Mardi 7 avril 2020 – CONFINEMENT J+21
Devant les prix prohibitifs des quelques EHPAD en région parisienne que j’ai pu obtenir, je décide de faire des recherches en province, vers chez mon frère que j’appelle avant, bien sûr, pour avoir son avis. Et il est enthousiaste ! Ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu quelqu’un d’aussi ravi, ça fait du bien.
Mon petit Toto ! Il va retrouver sa maman près de lui, lui qui n’a jamais été très d’accord sur le fait que je la déménage sur Paris il y a quatre ans. Plus pour lui que pour elle mais sur le fond, il avait raison, c’était une mauvaise idée que je me suis empressée de balayer d’un revers de main.
Il avait à l’époque suggéré cet EHPAD à côté de chez lui mais ma mère avait déjà, sur mes fortes recommandations, préféré Paris et ses médecins à foison et ne voulait pas, je cite : « Quitter un trou paumé pour aller m’enterrer dans un autre ».
Toto et moi n’avons jamais été très proches, sauf quand on était gamins. J’ai toujours pris mon rôle d’aînée très à coeur et mon petit frère, c’était sacré. Je le trimballais partout avec moi, on faisait tout ensemble, je m’en occupais comme une deuxième mère et cela lui convenait.
Lui aussi a été adopté mais je ne pense pas que c’était cela qui faisait notre complicité. C’était mon frère, j’étais sa soeur, point. Puis, on a grandi, nos chemins se sont séparés quand moi, piaffant d’impatience, je me suis sauvée à la première occasion pour parcourir le monde et que lui a fait le choix de rester dans le trou paumé, justement.
A bien y repenser, c’était la seule personne en qui j’avais confiance et qui ne m’a jamais trahie de quelque façon que ce soit. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est toujours le cas. C’est assez bizarre comme sentiment : c’est lorsque l’on se sent seul au fond du puits que l’on regarde en soi s’il ne reste pas une bribe de lumière et quand on la trouve, c’est troublant et somme toute, réconfortant.
Car on était presqu’en froid depuis que Maman est venue habiter près de moi à Paris. Mais depuis son séjour à l’hôpital et surtout depuis son arrivée chez moi fin octobre, je dirais que nos liens se sont resserrés. On s’est vus de façon plus régulière et on s’appelle souvent depuis le confinement.
Et aujourd’hui, il est plus qu’heureux de préparer le retour de sa mère auprès de lui et moi, je suis soulagée de lui passer le relais.
22.00. « Bonne nuit, ma chérie. »
C’est le seul moment où je retrouve ma mère, une toute petite fraction d’elle qui me bouleverse bien plus que je ne saurais l’admettre. Et qui bien sûr fait voler en éclats ma résolution de me séparer d’elle.
Maintenant que cela prend forme concrètement, je ne fais qu’osciller matin et soir entre le ras-le-bol et l’envie d’essayer encore de la garder à la maison avec moi. Le problème, c’est que j’ai un process très long et tortueux pour accepter une nouvelle situation et tourner la page.
A chaque grand tournant de ma vie, un divorce, un licenciement économique, le décès de mon père, dernièrement la fin de mon business, je fais un rêve révélateur, initiatique qui me permet de clore le chapitre et d’avancer. Donc là, autant dire que je l’attends de pied ferme, ce rêve.
Car je ne parviens pas me résoudre à ce qu’elle ne soit plus là, plus à côté dans sa chambre. Je me rends compte que dès que je pousse la porte pour aller la voir, j’ai une seconde d’appréhension, j’ai peur de la trouver inerte dans son lit ou dans son fauteuil et même tard le soir, je vais à pas-de-loup écouter si elle respire pendant qu’elle dort.
C’est donc les yeux pleins de larmes, ce soir, que je vais à la porte de sa chambre glisser une oreille pour vérifier qu’elle dort paisiblement.