérances’ dans le confinement tout neuf mais cela n’a pas l’air d’être une urgence pour lui. Quelque part, ça me rassure un peu.

Quant au cimetière, l’idée de ne pas y aller durant ce mois de confinement qui risque de durer, ne m’horrifie pas tant que ça. J’ai le sentiment que la dernière fois que j’y suis allée pour mettre la plaque avec la photo de Maman m’a vraiment permise de faire le deuil.

Le 28 il y a quatre jours, ça a fait un an que Maman est venue habiter avec moi en sortant de l’hôpital. Un an que c’était le début de la fin sans que personne ne le sache. Enfin si, moi. Mais je ne voulais pas y croire.

C’est pour ça, je pense, que j’étais tellement en colère durant tout ce temps que j’étais avec elle. Je voulais battre le sort tout en sachant pertinemment que je n’y parviendrais pas. Ce sentiment d’impuissance a généré chez moi une terrible frustration. Et plus j’étais en colère, moins je comprenais, plus j’étais déboussolée, plus ça me remettait en colère, le cercle vicieux, quoi.

Aujourd’hui, je pense à elle et c’est l’amour qui vient en moi avec une lumière bien chaude. J’ai encore des moments de rechute, comme lorsqu’en entendant une vieille chanson d’Hervé Vilard j’ai éclaté en sanglots car cela m’a renvoyée à la Chapelle Moulinard où nous étions, mes parents, mon frère et moi, heureux comme pas possible.

Mais je ne me suis pas noyée dans mes larmes, j’ai retrouvé mon sourire très vite en me disant que j’avais une chance folle d’avoir ces souvenirs de bonheur absolu en moi, qu’ils devaient nourrir désormais mon feu sacré.

 

Je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie prochainement. Et avec ce confinement que tout le monde prédit à rallonges, je pense qu’il est vain d’espérer un quelconque décantage côté boulot. Bon, en même temps, je peux tenir financièrement quelques mois encore mais c’est la même rengaine : ce n’est pas tant d’un job mais d’une réelle motivation dont j’ai besoin.

Avec ma récente révélation, j’ai trouvé un sens à ma vie mais pas forcément de direction. Je dois avouer que cela me chagrine un peu mais en aucun cas je laisserai le doute et l’angoisse revenir dicter leur loi en moi. J’ai même une certitude : c’est en arrêtant de chercher une réponse que celle-ci se présentera à ma porte.

Dès demain, je vais reprendre ma petite routine, je vais faire mon ménage, ma gym puis je repiquerai sur le projet du Normandy Beach. Ça me va. Ce n’était pas prévu mais maintenant que j’y repense, rien n’était prévu. Depuis une semaine qui me semble une éternité, j’ai vécu non pas au jour le jour mais à l’heure, voire à la minute. J’étais là, je faisais ça, je ressentais ça, point.

Et j’ai envie de continuer comme ça. Dans mon petit train-train confinée seule ou pas.

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