JOURNAL   Saison 11

LUCIOLE TO GO

« Bonjour Madame D. Vous habitez toujours Square des Tilleuls au Plessis-Robinson ? »

Ça fait vingt ans que je ne suis plus Madame D. Bradley, ce n’est pas parce qu’on se revoit lui et moi que je vais re-porter son nom ! Pareil pour l’adresse… Ah ils sont à jour, les fichiers de la médecine du travail !

 

Lundi 3 mai 2021 # BALADE AUTORISEE AU-DELA DE 10km MAIS AVANT 19.00  J+1

Bon, à part prendre un air empathique à l’évocation de ma fibro et me dire qu’ils sont à ma disposition si je veux déposer un dossier de handicap, bah pas grand-chose. Même pas fait pipi dans un gobelet. Et oui, je suis une taupe, je ne vois rien, même avec mes lunettes. Et oui, je fume. Et oui, je t’emm…

Allez, apte. Mais à quoi ? Pas à grand-chose, à en juger par ma ‘charge’ de travail qui reste, malgré quelques pics en hauteur, bien fluette. Ce qui pourrait se justifier par ma paie reçue vendredi avec la fiche qui va bien, maigrelettes toutes les deux. Va falloir m’expliquer les 29% de charges retenues sur mon brut, les gars, même quand j’étais cadre, j’en payais moins que ça !

De retour au bureau, j’ai donc envoyé un mail à Shannon qui va voir avec l’expert-comptable. Manquerait plus que je lui explique son taf, à celui-là. Déjà, il va commencer par indiquer ma qualification et mon coeff. Ensuite, les 210 balles en moins.

Mais s’il s’avère qu’il n’y pas d’erreur, ça va être compliqué pour moi de travailler juste pour payer mes charges sans manger et encore moins fumer. Bon, c’est toujours mieux que le RSA mais je vais commencer à regarder dès maintenant si l’herbe est plus verte ailleurs.

J’ai cependant profité de mon mail à Shannon pour renouveler ma motivation à cette dernière même si je me languis d’étoffer mon poste. Lui ai fait quelques suggestions, on verra. Car qu’est-ce que c’est nul comme taf, peigneuse de girafe !

Bref. L’excitation du début est bien retombée. Je suis toujours contente, grosso modo, mais bon. Le télétravail massif fait que les bureaux sont quasi-déserts la plupart du temps, c’est dur de ressentir de l’énergie en plein Sahara. Et je n’ai pas encore rencontré tout le monde, à part une nana la semaine dernière, ce dont je me serais bien passée.

Elle s’appelle Bichette comme moi ! Et son deuxième prénom est Andrea, comme l’héroïne de mon roman ! J’ai crû à un signe de bonne entente elle et moi mais à la seconde où elle s’est pointée, avec sa voix suraigüe de mère maquerelle et sa moue dégoûtée, j’ai compris que ma BFF team ne compterait pas de nouvel élément.

Bichette-Andrea, mais WTF ?!!? Cameron m’a dit plus tard qu’il fallait que je m’en méfie, qu’elle était d’une chienlit sans nom et sans fond, qu’elle cafetait, que c’était la seule dans la société à jouer les divas qui éjectent d’un coup de hanches les voleuses de soleil impudentes… Comme quoi, mon pressentiment était le bon.

Elle est effectivement insupportable. Heureusement qu’elle ne passe au bureau qu’une fois par trimestre. Elle a dû voir à mon regard un chouia acerbe lorsqu’elle m’a reproché de ne pas avoir orienté un appel vers la bonne personne, qu’il ne fallait pas trop me chatouiller. Depuis, elle prend quelques pincettes avec moi.

Bah il faut toujours un ou une relou au bureau, où je bossais avant, y avait pratiquement que ça, donc cette société, c’est du bonbon pour moi. Bref, je fais donc le dos rond, béni oui-oui, je m’en contrefiche, en fait.

 

Bradley m’appelle ‘Mon cœur’ maintenant et m’en dessine sur des post-it qu’il laisse sur mon ordi à la maison quand il part le matin. Comme samedi avant de rejoindre son régiment-bidule pour un week-end d’instruction (si j’ai bien tout compris).

La veille au soir, dès qu’il a eu posé les pieds à la maison, il a senti que quelque chose n’allait pas. Je n’avais pourtant ni le ton ni la tête de traviole comme au matin mais je devais émettre malgré moi un signal ‘mayday’ qu’il a perçu.

Je venais de raccrocher d’avec Mimine qui, par le biais de Yang, s’était inquiétée. C’était inattendu, ces rôles inversés en un laps de temps si mince mais au final, bienfaiteur. Ainsi, pas le besoin particulier d’en reparler stat avec Bradley mais plutôt de marouner un peu dans mon coin.

Il m’a un peu forcé la main et la conversation qui a découlé a été limpide et constructive, bien loin de l’imbroglio névrotique que je pensais poindre. Son explication de texte a fait sens, tout a fait sens, sauf moi peut-être. Tout au fond, la petite fille giflée avait encore besoin de se frotter la joue et ce, même si elle ne comprenait pas pourquoi.

Lui a été exemplairement à l’écoute, pas du tout braqué. Il s’est juste écrié :

–  Mais je sers à quoi, moi ?! Tu appelles tes potes quand ça va pas et pas moi ?! Alors que j’étais juste à côté !

–  Bah déjà ça te concernait pour un tiers et ça ne fait que quelques jours où tu es présent pour moi, je n’ai pas l’habitude !

–  Bon, en même temps, c’est Yang, je peux comprendre.

A la fin, il m’a prise dans ses bras pour me consoler des larmes que j’avais versées la veille sans qu’il en ait la moindre idée. Je pense que ça va mieux depuis. Et ce week-end, seule avec moi-même, m’a fourni le recul nécessaire pour décanter comme je le voulais.

Bradley est décidément d’une choupinerie étonnante. Il se gargarise de mes mots, ceux que je lui ai avoués ‘perfection faite mâle’… Je dois reconnaître qu’ils sont légitimes tout autant que mérités : il est réellement parfait. Il l’est devenu. D’un coup de baguette magique.

J’ai pu penser que c’était un mirage, une passade qui allait faner aussi vite qu’elle avait éclos. Mais je constate une certaine constance, voire une montée en puissance dans le coup d’accélérateur qu’il a donné à notre histoire dernièrement.

–  Il faut que je te donne mon planning de mobilisation désormais, mes prochaines dates sont du 13 au 17 mai…

–  Ah bah justement j’allais te demander, comme je peux prendre un RTT le 14, ça nous aurait fait un week-end de quatre jours mais bon, case closed !

–  Oh non, c’est trop dommage ! Il faut qu’on se fasse un week-end tous les deux…

–  C’est normal, tu as booké les week-ends où tu n’as pas les enfants.

–  C’est surtout que ces dates sont bookées depuis longtemps ! Donc je vais me débrouiller pour qu’on ait un week-end ensemble prochainement. Et pis des vacances : que dis-tu de prendre la dernière semaine de juillet en CP et on se casse au bout du monde ?

Il me scrute, m’inspecte, me regarde sous toutes les coutures, il s’attarde sur d’infinitésimaux détails, les découvrant pour la première fois, selon lui. Ça me met presque mal à l’aise, je ne sais pas trop si je ne préférais pas lorsqu’il me survolait sans stabiloter la moindre de mes imperfections.

Et il tient en retour à ce que je consigne en moi la moindre chose de lui : les méandres de ses cicatrices, les arabesques de ses tatouages, la moindre tâche de rousseur, le moindre pli de ses micro-poignées d’amour… Bref, ça me donne l’impression d’un contrôle vétérinaire. Mais c’est mignon.

Donc, le Pont de l’Ascension, je vais le passer seule au Normandy Beach. Et le précédent, celui qui arrive, chez Toto. Pour mon anniv. Du coup, ce dernier a rameuté du monde pour faire un karaoké géant autour du barbecue. Ni l’un ni l’autre ne me tente mais je trouve cela gentil de sa part et cela me changera les idées. Bien sûr, j’irai dire bonjour à Maman.

Je pense beaucoup à elle en ce moment. Je repense à il y a un an. Je crois que c’est pour ça que je ne suis pas d’une humeur particulièrement guillerette. C’est un processus normal, paraît-il. Bref.

J’ai toujours tendance à avancer au jour le jour, voire à l’instant T. Les choses prennent forme pourtant, ma vie se reconstruit peu à peu mais j’ai l’impression que cela s’opère hors de moi, à côté de ma volonté propre.

Je suis un pinson sur sa branche, je ne pense qu’à ma prochaine luciole à déguster TO GO.

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1 avis sur “LUCIOLE TO GO

  1. Yang

    > « dès qu’il a eu posé »
    L’amicale des amateurs des temps surcomposés est heureuse de vous faire parvenir votre carte de membre !

Les commentaires sont clos.