Saison 1

LA CHASSE AU JOB

Mercredi 25 mars 2020 – CONFINEMENT J+9

« … Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile… soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile… »

Voilà, maintenant c’est explicite. Dans le doute, ça fait une semaine que je n’ai pas sorti Maman. Autant dire qu’elle est plus qu’ankylosée. Bon, je ne me plains pas trop, si j’avais eu un berger allemand, j’y aurais eu droit trois fois par jour. Allez, hop, on va faire le tour du pâté de maison. Je lui interdis de toucher quoique ce soit mais par précaution, je lui scotche des moufles.

En rentrant, je me mets sur l’épluchage des offres d’emploi que j’ai mises un peu de côté ces derniers jours. Comme tout le reste. Après m’avoir oubliée un bon mois, la fibromyalgie s’est rappelée à mon bon souvenir avec une énorme fatigue et des maux de tête abyssaux, faisant de moi comme à l’accoutumée une grosse chiffe molle.

Je constate que le type d’offres d’emploi a évolué en quelques jours : même si cela ne me concerne pas, je vois des offres pour des postes de directeurs avec salaire à six chiffres, des médecins, des psychiatres mais aussi des agents secrets (hahaha), des manipulateurs de missiles… Les grosses boîtes institutionnelles voire les ministères recrutent à des postes-clefs, même l’institut Pasteur a besoin de chercheurs !

Je trouve cela très étonnant car ce sont habituellement des postes qui ont peu de turn-over et qui se pourvoient en règle générale d’eux-mêmes en cercles fermés. Assistons-nous à un changement en profondeur de la société où même les postes d’énarques doivent passer par des annonces sur Monster ?

Je vois aussi des trucs qui me laissent pantoise devant mon écran : ‘Happiness Manager responsable du feel-good process’… késako ?? J’essaye de lire leur annonce en entier mais comme ils font du tutoiement une seconde nature, bah je zappe. Je déteste ça. On n’a pas gardé les cochons ensemble. Je suis old-school, j’ai peut-être tort. De toute façon, même si je décrochais un entretien, lorsqu’ils s’apercevraient que je n’ai pas et ne veux pas de smartphone, ils me raccompagneraient illico vers la sortie en me traitant de dinosaure. Donc, pas de regret.

Je réponds toutefois à quelques offres, même si je sais que je pars avec trois handicaps : le confinement actuel qui rend extrêmement difficile voire impossible tout entretien, l’éclectisme de mon parcours professionnel qui peut paraître incongru et, il faut bien le dire, mon âge.

Pas évident de démontrer que mon parcours atypique, mon autodidactie et la sagesse liée à ma tranche « pas encore senior mais plus une jeunette » sont des atouts d’une richesse incroyable au cours d’un entretien qui n’a pas lieu…

Pas évident surtout en ces temps de crise inédite. La visibilité des sociétés sur leur propre avenir étant très faible voire nulle, c’est normal que les embauches soient gelées. La priorité est de refaire un semblant de chiffre d’affaires dès que possible en essayant de conserver les emplois existants.

Alors, j’ai bien pensé à une reconversion dans un domaine d’activité qui lui ne connaît pas la crise, je dirais même qu’il est en plein boum : l’aide à la personne. Ma doctoresse, avec laquelle j’ai sympathisée, me verrait bien à mon compte intervenir dans une ou plusieurs résidences seniors dont elle ne manque pas de faire mention, sachant que j’ai déjà une solide expérience avec ma propre mère…

Je lui fais remarquer que justement, je trouve que je suis nulle dans ce domaine et que cela requiert des compétences dont peut-être je ne dispose pas. Mais selon elle, s’occuper d’un étranger est beaucoup plus facile que de s’occuper d’un parent.

M’occuper d’enfants, alors ? J’ai toujours eu la touch avec les mômes et le métier que je voulais faire quand j’étais jeune, c’était pédopsychiatre. Réparer les enfants cassés. Car il n’y a rien de plus beau que le rire d’un enfant. J’ai bouffé du Dolto et compagnie à foison, j’avais une vraie vocation mais je ne me suis pas donné les moyens. J’ai même tué dans l’oeuf tout espoir d’études en fuguant de chez mes parents à trois mois du BAC.

Aujourd’hui, repartir sur dix ans d’études, ce n’est hélas pas envisageable. Alors, nounou ? Pas vraiment mon truc. Non, je crois que les enfants et les vieux, ce n’est plus pour moi. J’ai assez donné, je ne veux plus être la piñata de ces bouffeurs d’énergie. Je ne veux plus être au service de qui que ce soit.

Sans compter les démarches pour remonter une structure, aussi simplifiées qu’elles puissent être en auto entreprenariat, rien que de penser au business plan et à l’étude clientèle, ça me fatigue. Je n’ai plus la flamme.

J’aurais au moins retiré quelque chose de cette expérience de petit patron : VIVE LE SALARIAT ! Car outre la sécurité et une paie en fin de mois, je n’ai aucun problème à rendre des comptes à quelqu’un et avoir un cadre est bien plus motivant pour moi que d’être livrée à moi-même et à mes incertitudes.

Bref, j’ai fait mes petits calculs. Avec les indemnités de Kevin que l’on s’est partagées lui et moi, je peux tenir sans revenus jusqu’à fin juin max. J’espère d’ici là que cela va se décanter car sinon, c’est ma mère qui va devoir payer le loyer. Et si je l’ai étranglée avant, bah…

Je devrais peut-être demander le RSA ? J’ai horreur de quémander, je me connais, je préfèrerai faire des ménages ce qui, en soi, est un job tout-à-fait honorable et dans lequel j’excelle, en plus. Je verrai.

18.00. C’est fou, quelques jours d’inactivité et j’ai pratiquement tout perdu à la Wii. La reine du hula-hoop peut ramasser ses cerceaux et se brosser avec. Et la gym, n’en parlons pas, me voilà aussi souple qu’une amphore ! Ou serait-ce ma fibromyalgie qui dit stop ?

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