JOURNAL   Saison 10

POISSON D’AVRIL EN AVANCE

13.45 « Je pars… Compte 15 minutes de retard… »

Je croyais que c’était le rendez-vous de ta life, que même en rampant, tu serais à l’heure ?!…

 

Lundi 29 mars 2021 # SEMI-CONFINEMENT PARISIEN J+10

Je suis congelée dans cette cathédrale où je suis venue mettre une votive pour Maman en attendant 14.00, l’heure de mon rendez-vous avec Jeremiah, donc. Je n’ai pas d’autre choix que celui de patienter mais déjà, je sens que quelque chose cloche.

Ce n’est pas tant son retard qui m’emmerde mais le fait qu’il m’ait dit à plusieurs reprises que pour tout l’or du monde il ne raterait ce rendez-vous et que tout serait d’un romantisme parfait. Limite, c’est moi qui avais la pression.

L’explication de son retard : il s’est endormi très tard à préparer ses affaires, du coup, il n’a pas entendu son réveil. Ses affaires qui ont pris du retard à être empaquetées la veille à cause de notre discussion qui pourtant n’a pas duré toute la nuit comme les autres fois. Donc, c’est de ma faute et il ne se gêne pas pour me le dire. Bah voyons.

Bref, il y a souvent un fossé entre ce qu’on dit et ce qu’on fait.

 

14.33  « Je suis arrivé… »

Ça tombe bien, j’étais sur le point, passablement agacée, de lui envoyer un texto pour savoir où il en était dans ses 15 minutes de retard largement dépassées. Je me lève, j’envoie une prière de dix secondes à Monsieur Machin « Please make him be the one ! » même si je pressens que c’est mal barré, et je sors de ce frigo mortuaire pour rejoindre le soleil qui, une fois n’est pas coutume ici, rayonne ardemment de tous ses feux.

Je l’aperçois au loin. J’avoue, mon cœur se met à battre un peu plus fort. On s’approche l’un de l’autre. Je commence à discerner son visage tandis qu’il enlève son masque pour me sourire… A trois mètres de lui et en une seconde, je sais.

C’est d’une force et d’une fulgurance inouïes. Ces deux mots implacables ‘PAS COMPATIBLES’ se mettent immédiatement à clignoter en rouge au fond de moi, et je réprime alors très difficilement une envie de m’enfuir en courant.

C’est comme un coup de foudre, mais à l’envers.

S’il était arrivé à l’heure, voire en avance, cela aurait-il changé quelque chose ? Ou à la bourre mais un bouquet de fleurs à la main ou des pâquerettes qu’il m’aurait cueillies au bord de la route ? Ou la totale, à l’heure avec des fleurs ? Je ne crois pas.

Hum… que faire ? Me voilà dans de beaux draps. Bon, il ne va pas me manger, on peut discuter un peu. On ne sait jamais, des fois que mon don me fasse un poisson d’avril en avance… Donc, je décide d’être courtoise.

Je ne saurais dire pourquoi mais je refuse tout net son bras qu’il m’offre pour aller se promener. En fait, je crois que j’ai peur de le toucher. Quelque chose en lui me révulse catégoriquement mais je ne sais pas quoi. C’est comme si dix-mille mains m’attrapaient par le col et me tiraient en arrière, le plus loin possible de lui …

On marche un peu et comme une noix, je m’arrête sur le Pont des Soupirs du coin, romantique à souhait et cela ne rate pas : « Tu ne trouves pas que c’est l’endroit idéal pour un premier baiser ? »

J’essaye en deux secondes de visualiser le concept, voire de détecter en moi un soupçon d’envie mais le sprint façon guépard est la seule chose qui me vienne à l’esprit. J’arrive à esquiver mais mon Dieu que je me sens mal !

On finit par s’asseoir sur un banc dans un petit jardin près du lavoir, là aussi romantique comme pas deux, si ce n’est l’odeur des crottes de chien qui jonchent allègrement les parterres de pâquerettes autour de nous.

J’essaye de noyer le poisson en évitant soigneusement de croiser son regard que je sais posé sur moi avec insistance : « Alors, avant le monde associatif, tu faisais quoi comme boulot ? » Ce à quoi il me répond un peu vertement : « Est-ce bien important ? »

Un peu, oui. J’aimerais juste savoir comment tu fais pour vivre si tu n’as aucun revenu et si tu vis sur tes réserves, d’où viennent-elles, quoi. Bref. Il finit par me répondre, mais avec une solide réticence que je ne parviens pas à saisir. Commence alors une longue litanie chronologique de tous ses ‘bullshit jobs’ comme il les appelle, et je me mets à comprendre.

T’inquiète, moi aussi j’ai fait et vendu des fromages de chèvre sur les marchés, y a pas de sous-métiers et tu ne dois pas avoir honte d’avoir gagné ta vie comme tu as pu… Mais je m’aperçois vite que je me trompe, en fait. Ce n’est pas de la honte qu’il ressent mais de l’antipathie et de la rancune.

S’il s’était contenté de dire « J’ai fait ci, j’ai fait ça », j’aurais pu n’y voir que du feu mais à chaque job, il me donne les raisons qu’il a eues de s’en trouver un autre alors que ces raisons n’en sont qu’une seule et même à chaque fois : c’est un asocial.

Et tandis qu’il conclut par « La société, c’est de la merde ! » cela m’apparait clairement et j’en ai froid dans le dos : c’est un marginal, un drifter, un cas social presque, un ado complètement inadapté, ultra-émotif, utérin, qui reste dans un état permanent de rancœur et d’animosité envers tout et tout le monde.

J’aime les punks, les rebelles, les écorchés vifs, les originaux, les excentriques, voire les contestataires par principe mais dans l’esprit, pas dans la vie. La SDFrie anar, non merci. Une base de normalité avec un boulot et/ou une vocation, un loyer à payer et des vacances à préparer, et la tête dans les nuages, fourrée de grains de folie, est-ce trop exigeant ?

Certains, comme Bradley, veulent que leurs convictions servent leur vie, je trouve cela admirable et courageux. Mais dans le cas de Jeremiah, c’est une longue errance en Absurdie comme dirait Michel, où l’on croit que l’on peut changer le monde en en étant exclus. Bref.

Physiquement aussi, c’est le décalage complet. Il n’est ni beau, ni laid mais ses fringues, ses cheveux, c’est comme s’il était resté bloqué dans les années 90. Par choix ? Je pense, oui. Et très étrangement, il est maniéré, presque efféminé dans ses gestes. On l’a déjà pensé gay, paraît-il, je peux comprendre.

Ainsi, en toute objectivité, même si je n’avais pas eu cette aversion immédiate à sa simple vue, je sais qu’il n’est pas du tout ma came. Absolument aucune once de lui ne m’attire un tant soit peu. Même son odeur qui sent la lessive bon marché ne me parle pas. Ni sa voix, pourtant si familière depuis dix jours, c’est à peine si je la reconnais.

Il faut que j’en aie le cœur net. J’hésite encore un instant puis je finis par poser ma main sur sa nuque. Et ça me brûle instantanément. Une coulée de lave grondante et bouillonnante, comme au cœur du Mount Doom dans lequel Frodo tente désespérément de jeter l’Anneau.

J’ai la confirmation aussi de ce que j’ai pressenti auparavant déjà, à savoir qu’il est mono-organe : son cerveau, son cœur et son ventre ne font qu’un. Il ne pense pas avec son cerveau puis agit avec ses tripes ou le contraire mais tout en simultané, avec une intensité incendiaire qui urge d’appeler les pompiers sans tarder.

Mais au-delà de ça, je sens surtout qu’il est entièrement, unanimement, profondément in love with me. Qu’il m’est complètement dévoué corps et âme, qu’il est prêt à me vénérer comme une déesse et à prendre soin de moi comme le meilleur homme qu’il est convaincu d’être pour moi…

« Et alors ? En quoi c’est mal ? » me rétorque-t-il lorsque je le débriefe brièvement. Je ne sais pas si c’est mal, ce que je sais en revanche c’est que c’est trop. Bref, je me sens encore plus mal qu’avant de le toucher.

Car je n’ai bien entendu aucune intention de lui faire du mal. Mais c’est plus fort que moi, je ne parviens pas à trouver la moindre parcelle de lui qui pourrait me faire oublier un peu l’aversion absolue que j’éprouve depuis la première seconde où je l’ai vu.

Je me mets alors à penser à toute vitesse. Puis-je l’amener chez Miles et Joan et passer la nuit avec lui comme prévu ? Ou puis-je rester jusqu’à 18.30 le temps pour lui de repartir avant le couvre-feu ? Puis-je simplement rester une heure de plus ?

C’est sans appel : JE NE PEUX PAS !!!

D’ailleurs, l’envie de détaler comme un lapin me reprend de plus belle. Serais-je allergique à lui ? J’essaye de me convaincre du contraire, je temporise, je tergiverse intérieurement. Je cherche surtout un moyen de lui dire ce que je ressens avec diplomatie et tempérance.

Bien sûr, je ne vais pas lui dire le dixième de ce que j’écris ici car ce serait trop blessant, pas constructif, donc inutile. Mais je dois couper court à cette situation incommodante au possible, pour moi mais aussi pour lui. Je dois être honnête. Ne pas faire traîner le truc et ne pas lui faire espérer quoique ce soit.

Alors, je prends une grande inspiration et je me lance. Mes mots sont sans emphase, synthétiques, factuels, saupoudrés cependant d’un tact que je ne me savais pas capable de posséder. Il marque un silence qui me semble une éternité. Je lève les yeux, une ombre passe sur son visage…

–  Durant toutes ces nuits à se parler, tu as bien senti que cela devenait irrémédiable pour moi, pourquoi tu ne m’as pas freiné ?

–  Je n’avais à ce moment-là aucun motif pour, ni aucun pour t’accélérer d’ailleurs !

Il me prend alors dans ses bras, il passe longuement sa main dans mes cheveux, il me caresse le visage, il cherche mon regard… Il essaye sans doute d’établir une connexion mais je n’y peux rien, je suis raide comme la justice, enfermée dans mon carcan après avoir éteint tous mes récepteurs.

–  Je n’ai plus qu’à rentrer chez moi, c’est ça ? Dis-le !

–  Pourquoi le dire ?

–  Que veux-tu faire, alors ?

–  Si je pouvais, je courrais…

–  Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te retenir.

–  Je suis désolée. Vraiment. Mais c’est vrai, c’est à moi de partir.

Et je pars à grandes enjambées sans me retourner. Je cours presque dans les ruelles pour mettre de la distance au plus vite. Lorsque je me sens enfin ‘en sécurité’ quasiment deux kilomètres plus loin, j’appelle Joan pour qu’elle vienne me chercher.

La pauvre, les allers-retours que je lui ai fait faire aujourd’hui ! Mais elle le prend bien, plutôt inquiète et un peu peinée pour moi. Dans sa voiture, je me lâche enfin. Je crois bien que j’en crie. Que j’en pleure. Je n’ai absolument rien compris à ce qui vient de se passer. Je suis sous le choc. Je crois aussi que j’en tremble.

« HOW IS IT POSSIBLE TO HAVE A CONNECTION AS STRONG AND OBVIOUS AS THE ONE WE’VE HAD THOSE PAST DAYS AND TO LOOSE IT WITHIN A SECOND??!!!”

Je m’attendais éventuellement à ne pas être séduite immédiatement et donc à nécessiter un peu de temps, mais jamais je n’aurais pensé à un tel rejet de ma part dès la première seconde !

Je n’espérais rien de cette rencontre, moi la partisane du ‘je vis dans le now’ mais peut-être qu’en fait, j’en espérais tout ? Que cela concrétise et ancre notre fabuleuse cohésion d’âmes ? Cela a-t-il créé une pression telle qu’elle ne pouvait qu’exploser ?

Non, pas comme ça. Pas aussi subitement, aussi épidermiquement.

Non, la seule explication, c’est que mon don, plus affûté que jamais, en me braquant à main armée pour que cela ne souffre d’aucune contestation rhétorique sans fin, m’a préservée d’un désastre dans lequel j’aurais peut-être encore plongé, envoûtée que j’étais par les sirènes chimériques des âmes-sœurs qui se retrouvent au-delà des temps…

Et je confirme : mon don s’exerce bien sans contact, maintenant. Comme les cartes bancaires. Il faudrait peut-être que je paramètre un plafond d’encaissement…

Bref. De retour au Normandy Beach, Miles lâche son chalumeau et sa statue de rondelles de métal pour me lancer un petit regard goguenard. « Go on, laugh it up all you want ! » que je lui fais en m’allumant nerveusement une cigarette. Il se met alors à partir dans un rire tonitruant, quelque peu surjoué, certes, comme le pitre qu’il sait être souvent mais ça finit par me gagner et nous voilà tous les trois tordus de fou-rire dans la cour. Que ça fait du bien !

Et de rire comme ça de moi-même me permet la perspective. Je fais le tour de mes sentiments de l’instant. Ainsi, malgré la tristesse, la déception, l’incompréhension, les ‘Bien fait pour toi’ et ‘Prends-en la leçon, bécasse écervelée !’ un sentiment prévaut : la fierté.

Je suis fière de moi. J’ai été honnête avec Jeremiah mais surtout avec moi-même. J’ai été fidèle à moi-même, complètement et sincèrement.

Je pense aussi que cela m’aura apporté plus d’assurance en moi, je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas mais surtout, j’arrive désormais à l’exprimer haut et fort. Tiens, ça me fait penser à la lettre que j’ai écrite comme prévu dimanche à Bradley, lettre dans laquelle je n’ai pas mâché mes mots…

Et je ne peux m’empêcher de faire la comparaison. Jeremiah, une alchimie des âmes, Bradley, une magie des corps… A choisir ? Et si je veux les deux ? Bien candide je suis à espérer rencontrer un jour un tel hybride mais qui ne tente rien n’a rien. Bon, en attendant, je crois que je vais retoucher ma lettre à Bradley…

On discute encore comme ça, Miles, Joan et moi, quelques instants puis jetant un œil à la pendule qui indique bientôt 18.00, je demande : « Is it a decent hour to start boozing up ? »

Affirmatif, Bécassine. Fais péter la bière.

 

Mercredi 31 mars 2021 # SEMI-CONFINEMENT PARISIEN J+12

C’est le téléphone qui m’a réveillée hier matin. La sonnerie, tout du moins. Mais le temps que je mette la main sur mon portable que j’avais laissé la veille dans une poche de ma veste, bah ça avait raccroché. C’était Nénette. Qui certainement voulait que je lui raconte. J’étais sur le point de la rappeler mais je me suis dit que je ne savais pas trop quoi lui dire ni par où commencer.

J’avais de plus un mal de crâne carabiné et une fuite de mémoire telle que lorsque j’ai ouvert un œil en sursaut, j’ai mis un certain temps avant de réaliser où j’étais, c’est-à-dire en croix toute habillée sur le lit dans ma petite chambre-cottage chérie du Normandy Beach.

Synonyme de soirée très arrosée la veille. Confirmée par Miles et Joan, dans le même état que moi. Mais apparemment, on a bien ri et passé un excellent moment à passer à la moulinette, étriller, faire et défaire les relations entre hommes et femmes jusque tard dans la nuit, abreuvés de tout ce qui pouvait se boire ce soir-là.

Bref. Le temps de décuver un peu, de me refaire une tête et j’ai décidé de rentrer à Paris où je suis arrivée dans l’après-midi. Parce que je n’avais plus de raison de rester et que cela me laisserait plus de temps pour préparer mon premier jour d’école demain.

Avant de prendre la route, j’ai reçu un texto de Yang « ALOOOOOOOOOOOORS ?!? » auquel j’ai répondu « Tu veux pas passer ce soir après le taf ? Trop long, trop compliqué par tél. » donc hier soir, j’ai pu commencer à restituer ce que je venais de vivre. Il faut dire que sur la route, j’avais eu le temps de cogiter.

Et Yang m’a fait du Yang pur et dur, une seule phrase pour résumer quatre pages A4 : « Il a pas assuré une cacahuète, le Jeremiah ! »

Tu l’as dit, bouffi ! Même si ce n’est pas entièrement de sa faute, tout de même. Et au fur et à mesure que j’en parle à voix haute, les choses commencent à se mettre en place dans ma tête. Notamment les indices que j’aurais dû relever tout au long de nos échanges par téléphone ces dix derniers jours, peut-être qu’ainsi on ne se serait pas rencontrés et chacun perdu moins de temps. Et d’espoir.

Même si au final, je ne regrette pas cette expérience riche d’enseignements.

Oui, lors de nos longues heures au téléphone, certaines choses auraient dû me faire tiquer mais va savoir, je ne m’en suis pas formalisée. Je me suis dit qu’on est comme on est, avec nos failles, nos défauts, nos douleurs, nos petites ou grandes névroses… Je suis assez magnanime pour accepter l’autre comme il est et assez symétrique pour demander qu’en retour il m’accepte moi comme je suis. Ce qui semblait être le cas.

Ainsi, sa façon de s’exprimer, avec des expressions de djeunes à tout bout de champ, faisant de lui un adulescent que j’ai pu trouver rafraîchissant à un moment donné, c’est vrai mais maintenant que j’y repense, il apparaît clairement qu’il n’a pas accepté son âge et est resté bloqué vers ses 20 ans sans s’en rendre compte.

Ensuite, ses relations venimeuses et tourmentées avec sa famille, l’évocation douloureuse à la limite du supportable de son fils de 11 ans qu’il ne voit plus… Je soupçonne même une consommation déraisonnable de drogues en tout genre, ce qui ne passe carrément pas avec moi. Sans compter une foule de détails insignifiants et pourtant éloquents.

Tout ça mis bout à bout aurait décidément dû me mettre la puce à l’oreille.

Le pompon étant… ses deux chats. Avec lesquels il entretient une liaison passionnelle quasi-humaine. S’inquiétant de les laisser tout seuls pendant les deux jours que l’on était censé passer ensemble, je n’ai pu m’empêcher de lui demander :

–  Mais tu t’inquiètes pour quoi, au juste ?

–  Bah j’ai peur qu’ils se battent, déjà. Et puis, comme il va faire beau et que je ne serai pas là pour leur ouvrir le balcon, j’ai peur qu’ils m’en veuillent en rentrant. J’ai peur aussi qu’ils n’aient pas assez à manger.

–  Les animaux sont largement moins cons que les hommes, ils savent parfaitement se gérer et même s’ils se foutent une peignée, tes deux bébés, ça n’ira pas jusqu’à la mort. Ils sont également moins rancuniers, surtout pour un balcon resté fermé ! Enfin, tu leur mets un saladier de croquettes et un de flotte, on parle de deux jours, pas de deux semaines…

 

Au fond de moi, y avait bien cette petite voix sarcastique mais que je n’ai pas, hélas, laissée parler tout haut : « Quand bien même ce serait l’apocalypse quand tu rentrerais : et alors ? Si tu préfères tes chats à moi qui viens de Paris pour te rencontrer, on va avoir un problème, Houston… »

Il s’est alors fait une raison bon gré mal gré pour repiquer illico dans des considérations d’une nébulosité qui là encore aurait dû m’alerter : « Bon, je vais réaménager l’appart pour qu’ils aient plus de place et je vais demander à ma mère de passer les nourrir mardi après-midi. Faut donc que je l’appelle mardi matin car tout va dépendre de lundi soir, si ça se trouve, je serais rentré si cela ne se passe pas bien entre nous, donc je ne peux pas lui dire à l’avance… Et pareil pour mercredi, ça va dépendre de mardi soir… Et je m’emballe mais peut-être que j’aurais tout préparé pour rien car je rentrerai lundi après-midi ?… »

Tu ne croyais pas si bien dire. Au moins comme ça, tes chats t’auront eu tout à eux.

Et enfin, la cerise sur le pompon a été dimanche après-midi. Il avait une manif en matinée, moi j’avais ma balade sur la plage qui a avorté pour cause de marée haute, m’obligeant à me retrancher dans la cour au soleil pour écrire ma lettre à Bradley, et on s’est donc appelés vers 15.00.

Pour voir son degré de folie, sa soif d’inattendu, j’ai tenté un truc.

–  Si je te dis 17.30 sur ma plage de Saint-Côme de Fresné ?…

–  Aujourd’hui ?

–  A ton avis ?

–  Euh… bah non.

Yang a explosé :

–  Oh le con !!! Fallait dire oui tout de suite ! Le rendez-vous de ta vie, t’es amoureux déjà comme pas possible, elle te demande de la rejoindre un jour plus tôt et tu dis non ?!! Moi, j’aurais raccroché en disant ‘J’arrive !’ et sauté, même en slip et pas coiffé, dans ma bagnole !

–  Attends, tu ne connais pas la raison qu’il m’a donnée ! Pire que son refus ! Bah parce que ses affaires n’étaient pas prêtes et qu’il n’avait pas encore préparé l’appart pour ses chats ! Il ne voulait pas tout faire dans le stress et la précipitation car selon lui, il voulait arriver au top, détendu et souriant, sans avoir à se soucier d’autre chose que de moi…

–  Tout ça pour arriver à la bourre le lendemain !

 

Bref. Et hier soir aussi, il m’a envoyé un mail que j’ai lu ce matin.

« Alors c’est comme ça que ça se termine ? Par le silence et le rien ? De Tout à Rien en quelques heures, minutes, secondes et on fait comme si il n’y avait pas eu d’avant, comme si cela ne signifiait rien… Je ne sais même pas si c’est une question ou un constat… »

J’hésite encore à lui répondre. Le moindre contact avec lui me semble insupportable, comme s’il était radioactif. Je vais le faire quand même, mais c’est dur. C’est ça les ‘borderline’, c’est tout ou rien, je t’avais prévenu.

 

Voici ce que j’ai écrit dans ce blog sur le sujet il y a un an.

… Oui, j’ai peut-être besoin aujourd’hui de me laisser faire, de lâcher prise, de retenter de faire confiance à un autre être humain en ouvrant la porte de ma coquille blindée…

Quel serait l’homme idéal pour moi ? J’avoue ne pas trop savoir. Peut-être quelqu’un de plus âgé pour une fois… Quelqu’un qui puisse prendre soin de moi. Surtout, quelqu’un dont je ne serais pas le substitut de sa mère !

Quelqu’un de bienveillant. De patient et de constant. Altruiste et magnanime. Loyal et courageux. Un saint, quoi. Et ce quelqu’un pourrait-il aussi être brillant, charismatique, drôle et amoureux du Montana ? Je rêve.

En général, c’est quand on dresse un cahier des charges que l’on se retrouve avec tout le contraire. Et si je raisonnais à l’envers ? Si je discernais ce que je ne veux pas ?

Alors, je ne veux pas d’un homme-enfant pas sevré. Je ne veux pas d’un homme torturé et torturant. Je ne veux pas d’un homme qui attend tout de moi et ne donne rien en retour.

Bon, ça ne m’avance pas plus. Tout ça, c’est beau sur le papier mais c’est très rare que cela devienne réalité. Alors, je tente le pragmatisme.

Un homme à qui il reste des forces pour mener d’autres combats que les siens. Un homme qui sache composer avec ma monkerie. Un homme qui prenne les décisions pour moi sans toutefois me priver de mon indépendance. Un homme qui accepte qu’on vive chacun chez soi dans un premier temps et qui parvienne ensuite à contourner mon extrême territorialité en proposant un toit commun sur terrain neutre. Idéalement, à la campagne ou au bord de mer.

Un homme qui arrive sur son destrier et qui me cloue le bec en me kidnappant.

Ah merde ! C’est le prince charmant ! Aurais-je au fond de moi des réminiscences de midinette ? Ai-je le besoin inavoué d’être sauvée ? Mais sauvée de quoi ? De moi-même ? De ma condition délétère ?

Est-ce parce que j’en ai marre des décisions foireuses que j’ai prises dans ma vie que j’ai besoin de m’en remettre à quelqu’un d’autre ? Ne plus vouloir être actrice de ma vie, botter en touche, m’asseoir sur la banquette arrière plutôt que derrière le volant, démissionner, quoi : suis-je capable de l’accepter ?

Les épreuves auraient-elles eu raison de ma nature profonde ?… 

Même si le fond n’a pas trop changé, un an après, celle que je suis devenue a d’autres attentes.

Je veux un pirate. Mais philosophe. Je veux un fou. Avec les pieds sur terre. Je veux de la testostérone. Avec un zest d’estrogènes. Je veux du sexuel. Je veux du cérébral. Je veux le grand frisson. Je veux l’aventure. Avec un soupçon de douceur. Je veux le mystère et la surprise. Je veux l’admirer pour ce qu’il est. Je veux qu’il me tienne la dragée haute et me challenge. Je veux le regarder dans les yeux et me sentir HOME.

Mais par-dessus tout, après Kevin et Bradley les deux égocentriques qui se défaussent sur moi de l’abandon par leur mère, après Clint l’homme-enfant et Jeremiah l’adulescent, je veux un homme bien dans ses baskets de quadra-quinqua.

 

Bon, va falloir que je modifie mon profil Meetic, moi… Je l’avais mis en pause ces derniers temps à cause de Jeremiah mais aussi parce que j’étais ‘trop’ demandée par ces messieurs en ligne (!). Attendez de voir mon profil updaté, vous allez en claquer une durite, je vous le dis HAHAHA !!!

Je ne comptais pas m’y remettre de suite, un peu échaudée, dirons-nous. Mais hier soir, sous l’impulsion joyeuse de Yang qui me demandait si avant Jeremiah il y avait eu un ou plusieurs autres mecs avec lesquels j’avais un tant soit peu accroché, j’ai réactivé mon compte Meetic.

Car oui, c’est le cas : Murray. Un Britannique anti-Brexit qui vit à Paris, auteur pour la télévision. On a beaucoup échangé lui et moi, sur ce qu’il écrit, sur ce que j’écris. Il me fait une cour très discrète que j’apprécie particulièrement et il me fait réellement rire ! Un poète facétieux à l’humour très british, donc, avec lequel j’aimerais beaucoup renouer.

Mais cette fois, j’ai compris la leçon : si on reprend contact et que ça se passe bien, je n’attendrai pas pour le rencontrer en live. Cela dit, vu le très probable durcissement du confinement qui va être annoncé dans une heure, ça risque de ne pas être aisé. On verra.

 

Quant à la fameuse lettre pour Bradley ? Yang m’a demandé hier soir quelles étaient mes intentions avec cette lettre, comme Nénette l’a fait pour Walter le 17 février dernier. La BFF team en action !

Je crois sincèrement que mon intention majeure est de pouvoir enfin lui dire ce que je ne suis pas arrivée à lui dire jusqu’à lors, pleinement et librement, sans risquer de partir en sucette. Est-ce que j’attends une prise de conscience de sa part ? Un réveil, un électrochoc ?

Pas vraiment, en fait. Justement, je ne veux plus supputer de lui. C’est à lui de se mettre à ma place. S’il le veut et qu’il le peut. Quelque part, j’ai l’impression que ma toute fraîche mésaventure m’a donné la détermination qui me faisait défaut, celle d’être moi indépendamment de tout.

Dear Bradley,

Pourquoi cette lettre ? Les fois où j’ai tenté d’exprimer ce que je voulais dire, je n’y suis pas parvenue. Tu es la seule personne au monde qui me retourne la tête comme ça. Je ressors en général de nos ‘conversations’ frustrée et confuse, en colère contre moi-même de ne pas arriver à te dire ce que je veux te dire.

D’où cette lettre.

C’est d’ailleurs la confusion et le dépit que j’ai ressentis après avoir raccroché avec toi juste avant que tu ne partes en mission, qui motivent les mots que je te livre aujourd’hui.

Je ne voulais pas te les dire par téléphone lorsque tu étais en mission car je souhaiterais vraiment que l’on échange toi et moi à ce propos. On ne se doit rien, si ce n’est ça peut-être.

Tu n’envisages pas l’avenir avec moi et pourtant, je représente à tes yeux un horizon avec un champ des possibles infini. Moi, comme je te l’ai dit, je suis dans une impasse avec un mur devant moi. Tu peux comprendre que cela finisse par me faire tourner les talons.

Même si pour toi notre relation peut et va évoluer, je pense qu’il nous manque à tous les deux une chose essentielle qui est l’envie. J’ai pu la ressentir à un moment donné mais confrontée à l’absence de la tienne, la mienne a fini par s’étioler.

Pas une seule fois tu m’as proposé d’aller ensemble voir la maison aux pommes, je suis ton plan D pour loger sur Paris, tu n’as parlé de moi à personne autour de toi et dire ‘nous’ t’est quasiment impossible. En tout cas, c’est trop rare pour que cela soit significatif.

Sans parler d’engagement pieds et poings liés avec les contingences que cela impliquerait, ce qui, pour moi et qui plus est pour toi, est parfaitement inconcevable car bien trop prématuré, je ne sais pas, pour exister dans la vie de quelqu’un, il faut y mettre quelques jalons, non ?

On en revient à l’éventualité. Même si tu l’as contesté, moi je le maintiens : je suis une incidence éventuelle pour toi. Ce n’est pas un reproche mais un constat.

Tu dis que tu as toujours su que tu allais finir seul, délaissé, comme un vieil ours solitaire au fond des bois. Ce n’est pas une fatalité mais un effet de traction. C’est comme si tu faisais tout, inconsciemment peut-être, pour que cela arrive.

Tu te surprotèges, je peux comprendre, mais te rends-tu compte que tu laisses à la porte l’opportunité de vivre quelque chose qui pourrait peut-être te rendre heureux ? A moins que ce qui te rendrait heureux soit justement cette solitude extrême que tu recherches autant que tu redoutes…

 

Se voir une semaine sur deux, profiter des bons moments ensemble sans se projeter, toi qui pars en mission, puis toi à terme dans ta maison à la campagne et moi qui t’y rejoins les week-ends tout en pensant qu’un jour peut-être je pourrais t’y rejoindre complètement, tout ça me convenait quand j’y pensais et cela aurait continué de me convenir si seulement j’avais ressenti que tu me faisais une place, même toute petite, dans ta vie.

Bref. Peut-être que l’on a loupé le coche, toi et moi. Par deux fois, donc. On est d’accord, quand c’est là, c’est là et quand cela ne l’est pas, bah on ne peut pas le pondre. Faute à personne, c’est comme ça.

Toujours est-il que tu es devenu un fantôme dans ma vie. Et s’il y a bien une chose à propos de laquelle tu as été catégorique, c’est ça : tu ne serais jamais le fantôme qu’a pu être Walter dans ma vie, à comprendre qu’il ne fallait pas que je t’attende indéfiniment comme je l’ai attendu, lui, en vain.

Tu avais raison. Donc voilà, je ne t’attends plus.

 

Et pour être parfaitement honnête avec toi, un peu avant que tu ne partes en mission, je me suis inscrite sur Meetic. J’étais dépitée, je ne savais plus où j’en étais, si je pouvais plaire encore, comment me situer, si j’étais ‘aimable’, désirable…

Eh bien devine ? C’est le cas. ET ÇA FAIT UN BIEN FOU ! Echanger, découvrir, partager, babiller au téléphone, se faire belle pour un date, avoir le trac, exister pour quelqu’un, tout ça, c’est fantastique !

Ainsi, j’ai rencontré deux hommes avec lesquels il ne s’est rien passé, parce qu’ils ne me plaisaient pas tout simplement. Quand bien même il se serait passé quelque chose, ce n’est pas le plus important.

Je ne regrette rien, au contraire. Ces expériences m’ont apportée beaucoup, bien au-delà de ce que j’aurais pu en penser de prime abord. Donc je vais réitérer.

Car grâce à cela, aujourd’hui je peux dire que je sais qui je suis et ce que je veux.

 

Je ne suis pas amère, ni en colère. Loin de là. J’ai même suffisamment de sentiments pour toi pour regretter quelque part que notre histoire ne mène nulle part.

C’est juste que je n’en peux plus d’avoir ce mur devant moi et qu’il est temps que je marche sur un chemin qui m’emmène quelque part. Où, je ne sais pas, mais c’est de ça dont j’ai envie aujourd’hui.

J’entame rayonnante cette vie toute neuve. J’aurais aimé que tu en fasses partie. Life is life !

Allez, c’est la grand-messe. J’en profite pour aller préparer mes affaires pour demain. The D-DAY !!!

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