– Oh ils ont prolongé le confinement !
– Et tu sais depuis quand on est confinés ?
– Euh…huit jours ?
– Seulement à Paris ?
– Peut-être à Marseille aussi ?
– Bah dans le monde entier, je dirais.
– Je ne te crois pas, ils n’ont pas le droit !
Comme je sens la moutarde me monter déjà au nez, je change de sujet… Son délire de persécution n’a aucune limite. Elle ne reconnaît aucune autorité, qui plus est si celle-ci porte un uniforme, elle s’estime brimée, lésée en permanence, en révolte contre tout, tout le temps. C’est bien, la résistance en temps de guerre mais bon, en 2020 pendant une crise de cette ampleur, c’est lourdingue.
Mercredi 15 avril 2020 – CONFINEMENT J+30
9.20. Plus d’asperges à Franprix, la saison aura été très courte. Dommage, j’adore les asperges, ça fait faire pipi toutes les dix minutes et ça sent le soufre…
Je me rabats donc sur les petits navets avec le secret espoir de les caraméliser aussi bien que Kevin… Quel talent il avait, quand même ! Sa cuisine était – et est toujours – une merveille, c’était d’ailleurs cela que je voulais associer à mon concept lorsque j’ai monté ce projet de restaurant.
Mais c’était sans compter sur son égo qui, comme tout chef de cuisine qui relève de l’excellence, était surdimensionné. Même si j’ai été claire avec lui dès le début, il a toujours rechigné à faire MA cuisine qu’il considérait comme indigne de lui. Même si notre clientèle lui a prouvé que c’était une réussite, il était frustré de ne faire, selon lui, qu’une cuisine de magazines féminins.
Maintenant qu’il a les coudées franches, je lui souhaite de trouver un poste où il pourra s’épanouir professionnellement. J’espère toutefois qu’il parviendra à mettre sa fierté dans sa poche si, en cette période stérile en matière d’embauches dans la restauration, le seul emploi qu’il retrouve est celui de chef d’une cuisine qu’il abhorre, type fooding ou brasserie. C’est vrai que cela serait un gâchis mais si cela paye le loyer dans un premier temps…
10.30. Un mail du liquidateur qui m’informe de la tenue d’une audioconférence le 28 avril avec le juge-commissaire pour ouvrir les potentielles offres de rachat de notre restaurant…
La première question qui se rue à moi : QUI VA BIEN POUVOIR FAIRE UNE OFFRE DANS LE CONTEXTE ACTUEL ?!
Admettons, un potentiel acheteur met 80.000 euros sur la table ce qui, c’est vrai, est une très bonne affaire mais, deux mois avant de rouvrir puis un an à moitié voire au tiers du chiffre d’affaires qu’il aurait dû faire hors covid tout en payant ses charges, la trésorerie est tellement incommensurable que ce n’est pas viable.
Donc pour moi, c’est tout vu.
Ah Mère Nature ! Quel magistral tour de force tu as réussi ! La planète entière est à genoux et toi, tu as enfin pu combler ta couche d’ozone qui avait trop morflé. On savait que tu allais te rebeller, que tu ne pourrais plus encaisser sans broncher les abominations que l’on a eu de cesse de te faire subir année après année. Et ce ne sont pas nos minuscules tentatives de changement qui ont pu te convaincre du contraire.
Tu nous as prévenus, pourtant, tu nous as envoyé les grandes guerres, la peste, le choléra, le sida mais rien de tout ça n’a pu endiguer les ravages de l’expansion de notre activité consumériste. Et ce qui t’a mis le plus en colère, c’est qu’en à peine 100 ans, nous avons presque détruit toute l’oeuvre que tu as patiemment construite en près de 600 millions d’années. Normal que tu nous aies considérés comme des sauterelles ravageuses, une espèce nuisible qu’il fallait réguler.
Donc, l’idée du virus était la bonne car il touche à l’unilatéral sans distinction de frontières, de races, de genres ou de religions. Comme quoi, c’est bien la preuve irréfutable que tous les êtres humains sont égaux… Les virus ne sont pas discriminants.
Mais le peu d’effet sur notre courbe démographique a dû te faire cogiter à nouveau : qu’est-ce qui pourrait faire s’arrêter l’activité humaine assez longtemps pour te permettre de respirer ? Quelque chose de hautement contagieux, létal, sans vaccin et qui mute rapidement ? Quelque chose de machiavéliquement ironique qui se transmette par le biais de ce qui fait notre humanité ? Quelque chose qui tue plus particulièrement les vieux pour laisser la place à la prochaine génération qui pourra en tirer les bonnes leçons ?
C’est réussi. Mais t’es-tu posé la question, Mère Nature : est-on capable justement d’apprendre la leçon ? Qui te dit qu’une fois que l’on maîtrisera la situation, on ne repartira pas de plus belle sans rien changer ? Quel feras-tu si le rebond de la consommation post-corona refait un trou dans ta couche d’ozone ? Quel est ton plan de bataille, Covid-20 ? Contagieux et mortel à 100% ?
Ou The Walking Dead… Car les zombies ne polluent pas, eux.
Voici la traduction d’un passage du film World War Z que je trouve tout-à-fait de circonstance :
«…Le problème avec la plupart des gens, c’est qu’ils ne croient pas que quelque chose puisse arriver jusqu’à ce que ce soit déjà là. Mère Nature est une tueuse en séries. C’est la meilleure, la plus créative. Mais comme tous les tueurs en séries, elle ne peut s’empêcher de vouloir qu’on l’arrête. A quoi bon tous ces crimes géniaux si personne ne les revendique ? Alors, elle laisse des miettes derrière elle. Le plus dur, c’est de reconnaître ces miettes comme étant des indices. Parfois, ce que vous prenez pour l’aspect le plus brutal du virus est en fait la faille dans son armure. Et elle adore déguiser ses faiblesses en forces. C’est une saloperie…»
Saloperie ou pas, moi je veux croire qu’on a compris le message et que notre conscience collective s’éveillera pour changer les choses durablement. D’ailleurs, moi je suis prête à rallier mon Montana chéri par bateau (quand on connaît mon mal de mer sur une péniche amarrée, on peut saluer l’effort) puis par train et par Mustang (le cheval, pas la voiture) en fin de parcours. Plus green que moi, tu meurs !
18.00. Je regarde par la fenêtre, c’est l’heure de pointe dans ma rue. Il y a même des petits groupes qui se forment :
– Bonjour Madame Machin, comment ça va ?
– Bien, et vous ? Alors, on se promène avec les enfants ?
La distanciation, on vous a dit que c’était un mètre, pas dix centimètres ! Et pan, voilà que je te claque la bise, un comble ! Vous arrivez d’où, de Mars ?!
Ou alors, ils n’ont ni la télé, ni la radio, ni internet, ni familles, ni amis… J’en doute fort, je crois simplement qu’ils s’en foutent.
Je te l’ai dit, Mère Nature, on ne met un feu rouge à un carrefour que lorsqu’il y a un mort.
WWZ, excellent film ! Et le Montana, le rêve éveillé !