JOURNAL   Saison 6

INCIDENCE

Confinement, vous avez dit ? Un simple coup d’œil sur le parc devant mes fenêtres ce week-end n’a fait que confirmer le contraire. Absolument rien de différent d’un autre week-end d’automne et le temps étant clément, c’était même surpeuplé. Je crois qu’l n’y a que trois mètres de neige et un blizzard canadien qui ferait déserter ce parc.

Bref, moi, ça fait bientôt neuf mois que je suis confinée alors, rien de nouveau, je reste chez moi 24/7 avec quelques rares et brèves sorties pour faire une course et c’est tout. C’est juste que là, je ne peux plus aller en Normandie ni chez Toto ni voir Maman au cimetière mais cela ne me pèse pas tant que ça.

 

Mardi 10 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+12

Rétrospectivement, je trouve que je n’ai pas tant merdé que ça vendredi soir. La bouteille de Havana Club m’a bien fait de l’œil, fortement je l’avoue, mais j’ai préféré m’assommer avec mes petits cachets qui m’ont amenée tranquillement vers le petit matin.

La journée de samedi s’est déroulée à blanc. Une parenthèse où j’ai navigué entre deux mondes dans une sidération quasi surnaturelle. Un calme olympien en moi, plus de bruit, plus de chaos, rien qu’un épais silence et cela m’a fait un bien fou. C’est au moins ça de positif quand on fait un crash-disk : on repart from scratch. C’est du moins ce que j’ai supposé.

Dimanche, j’ai tenté de me reconnecter à mon énergie intérieure. Peine perdue. Merde ! Plus de lumière, plus de vibration… L’impression d’être une coquille vide, une carcasse sans âme qui s’est mise à résonner comme un frigo vide. L’impression d’avoir été dépossédée, dépouillée.

Et tandis que le crépuscule est arrivé, des ombres se sont dessinées sur mes murs. J’ai ressenti alors quelque chose d’étrange, une émotion depuis longtemps oubliée qui a pris pied en moi. Et dans la semi-obscurité de mon appartement, j’ai retrouvé ma voix et me suis enfin révoltée. Je suis allée confronter Monsieur Machin auquel je n’avais pas parlé depuis des années.

« WHY DID YOU TAKE IT BACK FROM ME ?!! What did I do wrong? I thought that was mine so I feel violated, robbed, I am so angry! I didn’t know that it was just a loan… Or is it a trial? Do I have to be worthy of it? Like if it was a reward! Again, you should have told me about the rules before because I feel that you’ve tricked me, I am so pissed off!!!

But most of all, I feel really sad and empty because when I had it living in me, I was so happy, I’ve never felt this strong and confident in my entire life. Losing it is like losing everything that I thought was defining me so far. So please, I beseech you, give it back to me. I swear I’ll do my best to live by it.”

Cette fois, la bouteille d’Havana Club a gagné. Je me suis mise à errer dans les ténèbres, le corps et l’âme entaillés par des lames invisibles, je n’ai pas donné cher de ma peau à ce moment-là. Et Bradley est arrivé.

Le pauvre ! Je le plains vraiment, en fait. Depuis vendredi, je lui en ai fait baver quand même… Le pompon sur la cerise du bouquet final ayant été, lorsqu’imbibée d’alcool jusqu’à l’oblitération, j’ai failli faire un arrêt cardiaque dans ses bras !

« C’est peut-être à moi de t’aider maintenant… Allez, reviens dans la lumière ! »

Bref, une nuit très agitée où il s’est occupé de moi comme il a pu. Et il n’a pas pris ses jambes à son cou au petit matin. Moi, de façon vraiment inattendue, je me suis réveillée relativement en forme. Voire même le sourire aux lèvres. Peut-être un reste d’euphorie alcoolique…

Toujours est-il que l’on a pu enfin parler posément, lui et moi, tandis qu’un magnifique soleil est venu inonder l’appartement pratiquement plongé dans le noir depuis deux jours. Mes plantes vertes étaient contentes.

Il attend le go pour sa mobilisation. Son dilemme a disparu, c’est un soldat, point. Au moins ça, c’est clair. Il parle toujours de ses projets, de sa vie au singulier, ça, ça n’a pas changé. Il me dit pourtant avoir cogité intensément ces dernières 48 heures mais mis à part l’armée, je ne vois pas trop quelque autre fruit son cogitage lui a apporté.

Il me redit qu’il a besoin de moi encore. Je l’arrête dans son élan.

–  Je ne sais pas si je vais pouvoir faire quelque chose pour toi, cette fois… J’ai perdu ma lumière !

–  Je ne pense pas. Elle est différente, c’est tout.

– Tu prêches pour ta paroisse, sur ce coup-là ! Bref, si je ne suis plus qu’une coquille vide, je ne vois pas ce que je peux te donner maintenant.

–  J’ai besoin de TOI ! De toutes les ‘toi’ : la chamane-sorcière, la lumineuse, la dark, la bien dans sa peau, la barrée, bref, je prends tout le package. Comme il faut aussi me prendre tout entier comme je suis, avec mes forces et mes contradictions.

Fair enough. M’a clouée le bec.

–  C’est bon, je crois, tu as déployé toutes tes armes de destruction massive et cela t’embête que je sois toujours là, que cela ne m’ait pas fait fuir. Et quelque chose me dit que tu en as encore en magasin pour ma pomme…

–  Tu veux que je déballe tout là maintenant ?

–  Non, ce que je veux, c’est que tu répondes à cette question : veux-tu de moi dans ta vie ?

Cela prend un certain temps avant que j’arrive à articuler ces quelques mots : « Tu es déjà dans ma vie. En pointillés. » En fait, je meurs d’envie de lui dire : « J’ai l’impression que je n’ai aucune incidence sur ta vie, si demain cela s’arrête entre nous, tu seras certainement triste mais pas chamboulé. En revanche, toi tu as une vraie incidence sur ma vie que j’essaye de minimiser, voire même de rejeter avant qu’il ne soit trop tard… »

Mais je garde ça pour plus tard, quand j’aurais trouvé un peu de diplomatie pour l’enrober car je le sais assez prompt aux raccourcis cinglants bardés d’œillères. J’ai bien conscience qu’il faudrait une fois pour toutes aller au fond des choses mais bon, comme ce n’est pas le courage qui m’étouffe aujourd’hui et que mon cœur bat encore trop la chamade de ses embardées de la veille, bah je planque ça sous le tapis.

Surtout qu’il se met à enchaîner :

–  Si je fais un pas en avant et toi, deux en arrière, comment veux-tu que l’on avance ? Je veux que l’on construise quelque chose ensemble mais je ne peux rien sans ton aide.

–  Construire ??

–  Je veux que l’on avance toi et moi sur le même chemin. Regarde par toi-même : prends mes constantes.

Ce que je ne fais pas. A vrai dire, j’évite soigneusement de le faire depuis qu’il est revenu. J’ai réussi d’ailleurs à trouver un spot ‘neutre’ où caler mes mains lorsqu’il m’enlace : le haut de ses bras. Aucune vibration. Une vraie cage de Faraday. Au cas où mon don n’aurait pas disparu complètement…

Bref. Comme je me sens repartir en cacahuète, je respire profondément et je fais le vide. Je parviens à me zénifier en un temps record et un seul ordre s’impose en moi alors : « Carpe Diem » Et au final, la journée se déroule bien, dans une complicité simple et douce.

 

Ce matin, il est parti voir un ami, un autre army-guy comme s’il voulait s’assurer une fois pour toutes qu’il a pris la bonne décision. J’en profite pour faire un brin de ménage, deux lessives et je me surprends à ne pas gamberger plus que de raison, comme j’aurais pu le supposer.

Pas radieuse mais pas éteinte non plus. Je pense à ma lumière perdue. C’est comme si je me faisais une raison. Oui, pourquoi pas revenir à cette bonne vieille bourguignonne-normande de Bichette aux deux pieds solidement ancrés au sol ? Elle n’est pas si mal que ça et une chose est sûre, ça fera moins friser les moustaches d’Andrew !

C’est juste que je retombe dans ma chépattitude à contrecœur.

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