JOURNAL   Saison 2

LA TACTIQUE DU HERISSON

 

 

– Bonjour, je vous appelle pour vous informer que l’on a fait une transfusion de plaquettes à votre mère et que nous mettons en place un nouveau traitement censé la rebooster. Nous pensons la transférer vendredi en maison de convalescence à Sèvres en attendant son placement en EHPAD le 13 juin, c’est bien ça ?

Quand je l’ai dit à Maman, elle a voulu rassembler ses affaires et m’attendre pour rentrer à la maison… Cela m’a fait mal au cœur.

Vendredi 22 mai 2020 – DECONFINEMENT J+12

10.00. J’attends que la maison de convalescence m’appelle. Hier, ils m’ont dit qu’ils auraient peut-être besoin de la carte vitale et de la mutuelle, j’en profiterai pour apporter d’autres affaires. Bien que je sache qu’elle n’en aura pas besoin car elle ne change de culotte que si on lui arrache celle qu’elle a sur elle.

Je pourrais appeler l’hôpital pour savoir vers quelle heure ils comptent la transférer mais comme ils m’ont gentiment envoyée balader hier, je n’ai pas insisté. Pas envie non plus de tanner à nouveau le cuir de mes fesses sur les chaises de la salle d’attente, j’attends simplement qu’on m’appelle.

Pendant ce temps-là, je me secoue les puces et je prépare mon plan de bataille. En premier, la logistique du déménagement. Demain, je vais acheter des cartons et du papier-bulle pour la télé et c’est parti. Cela devrait aller vite car le volume des affaires de ma mère n’est pas énorme, le tri ayant été fait quand elle est arrivée il y a sept mois. Le plus complexe va être de distinguer ce qui suivra ma mère à l’EHPAD de ce qui restera chez mon frère.

Je loue un petit garde-meubles depuis la fin du restau où j’ai stocké les archives de ma société, une table, deux chaises et une étagère de ma mère que j’avais recyclés au restau et que je n’ai pas eu le cœur de laisser là-bas. Des conneries aussi, comme mon sapin de Noël.

Bref, je n’ai plus les moyens de garder ce box mais il peut se rendre utile encore quelques temps. Donc, le plan c’est de jeter ces archives et de rapatrier toutes mes conneries dans mon appart pour les remplacer par les affaires de ma mère, en attendant le déménagement le 13 juin.

Ensuite, je réaménage l’appart : ce sera principalement le jeu des chaises musicales et un peu de bricolage. Mais pour ça comme pour le garde-meubles, il faut des muscles non-fibromyalgiques. Quand je repense au bulldozer que j’étais avant ! J’aurais plié ça en deux temps trois mouvements sans l’aide de qui que ce soit ! Bref, merci Kevin.

C’est mine de rien une situation qui n’a rien d’évident : je dois réaménager l’appart pour moi seule comme il y a six ans avant Kevin, tout en sachant que peut-être je serai à la rue dans quelques mois. Je ne vais donc pas acheter de nouveaux meubles, je n’en ai pas les moyens de toute façon. Ça tombe bien, le home staging, c’est mon dada.

Indispensable, tout ça. Je me connais, je ne pourrai pas avancer sinon. Je suis ultra-séquentielle, parfaitement infichue de me dédier à une autre tâche tant que la précédente n’est pas terminée.

12.30. Kevin m’appelle pour me dire qu’il ne sera pas disponible avant douze jours. Il me dit voir quelqu’un qui souhaite passer une semaine chez lui et qui ne veut pas qu’il soit ‘contaminé’ par moi s’il vient me donner un coup de main…

J’avoue que c’est une surprise, bien que je ne m’attendais pas à ce qu’il reste célibataire ad vitam aeternam. Je lui demande si c’est quelqu’un que je connais, il hésite une seconde à me répondre par la négative, ce qui ne me laisse aucun doute du contraire.

Je pourrais faire la pie mais je m’en fous, en fait. J’espère juste que leur relation ne s’est pas nouée dans mon dos à l’époque. Car même si notre rupture est bel et bien consommée, ce n’est jamais agréable d’apprendre une trahison après coup. Bref, je pense qu’elle est simplement jalouse. Mais c’est de bonne guerre.

Du coup, je dois revoir mes plans.

Ainsi, Kevin m’aidera à vider mon garde-meubles dans douze jours donc et mon frère viendra chercher l’ensemble des affaires de ma mère quelques jours après pour les déposer à l’avance à l’EHPAD. Si d’ici là, on a le droit de voyager au-delà de 100 km. Et ensuite, je me débrouillerai avec mes petits bras pour réaménager l’appart.

Moi qui m’étais secouée pour avancer, me voilà déjà dans l’ornière. Délayer sur douze jours ce que j’étais prête à faire en trois, c’est de la méga-procrastination. Mais forcée, sur ce coup-là. Et je ne peux m’empêcher de constater que tout le monde avance, sauf moi.

Figée à un énorme carrefour au bord du passage-piétons. J’ai envie de traverser puis je me ravise et je finis par laisser les feux se succéder sans bouger d’un iota. Je suis perdue. Je ne sais pas vers quoi me diriger ni quelle rue emprunter, je n’ai pas de carte, encore moins de GPS, à supposer que j’ai une adresse à lui indiquer. Le bourdonnement de la rue, le mouvement des gens, des voitures me donnent le vertige. Ça me submerge. Mon réflexe est de rentrer tout au fond de ma coquille.

Il va bien falloir pourtant que je me donne un coup de pied aux fesses. Mais pour aller où ?…

Je me rends compte à quel point j’ai besoin d’aide en ce moment. L’aide d’un psy. Mais ça, comme l’acupuncture, cela devra attendre que je retrouve une paie. Je vais m’en sortir, je pense, car j’ai déjà processé pas mal de choses, mais l’aide d’un pro ne serait pas superflue. J’étouffe un peu, en fait.

Je suis encore loin du break psychotique qui m’a poussée à consulter il y a sept ans mais l’état larvaire dans lequel je me suis engluée ces derniers temps est de plus en plus intenable. D’en connaître la cause principale ne m’avance guère car c’est repartir sur un chemin que je m’étais jurée de ne plus arpenter.

«… En effet, en dehors des symptômes très largement présents chez tous les patients atteints de fibromyalgie, douleurs diffuses et chroniques, asthénie, troubles du sommeil, il existe un autre syndrome : l’état anxio-dépressif et parfois même une dépression sévère voire mélancolique… »

Et ça, ça veut dire cocktail d’anti-anxiolytiques et d’antidépresseurs, avec le petit parasol en crépon et la cerise confite. Je préfèrerais un Perrier-menthe et quelques séances sur un divan. Du coup, je me revois il y a sept ans dans le cabinet de la psy qui me parlait de troubles de la personnalité borderline, de bipolarité, de cyclothymie…

J’étais atterrée. Une prise de conscience très violente mais nécessaire, de mes actes et de mon comportement, limites tous les deux. J’ai pris alors la décision de me soigner et de faire en sorte de ne plus jamais revivre ce que je venais de vivre, à savoir cette crise psychotique qui avait bien failli m’annihiler pour de bon. J’avais vraiment fait n’importe quoi jusqu’à ne plus pouvoir me reconnaître dans le miroir.

Comme cette crise d’hystérie où je m’en suis prise à un ami qui ne m’avait rien fait. Je me revois ivre de colère lui aboyer dessus, pourquoi, je ne sais pas, et si j’avais eu une arme dans les mains à ce moment-là, je sais que je serais en taule aujourd’hui. Le pauvre ! Bien sûr, il a coupé tous les ponts mais peut-être qu’il n’est pas trop tard pour m’excuser ?…

Je buvais aussi à l’époque, beaucoup, je m’imbibais littéralement jusqu’à l’intoxication. En fait, je ne savais pas fonctionner sans alcool. Ça me faisait faire des choses que je ne regrettais pas vu que je ne m’en souvenais pas le lendemain. Je faisais les pires trucs et je n’en subissais aucune conséquence. Et j’évitais les miroirs.

Cette autodestruction a duré quelques temps jusqu’au jour où j’ai eu un blanc, un vide, une absence. Et un soir, j’ai avalé une bouteille entière de Jack et de quoi anesthésier un éléphant. Mon plan était de ne pas me réveiller. J’ai fait un coma. Je me suis réveillée. Et là, j’ai dit stop, direction le psy.

Dès lors, j’ai tout gobé, diagnostics et petits cachets, sans chercher plus loin. Et j’ai tout arrêté quelques mois plus tard car j’ai cru que j’étais ‘guérie’. Mon histoire avec Kevin venait de commencer et la passion des débuts aidant, j’ai cru que cela était le meilleur des antidépresseurs.

Je vois bien aujourd’hui que le problème sous-jacent est toujours là. Tapi dans l’ombre depuis trop longtemps à son goût, il ne pouvait revenir sur le devant de la scène qu’avec véhémence.

Et je ne peux m’empêcher de constater la similitude de ma situation d’aujourd’hui avec celle d’il y a exactement sept ans : sortant d’une relation houleuse et stérile, bonne pour le couvent, perdue, sans job, sans boussole… Tout ce qui diffère, c’est qu’aujourd’hui je suis fauchée et sobre comme un chameau. Mais est-ce bien important ?

Vais-je avoir à nouveau un break psychotique ? Vais-je me résoudre à reprendre un traitement ? Vais-je retrouver la force de me battre ? Ne vais-je pas lâchement choisir de tout envoyer valdinguer et de tirer ma révérence ?…

14.00. Je finis par appeler la maison de convalescence où ma mère est bien arrivée en fin de matinée. Je l’ai même au téléphone.

  • Maman ? Comment vas-tu ?
  • Bof… Quand est-ce que je sors ?

J’irai dimanche après-midi lui apporter des affaires. Je demanderai si une petite visite en ninja est tout de même possible… Voilà, il n’y a plus qu’à attendre. Même si je sais qu’elle est entre de bonnes mains et que je ne peux plus rien y faire, je m’inquiète. Je crains qu’elle ne remonte pas la pente.

Tout petit moral. Je dirais même que je suis au fond du puits. Mon estime de moi-même est au plus bas. Je n’ai qu’une envie : me rouler en boule et hiberner jusqu’à l’année prochaine. Et ce ne sont pas les mises en garde alarmistes à la radio qui annoncent un retour du Covid à l’automne qui m’aident.

Si jamais je parviens à reprendre un semblant de vie avec un job notamment, ça se passe comment si on est reconfinés avant la fin de ma période d’essai ? Ça se passe comment pour ma mère qui a déjà le moral dans les chaussettes au bout de trois jours sans voir personne ?

Le présent, c’est chiant. L’avenir, c’est angoissant. Il pleut ce soir. Parfaitement raccord avec mon humeur. Allez, je me roule en boule.

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