BICHETTE 2.0   Saison 1

LA COLOC

« Non mais allô !! T’as des cheveux et t’as pas de shampooing ?!! »

Effarée je suis, comme Nabila, par le minimalisme des cosmétiques de Shushu. Un savon et c’est tout.

Dimanche 9 octobre 2022

 

Ça fait un mois pile que Shushu a élu domicile chez moi. Encombrante. Nonobstant son unique savon. Pas tant par sa présence, on se croise à peine, mais par son irrépressible besoin de cuisiner à toute heure du jour et de la nuit. Comme je dors dans le salon avec la cuisine attenante, les odeurs de choucroute et de tofu fumé à minuit, je commence à en avoir ras le pompon.

Un peu sans-gêne aussi, à envahir sans vergogne et mon espace et mes placards, en enfouissant mes affaires sous les siennes. Elle a même débranché ma cave réfrigérée pour éventuellement y stocker quelques cartons…
Je lui avais pourtant bien dit que cela allait être un peu exigu mais elle m’a assuré qu’elle allait s’adapter à mon espace, quitte à laisser quelques cartons chez des amis. J’ai bien vu, le jour où je suis venue la déménager avec ma voiture, que c’était du pipeau.

C’est une artiste, elle a besoin, je cite, d’un maximum d’espace pour être en phase avec son Moi créatif, pour « respirer » et trouver l’inspiration devant son piano. Ou sa trompette. Ainsi, je me suis très vite retrouvée avec une colonne de cartons grignotant chaque jour mon espace, jusqu’à ce que je me vautre dessus, un matin où je n’étais pas bien réveillée.
Là, j’ai pris le taureau par les cornes, je lui ai fait une démonstration de Tetris, c’était rangé dans SON espace en moins d’une heure. Et j’ai rebranché ma cave à vins et mis un post-it dessus « Ceci n’est pas un box Shurgard ». Non mais.

Comment suis-je arrivée à cette brillante idée de prendre une coloc ? Bah par hasard. Disons que l’opportunité s’est présentée et en considérant d’une, la récurrence de mon découvert bancaire, et de deux, le récent fiasco de mon dernier « ménage » avec un autre être humain, je me suis dit pourquoi pas. Mais sans conviction aucune.
Bon, ça porte un nom, de faire quelque chose à contrecœur pour de l’argent hahaha mais j’ai préféré le voir comme une sorte de thérapie, pour me forcer à sortir de mon grottisme autistique, à la limite de l’asociabilité. D’une pierre, deux coups, quoi.

Bref, ça remonte à fin mai, lorsque, pour permettre d’énièmes travaux sur les évacuations par lasalle de bains de mon appartement, j’ai dû filer mes clefs à quelqu’un car je n’étais pas là ce jour là. Ce quelqu’un, c’était Shushu, ma voisine, que je connaissais vaguement au sortir de mails échangés justement sur le sujet des canalisations bouchées et des horreurs de débordements de toilettes qu’elle subissait également.

Et sur le palier, on en est venues à papoter. C’est là qu’elle m’a dit que son propriétaire reprenait l’appart et qu’elle devait avoir vidé les lieux début juillet, qu’elle allait galérer à trouver autre chose dans son budget riquiqui et qu’elle aurait souhaité ne pas changer d’adresse pour le renouvellement de son titre de séjour qu’elle attendait avec ferveur…

Et oui, Shushu n’est pas une sans-papier mais presque. Ça fait bien douze ans qu’elle est en France, au début en tant qu’étudiante au Conservatoire de Paris et depuis trois ans, en tant que salariée mais à temps partiel et en vacations longues…

Ce changement de statut Etudiant/Salarié est déjà, en soi, une tannée à gérer, bien souvent en se voyant octroyer récépissé sur récépissé, obligeant à vivre dans la précarité par tranche successive de trois mois. Alors, en plus, si l’on n’est pas travailleur essentiel à temps plein et en CDI…

Ah ça claque, comme intitulé de job « Professeur de piano & Chef d’orchestre » mais c’est nul pour les papelards !

Ajouté à cela, la pandémie qui a littéralement gelé tous les rouages de l’administration et voilà une Shushu au récépissé plus qu’expiré qui n’a pas pu rentrer dans sa famille à Taïwan depuis quatre ans ! Dans les faits, elle peut sortir de France mais elle n’est pas sûre de pouvoir y rentrer…

Est-ce cela qui m’a touchée ? Pourtant, elle n’a pas été particulièrement larmoyante et mon empathie rasant les pâquerettes ces temps-ci… Je ne sais pas trop, en fait, toujours est-il que j’y ai réfléchi et quelques jours plus tard, je lui ai envoyé un mail. J’aurais mieux fait de me casser trois jambes.

Bref, elle est venue visiter début juin, cet été elle était logée, c’était donc à prévoir pour septembre. Elle m’a dit vouloir se donner le temps de la réflexion, de voir autre chose et qu’elle reviendrait vers moi fin août.

Je me suis dit « Si tu me préviens le 29 août pour le 1er septembre, ça va être tendu », aussi, je l’ai relancée le 1er août tout en priant à m’en faire saigner les paumes qu’elle ait trouvé entretemps à se loger. J’ai même tenté de me désister :

« … pour être tout-à-fait franche, je ne suis pas sûre finalement d’être prête pour la coloc, je ne sais pas… As-tu quand même une piste pour un appart? Maintenant, je me suis proposée donc si tu n’as rien d’autre, on pourra voir… »

C’était tout vu. Ainsi, le dimanche 11 septembre 2022, après 4 allers-retours à sa résidence d’été chez des compatriotes compatissants – mais famille nombreuse donc logement impossible sur le long terme – ma Clio bourrée jusqu’au plafond de ses affaires, Shushu s’est installée dans ma chambre et j’ai migré mon lit dans le salon.

La première chose qu’elle a faite, c’est de fabriquer sa propre lessive avec des paillettes de savon sans savon qu’elle a trimballées dans un sac en papier percé dans tout l’appart… « Tu vois, c’est facile, je laisse reposer le mélange 24h, ensuite je délaye, je laisse encore 24h et après je remplis mon bidon. Ça va me faire longtemps, au moins 10 lavages, c’est très économique et écologique ! »

Mouais. 48h pour faire de la lessive… Et la prochaine fois, c’est toi qui passe la balayette.

Le plus beau dans tout ça, c’est qu’au final, ça donne un liquide caca d’oie qui schlingue, un comble pour un détergent censé sentir le propre ! Je m’en suis rendue compte le jour de sa première lessive. Comme elle devait sortir et moi pas, je lui ai proposé d’étendre son linge une fois la machine terminée. Lorsque j’ai ouvert le hublot, j’ai cru à une mauvaise blague : ça puait la punaise écrasée ! Sérieux, j’ai même regardé dans le tambour si justement il n’y avait pas une punaise qui avait mal fini…

Non, non, c’était normal. Shushu n’aime pas les odeurs artificielles ni chimiques, elle préfère les trucs naturels roulés sous les aisselles… Elle va même jusqu’à débrancher mes diffuseurs de parfum car cela l’incommode… On n’a décidément pas la même définition des odeurs dégueu.

Autant dire qu’elle m’a fait un sketch à propos du Calgon, moi :
– Oui, une tablette d’anti-calcaire à chaque lavage.
– Euh ça laisse un parfum sur le linge ? Si oui, je n’en veux pas.
– Bah t’as pas le choix, pas envie de flinguer mon lave-linge.

Devant ma mine déterminée, elle a tenté de m’attendrir « En fait, je crois que je suis allergique aux produits industriels, ça me fait de l’eczéma. »… Bien. Moi je suis allergique à l’huile essentielle de punaise écrasée. Donc, chacune sa lessive et les vaches seront bien gardées. Mais avec Calgon.

Bon, passons sa facette bobo-bohème qui porte des sarouels et qui sent le purin bio. Elle a aussi un petit côté je-sais-tout et je-veux-avoir-le-dernier mot assez désagréable. Surtout qu’elle a souvent tort.

Le coup des plantes en plastique dans la douche, impayable :
– Je croyais que c’était de vraies plantes, je me suis dit que c’était malin comme ça elles étaient
arrosées à chaque douche…
– Non, c’est pour la déco, je ne peux pas mettre de vraies plantes, y a pas de lumière.
– Je suis sûre qu’il existe des plantes qui n’ont pas besoin de lumière.
– Bah non, ça s’appelle la photosynthèse. L’unique but de toute plante sur terre.
– Quand même, je vais me renseigner.

C’est ça. Et renseigne-toi aussi sur les plantes qui aiment être arrosées au gel douche.

Et ses contradictions nombrilistes ! Elle a deux lampadaires halogènes, qu’elle préfère à mes
lampes aux ampoules basse énergie, moi :
– Tu sais que ça consomme sa race en électricité, ces trucs-là ?
– Ah bon ? Mais j’aime avoir beaucoup de lumière quand je joue.
– J’ai vu, t’as déjà viré les rideaux transparents ! Bref, j’dis ça, comme tu me parais écolo… Et pis, faudrait pas que la facture d’électricité s’emballe de trop, si tu vois ce que je veux dire.

C’est comme son vélo électrique pliable, qui en soi, est une invention du tonnerre, si ce n’est que l’électricité nécessaire à son rechargement pourrait faire clignoter la Tour Eiffel non-stop pendant trois bonnes nuits.
Et je n’ai même pas entamé le débat sur les « minerais de sang » de son smartphone et de sa tablette ! Ou de la vaisselle qu’elle fait à la main alors qu’il y a un lave-vaisselle bien plus économe en eau, ou des bains qu’elle aime bien prendre pour se détendre – le volume d’eau pour remplir la baignoire pourrait suffire à un village entier au Sahel – est-ce que j’ai fait un coucou suisse, hein ?!

C’est sûr, on a tous des contradictions à ce sujet, moi la première certainement, mais au moins j’assume et surtout, je ne fais pas mon Ayatollah du zéro plastique et du bio à tout crin ! Quand les instructions de recyclage ne sont pas claires sur un emballage, je ne vais pas faire mouliner un web server pendant une heure pour savoir dans quelle poubelle je dois jeter : je jette dans la poubelle principale, point-barre.

Et elle est aussi un chouilla j’me-la-pète avec son art contemporain, ses citations de compositeurs allemands obscurs, ses voyages à dos de yak en Mongolie, son ignorance absolue de la pop culture – connait pas Michael Jackson, non mais WTF !!! – et sa fameuse Nuit Blanche…

Tu veux voir les vidéos que j’ai faites ? (euh non mais si tu insistes) et donc : des mecs assis en rond qui tapent sur une cymbale et qui attendent dix minutes, l’air constipé, que le son s’égrène, une heure de Allumé/Eteint/Allumé/Eteint à l’Hôtel de Ville (j’faisais la même quand j’avais 7 ans avec le plafonnier de la deuche de mon père et personne ne s’extasiait pour autant), le reste j’ai zappé en prétextant une irrépressible envie d’uriner… Ça me soûle d’une force, ces branlages de
cerveau, un désintérêt total, à la limite de l’aversion, je dois dire.

Egalement très prompte au jugement à l’emporte-pièce, avec des réflexions à la con, comme :
1. T’as prévu quoi aujourd’hui ? Il fait beau, tu devrais sortir… Ah, tu vas encore glander…
2. Les boîtes plastiques, c’est pas bon pour la santé, tu ingères des particules de plastique…
3. Pourquoi tu mets les fruits et légumes dans le frigo ?
4. Le petit-déjeuner est le repas le plus important, c’est pas bien de ne pas manger.
5. Pourquoi tu ne prends pas le train lorsque tu vas en Normandie ? Le train, c’est moins polluant
que la voiture. Elle était bien contente de la trouver, Titine, pour son déménagement.
6. Pourquoi tu ne fais pas de vélo ? Il faut te motiver, c’est tout !
7. Le soir, tu es fatiguée, mais à quoi faire ? A rester assise devant l’ordi toute la journée ?…
Ce à quoi j’ai très souvent envie de répondre fibromyalgie. Et surtout j’t’emmerdite aigüe.

Lui ai pourtant bien expliqué mais elle ne comprend rien, à ma maladie, à mes allergies, et non, les lentilles qui ont cuit avec la saucisse, je ne peux pas en manger !!! Et pis merde alors, si je suis adepte du grottisme, en quoi c’est son problème ?!!

Bref, pour résumer, Shushu est une bobo-bio au verbe haut et à la conscience à deux vitesses. Dans sa bulle à œillères, bornée parfois jusqu’à l’arrogance. Mais passé ce constat, j’aime en fait assez le personnage qui est fantasque et atypique, et quel parcours ! Quelle passion chevillée à l’âme ! Chapeau. Et puis, ça me fait du bien de me confronter à la différence, c’est somme toute rafraîchissant. Et drôle.

Bon, ce que me fait moins rire en revanche, c’est quand elle cuisine en grandes pompes en rentrant le soir. Pas à 19-20 heures comme tout le monde, mais vers 23 heures, quand je suis sur le point de me coucher…

Eh oui, elle travaille l’aprem et le soir, souvent à Pétaouchnok S/Eure donc le temps de rentrer en combi train-vélo électrique… Un rythme qui semble lui aller. Elle reconnaît elle-même être un oiseau de nuit qui peut se coucher à 3-4 heures du mat pour se lever à 11 heures. Bien, j’ai envie de dire, chacun est comme il est et fait bien comme il veut.

Mais quand on vit en coloc, on se doit de respecter le rythme de l’autre, surtout s’il est à l’opposé du sien. Donc, si tu rentres à 23h30 et que ta coloc est déjà au lit, tu ne lances pas une potée au chou qui va embaumer tout l’appart et ta coloc, végétarienne de surcroît, tu te fais un truc rapide et inodore, comme une salade de tomates ou un jambon-beurre. En tout cas, tu y vas mollo avec l’ail et le Nuoc Mam fermenté dans l’autocuiseur.

« Je vais faire des oignons frits ce soir, c’est super bon, tu en voudras ? »
J’en ai pleuré. Intérieurement. Je venais en plus d’étendre mon linge qui sentait bon le propre, le vrai… Deux heures les fenêtres grandes ouvertes pour évacuer l’odeur. Et encore. Même le Fébrèze n’a rien pu y faire. Cette fois-là, je me suis endormie et réveillée la tête dans l’oignon, au sens propre du terme.

Gentille elle est, elle tient absolument à me faire à manger, peut-être qu’elle se dit que je serais moins regardante sur les odeurs de bouffe si j’en mange ? Mais moi à 23 heures, je suis en mode sommeil donc ses trucs qui sentent l’aïoli de renard, ça me lève le cœur à cette heure-là.

Elle ne parvient pas à comprendre que lorsque je rentre le soir, je n’ai la plupart du temps pas envie de cuisiner. Pour moi toute seule, je ne vois pas l’intérêt. J’ai de plus souvent bien mangé le midi, donc j’ai tendance à grignoter vite fait. Pour elle, c’est une hérésie : « Tu n’as pas envie de bien manger ? » – si, mais pas au milieu de la nuit. Surtout du chou rouge fermenté au hareng séché.

No cooking in the room ! Je comprends désormais pourquoi certains hôtels aux US refusent les clients chinois, à moins de leur interdire de cuisiner comme au bled. Faudrait que ces derniers apprennent les vertus pacificatrices du bon vieux club-sandwich, mais j’ai l’impression qu’ils s’en battent la race.

Ouais, chinois, taïwanais, c’est kif-kif. Je deviens raciste, moi. Au niveau bouffe, en tout cas. Les kiffeurs d’oignons, allez les frire chez vous bouhouhou !!!

Enfin bon, tout ça pour dire que j’ai relativisé, j’ai été patiente, compréhensive, d’une philosophie à toute épreuve. Je ne me jette pas de fleurs, vraiment, je me suis dit que c’était à moi de faire des compromis, que c’était un excellent exercice pour développer mes « social skills » et que c’était à n’en pas douter, de l’or massif pour mon blog.

Jusqu’à lundi dernier.

Je rentre du boulot, limite le nuage de fumée et cette odeur de graillon !!! Elle avait bien sûr débranché mon diffuseur désodorisant, j’étais furax. J’ai passé la soirée en doudoune les fenêtres grandes ouvertes et elle rentre au moment où je les referme pour aller me coucher. La voilà qui sort toute la batterie de cuisine et qui se met à cuisiner à grands renforts d’ail et de je-ne-veuxpas-savoir quoi qui pue plus fort que le poireau…

J’ai pris un double cacheton pour m’assommer sinon c’était elle que j’assommais.

Le lendemain soir, je rentre, rebelote. Pire : ça puait l’oignon dans la cuisine d’une force, c’était dans la poubelle dans laquelle j’avais mis un sac tout neuf le matin en partant. Là, je me suis dit : faut qu’on cause ! Pour une fois, c’est bien tombé, elle n’est pas rentrée tard. Moi :
– Te serait-il possible de bien aérer quand tu cuisines le midi parce que quand je rentre, c’est encore très fort, tes odeurs de bouffe…
– Ah mais c’est le cas ! C’est la première chose que je fais quand je me lève, à cause de l’odeur de cigarette.
– C’est surtout après, pas avant que tu cuisines, style une bonne heure, tu vois…
– Ça alors ! Les odeurs de nourriture te gênent et pas le tabac ?!!

Sautage à la gorge, je ne l’avais pas vue venir, celle-là. C’est vrai qu’elle s’en plaint depuis le premier jour. Me proposant même de lessiver les murs… Je l’avais envoyée paître gentiment et depuis, je me contorsionne pour fumer non plus en bord de fenêtre mais le torse dans le vide pour éviter que la fumée ne rentre.

Il doit y en avoir quand même un peu… Pourtant, on ne m’a jamais dit que ça sentait le tabac chez moi, dieu sait si j’aère, que je Fébrèze tout ce que je peux, bref, elle doit avoir le nez ultra-sensible. Et donc since day 1, elle dispose des ramequins de marc de café un peu partout dans l’appart pour désodoriser. Ce qui n’est pas très efficace, à mon sens, mais bon. Ah oui, Shushu mout son café (bio et éthique, of course) chaque soir, clamant que c’est bien meilleur que le café tout fait. Mais fous la paix à mes dosettes Senseo, bon sang !!! Toujours un truc à redire.

Bref. Lui ayant lâché un « Bah ouais » après sa pique sur les odeurs de tabac, j’ai contre-attaqué :
– Autre chose : les trucs qui puent comme les oignons, peux-tu les envelopper dans des petits sacs en plastique et ensuite tu mets dans la grande poubelle ? Parce que ça empeste et comme je ne sors pas la poubelle tous les jours…
– Je ne suis pas trop pour multiplier les petits sacs plastiques, ça finit dans la mer et moi je mange plein de fruits de mer donc je mange du plastique !
– Euh… ça part au brûlage…
– C’est du plastique quand même. Franchement, à quoi ça sert d’avoir une poubelle si on ne peut rien jeter dedans ?!!

Ah okay, tu la joues comme ça. Elle a dù capter que j’allais lui tomber sur le poil, elle a rétropédalé :
On pourrait acheter une plus petite poubelle ?
– Et donc plein de petits sacs…
– C’est vrai. Et si on faisait du compost ?
– WHAT ?!?!!
– Je vais me renseigner sur les composts de ville.
– Tu le mettras dans ta chambre, ton compost.
– Sinon, on peut utiliser le ventilateur pour repousser les odeurs ?
– Jusqu’où, jusqu’à mon lit ?!! Merci bien.
– Ou alors, on peut mettre un rideau pour séparer la cuisine du salon ?
– Bah non, ce serait comme de pisser dans un violon.
– Pisser dans quoi ?
– Laisse tomber.
Du compost dans un appart parisien SANS balcon. J’hallucine. Pourquoi pas chier dans une litière à chat, pendant qu’on y est, et se laver au gros sel pour économiser l’eau ?!!…

Et elle est revenue à la charge :
– Mon père m’a suggéré d’acheter un purificateur d’air, ça marcherait pour les odeurs de nourriture comme pour la cigarette, qu’en penses-tu ?
– Ça plus l’humidificateur car l’air est trop sec ici selon toi, ça fait beaucoup de machines et d’électricité pour des trucs non-essentiels, je trouve.

J’ai tenté le compromis.
– Comme tu as le temps le midi, peut-être que tu peux te préparer un plat pour le soir que tu n’auras plus qu’à réchauffer au micro-ondes ? Ça fera déjà moins d’odeurs.
– Les ondes, c’est pas bon pour la santé…
– Et la pollution de Paris, c’est bon ?!?
– Bah je choisis de ne pas en rajouter.

J’ai alors contenu au maximum la moutarde qui m’était montée au nez et coupé court.
« Bon, on ne va pas s’en sortir, on va faire comme ça : tu aères un max le midi après que tu aies cuisiné, tu laisses mon désodorisant branché et le soir quand tu rentres tard, tu évites de faire des trucs qui sentent fort, d’accord ? »

Elle a alors grommelé un semblant de « okay » et est partie dans sa chambre.

J’en ai pas dormi de la nuit. J’avais mauvaise conscience, c’est moi qui lui ai proposé cette coloc voire je l’ai relancée, je me suis trouvée intolérante, mégère, minable de ne pas être capable de cohabiter avec un autre être humain…

Dans le même temps, j’ai repensé au bonheur suprême de rentrer chez soi et de retrouver tout exactement comme on l’a laissé, bonheur de prendre une douche la porte grande ouverte, bonheur de ne pas me vautrer sur un vélo stocké dans l’entrée, bonheur de recevoir mes amis comme je l’entends, bonheur de faire ou pas ce que je veux quand je le veux sans réflexion désagréable dans les dents, bonheur SURTOUT de vivre dans un appartement exempt d’odeurs d’oignon et de
punaise écrasée.

J’ai soupesé ça toute la nuit. Et au petit matin, j’ai pris ma décision : fini, la coloc. En tout cas, avec Shushu. Bref, j’en ai parlé à mes potes de boulot, hilares comme à leur habitude, mais à l’avis tranché. Batman et Günther, notamment : « Mais fous-la dehors ! Ouste, du balai les romanos !! »

Et Jordan : « C’est une psychopathe ! Moi, je n’aurais même pas accepté le quart de ce qu’elle t’a fait ! Si tu as besoin d’aide pour la dégager, tu nous fais signe. » Nan, je ne vais pas la virer du jour au lendemain, je ne suis pas comme ça. Peut-être attendre qu’elle ait ses papiers…

J’en ai parlé à Yang bien entendu, lequel a peut-être été plus nuancé – comme Yang aime bien Shushu qu’il a aidée à déménager, v’là l’impartialité hahaha ! – mais la finalité est restée la même.

Bon, je me suis demandée Quand est-ce que je lui dis ? puis Comment je lui dis ?… Et là, j’ai trouvé la meilleure excuse du monde : le week-end qui arrivait était justement la fin du mois d’essai que j’avais fort judicieusement fixé au préalable. Ça me laissait donc un peu de temps pour trouver les bons mots et ne pas y aller en mode déballage tout en étant claire et ferme… Pas facile, comme exercice.

Bref. Hier midi, Shushu était en train de prendre son sacro-saint petit-déj, moi j’étais debout depuis des lustres à ruminer, j’ai ouvert la bouche mais aucun son n’en est sorti. Les mots que j’avais répétés dans ma tête une centaine de fois, étaient : « Bon, toi et moi, je pense que ça va pas le faire. Je te laisse le temps de te retourner mais il faut que tu cherches une autre coloc dès à présent. »
J’ai alors tourné dans l’appart comme un poulet sans tête, me traitant d’idiote, puis n’y tenant
plus, je me suis affalée à table devant elle, l’air faussement dégagé :
– Ah tu sais, ça fait un mois pile aujourd’hui que tu es ici…
– C’est vrai.
– Qu’en penses-tu ? (mouarf, quelle couarde je fais !)
– Bah je crois que ça va pas le faire. Le tabac me gêne beaucoup. Et je te dérange quand je rentre le soir avec ma cuisine, le bruit, les lumières…

Autant dire que j’ai exulté. Intérieurement. Mais VIVE LA CLOPE, bordel de merde hahaha !!! J’ai enchaîné :
– Et quand prévois-tu de partir ?
– Bah si tu peux encore supporter la situation, je pensais attendre déjà d’avoir mon récépissé car changer d’adresse en cours de procédure risque de tout remettre en question, je dirais d’ici le tout début de l’année prochaine si ça te va.
– Bien sûr. Oui, on fait ça, on attend déjà le récépissé et après on voit.

Mais ce ouf de soulagement en moi ! Oui, je vais supporter, je sais que l’échéance est proche donc ça va aller.
Et là, on s’est mises à papoter, on est tombées d’accord que ce n’était la faute de personne (voui voui voui) car mon appartement n’est vraiment pas adapté à la coloc, en tout cas à long terme. Surtout avec des habitudes de vie aussi différentes.

Et aussi le fait que, comme on ne s’est pas mises en coloc dès le début – c’est elle qui est venue dans mon appart dans lequel je lui ai fait un espace – comme j’y ai les affaires de 11 ans de vie et que je ne peux pas tout virer pour elle, bah c’est dur pour elle de se sentir chez elle car ce n’est pas vraiment le cas.

Bon, je me suis quand même demandé ce que cela aurait été si elle avait vraiment fait comme chez elle, parce que déjà…

Bref. On a ensuite évoqué les nouveaux secteurs de recherche envisageables pour elle… Ça s’est corsé. Car il lui faut les transports à côté, des espaces verts – voire une forêt (donc pas Paris intramuros), des pistes cyclables, des magasins bio, des musées et bien sûr, pour pas cher.

Le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière. Ce qu’elle a chez moi (à part mes fesses, hein). Stéphane Plaza serait là qu’il dirait qu’il faut savoir faire des concessions dans la vie, qu’on ne peut pas tout avoir.

Se rapprocher de Pétaouchnok S/Eure, quitte à aller en grande banlieue ? Impossible car c’est trop paumé pour elle, il n’y a rien, pas de culture, d’art, etc. J’ai commencé à pâlir en réalisant qu’elle n’allait peut-être pas décoller de chez moi de sitôt, avec des critères de recherche aussi difficiles à rassembler pour un si petit budget…

Et la voilà en train de sortir des cartons sa porcelaine et ses trucs déco qu’elle n’avait pas sortis jusque-là… Euh je ne comprends pas, t’es censée repartir dans pas longtemps, ça sert à rien de déballer tout ça, non ?

Allez, je vais aller mettre une tonne de cierges devant la préfecture pour qu’ils lui délivrent son récépissé fissa.

La morale de mon histoire ? S’ouvrir aux autres, leur faire une place sur ma planète, dans mon appart, dans ma vie, quelle thérapie à la con !

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1 avis sur “LA COLOC

  1. Ritchie

    Ce post ne date pas d’hier, mais m’a bien fait rire.
    Oui, le tabac, ça pue, plus ou moins que les oignons, t’a débat.
    Mais surtout :
     » Je suis sûre qu’il existe des plantes qui n’ont pas besoin de lumière.
    – Bah non, ça s’appelle la photosynthèse »
    ROFL

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